I. Le phénomène de sur-suicidité carcérale en France.
On va voir, dans un premier temps, qu’il existe un phénomène de sur-suicidité carcérale en France. Ce constat va nous amener à nous demander quelles sont les causes de ce phénomène. Mais, avant d’entreprendre toute étude sur le suicide, il paraît tout d’abord nécessaire d’étudier les différentes définitions qui ont été proposées par les auteurs qui ont étudié le phénomène du suicide, que ce soit en milieu libre ou en milieu carcéral.
I.1. Les définitions du suicide.
L’étude du phénomène du suicide se heurte dès le départ aux multiples définitions de ce phénomène, ainsi qu’à sa comptabilisation. Il est de plus intéressant de voir comment la définition du suicide évolue dans le temps, mais varie également selon les auteurs.
On peut noter qu’en France, le mot « suicide » aurait été utilisé pour la première fois par l’abbé Desfontaines en 1737, dans « le supplément du dictionnaire Trévoux » [1]. Auparavant, les gens avaient coutume d’employer la périphrase « le meurtre de soi-même » pour désigner le suicide. C’est d’ailleurs la définition que donne le dictionnaire Larousse du suicide. Le Petit Robert propose comme définition « l’action de causer volontairement sa propre mort (ou de le tenter) pour échapper à une situation intolérable ». D’un point de vue étymologique, le mot suicide vient de « sui » (soi) et de « caedere » (tuer). Le fait de se suicider est donc un pléonasme, qui renforce l’idée que l’acte est tourné vers soi.
1.1.1. Le suicide comme acte de démence et le suicide comme résultat d’un choix délibéré.
C’est au cours du XIX° siècle que s’élaborent les premières études sérieuses sur le suicide. Le médecin Esquirol (1838) élabore une des premières théories sur le suicide. Il ne propose pas de définition claire du suicide, mais il conclut que « le suicide offre tous les caractères des aliénations mentales », et que « l’homme n’attente à ses jours que lorsqu’il est dans le délire et les suicidés sont des aliénés » [2]. Durkheim (1897), en tant que sociologue, donne une définition assez précise et novatrice, qui s’oppose à celle d’Esquirol, parce qu’elle ne comporte aucune connotation médicale. En effet, pour lui, « on appelle suicide tout cas de mort qui résulte directement ou indirectement d’un acte, positif ou négatif, accompli par la victime elle-même et qu’elle savait devoir produire ce résultat » [3]. Durkheim considère, d’une part le suicide comme un acte délibéré, et d’autre part, ne considère pas le sujet comme un aliéné mental, mais comme un individu ayant pleinement conscience de ses actes. La critique que l’on pourrait néanmoins faire à cette définition est qu’elle ne rend pas compte de l’ambivalence que peut éprouver le sujet face à la volonté de mort.
1.1.2. De l’analyse du comportement suicidaire à la notion de crise suicidaire.
Les études menées par Esquirol et Durkheim ne s’intéressent qu’au phénomène de mort par suicide. Mais, après la seconde guerre mondiale, avec la diffusion des produits anxiolytiques , un type nouveau de patient ayant mis plus ou moins gravement sa vie en danger et hospitalisé dans l’état de sommeil profond, voir de coma, apparaît. On qualifie alors son acte de tentative de suicide et on prend peu à peu conscience que, même à travers ce geste apparemment futile se cache un grand désarroi. Les auteurs qui vont étudier le suicide à partir de cette époque vont donc nécessairement être amenés à prendre en compte ce nouveau phénomène dans leurs analyses.
Deshaies, médecin psychiatre, conçoit le suicide, en 1947, comme « l’acte de se tuer d’une manière habituellement consciente en prenant la mort comme moyen ou comme fin » [4]. Pour cet auteur, « toutes les modalités de cet acte doivent être étudiées et comparées si l’on veut entièrement le connaître » [5]. Pour Baechler (1975), tout comme pour Deshaies, « le suicide est un comportement » et « le comportement suicidaire est une réponse à un problème » [6] ; ces « problèmes sont dits existentiels pour indiquer qu’ils touchent à l’ensemble d’une situation, à la fois intérieure et extérieure, du sujet » [7]. D’où la définition suivante de Baechler : « le suicide désigne tout comportement qui cherche et trouve la solution d’un problème existentiel dans le fait d’attenter à la vie du sujet » [8]. En introduisant la notion de comportement, Baechler montre ainsi que le suicide ne peut pas se résumer au seul passage à l’acte suicidaire. C’est pourquoi il parait intéressant de mettre en relation cette définition avec l’étude de la crise suicidaire faite lors de la conférence de consensus de 2000. Cette conférence a permis d’analyser les différentes étapes qui précèdent l’acte suicidaire. La crise suicidaire est alors définie comme « une crise psychique dont le risque majeur est le suicide » [9]. La crise suicidaire représente l’intervalle entre la pensée du suicide et sa mise en œuvre. Nous reviendrons plus tard sur le contenu de cette notion de crise suicidaire. Mais il semble important de retenir que cette notion permet de comprendre le lien entre les conduites suicidaires, les automutilations, les tentatives de suicides et les suicides, autrement dit, entre le suicidaire, le suicidant et le suicidé.
