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"Le Suicide en milieu carcéral" de Deheurles-Montmayeur Lisa

02 I.2. La population pénale : une population à risques suicidaires ?

Mise en ligne : 5 novembre 2005

LES CAUSES DU PHENOMENE DE SUR-SUICIDITE CARCERALE

Texte de l'article :

I.2. La population pénale : une population à risques suicidaires ?

Nous pouvons analyser, tout d’abord, la première hypothèse qui permet d’expliquer le phénomène de sur-suicidité carcérale, par le fait que l’on retrouve en prison une forte proportion d’individus connaissant des risques suicidaires. Or, de plus en plus d’études sont parvenues à identifier les facteurs qui augmentent le risque de tentatives de suicides et de décès par suicide. Nous allons donc tenter de vérifier la validité de cette hypothèse en évaluant si la population carcérale est une population à haut risque suicidaire. Nous allons pour cela nous baser sur les données concernant les facteurs de risque suicidaires établis par la conférence de consens de 2000 sur la prévention de la crise suicidaire [1]. Nous avons tenter d’établir une classification en quatre groupes de ces facteurs de risque suicidaires : les facteurs sociologiques, les facteurs individuels, les facteurs familiaux et les facteurs psychosociaux.

2.1. Les facteurs sociologiques.

2.1.1. Le sexe.
A tous les âges de la vie, le risque de mort par suicide est en moyenne trois fois plus élevé chez l’homme que chez la femme, en milieu libre [2]. Or, on retrouve en détention une population essentiellement masculine, puisque l’on compte 96,4% d’homme pour 3,6% de femmes pour l’année 2004 [3]. Mais comme on l’a vu auparavant, les femmes se suicident plus que les hommes en détention. Il y a donc là une particularité du suicide en milieu carcéral.

2.1.2. L’âge.
En milieu libre, on a coutume de dire que « le suicide croit avec l’âge ». Il existe, au moins pour le sexe masculin, un pic de fréquence, autour de quarante ans, avec une décrue autour de 65 ans, pour reprendre une progression très forte à quatre-vingt cinq ans et plus. Mais cette mortalité suicidaire doit être restituée dans la mortalité générale, ce qui permet de relativiser certaines indications que les chiffres bruts peuvent indiquer. Globalement, la part du suicide en milieu libre parait relativement minime, représentant de l’ordre de 2% des décès toutes causes confondues. Mais le poids des suicides dans la mortalité générale varie selon l’âge : entre 15 et 24 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité après les accidents de la route. Entre 25 et 34 ans, c’est la première cause de décès. Enfin, entre 35 et 44 ans, c’est la deuxième cause de mortalité après le cancer et le sida. Enfin, le suicide représente 2% des causes de mortalité pour les personnes âgées, car la mortalité générale de cette tranche d’âge est plus élevée. Néanmoins, contrairement à une idée reçue, le suicide des personnes âgées est plus important que le suicide des jeunes [4].
Si l’on considère maintenant l’âge moyen de la population pénale, il apparaît que la catégorie des personnes étant âgées entre 30 et 40 est la plus importante (elle représente 28, 4 % de la population totale).  [5] Or, comme on l’a vu précédemment, il existe un pic de fréquence des suicides entre 40 et 50 ans. Donc, la variable de l’âge constitue un facteur de risque suicidaire chez la population incarcérée. Ceci est confirmé par le fait que les personnes s’étant suicidées en détention étaient majoritairement âgées entre 25 et 40 ans [6].

