Le thème de cette journée de réflexion était le suivi médico-social des personnes sortant de prison et atteintes d’une infection à VIH ou d’une hépatite virale. Les questions posées sont nombreuses et je souhaite ici remercier tous les acteurs de terrain qui ont accepté de venir réfléchir et travailler ensemble, dans une volonté de dialogue et de partage de leurs expériences professionnelles.
En préalable, il semble pertinent de nous interroger sur la définition de ce dont nous allons discuter. Qu’est ce qu’un sortant de prison ? Est-ce celui qui est déjà dehors ? Mais c’est alors un « sorti de prison ». Or, c’est sans doute l’articulation de la prise en charge après la sortie qui reste la plus problématique, en raison des incertitudes sur la continuité des soins et sur les probabilités de récidives, dans cette situation où les personnes se sentent stressées, perdues, abandonnées. Par une coïncidence frappante, on retrouve les mêmes inquiétudes en psychiatrie : le sortant va-t-il à nouveau sombrer dans la maladie mentale ? A ce détail près que, dans le cas d’une réponse affirmative, d’un côté on mettra en cause la responsabilité des équipes soignantes et de l’autre celle de la personne elle-même.
Le sortant de prison est-il celui qui est déjà sorti ou au contraire celui qui s’apprête à sortir ? Mais alors dans quel délai ? Dès l’entrée en prison, on est déjà potentiellement sortant - en tout cas dans la mesure où l’on en sort vivant. La sortie de prison représente-t-elle alors toute la durée de l’incarcération ? Cette question générale se pose avec une acuité particulière lorsqu’on se penche sur les problématiques liées au VIH et aux hépatites virales. Celles-ci sont d’ailleurs souvent préalables à l’incarcération elle-même.
Doit-on considérer la sortie comme un moment particulier, à l’occasion duquel on se réveille et l’on cherche à savoir où la personne en est par rapport au VIH et aux hépatites ? Se réveille-t-on seulement à la sortie ? Ou au contraire, approfondit-on un regard, un suivi, une attention, portée à ces questions tout au long de l’incarcération ? Voire peut-être même auparavant. Je voudrais en effet rappeler, au-delà du thème de cette journée, qui concerne les 60 000 personnes en détention, la situation des 120 000 à 130 000 personnes sous main de justice. Qu’en est-il de la santé de ces individus qui, sans être incarcérés, dépendent de l’administration pénitentiaire ?
Il importe de savoir, d’autre part, quelles sont les personnes concernées par le VIH et les hépatites virales. S’agit-il seulement des personnes diagnostiquées, connaissant leur statut et connues des services ? Ou au contraire de l’ensemble de celles qui vivent en prison ? Cette question, très classique en santé publique, n’est pas sans conséquences sur les politiques à mener et les démarches à entreprendre. Bien au contraire. Selon les pays, les régions, les établissements même, le choix est fait de ne répondre qu’à ce qui est apparent, ou, au contraire, d’anticiper et de rechercher ceux qui ne sont pas connus des services.
Lorsque volonté d’anticipation il y a, elle se traduit fréquemment par un dépistage systématique à l’entrée. Dès lors, une nouvelle question se pose. Le moment de l’incarcération est-il le moment le plus adapté, du moins du point de vue de la personne ? A cet instant précis, celle-ci est généralement en piteux état, épuisée physiquement par de longues procédures, éprouvée psychiquement par sa nouvelle situation. Procéder à un dépistage dans ces conditions ne risque-t-il pas d’ajouter une nouvelle source d’angoisse, dans la mesure où il implique d’envisager la maladie ? Se pose alors, pour aider la personne à appréhender cette nouvelle, la question de l’accompagnement et du conseil, et partant, de la disponibilité des équipes.
Un autre élément d’importance est qu’à la sortie de prison, la santé est souvent la dernière des priorités. Dans certains cas, le souci est plutôt de savoir où l’on va dormir, si l’on va manger, si l’on va retrouver ses papiers. Lorsqu’on essaie de se reconstituer un petit morceau d’identité sociale vendable, qui ne soit pas seulement la plainte du marginal, on n’a pas le loisir de se demander quel sera son état de santé cinq, dix ou quinze ans plus tard. La prévention n’est alors qu’une lointaine priorité par rapport à la vie quotidienne.
Ces questions, qui se posent à l’occasion de la sortie de prison, renvoient à un moment psychique particulier dans la vie de la personne. Cette dernière a-t-elle, à cet instant, la capacité à prendre en compte tous les éléments, à les prendre en charge psychiquement ou concrètement ? En prison, la vie est dure, mais elle est assurée. Dehors, certains perdent pied : ils disent, paradoxalement, ne pas s’en sortir ou « ne plus y arriver ». Alors qu’en prison, les mêmes parvenaient à mener des projets d’éducation et de santé.
Peut-on exiger cet effort de la part de gens qui sortent, souvent sans repères, dans le tohu-bohu du monde extérieur ? La question reste ouverte. Mais bien souvent, les sortants, oubliant la question de la sérologie, peinent à négocier les risques. N’oublions pas le nombre considérable de personnes toxicomanes qui ont péri par surdose dès leur sortie de prison.
Puisse ces journées permettre de concevoir et mettre en évidence un commun dénominateur de points de vue entre les responsable de terrain, étatiques et associatifs. Mais surtout, surtout, en tenant compte de ce qui se passe dans la tête des personnes concernées.