Michel Debout, dans son ouvrage La France du suicide, définit ces trois concepts [10]. Les suicidés représentent « tous les cas de morts qui résultent d’un acte accompli par les victimes elles-mêmes en pleine connaissance de cause ». Les suicidants sont « ceux qui ont réalisé une tentative de suicide et ont survécu à leur acte ». Le suicidaire est celui qui, « sans réaliser un geste directement auto agressif, multiplie par ses comportements les situations de risque où parfois sa vie, en tout cas sa santé, peuvent être mises en jeu ». Ce sont donc des personnes qui pensent au suicide, sans passer forcément à l’acte. Pour Michel Debout, « si ces trois catégories ne peuvent se confondre, elles ont à l’évidence un fond commun, celui qui consiste pour une personne à remettre en cause ce qui la fait vivante, agissante [11] ». Par effet de proximité, certains auteurs considèrent que d’autres comportements humains, qualifiées à risque (car susceptibles d’exposer le sujet à la mort), peuvent être considérés comme suicidaires. Le risque est néanmoins que la réalité du suicide finisse par se dissoudre dans cette approche qui paraît trop générale pour être véritablement éclairante.
L’étude de ces définitions nous amène au constat qu’il est impossible de n’en retenir qu’une seule pour expliquer ce qu’est le suicide. En effet, toutes ces définitions sont plus ou moins déficientes, correspondant chacune à un but, un objectif propre à un auteur. Néanmoins, l’analyse de l’ensemble de ces définitions permet non seulement d’avoir une approche complète du suicide, mais aussi de comprendre quels sont les différents enjeux relatifs à cette question.
1.1.3. Les définitions du suicide, de la tentative de suicide et de l’acte d’automutilation utilisées par l’AP pour dénombrer ces phénomènes.
L’Administration Pénitentiaire (AP) utilise ses propres définitions pour dénombrer les cas de suicide, tentatives de suicide et conduites auto agressives. Le suicide est défini par l’AP comme « l’acte suicidaire suivi d’un décès », c’est-à-dire tous les cas de morts en détention dont la cause est un suicide. Les tentatives de suicide sont définies comme « des actes qui ont mis en danger la vie de leur auteur ». Par contre, « les manœuvre dépourvues de gravité destinées, soit à faire pression sur les autorités judiciaires ou administratives, soit à obtenir une hospitalisation ou un régime particulier » sont exclues des conduites suicidaires et classées dans les automutilations [12]. Il est alors intéressant de voir que les automutilations, sont donc également exclues des conduites suicidaires. Pour l’AP, elles relèvent de la catégorie des « incidents en détention » et ne sont pas perçues comme des marques de souffrance psychique et de comportement suicidaire, mais comme un moyen de pression. On verra par la suite que le fait de classer ces actes selon leur intentionnalité pose de nombreux problèmes pour établir des statistiques sur ces phénomènes et laisse leur appréciation sujette à la subjectivité de chacun.
1.1.4. Les définitions adoptées par les auteurs travaillant sur le suicide en prison.
Il est regrettable de constater qu’aucun des auteurs ayant proposé une explication du phénomène du suicide ou avancé une théorie à son propos, n’ait vraiment étudié la question au regard du contexte carcéral. Il semble donc que le suicide en milieu carcéral ne soit réduit qu’à un cas particulier du suicide au niveau général et ne soit pas considéré comme spécifique. Par contre, peu d’auteurs ayant travaillé sur la question du suicide en milieu carcéral ont tenté d’aborder la définition du suicide ou de la tentative de suicide. On peut néanmoins citer Tournier et Chemithe, qui écrivent qu’ « il convient de préciser le sens des termes que nous utiliserons tout au long de cette étude. Suicidité (mortalité par suicide), suicide sont des termes qui concernent l’acte suicidaire suivi d’un décès. Les expressions tentative de suicide, suicidant, morbidité par suicide se rapportent exclusivement à la tentative dont l’issue n’est pas mortelle ». [13] On peut lors supposer que les auteurs qui ont travaillé sur le suicide en milieu carcéral se penchent peu sur la question de la définition du suicide, parce qu’ils doivent souvent se contenter, pour mener leur étude statistique, des données mises à leur disposition par l’Administration Pénitentiaire. Ils sont donc davantage amenés à décrire ces données plus que proposer une définition du suicide, des tentatives de suicide ou des actes d’auto agression. Nous allons donc, dans la partie suivante, revenir plus en détail sur la valeur de ces données et de leur usage statistique.
I.2. La question du recueil des données.
Il semble nécessaire de se pencher sur la question de la fiabilité des statistiques qui sont mises à notre disposition avant d’entreprendre une analyse de ces données. En effet, les statistiques, que ce soit en milieu libre ou en milieu carcéral, doivent être considérées avec précaution et sont, comme nous allons le voir, sujettes à de nombreuses controverses et constituent en elle-même un véritable enjeu.
