Chapitre 5 Le Spip de Côte-d’Or à l’épreuve de la culture
Ce sont les Spip qui pilotent l’action culturelle en milieu pénitentiaire, que ce soit en milieux fermé ou ouvert. Ils prennent en compte cette notion de public pénitentiaire ou « empêché », avec toutes les spécificités qu’elle entraîne. Le Spip de Côte-d’Or est particulièrement dynamique dans sa réflexion sur le développement culturel et s’efforce de faire des personnes placées sous main de justice un vrai public culturel.
5.1 Le Spip de Côte-d’Or au sein d’une Direction régionale des
services pénitentiaires bien à part
Afin de mieux comprendre les enjeux de la politique culturelle menée au Spip de Côted’Or, il faut l’envisager dans son contexte régional, celui de la Direction régionale des services pénitentiaires (DRSP).
5.1.1 Une DRSP singulière
Laissons la parole à Benoît Grandel, l’actuel Chef de l’unité d’action socio-éducative à la DRSP de Dijon :
« Le difficulté principale de la DRSP de Dijon, c’est qu’on a un découpage administratif qui ne correspond à aucun autre découpage, même au niveau judiciaire. Par exemple les partenaires de la culture ont un découpage administratif sous la tutelle des préfets, ce qui n’est pas notre cas. C’est la vieille idée de la séparation des pouvoirs judiciaire et exécutif » [1].
5.1.1.1 Les trois régions administratives
En effet, cette DRSP est constituée de trois régions administratives aux configurations bien différentes : la Bourgogne, la Franche-Comté et la Champagne-Ardenne. Tant sur le plan géographique, économique que social, ces trois régions ne se ressemblent pas. On comprend qu’il soit difficile d’harmoniser une action régionale sur un territoire aussi étendu. Chacun des douze départements de la DRSP est doté d’un Spip qui représente à l’échelle départementale l’Administration pénitentiaire.
Ce ne sont pas moins de dix-neuf établissements pénitentiaires qui sont gérés par la DRSP de Dijon. Ils sont répartis de manière plutôt équitable entre les neuf Spip (dont deux interdépartementaux). En janvier 2005, la population incarcérée atteignait 3 421 individus [2] (alors qu’en milieu ouvert quasiment 15 000 personnes [3] étaient suivies par les services pénitentiaires). Les régimes de détention varient selon la nature de l’établissement, et les orientations culturelles ne sont pas les mêmes en maison d’arrêt qu’en centre de détention, centre de semi-liberté ou centre pénitentiaire. De même l’implantation géographique des établissements influe sur les programmations culturelles. Il sera moins aisé de faire venir régulièrement des intervenants - sans distinction de discipline - dans une prison loin de la ville, de ses infrastrutures et de ses commodités, que dans un établissement comme la maison d’arrêt de Dijon, située en plein coeur de la cité. En ce qui concerne la culture, Benoît Grandel en tant que Chef de l’unité d’action socioéducative à la DRSP est chargé de coordonner les politiques culturelles menées par les directeurs des Spip. Mais il faut bien garder à l’esprit que ce n’est qu’une charge parmi tant d’autres étant donné que le département d’action socio-éducative comporte différents volets. Directeur du Spip de Côte-d’Or de 1999 à 2003, Benoît Grandel garde de cette expérience une bonne connaissance de l’échelon départemental, ce qui facilite également ses relations avec les directeurs des services pénitentiaires.
5.1.1.2 Place de la culture au sein de la DRSP de Dijon
« Tout le monde est d’accord pour avoir de la culture en prison. On a bien
évolué là-dessus. Il n’y a pas une personne qui récuse cela, que ce soient les opérateurs culturels, les Spip ou les établissements culturels. Puisque même les opérateurs culturels ont dans leur cahier des charges les publics exclus. Il n’y a plus de problème de culture » [4]. D’après Benoît Grandel, tout le monde s’accorde à penser que la culture en prison est non seulement un droit, mais aussi une nécessité. Seuls les emplois du temps ne permettent pas de dégager suffisamment de moments réservés à cette question de culture qui n’est jamais prioritaire. À la DRSP, le Chef d’unité d’action socio-éducative a en charge différents volets touchant à la réinsertion. Outre la culture, il s’intéresse aussi à la préparation à la sortie, à l’aménagement de peine, à la politique sportive et aux alternatives à l’incarcération. Sur la question culturelle, Benoît Grandel travaille avec des partenaires régionaux, notamment la Drac, le Centre régional du livre et les collectivités territoriales. Les directeurs de Spip font remonter à la DRSP les projets culturels envisagés dans les établissements pénitentiaires, et la DRSP, après validation des projets, octroie les subventions.