2.1.3. La situation professionnelle.
En milieu libre, il faut noter que la catégorie qui connaît un risque suicidaire important est la catégorie des inactifs, c ‘est à dire les personnes qui n’ont jamais eu d’emploi, qui sont au chômage ou qui sont malades. On peut également noter que les personnes qui ont fait des études secondaires sont plus à risque, surtout si elles sont au chômage ensuite. Les cadres supérieurs représentent la catégorie la moins touchée. Pour les autres professions, cette fréquence est nettement plus élevée, avec une augmentation progressive des cadres moyens aux employés et ouvriers. Les différences sont moins nettes chez les femmes pour lesquelles on peut surtout noter une fréquence élevée chez les agricultrices et les inactives [7].
Les données fournies par le rapport de M. Guillonneau nous indiquent que 47% des détenus ont un niveau scolaire primaire et 39% secondaire. De plus, la majorité des détenus (62%) sont chômeurs. Ensuite, en ce qui concerne les suicidés, on retrouve les mêmes caractéristiques qu’en milieu libre, puisque la majorité des suicidés en milieu carcéral avaient un niveau secondaire et étaient au chômage [8].

2.1.4. La situation matrimoniale.
C’est pour les hommes mariés que le taux de suicide est de loin le plus faible en milieu libre, alors qu’il est maximal chez les veufs et les célibataires. Ces différences sont les mêmes chez les femmes, même si elles sont moins marquées. Le fait d’être veuf, divorcé ou célibataire et sans enfant sont des critères qui augment le risque de tentative de suicide ainsi que de mort par suicide [9].
D’après les statiques de M. Guillonneau, on voit que les détenus sont majoritairement célibataires (55,2%) [10]. Il semble donc qu’ils constituent une population à risque. Or, si l’on considère les personnes qui se sont donner la mort par suicide en détention, on s’aperçoit que ce sont majoritairement des personnes étant mariées ou en concubinage. Il y a donc encore une spécificité du suicide en milieu carcéral à ce niveau. On analysera par la suite les raisons de ce phénomène.