1.2.1. Les modes de recensements statistiques en milieu libre.
La loi oblige la réalisation d’une enquête judiciaire à la suite de la découverte d’un suicide. C’est au médecin appelé à la découverte du corps de constater le décès. Une enquête va ensuite être confiée conjointement au service de la police ou de la gendarmerie et au service de la médecine légale. Le but étant de rassembler l’ensemble des indices, témoignages, permettant de confirmer l’origine suicidaire de la mort. Dans ce cas, l’enquête judiciaire se termine. C’est alors que le corps est rendu à la famille.
Dès lors que l’origine suicidaire de la mort est confirmée et les renseignements recueillis, on peut alors répertorier ces données. En France, on dispose de deux sources statistiques pour comptabiliser les suicides en milieu libre : l’Etat civil et l’Administration de la justice criminelle. L’Etat civil est la source la plus accessible et la plus souvent utilisée dans les études sociologiques et statistiques sur le suicide en France depuis plusieurs années. Les certificats de décès sont une source intéressante pour réaliser une étude épidémiologique puisqu’ils contiennent des informations sur l’âge, le sexe, le statut matrimonial, la profession, le lieu d’habitation, la nationalité, le lieu de décès, les données médicales, la cause initiale expliquant le décès et les pathologies associées du défunt.
Quant aux statistiques sur les tentatives de suicide, elles proviennent majoritairement des données recueillies lors de l’hospitalisation des suicidants. Les sources d’informations sont donc à considérer avec une grande précaution car elles demeurent très partielles et contingentes [14].
1.2.2. Le mode de recensement du suicide en milieu carcéral.
Un suicide est obligatoirement signalé à la Justice par l’autorité pénitentiaire, et dans tous les cas, une enquête très approfondie est diligentée et toujours complétée d’une autopsie médico-légale, afin de confirmer ou infirmer la thèse du suicide comme cause de la mort. L’administration pénitentiaire recense également tous les incidents en détention, c’est-à-dire les tentatives de suicide, les actes auto agressifs, ainsi que les ingestions de médicaments. En effet, la France tient un registre des tentatives de suicide depuis 1950 et depuis 1967, les actes « d’auto agression » sont également pris en compte [15]. Lorsqu’un incident se produit en détention, le chef d’établissement est tenu de rédiger un rapport et de le transmettre à la direction régionale qui se chargera ensuite de les faire parvenir à la direction nationale de l’AP.
L’AP dispose de deux sources d’étude statistique sur les suicides. D’une part, un bureau des Etudes, de la Prospective et des Méthodes, au sein de sa sous-direction des Personnes Placées sous Main de la Justice (PMJ), qui réalise chaque année plusieurs études et bilans qui ont trait au suicide et aux actions conduites pour le prévenir. D’autre part, une commission interinstitutionnelle, la Commission Centrale de Suivi des Suicides, qui recense également le nombre de suicides au niveau national et réexamine les rapports des chefs d’établissement. Le bilan annuel fourni par l’AP est très détaillé et comprend une étude descriptive des suicides et de leurs circonstances, ainsi que le profil sociodémographique et pénal des personnes décédées [16]. Néanmoins, le professeur Terra, dans son rapport sur la prévention du suicide en milieu carcéral met en évidence que la lacune majeure de ce rapport est qu’il est vide de toute information fournie par les personnels sanitaires sur la santé du détenu et sa prise en charge. Il préconise alors la construction, par le ministère de la Santé, d’un système de recueil et d’analyse des données portant sur les suicides survenus en détention, ainsi que dans les établissements de santé (certains suicides de personnes détenues survenant lors de leur hospitalisation).
Après avoir étudié les modes de recensement des données statistiques, nous pouvons désormais voir si les statistiques peuvent être considérées comme fiables.
1.2.3. La fiabilité des statistiques en milieu libre.
Il semble nécessaire de voir désormais quelles sont les différentes critiques qui ont pu être formulées sur la fiabilité des statistiques du suicide en milieu libre. En effet, plusieurs études et de nombreux auteurs révèlent que le nombre de suicide serait sous-estimé dans les statistiques officielles. Déjà en 1838, Esquirol affirmait que les statistiques n’incluaient pas les suicides qui n’ont pas été dénoncés à l’autorité. Durkheim, par contre n’a émis aucune réserve quant à la fiabilité des statistiques. Halbwachs, lui s’en est inquiété, mais, pour lui, il est possible de dégager quant même des tendances, car il existe des nombres réguliers de suicides dans chaque pays qui font du suicide une quantité incompressible. Douglas et Baechler sont ceux qui ont attaqué les statistiques des suicides de la manière la plus radicale. Douglas insiste sur trois points qui mettraient en cause la validité des statistiques officielles. D’une part, les définitions du suicide utilisées par les fonctionnaires ne correspondent pas nécessairement à celles des sociologues et sont également variables dans le temps et dans l’espace. D’autre part, il est parfois difficile d’établir la cause de la mort et il peut y avoir d’énormes variations d’un endroit à l’autre suivant la qualification du personnel amené à se prononcer. Enfin, la dissimulation ne peut être évitée, pour des raisons sociales, religieuses ou matérielles et la capacité de dissimulation varie suivant le statut social, le lieu et le degré d’intégration de la communauté [17]. Certains sociologues pensent néanmoins que les déclarations varient comme le suicide et la sous-estimation des suicides demeure donc constante en proportion.