5.1.1.3 Les Spip et le développement culturel : des positionnements différents
« La culture permet une pleine émancipation - à ce titre elle est le pilier
de la liberté individuelle de toutes et tous - une liberté fondamentale et
donc un droit auquel personne, dans une société non totalitaire, ne peut
et ne doit être discriminé. La culture doit avoir une place essentielle, voire
prioritaire » [5]. « Compte tenu des nouvelles charges confiées par la loi Perben 2 aux Spip, la culture n’est pas notre priorité. C’est dommage mais pour l’instant nous travaillons dans l’urgence » [6]. Ces citations l’illustrent bien : les directeurs des Spip de la DRSP de Dijon n’accordent pas tous la même importance à la mise en oeuvre d’une politique culturelle auprès des personnes placées sous main de justice. La culture est une compétence à la fois obligatoire (car inscrite dans les textes) et optionnelle car au-delà des missions de réinsertion menées, chaque directeur de Spip fixe en début d’année des objectifs annuels pour son service. Et le directeur est libre de mettre l’accent sur la culture comme sur le sport, l’aménagement de peine, etc. Selon la configuration du Service Pénitentiaire, le nombre d’établissements qu’il recouvre et la population carcérale suivie, mais aussi selon les affinités et choix personnels du directeur, les Spip ne montrent pas tous le même investissement en ce qui concerne la politique culturelle en milieu pénitentiaire. De là découlent des programmations plus ou moins riches et variées. La question du milieu ouvert sera évoquée en infra. On retrouve les mêmes divergences dans le positionnement des travailleurs sociaux des Spip. Certains prônent la culture comme un facteur de socialisation et donc de réinsertion très probant tandis que d’autres se consacrent à la question culturelle une fois les situations d’urgence résolues. Dans ce cas, l’accès au droit, au logement et à l’emploi priment car ce sont des besoins fondamentaux.
5.1.2 Le Spip de Côte-d’Or
Le Spip de Côte-d’Or est placé sous l’autorité du directeur régional des services pénitentiaires. Les travailleurs sociaux qui y travaillent interviennent aussi bien en prison qu’à l’extérieur. En prison « ils facilitent l’accès des détenus aux dispositifs sociaux, de soin, de formation ou de travail. Ils apportent l’aide utile au maintien des liens familiaux. Ils portent une attention particulière aux problèmes d’indigence, d’illettrisme et de toxicomanie, et préparent le détenu à sa sortie et sa réinsertion » [7]. À l’extérieur, « ils interviennent sous le mandat d’un juge et apportent à l’autorité judiciaire tous les éléments d’évaluation utiles à sa décision. Ils s’assurent du respect des obligations imposées aux condamnés à des peines restrictives de liberté et impulsent avec eux une dynamique de réinsertion » [8]. Pour ce faire, les Conseillers d’insertion et de probation animent un réseau de partenaires institutionnels, associatifs et privés.
5.1.2.1 Un Spip particulièrement dynamique
« J’ai vraiment envie de sensibiliser les partenaires et opérateurs culturels pour qu’ils viennent travailler avec notre public, qu’ils retrouveront peut-être un jour dehors » [9].
Depuis l’arrivée de Bruno Fenayon en 2004 à la direction du Service pénitentiaire de Côte-d’Or, la culture occupe une place croissante dans les missions de réinsertion du service. Ce n’est pas sans mal car la charge de travail confiée aux Spip est en constante augmentation depuis les réformes de la loi Perben 2. Plus que jamais il faut établir des priorités parmi les objectifs. Et bon nombre de directeurs de Spip font le choix de pallier les situations d’urgence dans un premier temps et de répondre avant tout aux attentes venues du ministère.