2.2. Les facteurs personnels.

2.2.1. Présence de problèmes de santé mentale.
Lors de notre entretien avec le professeur Terra, nous avons abordé la question de la présence de risques suicidaires liés à une prévalence des troubles psychiatriques au sein de la population pénale. Selon lui, c’est principalement cet argument qui explique le phénomène de sur-suicidité carcérale puisque certaines études ont montré que le taux de suicide évalué dans les hôpitaux psychiatriques est sensiblement égal à celui observé en milieu carcéral. En effet, il y a eu 194 décès par suicide en 2002 dans les hôpitaux psychiatriques français [11]. Selon cette hypothèse, ce serait donc parce que la prison concentre une population qui souffre de troubles psychiatriques que le taux de suicide est élevé.
Selon certaines estimations, 55% des détenus souffrent d’au moins un trouble psychiatrique [12]. Ces états regroupent différentes affections dont il parait nécessaire de connaître le rôle dans l’idéation suicidaire et le passage à l’acte. Les maladies psychiatriques habituellement incriminées sont les états dépressifs, anxieux, psychotiques et les états psycho organiques démentiels ou confusionnels. La prise de toxiques peut constituer également un facteur de risque [13].
Ce que l’on peut noter, de manière générale, avant d’entrer dans les détails et de définir plus précisément la nature et les effets de ces états psychopathologiques, c’est qu’en milieu carcéral, les femmes présentent en général plus fréquemment des troubles que les hommes (59% contre 54%). La prévalence des troubles parait augmenter avec la durée de condamnation et l’existence d’antécédents judiciaires. En effet, parmi les entrants présentant des troubles, 59% ont déjà été incarcérés contre 54% de l’ensemble des entrants. Ensuite, la probabilité de présenter des troubles psychiatriques semble croître jusqu’à 45 ans, pour décroître ensuite. Cette probabilité est en outre plus élevée pour les individus qui son incarcérés pour une atteinte aux personnes et cet écart se renforce quand il s’agit d’une infraction criminelle [14].
Tout d’abord, en ce qui concerne le syndrome dépressif, il a été démontré que les passages à l’acte suicidaire interviennent pendant les premiers mois. En milieu libre, 24% des suicidés souffraient de dépression [15]. Pour Jean Louis Terra, la dépression non soignée est la première cause de mort par suicide. Or, l’enquête de la DRESS sur la santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus a estimé que 30% des hommes détenus et 45% des femmes incarcérées souffraient d’un trouble dépressif [16].
En ce qui concerne les troubles du comportement, ils peuvent être à l’origine de passages à l’acte suicidaires. En milieu carcéral, 68% des femmes souffrent de troubles anxieux, contre 55% des hommes. Par contre, les troubles de la conduite sont sensiblement partagés de manière égale entre hommes et femmes puisque 40% des hommes et des femmes connaissent des troubles de ce genre. Ensuite, 45% des hommes et des femmes souffrent de troubles psychosomatiques (c’est-à-dire de troubles du sommeil et de l’alimentation). Les troubles sexuels, par contre sont majoritairement masculins puisqu’ils concernent 9% des hommes et seulement 3 % des femmes [17].
Les personnes souffrant de schizophrénie  [18] ont également plus de risques suicidaires. Le risque suicidaire intervient lorsque le sujet sort de ses accès délirants, car il peut être envahi d’une vague de désespoir qui peut le conduire au suicide. On estime que 10% des schizophrènes meurent de suicide et que jusqu’à 55% d’entre eux commettent au moins une tentative de suicide au cours de leur vie [19]. Or, en milieu carcéral les cliniciens font état de la présence de 8% de psychotiques, dont la moitié seraient des schizophrènes [20].
Les personnalités de type état limite  [21] sont également à risque suicidaire élevé, surtout lorsque ce trouble est associé à un trouble de l’humeur et à un abus de substances psycho actives. Or on retrouve 60% d’états limites en milieu carcéral. Les états limites à expression psychopathique représenteraient 10 à 60% de la population pénale selon les établissements et seraient responsables de plus de 80% des tentatives de suicide et des automutilations et de plus de 60% des incidents graves en détention. [22]
En ce qui concerne les conduites addictives (alcool, drogue et tabac), on sait désormais qu’elles peuvent être un facteur de risque suicidaire. La prise d’alcool est associée à environ 50% des suicides et 16% des suicidés étaient toxicomanes en milieu libre [23]. L’étude de la DRESS sur la santé des entrants de prison fait le constat que un peu moins d’un tiers des entrants cumule les consommations à risque (alcool, tabac et drogues). En effet, un entrant de prison sur trois déclare une consommation excessive d’alcool, quatre entrants sur cinq déclarent consommer quotidiennement 20 cigarettes, près du tiers des entrants déclare une consommation prolongée et régulière de drogues au cours des douze derniers mois précédant l’incarcération et 7% des entrants déclarent bénéficier d’un traitement de substitution. Enfin, on peut également noter qu’à ce niveau, les proportion de mineurs entrants en prison qui déclarent des consommation à risque atteigne des niveaux importants : 70% des mineurs fument, 16% ont une consommation excessive d’alcool, 27% déclarent consommer régulièrement de la drogue et 5% d’entre eux déclarent utiliser régulièrement des opiacés (opium, héroïne ou morphine) [24].
On peut désormais tenter d’évaluer quelle est la proportion de personnes qui bénéficiaient d’un suivi psychiatrique avant leur incarcération. Un entrant sur cinq déclare avoir été suivi régulièrement par les secteurs de psychiatrie avant son incarcération. Parmi eux, près de six sur dix ont un traitement en cours par psychotropes. La prise d’antidépresseurs est plus fréquente chez les femmes que chez les hommes, comme en milieu libre (2,6% contre 1,4%) [25].
La population suivie par les SMPR peut également nous renseigner sur l’état psychologique des détenus. En effet, un suivi psychiatrique au SMPR est préconisé pour un entrant sur deux (52%). De plus, 30% des détenus suivis par le SMPR l’ont antérieurement été par un secteur de psychiatrie. Enfin, il faut noter que la population suivie par les SMPR est plus fortement féminisée que la population pénale (10% contre 4%). Cette plus grande fragilité des femmes semble être assez spécifique au milieu carcéral. En effet, en milieu libre, il n’y a pas de différence sensible entre hommes et femmes pris en charge par un service psychiatrique (47% d’hommes et 53% de femmes). La répartition des pathologies prises en charge dans les SMPR est également très différente de celles rencontrées chez les patients pris en charge par les secteurs psychiatriques. En effet, les troubles de la personnalité sont trois fois plus importants que dans la population suivie par les secteurs de psychiatrie générale et les dépendances plus de deux fois plus fréquentes [26].