Dans l’état actuel des statistiques concernant les suicides, même s’il demeure un sous enregistrement indéniable, il semble quand même possible de les utiliser en restant prudent et circonspect. Il parait évident que les comparaisons sur de longues périodes de temps et entre différents pays restent peu fiables. Néanmoins, d’après l’étude de J.C Chesnais, qui sera ensuite confirmée par celle de Nicolas Bourgoin, « on peut estimer le taux de sous déclaration du suicide en milieu libre à 20% » [18]. En tenant compte de ce taux, comme l’on fait ces deux auteurs, il semble possible d’effectuer une comparaison entre le milieu libre et le milieu carcéral.
1.2.4. La fiabilité des statistiques en milieu carcéral.
- Une remise en cause de la fiabilité des statistiques concernant le suicide.
Comme on a pu le voir précédemment, chaque mort en prison fait l’objet d’une déclaration et d’une enquête. Le relevé semble donc beaucoup plus fiable qu’en milieu libre. Pourtant plusieurs critiques ont été exprimées par rapport aux statistiques du suicide en milieu carcéral par certains auteurs et certaines associations.
Les auteurs qui ont abordé la question la question de la fiabilité des statistiques concernant les suicides en prison sont rares. Les premiers à l’avoir fait sont Tournier et Chemithe, en 1979. Mais pour eux, le dénombrement des suicides consommés ne présente pas de difficultés particulières [19]. Favard, en 1981, affirme que le nombre de suicides et de tentatives de suicide est très exactement connu en milieu carcéral, alors que les chiffres en milieu libre restent très incertains. J-C Chesnais, par contre écrit, en 1981, que « le nombre de suicides dans les prisons peut se trouver lui aussi sous-estimé : l’intérêt des surveillants et de l’Administration Pénitentiaire n’est-il pas que ce nombre soit aussi réduit que possible, dans la mesure où leur responsabilité, morale tout au moins, est mise en cause en cas de mort volontaire ? » [20]. Mais, pour lui, cet argument est à relativiser du fait qu’une enquête médico-légale est systématiquement effectuée suite à un suicide. Chesnais a soulevé également la possibilité d’une surestimation des suicides en prison, « en raison de la tendance à faire passer des suites de mauvais traitements pour des suicides » [21]. L’étude de Chesnais réalisée en 1981, apparaît de plus après « l’affaire Mirval » [22], qui a contribué à jeter des soupçons sur les chiffres du suicide et le fonctionnement des enquêtes médico-légales.
Certaines associations émettent des critiques assez virulentes concernant le mode de recensement des suicides par l’Administration Pénitentiaire [23], qui concernent plusieurs points. Tout d’abord, elles s’opposent au fait que les statistiques n’émanent que de l’Administration Pénitentiaire, car cela ne fait, pour elles, que renforcer l’opacité autour des chiffres du suicide. Ensuite, elles considèrent que ces chiffres sont sous-évalués, les détenus qui se suicident à leur sortie de prison ou pendant leur libération conditionnelle ne sont pas comptabilisés dans les statistiques pénitentiaires. Une autre de leur critique nous renvoie à celle qui avait été formulée par Chesnais par rapport à la possible surévaluation des suicides. En effet, Selon l’AFLIDD et Ban Public, on pourrait plutôt parler de « morts suspectes » pour certains décès qui sont classés comme suicides par l’administration pénitentiaire [24]. Il parait difficile de se prononcer sur la véracité de ces accusations et ce n’est pas le but de notre travail. Néanmoins, cette question ne peut être rejetée du revers de la main sans de plus amples recherches et expertises indépendantes. Enfin, la dernière critique formulée par les associations concerne la publication des chiffres du suicide par l’Administration Pénitentiaire. En effet, l’administration Pénitentiaire publie les chiffres globaux sur le suicide et ne publie pas le décompte prisons par prisons. Les associations considèrent que l’administration cherche ainsi à cacher des résultats gênants qui montreraient du doigt certains établissements pénitentiaires où les taux de suicide sont particulièrement élevés. Après avoir pointé du doigt les disfonctionnements du recueil statistique des suicides en prison, les associations ont alors décidé de créer leur propre mode de recensement des suicides. L’association Ban Public a ainsi créé un observatoire des suicides et des morts suspectes en détention sur son site Internet [25], qui recense, au moyen de témoignages, des dépêches de l’Agence France Presse et de divers recoupements, chaque suicide intervenu dans un établissement pénitentiaire. L’OIP tente également de comparer les informations émanant de l’Administration pénitentiaire avec ses propres sources d’informations. Malgré le fait que leur initiative soit intéressante, il semble qu’il subsiste encore certaines difficultés, puisque les chiffres de ces associations ne correspondent ni entre eux, ni avec ceux de l’administration pénitentiaire.
