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Mise en ligne : 8 juillet 2004

Texte de l'article :

Avant d’entreprendre le développement de notre projet, nous avons établit une analyse préalable qui permettra par la suite au lecteur une pleine compréhension des principes de notre démarche. Un rapide état des lieux explique notre choix d’intervention sur un établissement existant :
La Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis

La prison n’a plus d’avenir.

Tout comme l’idée de punition, et non de sanction, qui la caractérise. Voilà notre conviction.

Les principes de la loi prévoient pour le détenu une suppression temporaire de certain droits et libertés de mouvement. Dans l’application, cette sanction a été transformée en un concept très élaboré et étroit de l’isolement total de l’individu. La grande rationalisation de cet isolement atrophie l’idée de tissu social et participe à la réification des individus incarcérés.

Il est urgent de rendre les établissements pénitencier conformes à la Constitution de notre société pour pouvoir imaginer à l’avenir une forme de sanction plus humaine et socialement plus constructive.

Notre objectif est de mettre en œuvre une série d’alternatives face au sort univoque qui est réservé aux hommes et femmes qui sont sous le coup d’une condamnation judiciaire.

La problématique est d’inventer un système qui puisse permettre le développement d’un véritable tissu social malgré les contraintes générales de la mise en arrêt.

L’enjeu est d’abolir le système infantilisation/réinsertion, en plaçant les travailleurs sociaux au cœur de l’organisation de la prison.

Le projet doit être fondamentalement conçu pour favoriser l’insertion sociale interne et externe par un système d’importation de gestions et de programmes transversaux.

Dans une logique expérimentale par étapes successives visant la remise en cause des modèles existants de prisons, nous excluons tout geste ex-nihilo. Nous optons donc pour une intervention de type réhabilitation-reconversion.

Notre projet prend une dimension expérimentale en s’appuyant sur de nouvelles méthodes conceptuelles qui permettent de développer une architecture et un urbain dont les références sont inédites.

I. Le choix de Fleury-Mérogis.

La maison d’arrêt pour homme de Fleury-Mérogis est l’exemple le plus symptomatique des dérives de la prison, du traitement indifférencié des peines et de l’isolement individuel forcé que nous cherchons à abolir.

Sur les bâtiments existants :

Fleury-Mérogis est un ensemble pénitentiaire composé de trois maisons d’arrêts (voir doc. ci-contre), destinées à accueillir respectivement les mineurs, les hommes, et enfin les femmes (de gauche à droite).

Situés sur la commune de Fleury-Mérogis (une trentaine de kilomètres au sud de Paris), ces trois établissements ont été conçus par l’architecte Guillaume Gillet. Quarante et un mois de chantier ont permis l’ouverture de ces établissements pour le mois de Mai 1968. Les trois bâtiments obéissent à une même figure géométrique rigoureuse : une enceinte d’hexagonale renferme un ou plusieurs bâtiments strictement identiques appelés tripales. ... 
 De loin le plus imposant, le bâtiment des hommes percute le territoire avec son enceinte polygonale dont la somme des arêtes atteint presque deux kilomètres. Cette enceinte renferme les ateliers de travail, concessions investies par diverses entreprises privées. A l’intérieur de l’enceinte, selon une rotation scrupuleuse de 60° autour d’un bâtiment formant un plus petit hexagone (homothétique à l’enceinte), s’inscrivent cinq tripales, dont chaque aile, longue de 80 mètres, comprend cinq niveaux. Ces tripales comprennent 3200 cellules de détention. Chacune de ces tripale est dénommée : D1, D2, D3, D4 et D5, « D » pour division, terme militaire (voir doc. p.6).

Le cœur de la prison, également hexagonal, avec une rotonde en son centre, est destiné aux parloirs et à la gestion des différents flux : visiteurs, associations, services pénitentiaires et administration. Monstrueux en terme de capacité, le bâtiment des hommes comprend, dans notre projet, l’ensemble du nouveau programme de détention pour le site de Fleury-Mérogis.