2.2.2. Présence de problèmes de santé physique.
La présence de problèmes de santé physique chez un individu, tels que la maladie ou le handicap constitue un facteur de risque suicidaire. En effet, une étude révèle que 32 % des personnes suicidées souffraient d’une maladie ou d’un handicap. 1 à 2 % des personnes suicidées étaient séropositive [27]. Selon l’étude de la DRESS sur la santé des entrants de prison réalisée en 1999, l’état général des entrants de prison est jugé satisfaisant. Par contre, le taux de prévalence du sida en prison est trois à quatre fois supérieur à celui constaté dans la population générale pour les mêmes caractéristiques de sexe et d’âge Il apparaît également que les femmes requièrent plus de soins que les hommes. En effet, les proportions d’entrantes qui déclarent avoir eu au moins un résultat de séropositivité positif sont plus importantes que les hommes (9,6% contre 6,4%) [28]. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes toxicomanes et utilisatrices de drogue par intraveineuse sont surreprésentées à l’entrée de prison. On peut également s’appuyer sur l’enquête Handicap Incapacité et Dépendance Prison réalisée par l’INSEE en 2001  [29] concernant le handicap en prison. Selon cette enquête, 59% des personnes détenues éprouvent des difficultés physiques, sensorielles, intellectuelles ou mentales dans la vie quotidienne, contre seulement 23 % des personnes vivant en milieu libre. De même, 29% des personnes détenues ont déclaré être limitées dans leurs activités en raison d’un problème de santé contre 4% des personnes en milieu libre. On voit donc que l’état santé des détenus semble plus précaire qu’en milieu libre. Néanmoins, nous n’avons pas pu obtenir de données concernant l’état de santé physique des personnes qui se sont donner la mort en détention.

2.2.3. Antécédents suicidaires de l’individu.
Il faut savoir que les antécédents suicidaires de l’individu multiplient par dix voire trente fois le risque de récidive. En effet, 40% des suicidés avaient fait une tentative de suicide antérieure et 13 à 35% récidivent sur une période de deux ans [30]. Il y a donc véritablement un risque de répétition de l’acte suicidaire. Or, l‘administration pénitentiaire ne dispose pas vraiment de moyens pour connaître les antécédents suicidaires des entrants de prison. Certains le mentionnent directement lors de la visite des différents membres du personnel dans les premiers jours de l’écrou, ou alors les renseignements peuvent provenir du juge d’application des peines. En ce qui concerne le repérage du risque suicidaire en milieu carcéral, le rapport de Jean Louis Terra sur la prévention du suicide en milieu carcéral montre qu’il est assez faible en milieu carcéral. En effet, si un quart des suicidés avaient été repérés suicidaires par l’AP (59 sur 226 en 2001, 2002) et 11 personnes avaient été signalées fragiles, agressives, dépressives avec antécédents de tentative de suicide et automutilation, trois personnes qui avaient réalisé une tentative de suicide et des automutilations n’avaient pas été repérées comme étant à risque suicidaire [31].