- Une remise en cause de la fiabilité des statistiques concernant les tentatives de suicides et les actes d’automutilation.
D’autres critiques ont été émises sur la fiabilité des statistiques en milieu carcéral mais elles concernent cette fois le recensement des tentatives de suicides et actes d’automutilation. Comme nous avons pu le voir auparavant, les définitions données par l’administration pénitentiaire de la tentative de suicide et des automutilations restent très floues et dépendent de l’appréciation de chacun. Il parait difficile, dans ce contexte, de recenser de manière fiable ces phénomènes. Tournier et Chemithe ont été confrontés à ce problème et écrivent que « la difficulté est grande lorsqu’il s’agit de les distinguer entre les diverse autres catégories d’auto agression, puisque l’Administration Pénitentiaire qualifie de tentative de suicide les actes qui ont mis en danger la vie de leur auteur ». [26] Nathalie Papet, qui a réalisé une thèse sur le suicide en prison en effectuant une évaluation statistique des suicides, des tentatives de suicide et actes d’automutilation survenus dans les différents établissements pénitentiaires de la région Poitou-Charentes, a noté que, selon les sites, les définitions qui lui ont été donné des équivalents suicidaires étaient très différentes. Sur certains sites, certains actes mettant en jeu le corps et la santé du détenus étaient pris en compte comme des tentatives de suicide, alors que sur d’autres sites, seuls les passages à l’acte « graves » (c’est-à-dire nécessitant une hospitalisation) étaient pris en compte, alors que les automutilation n’entraînant pas d’hospitalisation étaient jugés comme des moyens de chantage sur l’administration et étaient perçus comme bénins [27]. Il semble donc vraiment nécessaire, comme le préconise Jean Louis Terra, qu’un consensus sur ces définitions soit réalisé, ainsi qu’une réflexion sur le véritable sens de ces actes [28]. Les chiffres des tentatives de suicides en milieu carcéral doivent donc être considérés avec distance et l’on peut être amené à penser que leur nombre est sans doute sous-évalué.
L’étude de la fiabilité des statistiques mises à notre disposition semble indispensable avant d’effectuer toute analyse, dans la mesure où il est nécessaire de considérer les chiffres statistiques avec beaucoup de précautions. Mais il est également intéressant de voir, à travers cette étude, que sous la question de la fiabilité des statistiques sur le suicide se cache, en réalité, un véritable enjeu, que l’on a pu retrouver lors des entretiens avec les différents protagonistes. En effet, les associations remettent principalement en question la fiabilité des statistiques émanant de l’administration pénitentiaire, alors que les membres de l’Administration Pénitentiaire rencontrés semblaient avoir une grande confiance dans ces statistiques et émettaient toutes leur réserves sur la fiabilité des statistiques en milieu libre, qu’ils considèraient sous-évaluées. Et il est vrai que l’enjeu est de taille, puisque c’est à partir de ces données que l’on peut s’interroger sur l’existence d’une sur-suicidité carcérale et donc être en mesure de se demander si la prison est un milieu suicidogène ou non.
1.3. Analyse statistique : une sur-suicidité carcérale française ?
1.3.1. La sur-suicidité carcérale et l’augmentation des suicides en détention.
Avec l’institution du régime cellulaire dans les années 1850, une attention plus grande a été portée aux suicides en détention. L’évolution des suicides peut donc être suivie année par année depuis 1850. Les premières statistiques pénales dénombrant le nombre de suicides apparaissent en 1866, mais ce n’est environ qu’un siècle plus tard qu’apparaîtront les premières études systématiques sur le sujet. Dès 1879, Morselli avait établit que le suicide en milieu carcéral était plus fréquent qu’en milieu libre [29].
N. Bourgoin, dans son étude quantitative, a montré l’existence d’un phénomène de sur-suicidité carcérale, c’est à dire que l’on se suicidait plus en prison qu’en milieu libre. Il a tout d’abord estimé cette sur-suicidité carcérale à six, puis, en tenant compte des sous déclarations en milieu libre de 20% et de la structure, par âge et par sexe de la population pénale, ce coefficient a été estimé à quatre en 1992. [30] Maud Guillonneau estime ce coefficient de sur-suicidité à 12, puis à 6,5 en tenant compte des sous déclarations et en la rapportant à une structure de sexe et d’âge égale, entre 1998 et 1999 [31]. De plus, on peut noter que les courbes des taux de suicide en détention et de la population pénale ne sont pas identiques. De même, les courbes du suicide en milieu carcéral ne suivent pas celle du milieu libre, qui reste relativement stable au fil des ans et suit même une évolution contraire au suicide en milieu carcéral. La France figure aujourd’hui parmi les pays à forte mortalité par suicide (on compte en France entre 10 000 et 11 000 suicides par an [32]) : c’est le résultat de la très forte progression enregistrée de 1976 à 1986, qui a marqué l’évolution des cinq dernière décennies. Toutefois, une amorce de baisse semble se dessiner depuis 1993 [33].