La maison d’arrêt des femmes n’a jamais été achevée et demeure aujourd’hui encore un bâtiment inabouti. Le gigantisme inachevé (inachevable) de ce grand projet rappel la fascination qu’a pu exercer la tour de Babel (voir doc p 6). Gillet a-t-il voulu poursuivre ce grand mythe européen d’un bâtiment/monde sans fin évoqué par de nombreux peintres du Moyen Age à la Renaissance ? ou les prémices du radicalisme italien ? (voir doc p 66)

Dans notre proposition, ce bâtiment est entièrement détruit et son emprise redonnée à la Zone Industrielle avoisinante. Le programme de détention des femmes est déplacé dans le bâtiment actuel des hommes. 
 
 La maison d’arrêt des mineurs est une réplique exacte de la maison d’arrêt (idéaliste ?) des hommes, seules les dimensions de son emprise changent : une unique tripale cernée par une enceinte hexagonale. Cette réplique architecturale d’un bâtiment destiné à des hommes ne peut être une réponse adaptée à l’encadrement particulier de personnes mineures. Implanté en rive de l’agglomération, ce complexe est lui aussi entièrement détruit et son programme délocalisé. La surface peut être redonnée à la ville pour permettre une éventuelle extension de son tissu urbain.

Sur la question urbaine :

La prison de Fleury-Mérogis est la plus grande d’Europe. L’administration pénitentiaire elle même, au lendemain de sa mise en activité, n’a pas hésité à la qualifier de « monstre ». Elle gela sur le champ une seconde opération prévue à l’identique au nord de Paris.

Ce complexe pénitentiaire évoque dans sa configuration reproductible des modèles théoriques de villes autonomes, idéales et utopiques (un « paquebot » au milieu des champs, pour reprendre l’expression de l’un des Maîtres de G. Gillet).

Le rapport des échelles lui donne une dimension perdue entre l’architecture et l’urbanisme. Ce gigantisme met à mal la place de l’individu et entrave l’édification identitaire des détenus et des personnels de surveillance.

Le rapport entre le domaine du ministère de la Justice et la commune de Fleury-Mérogis est quasi conflictuel. Son emprise dépasse les 25 ha, soit un tiers de la superficie de la commune qu’elle occupe ; et les bâtiments qui la constituent se mesurent en kilomètres. La prison s’érige comme une véritable barrière entre le centre-ville et la zone d’activité.

La coupure est d’autant plus radicale que la population carcérale et la population de la commune sont en rivalité : le nom Fleury-Mérogis désigne-t-il l’agglomération ou la prison ?

Sur l’enfermement et ses références architecturales :

La M.A. de Fleury-Mérogis est la première prison construite en France au 20e siècle. Ouverte en Mai1968, elle n’opère aucune rupture conceptuelle vis-à-vis de l’idéal panoptique. Et la pensée Moderne hygiéniste dont elle est issue ne fait bizarrement que confirmer cet idéal. La nouveauté n’intervient que dans la superposition de nouvelles technologies (systèmes de contrôle et commandes électroniques). Cette superposition a pour conséquence de réduire encore la dimension humaine. Le Panopticon de Bentham, fondé sur un idéal social sécuritaire ne peut demeurer l’unique référence architecturale puisqu’il ignore toute évolution sociale depuis plus d’un siècle.

L’architecte Guillaume Gillet a réglé d’un même geste le mode d’enfermement des 3 à 5000 détenus qui y résident, en utilisant cette référence à outrance.

Les opérations récentes, issues de la nouvelle politique du parc pénitentiaire, loin de rompre avec les vieux concepts, se contentent le plus souvent de juxtaposer des pièces rapportées de la prison de Fleury-Mérogis. La plupart des innovations se limitent à de timides variations paysagères de toitures comme s’il s’agissait du seul élément de vocabulaire laissé à la libre expression des architectes.
 