2.3. Les facteurs familiaux.

Comme le souligne le professeur Jean Louis Terra nous disposons de peu de données concernant l’histoire familiale des détenus. Or, ces données permettraient de mettre en lumière les problèmes éducatifs et relationnels pouvant exister au sein de la structure familiale de certains détenus qui ont commis un acte suicidaire. De plus, cela complèterait les données qui ont été recueilles sur l’état mental des détenus et les facteurs à risque suicidaires de cette population [32].
Néanmoins, ces données seront bientôt disponibles grâce à l’étude épidémiologique nationale sur la santé mentale des personnes détenues, qui a été annoncée par une circulaire des ministères de la Santé et de la Justice le 12 février 2003 et qui est actuellement en cours de réalisation. En effet, cette étude prend en compte les variables telles que les pertes parentales et séparation pendant l’enfance, la maltraitance physique, psychologique ou sexuelle, l’évaluation des troubles de la personnalité type borderline, antisociale et évitante [33].
Nous allons quand même essayer d’effectuer en partie cette analyse à l’aide des données recueillies par Michel Fize sur la population des entrants de prison, réalisée en 1981 [34].

2.3.1. Présence de violence, d’abus physique, psychologique ou sexuels.
Nous ne disposons pas, ni en milieu libre, ni en milieu carcéral, de données permettant d’évaluer les traumatismes psychologiques, sexuels et violents qu’auraient subis les personnes qui se sont suicidées. Néanmoins, lors de notre entretien, le professeur Terra soulignait le fait, qu’à travers son expérience professionnelle en psychiatrie, il s’était rendu compte qu’ un nombre important d’individus diagnostiqués comme des personnalité « borderline » ou état limite avaient été victimes de violence, d’abus sexuels ou de maltraitance dans leur enfance. Or, si l’on considère que 60% des détenus sont considérés comme des personnalités borderline, on peut supposer qu’un nombre assez important d’entre eux pourraient avoir vécu certains de ces traumatismes psychologiques durant leur enfance. Néanmoins, il est nécessaire de rester prudent sur ce constat en l’absence de données fiables sur ce sujet.

2.3.2. Présence de conflits conjugaux majeurs, perte ou abandon précoces des parents.
Michel Fize, dans son étude sur les entrants en prison, nous donne des renseignements sur la situation du couple parental des détenus étudiés.  [35] On voit à travers cette analyse que la population détenue est particulièrement fragile sur le plan familial, puisque plus de la moitié des entrants interviewés n’a pas eu la présence de ses deux parents dans leur enfance et un tiers d’entre eux a changé de sphère de prise en charge éducative. Or, il est aujourd’hui attesté que la construction personnelle et le développement d’un individu dépendent en partie du climat affectueux et stable qu’il a connu dans l’enfance. C’est pourquoi les ruptures conjugales, les pertes ou abandons familiaux peuvent être considérés comme des facteurs à risque suicidaire.
Ensuite, on peut noter que l’existence d’un comportement suicidaire de la part de l’un des deux ou des deux parents, ainsi que l’existence d’une relation conflictuelle entre les parents et l’individu, peuvent être des éléments de l’histoire familiale du détenu qui sont des facteurs de risque suicidaire. Mais, étant donné que nous ne disposons d’aucunes informations sur ce sujet, nous ne pourrons pas en faire l’analyse.

2.4 Les facteurs psychosociaux.

2.4.1. Présence de difficultés économiques persistantes et d’intégration sociale, difficultés avec la loi.
L’étude de Ferrada-Noli, de 1997, effectuée dans différents quartiers de Stockholm montre que le fait d’habiter dans un quartier « défavorisé » est corrélé avec un plus fort taux de suicide [36]. En effet, l’instabilité professionnelle ou les difficultés professionnelles sont retrouvées parmi 36% des suicidants [37]. Or, comme nous l’avons vu précédemment, la population carcérale compte 62% de chômeurs et 12% de personnes sans domicile fixe. De plus, à l’entrée de prison, 17,5 % des entrants disent en pas avoir de protection sociale [38]. Ensuite, on peut noter que les détenus ont en général fait des études courtes : plus d’un quart ont quitter l’école avant d’avoir 16 ans, les trois quart avant 18 ans. Ensuite, les professions des parents confirment la surreprésentation des milieux populaires : 47% des pères de détenus sont ouvriers. Les mères sont ouvrières ou employées et plus de la moitié (54%) des mères sont inactives [39]. Enfin, on peut noter que le fait de connaître des difficultés avec la loi est considéré comme un facteur de risque suicidaire, car il dénote une difficulté d’intégration sociale.