Mais Bruno Fenayon précise bien :
« C’est le libre-arbitre du directeur du Spip. Si demain je dis que la culture ne sert à rien et qu’il vaut mieux faire du sport ou des activités occupationnelles, je peux » [10]. Ainsi chaque directeur de Service pénitentiaire opère des choix. Bruno Fenayon est particulièrement sensible à cette question du développement culturel qui présente à ses yeux de grandes vertus socialisantes. Afin d’avoir une meilleure connaissance du réseau culturel en Côte-d’Or et de cerner au plus juste la notion d’action culturelle, ce dernier a suivi le DESS Action artistique et politique culturelle proposée par l’IUP Denis Diderot, à Dijon. Cela contribue d’autant plus à dynamiser la réflexion du service.
5.1.2.2 La culture au sein du Spip : un outil de réinsertion fragile
Cependant, les orientations du directeur du Spip ne font pas l’unanimité parmi les travailleurs sociaux, et la culture n’est pas consensuelle. Les Spip sont des services issus d’une réforme encore jeune puisqu’elle ne date que de 1999. Ils sont encore en quête de sens pour certains domaines d’intervention. Les réformes de la loi Perben 2 entraînent un surcroît de travail et de nouvelles mesures alors même que les moyens, à la fois humains et financiers, n’abondent pas. De plus, l’arrivée d’un nouveau directeur au Spip de Côte-d’Or occasionna un remaniement de service qui peine encore à trouver un équilibre.
Jusqu’au mois de juin 2005, quatre travailleurs sociaux du Spip avaient en charge la mise en place et le suivi d’activités culturelles à la maison d’arrêt de Dijon. Les conditions de mise en oeuvre et surtout les résultats obtenus ne satisfaisant plus ces personnes du « groupe culture », celui-ci s’est démembré, laissant pour l’instant le développement culturel à la charge du directeur du Spip uniquement. Ce qui pourrait être purement anecdotique fait avant tout ressortir la fragilité de la culture comme outil de réinsertion. La culture n’est pas encore suffisamment légitime et reconnue pour faire front aux dysfonctionnements propres à un service. C’est la première sacrifiée lorsque des doutes s’installent et que les difficultés s’accumulent. On comprend alors qu’il est très difficile de mener une action suivie sur le plan du développement culturel en milieu pénitentiaire. Alors que l’action culturelle nécessite du temps et de la médiation, les services pénitentiaires en manquent cruellement.
5.1.2.3 La culture en détention
En Côte-d’Or, il n’y a qu’un seul établissement pénitentiaire, la maison d’arrêt de Dijon, située non loin du centre-ville, rue d’Auxonne. Au 1er janvier 2005, la population carcérale était légèrement supérieure à 300 détenus [11]. Ces 300 personnes forment un potentiel public culturel auquel le Spip consacre une programmation quartier par quartier. On dénote à la fois des ateliers de pratique et des actions de diffusion, plus ponctuelles. Les détenus motivés peuvent prendre part à des ateliers de musique, d’arts plastiques (avec un projet ambitieux en partenariat avec l’École des Beaux-Arts de Dijon), d’écriture mais aussi de sculpture. Chez les femmes on retrouve les arts plastiques avec un atelier de peinture ainsi que des stages de danse. Chez les mineurs ce sont principalement les ateliers vidéo et de bande-dessinée qui sont reconduits d’une année sur l’autre. Cette programmation est pensée sur plusieurs mois en général. Même si la rotation des détenus en maison d’arrêt est forte et constitue de fait un obstacle majeur, les ateliers sur du moyen ou long terme sont privilégiés. La pérennité de l’action est gage d’un résultat de qualité et permet un réel investissement de la part des participants. Il est très important que chacun ait le temps de s’approprier le projet, de le mûrir. Une participation régulière et prolongée à un atelier donne réellement la possibilité de renouer avec le groupe et de restaurer une confiance en soi. Ce sont de telles activités qui jalonnent un parcours de réinsertion sociale. Afin de donner une cohérence encore plus grande à la programmation culturelle, celle-ci se fera en 2006 autour d’un thème décliné dans chaque atelier. Il s’agira de croiser les disciplines et les intervenants pour parvenir à un projet commun en fin de saison.