Géométrie et architecture de Fleury-Mérogis :

Dans l’œuvre de Guillaume Gillet, la géométrie et le standard s’imposent comme l’unique principe de conception. Une démarche très efficace dans cette période de grande reconstruction. Selon un principe géométrique fractale qui donne toute la charge symbolique de la prison, l’architecte résout chaque point de l’édifice, de la dimension urbaine jusqu’au détail. Cette dimension absolue de la géométrie semble vouloir se situer dans l’éternité. Elle met un voile sur un réel décalage dans le temps et dans l’espace, nous fait oublier que le mode d’incarcération n’a pas changé depuis Mathusalem et par son esthétisme fait diversion alors que sa relation contextuelle avec le territoire est niée.

La géométrie du plan masse de la prison, avec ses tripales, ne se distingue pas de la plupart des grands ensembles de logement de la fin des années 60. Seule l’enceinte qui cerne les bâtiments vient en contradiction avec l’idée d’îlot ouvert des grands ensembles.

Sur le système constructif :

Comme la plupart des prisons construites au 20e siècle, Fleury-Mérogis atteint un état de délabrement plus avancé encore que celui des établissements du 19e siècle. Le personnel pénitentiaire la qualifie de « ruine ». Les conditions d’incarcération y sont rendues encore plus indignes par le mauvais état de la construction. Enfin, contrairement au prisons du 19e siècle dans lesquelles il est possible de remédier à des situations critiques dues au délabrement, par la création de nouveaux cantonnements permissifs (ouvertures permanentes de cellules par petits groupes, usage des coursives comme extension de la cellule, etc), les tripales de Fleury-Mérogis n’autorisent aucune mutation spatiale. Celles-ci, entièrement réalisées avec un système constructif rigide (coffrage « tunnel ») ne permettent aucun ajout ou modification vernaculaire. Son cas fait état d’une difficulté d’adaptation (également à l’instar des grands ensembles) et réduit les tentatives de réhabilitation à de simples petites touches. Le budget de l’opération de rénovation globale envisagée récemment équivaut à celui d’une prison neuve écheloné sur plus d’une dizaine d’année.

Cette prison soumet les détenus et le personnel à tous les vices des systèmes rigides et d’inspiration purement matériels. Son architecture et son système de fonctionnement réagissent très mal au désordre.

II Nouveaux principes pour le fonctionnement de la prison.

Au regard des difficultés qui concernent la M.A. de Fleury-Mérogis, nous énonçons l’hypothèse de la nécessité d’un nouveau système basé sur l’organisation sociale interne et sur l’idée de programmes transversaux à la prison et à la ville. La nouvelle prison ne se base pas sur l’idée de punition, de rachat, et de méditation forcée. Plutôt que d’infantiliser les détenus par une prise en charge totale et chronométrée, la gestion favorisera l’autonomie du détenu et l’initiative individuelle.

Une grande partie de l’organisation est autogérée pour favoriser la responsabilité de chacun. Peut-on envisager une séparation quasi totale du personnel de surveillance et des détenus ? Nous exploitons l’idée d’une organisation où les travailleurs sociaux, le personnel de santé, d’encadrement du travail et de l’éducation, et des associations extérieures régissent avec les détenus la vie à l’intérieur de l’enceinte. Chaque organisme de gestion est transcrit par différentes typologies architecturales superposées.

La création d’activités professionnelles peut-elle permettre un contact entretenu avec l’extérieur et atténuer du même coup le barrage territorial créé par la prison qui sépare le centre urbain de Fleury-Mérogis de sa zone industrielle ? L’insertion professionnelle peut être encouragée par la mise en place de plusieurs niveaux d’engagement possibles. Nous posons le principe que des pépinières d’entreprises peuvent favoriser la création d’entreprises et d’activités individuelles, des ateliers de travail liés à la zone industrielle offrir un travail demandant des compétences délimitées, et enfin des annexes de services publics favoriser une démarche vers une carrière professionnelle de réinsertion dans la fonction publique.