2.4.2. Les événements de vie.
Ce que l’on appelle communément les évènements de vie correspondent à un changement extérieur au sujet [40]. Ces événements de vie peuvent se traduire par un deuil, la séparation ou la perte récente de liens importants, la perte d’un emploi, la perte d’un rôle social, le placement en foyer d’accueil, en institution ou dans un centre de détention. Les événements de vie, quand ils interviennent à un moment crucial de la biographie et plus encore de la crise suicidaire, peuvent devenir des facteurs précipitants au suicide [41]. Or le fait d’être incarcéré constitue un événement de vie anxiogène en lui-même. De plus, il peut créer des événements de vie traumatisants, dans la mesure où le fait d’être incarcéré a pour conséquence la perte des liens familiaux, la perte de l’emploi et du rôle social. Nous ne développerons pas davantage ce thème puisqu’il peut également être étudié selon l’hypothèse que la prison est un milieu suicidogène.

2.4.3. L’effet de contagion.
Il est désormais prouvé que le suicide peut provoquer dans certains cas un effet de contagion. En effet, des études portant sur le rôle des médias dans la prévention du suicide ont montré qu’ils pouvaient être utiles pour la prévention du suicide, mais aussi pouvaient influencer sa contagiosité. En suicidologie, ce terme est appelé « l’effet Werther ». En 1774, après la publication du roman de Goethe où le jeune Werther se tue par dépit amoureux avec une arme à feu, une vague de suicide chez les jeunes allemands s’est déclenchée. En ce qui concerne l’époque actuelle, on peut se souvenir de la publication de livres tels que Suicide : mode d’emploi, en France et Final Exit aux Etats-Unis. Leur publication avait provoqué un débat publique car certains accusaient ces ouvrages d’avoir encouragé certains suicidaires passer définitivement à l’acte. On peut d’ailleurs noter que la France, suite à cet évènement a fait voter une loi en 1997 contre la provocation au suicide, incluse ensuite dans le code pénal. Il semble donc important de noter que la population carcérale connaît un risque à ce niveau là, dans la mesure où c’est un milieu fermé qui connaît un fort taux de suicide. Or, il peut exister un effet de contagion du suicide parmi cette population qui vit en vase clos, qui a les mêmes caractéristiques sociologiques et qui connaît les mêmes difficultés liées à l’emprisonnement. D’ailleurs, certains établissements pénitentiaires ont connu de véritables « épidémies de suicides » dans des périodes très restreintes. On peut citer par exemple les trois suicides intervenus en huit mois à la prison de Brest en 2002  [42] ou la série de quatre suicides consécutifs en une semaine à Fleury-Mérogis, survenus en 1999 [43].