La sur-suicidité carcérale est une constante historique qui ne cesse de s’aggraver depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Jusqu’en 1950, en effet, les taux de suicide en milieu carcéral, bien que deux à trois fois supérieurs, suivaient ceux du milieu libre. Toutefois, les périodes précédant les deux guerres mondiales font exception à la règle puisque la sur-suicidité en milieu carcéral atteint alors des taux moyens de 106 (1936-1938) à 111 (1911-1913) pour 10 000 détenus alors qu’en population libre masculine ces taux étaient respectivement de 31 et 35. Après guerre, l’augmentation du suicide des détenus est observée, avec une accélération importante à partir des années 1972 [34]. Il faut noter également que c’est après cette époque les grèves de la faim deviennent plus fréquentes, surtout après les évènements politiques de 1958-1960. [35] Entre 1980 et 1999, le nombre de suicides en détention a augmenté de plus de 200%. On note ainsi une nette augmentation des suicides depuis 1991, puisqu’ils étaient en moyenne de 50 par an de 1980 à 1984, de 64 pour la période de 1985 à 1991, de 101 de 1992 à 1995. Ils atteignent ensuite leur nombre le plus élevé en 1996 (138 suicides). Ils connaissent ensuite une baisse relative, avec 125 suicides en 1999, 120 en 2000, 104 en 2001, mais reprennent une courbe ascendante à partir de 2002 (122) et 120 suicides (dont 114 en détention) en 2003. Il y a donc une augmentation du suicide en milieu carcéral, qui de plus, se stabilise à un niveau élevé [36].
Les tentatives de suicides sont également plus nombreuses en milieu carcéral qu’en milieu libre. De plus, leur nombre est plus important que celui des suicides. En effet, entre 1980 et 1999, le nombre de tentatives de suicide a augmenté (121%), passant de 393 à 870. L’augmentation du nombre de tentatives de suicide se traduit en terme de taux de tentative de suicide : il oscille, à l’exception de 1980 et 1983, très largement sous la barre des 100 tentatives pour 10 000 détenus jusqu’en 1991 ; depuis cette date, le taux de tentatives est supérieur à ce seuil atteignant même en 1998 le pic de 189 tentatives pour 10 000, c’est-à-dire le nombre de 1006 tentatives de suicides par an [37].
Ainsi, depuis 1980 le nombre de suicides et de tentatives de suicide ont connu un fort accroissement et ce plus particulièrement depuis 1997. Le coefficient de sur-suicidité est passé de 5 en 1980 à 12 en 1999. La situation est donc devenue véritablement alarmante.
1.3.2. La situation de la France par rapport aux autres pays européens.
Même si le but de notre étude n’est pas d’établir une étude comparative entre le France et les autres pays, il parait néanmoins important, pour affiner l’analyse du phénomène de sur-suicidité carcérale, de voir si ce phénomène concerne uniquement la France, ou s’il concerne le système carcéral dans son ensemble [38].
En étudiant les données fournies par le rapport de Statistique Pénale Annuelle du Conseil de l’Europe (SPACE II) de 2001 [39], on s’aperçoit que la France est le pays qui comprend le nombre le plus important de suicides en détention (104 suicides en 2001). La France est suivie par l’Allemagne, par l’Angleterre et enfin par l’Italie. Mais, si l’on considère le taux de suicide pour 10 000 détenus, la France arrive alors en cinquième position avec un taux de 21,5 suicides pour 10 000 détenus, derrière la Hongrie, la Slovénie, le Danemark et la Belgique. Ces statistiques montrent que plusieurs pays d’Europe connaissent le problème d’un taux élevé de suicides en prison. Néanmoins, on peut remarquer que la France figure parmi les premiers pays qui connaissent un taux élevé de suicides en détention. En ce qui concerne le coefficient de sur-suicidité, il varie de 4,1 (Finlande) à 24 (Irlande) dans les différents pays européens. La France, avec un coefficient de sur-suicidité de 12 se situe dans la moyenne [40]. Il semble que ces résultats puissent être mis en corrélation avec l’étude de la répartition géographique des suicides. En effet, les éléments statistiques communiqués par l’Organisation Mondiale de la Santé font ressortir qu’on se suicide plus en Europe centrale qu’en Scandinavie et au Sud du continent.
Maud Guillonneau, dans son étude comparative sur les taux de suicide dans les différents pays européens montre leur évolution entre 1988 et 1996. Parmi les 16 pays européen concernés, 5 ont connu entre ces deux dates une diminution de leur taux et 11 ont connu une augmentation. L’augmentation des suicides en milieu carcéral ne semble donc pas être une exception française. Néanmoins, on voit que la France (avec un écart de 8 points entre 1988 et 1996) compte parmi les pays qui ont connu les plus fortes augmentations [41].