L’insertion d’associations dans l’enceinte de la prison (Ligue des Droits de l’Homme, Observatoire Internationale des Prisons, Croix Rouge) permet une réflexion ouverte à tous et sur place (colloques, conférences, débats) sur les problèmes de société qu’engendrent l’enfermement. De même la nouvelle prison comprend une cellule de réflexion destinée à sa propre abolition. Le but est de résoudre les problèmes sur place, d’être à même de mener une concertation entre tous les acteurs de la prison, d’avoir une observation directe sur les effets des expériences internes.

L’enfermement cellulaire est repensé pour offrir une plus grande malléabilité. Nous proposons des alternatives de cellules individuelles et de regroupements, ceci dans le but de favoriser un second niveau d’autogestion à l’échelle du groupe ou de l’individu.  ... 
 Cette base peut renforcer le tissu social et donc la coopération, la flexibilité des rapports matériels élémentaires. La multiplicité d’appartenance à de petites collectivités est un facteur novateur qui vise à rompre le silence qui règne en prison, notamment sous la pression du caïdat. Dans le cas d’une condamnation d’emprisonnement, la loi prévoit la suppression de la liberté de mouvement mais ne prévoit en aucun cas de priver le détenu de relation avec ses proches. Comment mettre en place un cadre d’intimité qui ne porte pas atteinte à la dignité humaine du détenu face à son univers familial ? Des U.E.V.F. (unités expérimentales de vie familiale), inspirées du système canadien, sont destinées à l’accueil de la famille pour un ou plusieurs jours. Comment peut-on étendre ce concept à la cellule ?

La séparation des sexes n’existe plus dans l’Education Nationale, ni même à l’armée, depuis bien longtemps. Si la profession de surveillant s’est ouverte aux femmes assez récemment, dans quelle mesure peut on envisager une vraie mixité au coeur de la prison ? Comment l’architecture peut favoriser cette expérience ?

Notre démarche conceptuelle ne consiste pas à produire une nouvelle architecture idéale pour l’enfermement, ni une construction prétendant par son esthétique être plus humaine. Nous utilisons l’architecture comme un outil pour expérimenter des modes de détention inédits qui restituent aux détenus la possibilité de participation à une vie sociale curative, en permettant aussi à tous de nourrir une réflexion collective et permanente sur l’enfermement.

III Méthodes de la réhabilitation-reconversion

Dans notre projet, la nouvelle prison de Fleury-Mérogis reconfigure totalement son organigramme obsessionnelle d’orignie. La volumétrie de la prison, qui était par sa géométrie, étroitement liée à sa fonction, est repensée dans son ensemble. Comment dès lors intégré la géométrie existante dans notre nouveau programme ? Faut-il rompre avec la figure achevée ?
Pour prendre en compte nos hypothèse qui se regroupent sous l’idée des multiplicités des situations internes et des échanges avec l’extérieur, notre stratégie de transformation des bâtiments existants met en oeuvre une superposition de nouveaux principes géométriques. Ce parti nous autorise à produire les variations et proliférations nécessaires à la nouvelle multiplicé programmatique. Formant une tipologie en rapport avec une multitude de fonctions entremêlées, de principes systématiquement poussés à l’extrême (en réponse à la géométrie obsessionnelle de G.Gibet) fabrique les formes aléatoires requises. Les productions littéraires de L’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), basées sur un système de contraintes linguistiques nous suggèrent des algorithmes de construction de suites de petits bâtiments variés.
Le complexe pénitentiers de Fleury-Mérogis et son environnement géographique sont entièrement repensés. L’emprise actuelle de la prison fait l’objet d’une première réflexion à l’échelle territoriale. Le projet, contenu dans la limite de la M.A. pour Hommes (env. 500mx 500m), est reconsidéré comme un territoire dans lequel s’insèrent les bâtiments et non plus comme un édifice unique et (a)contextuel. Son territoire prend en compte son contexte social et géographique (présence immédiate de la fôret, de l’agglomération de Fleury, de ses zones d’activités...)