2.5. Le modèle intégratif des différents facteurs de risque suicidaire.

Il faut noter qu’un facteur de risque est dans une relation de corrélation avec la survenue d’un phénomène et concerne une population. Il ne se situe donc pas uniquement dans une causalité individuelle. Ce que nous avons essayé de démontrer, c’est qu’il existe une population à risque suicidaire et que la population pénale entre dans cette catégorie car elle multiplie plusieurs facteurs de risque suicidaires. Mais il ne faut pas conclure que tous les individus qui sont incarcérés sont des suicidaires en puissance du seul fait qu’ils sont dans des catégories à risque suicidaires élevés. En effet, tous ne passent pas à l’acte. C’est pourquoi, afin d’affiner cette étude, il est nécessaire de comprendre comment ces facteurs sont en interaction les uns avec les autres.
Ces facteurs de risques, comme nous l’avons vu, sont à la fois sociologiques, environnementaux, familiaux et personnels. Mais ils ne sont pas additifs, ils relèvent d’un modèle intégratif aboutissant au fait que l’impact de chacun d’eux dépend de la présence ou de l’absence d’autres éléments [44]. Les troubles psychiatriques et les antécédents personnels et familiaux de suicide constituent les facteurs de risque primaires. Ils sont en interaction les uns avec les autres et ont une valeur d’alerte importante au niveau individuel. Ensuite, les pertes parentales précoces, l’isolement social, le chômage, les difficultés financières et événements de vie graves forment les facteurs de risque secondaires, observables dans l’ensemble de la population. Leur valeur prédictive au suicide est réduite en l’absence de facteurs primaires. Enfin, les facteurs de risque tertiaires comprennent l’appartenance au sexe masculin, au groupe d’âge à risque et une période de vulnérabilité particulière n’ont de valeur prédictive qu’en présence des facteurs primaires et secondaires.

En conclusion de cette étude, on peut remarquer que si l’on part de l’hypothèse que la sur-suicidité carcérale s’explique par le seul fait que la population pénale est une population à risque suicidaire, on est donc également amené à dire que le suicide en prison n’a pas de véritable spécificité, mais n’est que le reflet amplifié du suicide en général. Or, nous allons tenter d’examiner, dans un deuxième temps si le suicide en prison n’est pas spécifique au milieu carcéral en partant de l’hypothèse que le milieu carcéral est un milieu suicidogène.

Notes:

[1] Conférence de consensus. La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, op. cit.

[2] DEBOUT M., La France du suicide, op.cit., p10

[3] Statistiques Direction de l’Administration Pénitentiaire de mai 2004

[4] DEBOUT M., La France du suicide , ibid., p 10

[5] TOURNIER, SPACE II, p42

[6] Voir annexe 2, tableau 1 : Répartition des suicidés selon le sexe, l’âge et la nationalité

[7] DEBOUT M., La France du suicide, ibid., p11

[8] Voir annexe 2, tableau 2 : répartition des suicides selon différentes variables sociodémographiques

[9] DEBOUT M., La France du suicide, ibid., p11

[10] Voir annexe 2, tableau 2 : répartition des suicides selon différentes variables sociodémographiques

[11] Entretien réalisé avec le professeur Terra le 8 juillet à Lyon

[12] Il faut souligner qu’il n’existe pas de consensus sur ce chiffre, puisque le rapport du sénat estime le nombre de détenus souffrant de troubles psychiques ou de maladies mentales entre 20 et 30 %, alors que l’enquête sur la santé mentale des entrants de prison réalisée par la DRESS fait état de 55% e la population pénale. Lors de notre entretien avec le professeur Terra, nous lui avons demandé son avis sur la question. Pour lui, cela dépend de ce que l’on entend par trouble mental. Les chiffres peuvent varier si l’on prend en compte les états anxieux, la dépendance addictive ou seulement les maladies mentales qui nécessitent une prise en charge lourde, type schizophrénie ou état limite

[13] Conférence de consensus. La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, op. cit

[14] COLDFEY M., FAURE P., PRIETO N., La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus, Paris, Ministère des Affaires sociales, du travail et de la solidarité, Ministère de la santé, de la famille et des personnes handicapées, Direction des recherches, des études, de l’évaluation et des statistiques, collection Etudes et Résultats, juillet 2002, p3

[15] DEBOUT M., La France du suicide, op.cit., p 15

[16] COLDFEY M., FAURE P., PRIETO N., La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus, ibid, p2

[17] COLDFEY M., FAURE P., PRIETO N., La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus, ibid, p2

[18] La schizophrénie est une pathologie mentale qui débute chez l’homme entre 15 et 25 ans. Elle se manifeste par des périodes de délire du sujet qui s’accompagne de sentiments de dissociation, de perte d’unité de la personne