5.1.3 Les interlocuteurs culturels de la région
Quels sont les principaux partenaires culturels de la DRSP de Dijon ? Principalement les structures régionales pour le livre et les Drac, qui travaillent aux côtés de la Direction régionale. Leurs rôles et compétences ne sont pas tout à fait les mêmes d’une région administrative à une autre.
5.1.3.1 Une seule structure régionale pour le livre
Jusqu’en mai 2005, le Centre régional du livre (CRL) de Bourgogne menait une mission de développement culturel en milieu pénitentiaire. Le départ du chargé de mission laisse place à une période d’incertitude quant à son remplacement. Le partenariat entre le CRL et les quatre Spip de la région Bourgogne [12] n’a pas été suffisamment pertinent et de nombreuses questions sont dès lors soulevées. À l’heure actuelle, seule l’Accolad, c’est-à-dire l’Agence comtoise de coopération pour la lecture, l’audiovisuel et la documentation, poursuit une mission de développement de la lecture et de l’action culturelle en direction des personnes placées sous main de justice. Le Centre régional du livre en Champagne-Ardenne a abandonné sa mission de développement culturel en milieu pénitentiaire il y a quelques années et aucune structure pour le livre n’a pris le relais.
Ainsi, bon nombre de services pénitentiaires ne peuvent pas trouver appui sur les structures régionales pour le livre. Les chargés de mission pour le développement culturel en milieu pénitentiaire il y a quelques années et aucune de ces structures régionales devaient faciliter les contacts et partenariats entre les intervenants culturels et l’Administration pénitentiaire. Cette fonction n’est pas toujours bien remplie. En théorie, le chargé de mission travaille avec les directeurs des Spip sur la programmation culturelle faite dans les établissements pénitentiaires et les aide à trouver des opérateurs culturels et des financements. Le rôle de médiateur entre les institutions culturelles et les services pénitentiaires se révèle cependant très compliqué dans les faits. Les services de l’État ont exprimé le besoin de trouver cet intermédiaire, ce médiateur, mais n’avaient pas les moyens de créer des postes. La question était aussi de savoir à quel ministère ces chargés de mission allaient-ils être rattachés ? C’est pourquoi, selon les régions, les Spip peuvent ou non compter avec les chargés de mission pour oeuvrer à l’action culturelle.
5.1.3.2 L’exemple de l’Accolad
L’agence de coopération de Franche-Comté peut faire figure de « bon élève » pour sa mission de développement culturel en milieu pénitentiaire. L’Accolad existe depuis 1985 et c’est en 1996 qu’est recrutée une chargée de mission, Marie-Josèphe Mitjana. Partant d’une mission pour le développement du livre, cette agence a su au fil des années élargir cette prérogative à d’autres activités culturelles, donnant ainsi les moyens d’un véritable développement culturel en milieu pénitentiaire.
L’agence de coopération est missionnée par les ministères de la Culture et de la Justice pour assurer la médiation et le conseil entre les différents partenaires locaux (les acteurs culturels et les Spip) et pour mettre en place les conventions locales avec les six maisons d’arrêt de la région. Dans un premier temps, et selon les préconisations desdits ministères, la chargée de mission a réalisé un état des lieux de l’offre culturelle dans l’ensemble des établissements pénitentiaires. Pour chaque établissement pénitentiaire il a été précisé quels types d’équipements étaient disponibles : bibliothèque, salle polyvalente, télévisions et télédistributions (canal interne de diffusion), salle(s) d’activités, etc. De même, il a fallu déterminer quelles actions culturelles liées à la lecture, au théâtre, à la danse, à la musique et aux arts plastiques étaient menées ; mais aussi indiquer les structures régionales intervenantes ou susceptibles d’intervenir. Réaliser ainsi une étude des besoins tant quantitatifs que qualitatifs était essentiel afin de mener dans un second temps une politique culturelle idoine, en adéquation avec la population carcérale, les éventuels intervenants et les équipements en état. La mission de « Développement culturel » a démarré quasi parallèlement à la mission liée à la lecture. Ainsi, la bibliothèque de la maison d’arrêt s’est instituée comme premier outil culturel avant que la mission élargisse le champ à d’autres pratiques qui se sont rapidement diversifiées : ateliers d’écriture mais aussi de théâtre, de musique, de dessin, de cinéma, etc. Marie-Josèphe Mitjana bénéficie d’une reconnaissance de la part de ses pairs mais aussi des partenaires pénitentiaires. Elle tient un véritable rôle de médiation. Benoît Grandel, de la DRSP de Dijon, résume ainsi : « En Franche-Comté, la chargée de mission vient du milieu culturel. Elle était chargée de communication dans un théâtre. Elle a donc une forte connaissance des acteurs culturels. C’est de ces personnes dont nous avons besoin pour mettre en rapport avec des opérateurs, des financeurs et la connaissance du milieu pénitentiaire » [13].