Au vu de ces comparaisons, il apparaît que les phénomènes tels que la sur-suicidité carcérale, l’augmentation du taux de suicide et le taux élevé de suicide en milieu carcéral ne sont pas des traits uniquement français, mais sont partagés par de nombreux pays européens. Néanmoins, ces comparaisons montrent également que la situation française, si elle n’est pas alarmante, demeure néanmoins très préoccupante, dans la mesure où la France figure toujours dans les pays les plus concernés par les phénomènes évoqués précédemment, et qu’en terme absolu, elle est le pays où il y a le plus de suicides en prison.
1.4. Les caractéristiques du suicide en prison.
1.4.1. Les caractéristiques sociodémographiques du suicidé.
- Sexe : Les suicides concernent majoritairement les hommes. Or, les femmes, mêmes si elles ne représentent que 4% de la population pénale, connaissent en réalité une sur-suicidité. En effet, le taux de suicide masculin est de 22,7 pour 10.000, alors que celui des femmes est de 24,6 pour 10.000 [42].
- Age : 50% des suicidés ont entre 25 et 39 ans. Comme en milieu libre, le taux de suicide croît avec l’âge. En effet, la proportion la plus importa,te des détenus qui se sont suicidés avait entre 40 et 50 ans [43].
- Niveau scolaire : Près d’un quart des personnes qui se sont suicidées sont illettrées. Cette catégorie connaît les plus forts taux de suicide et est suivie par celle des personnes ayant un niveau scolaire universitaire (39 p.10 000) [44].
- Statut professionnel : Ce sont majoritairement les détenus qui sont sans emploi qui se suicident le plus (les salariés ne représentent que 21 détenus p.10 000) [45]. Nicolas Bourgoin montre néanmoins que le fait de disposer avant l’incarcération d’une activité professionnelle, d’un statut social élevé, d’un niveau d’instruction secondaire ou supérieur serait une circonstance aggravante.
- Nationalité et religion : Les français se suicident plus que les étrangers, en milieu carcéral, comme en milieu libre. Ces taux tendent toutefois à s’unifier. De même, selon N. Bourgoin, la religion est un facteur protecteur du suicide [46].
- Caractéristiques familiales : Selon N. Bourgoin, la possession de biens sociaux et familiaux (domicile, un conjoint, des enfants) au moment de l’écrou apparaît comme un facteur aggravant. Les célibataires sont sous représentés et les détenus n’ayant pas d’enfants présentent un taux de suicide plus faible que la moyenne (17 p.10 000 contre 22,8 en moyenne). Les détenus ayant 5 enfants ou plus sont ceux qui connaissent les plus forts risques de suicide (58 p. 10 000) [47].
1.4.2. Le profil pénal du suicidé.
Les prévenus (28 pour 10 000 contre 19 pour 10 000 condamnés en 1999), c’est à dire les personnes en attente de jugement, sont les détenus qui se suicident le plus. Ensuite, ce sont majoritairement les détenus qui sont en procédure criminelle (24 p. 10 000) qui se suicident le plus, surtout s’ils sont condamnés à la réclusion à perpétuité (64 p. 10 000) ou condamnés entre 6mois et 5ans. Ensuite, la majorité des détenus qui se sont suicidés avaient commis comme infraction principale des actes de violence (crime de sang, viol et agressions sexuelles, violence ou homicide). La majorité d’entre eux (28 pour 10 000) avait commis un homicide et une atteinte involontaire [48].
1.4.3. Le lieu.
- Le type d’établissement : La majorité des suicides ont lieu en maison d’arrêt (69,3 % des suicides). Si l’on considère le taux de suicide pour 10 000 détenus, il apparaît que le plus élevé est de 29 en maison d’arrêt, suivi de 18 en centre pénitentiaire, de 16 en maison centrale et de 12 en centre de détention [49].
- Le régime de détention : La majorité des suicides (74%) se déroulent en cellule. 48% des détenus qui se sont suicidés étaient seul en cellule, 28% ont profité de l’absence de leur co-détenu et 19% sont passés à l’acte en présence de leur co-détenu, souvent lorsque celui-ci dormait. Mais il faut quand même noter que 16% des suicides ont lieu au quartier disciplinaire [50]. N. Bourgoin a fait le constat d’une sur-suicidité de 7 au quartier disciplinaire par rapport au régime de détention normal [51]. La majorité des détenus qui se sont suicidés avaient été placés au quartier disciplinaire, suite à une agression, insulte, menace envers un membre du personnel (40%). Ce sont principalement des détenus placées au quartier disciplinaire en prévention (30%), c’est-à-dire sans avoir été jugé par la commission de discipline. 62,5% des détenus se sont suicidés durant les trois premiers jours de placement au QD, dont 30% le lendemain de leur placement [52].