[19] BARON-LAFORET S., Repérage du suicide en prison et éléments contextuels, in Conférence de consensus, op. cit., p4

[20] BARON-LAFORET S., Repérage du suicide en prison et éléments contextuels, in Conférence de consensus, ibid., p4

[21] Les caractéristiques liées à ce risque sont l’impulsivité et le désespoir, un comportement anti-social, des relations interpersonnelles distantes et une tendance à s’auto mutiler

[22] BARON-LAFORET S., Repérage du suicide en prison et éléments contextuels, in Conférence de consensus, ibid., p4

[23] Dr JEHEL L., Quels sont les éléments essentiels de l’évaluation clinique de la crise suicidaire et de son intensité in Conférence de consensus sur la prévention du suicide, p2

[24] MOUQUET M-C, DUMONT M., BONNEVIE M-C, La santé à l’entrée de prison : un cumul de facteurs à risque, Paris, Ministère de l’emploi et de la solidarité. Direction des recherches, des études, de l’évaluation et des statistiques, collection Etudes et Résultats, 1999, n°4, p3

[25] COLDFEY M., FAURE P., PRIETO N., La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus, op.cit., p4.

[26] COLDFEY M., FAURE P., PRIETO N., La santé mentale et le suivi psychiatrique des détenus, ibid., p4-5

[27] Programme national de prévention du suicide, prévention de la crise suicidaire, évaluation et accompagnement, distribué lors de la session destinée aux professionnels intervenants en milieu pénitentiaire en mars 2004

[28] MOUQUET M-C, DUMONT M., BONNEVIE M-C, La santé à l’entrée de prison : un cumul de facteurs à risque, op.cit., p6

[29] DESESQUELLES A., Le handicap est plus fréquent en prison qu’à l’extérieur, Institut National d’Etudes Démographiques et le groupe de projet HID-Prison in INSEE première n° 854, Juin 2002, p2

[30] Programme national de prévention du suicide, prévention de la crise suicidaire, évaluation et accompagnement, distribué lors de la session destinée aux professionnels intervenants en milieu pénitentiaire en mars 2004

[31] TERRA J-L, Prévention du suicide des personnes détenues, op.cit.

[32] Entretien réalisé avec le professeur Terra le 8 juillet à Lyon

[33] Le protocole de recherche de cette étude en cours est mentionné dans la rapport du professeur Terra

[34] Il va de soi que nous sommes conscients que ces données datent un peu, mais elles peuvent être utilisées à titre d’indication en l’absence de données plus récentes

[35] FIZE M., Qui sont-ils ? Essai de définition de la population des entrants de prison, Paris, ministère de la justice, collection travaux et documents, 1981, n°13, p29

[36] Conférence de consensus, La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, op. cit.

[37] Conférence de consensus, La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, ibid.

[38] Etude de la DRESS sur la santé des entrants de prison : un cumul de facteurs à risque, p2-3

[39] CASSAN F., TOULEMON L., KENSEY A., L’histoire familiale des hommes détenus, division des enquêtes et études démographiques, Insee, direction de l’Administration Pénitentiaire, Paris, avril 2000, p2

[40] Conférence de consensus, La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, ibid. Cette notion suppose à la fois la survenue d’un changement suffisamment rapide et important pour entraîner une discontinuité dans la vie du sujet et suppose également un caractère objectif de ce changement, c’est-à-dire une origine extérieure au sujet (Tatossiant, 1985)

[41] Conférence de consensus, La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, ibid

[42] PERRAULT G., « Troisième suicide en huit mois à MA Brest », in Le figaro du 3 septembre 2002

[43] SIMMONOT D., « Suicides en série et tensions à la prison de Fleury-Mérogis », in Libération du 2 juin 1999

[44] Conférence de consensus, La crise suicidaire : reconnaître et prendre en charge, op. cit.