- La région : Certaines directions régionales ont plus concernées que d’autres par ces incidents. Le taux le plus faible concerne la direction régionale de Bordeaux (15 p. 10 000) et le plus élevé celle de Lyon (33 p. 10 000). [53] Ensuite, le rapport du sénat révèle que les établissements qui ont connu le plus fort pourcentage de suicides par rapport à leur population étaient ceux de Rennes (1,4 3%), Lyon (1,13%) et Toulouse (1%) [54].
1.4.4. Le moment.
- Le temps : Les suicides sont les plus nombreux en janvier (11%), en mai (10%) et l’été (entre 10 et 12%). Il faut noter également que la période des fêtes est une période à risque, ainsi que les dates anniversaire (anniversaire du détenu, de ses proches, date du délit...). On note un pic de fréquence le samedi (17% des suicides) et le lundi (16%) [55]. Dans la journée, les suicides ont lieu le plus fréquemment la nuit et pendant les heures de promenades, lorsque le co-détenu est absent ou lorsqu’ il dort, si la cellule est doublée.
- La durée d’incarcération : Près de 13% des suicidés commettent leur geste pendant la première semaine d’incarcération et plus du tiers le premier mois [56]. La période précédant le jugement est beaucoup plus à risque que l’après jugement. Toutefois, près de la moitié des suicides des condamnés a lieu dans les 6 mois après la condamnation. Les plus longues peines sont les plus représentées. Pour les condamnés, les antécédents carcéraux sont un facteur de risque supplémentaire. La sortie est également un moment à risque [57].
1.4.5. Le mode de passage à l’acte.
- Suicides : On peut noter qu’en milieu carcéral, la pendaison est surreprésentée. En effet, 87% des suicidés se sont pendus. On peut d’ailleurs noter que la pendaison est le moyen utilisé le plus létal [58]. Maud Guillonneau note, dans la majorité des dossiers, la multitude des moyens utilisés et l’addition des modes opératoires, soulignant la détermination des personnes qui se sont données la mort.
- Les tentatives de suicides : elles sont réalisées par pendaison dans un tiers des cas et par ingestion de médicaments dans 25% des cas [59].
1.4.6. Les antécédents.
On peut noter que les détenus suicidaires n’avaient pas eu de comportement particulièrement violent avant leur suicide. En effet, le comportement de 41% d’entre eux avait été jugé correct par 41 % des membres du personnel [60]. 65% des suicidés avaient effectué une ou plusieurs visites médicales et 68,4% d’entre eux bénéficiaient d’un suivi psychiatrique ou psychologique [61]. 62% des suicidés n’ont eu aucun antécédent d’incident avant leur suicide. Néanmoins, 13% d’entre eux avaient commis une tentative de suicide et 11% une tentative de suicide et d’autres incidents. 4,1% s’étaient automutilés et 3% avaient effectué une grève de la faim. On peut noter également que si la majorité d’entre eux (28%) n’avait pas été repérée comme présentant des risques suicidaires, 19% avaient été repérés comme étant fragiles, agressifs mais non suicidaires et 13% comme étant fragiles, agressifs, dépressifs avec antécédent de TS ou automutilation [62]. Les caractéristiques du suicide en prison mettent en évidence que, parmi les facteurs à risque du suicide, des éléments concernant l’individu et le milieu carcéral entrent en compte. Nous allons donc tenter de montrer, dans un deuxième temps, dans quelle mesure chacun de ces facteurs entre en compte pour expliquer le phénomène de sur-suicidité carcérale.
Lors de nos différents entretiens, nous avons demandé à chacun de nos interlocuteurs, « qu’est ce qui expliquait, selon eux, le fait que l’on se suicide six fois plus en prison qu’en milieu libre ». Les réponses que nous avons eues sont intéressantes à analyser, car on peut voir que deux groupes s’opposent sur ce thème. Certes, la constitution de ces groupes nous oblige à schématiser un peu la situation, car chaque groupe reconnaissait quand même la possibilité de répondre avec les arguments de l’autre groupe, mais minimisait toujours leur portée. Le premier groupe est constitué par les associations. Pour elles, la sur-suicidité carcérale s’explique principalement par le fait que la prison est un milieu suicidogène. Ils remettent en cause le système carcéral en lui-même et les conditions de détention en France. Le deuxième groupe est constitué des personnes que nous avons rencontrées et qui étaient membres de l’administration pénitentiaire. En effet, la première hypothèse qu’ils avançaient pour expliquer ce phénomène, était que la prison concentrait des personnes qui étaient déjà à haut risque suicidaires avant leur incarcération. Selon eux, les conditions d’incarcération étaient un facteur qui pouvait expliquer la sur-suicidité, mais étaient secondaires. Le chef adjoint du bureau PMJ2 [63] évoquait également le manque de fiabilité des statistiques en milieu libre. Nous allons donc étudier désormais quelle est la validité de ces deux hypothèses.