Une bonne connaissance des réseaux culturels comme la maîtrise des spécificités du milieu pénitentiaires font de Marie-Josèphe Mitjana quelqu’un d’opérationnel et d’efficace. C’est un relais apprécié des partenaires culturels et pénitentiaires ; ce qui explique le grand nombre de conventionnements passés avec les institutions culturelles franccomtoises (tels l’Orchestre de Besançon, le Centre d’éveil aux arts plastiques et à la bande-dessinée d’Audincourt, La Scène du Jura, l’Urfol - Union régionale des fédérations des oeuvres laïques -, etc). L’accès à la culture en milieu ouvert est de même en fort développement.
5.1.3.3 Les Drac
La question des Drac est délicate et complexe. Rappelons que le découpage administratif n’est pas le même pour les Drac et pour les DRSP. Ainsi la DRSP de Dijon doit composer avec trois Drac différentes puisqu’elle recoupe trois régions administratives distinctes. Des conventions sont signées entre les Drac et les DRSP mais leur application n’est pas évidente. Selon les conseillers en charge du développement culturel en milieu pénitentiaire, la Drac va se montrer plus ou moins investie sur cette question des publics pénitentiaires. Lorsque le conseiller Drac entretient de bons rapports avec le chargé de mission de la structure régionale pour le livre, l’impulsion est plus forte et un partenariat solide se met en place. Dans le cas contraire, les relations peinent à s’apporter une aide réciproque. Des textes existent mais leur application demeure floue. Le cadre d’intervention de chacun n’est pas clairement posé, ce qui ne facilite pas la communication entre les institutions.
5.2 La culture en milieu ouvert
Le développement culturel en milieu pénitentiaire commençant à s’inscrire durablement dans les esprits et dans les faits, la question de la culture en milieu ouvert commence à être soulevée. Quelle place peut prendre l’action culturelle dans un parcours de réinsertion à l’extérieur des murs d’une prison ? La réflexion menée au Spip de Côte-d’Or est un exemple parmi d’autres.
5.2.1 Les questions de culture en milieu ouvert
Public très volatile puisque suivi à l’extérieur, les probationnaires sont difficilement mobilisables. C’est pourquoi ils retiennent moins l’attention alors même que les probationnaires sont deux fois plus nombreux que les détenus (en avril 2004, plus de 120 000 personnes étaient suivies en milieu ouvert et 62 500 individus incarcérés [14]).
5.2.1.1 Un public souvent oublié
Pendant longtemps la détention, seule, avait valeur de punition. C’est la peine d’emprisonnement qui marquait la sanction de la Justice. Comme on l’a déjà dit, l’apparition de peines alternatives à l’incarcération s’est faite lentement au fil des années. Les probationnaires inquiètent moins l’Administration pénitentiaire puisque la question de la sécurité - si importante - ne se pose pas dans les mêmes termes. Peut-être que la société se complaît à éprouver une espèce de fascination compatissante pour des individus enfermés entre quatre murs tandis que la plupart d’entre nous ne savent pas que d’autres peines existent et sont appliquées. Il semble moins important de favoriser l’accès à la culture à ces personnes. Reste que les probationnaires représentent un potentiel public culturel souvent oublié. Les Spip ne parviennent pas tous à mener une action culturelle pérenne et forte en détention ; la question du milieu ouvert ne pourra être posée que dans un second temps.
5.2.1.2 La mission de réinsertion du Spip
L’accès à la culture participe pleinement à la mission de réinsertion confiée à l’Administration pénitentiaire. Dans les textes, cette mission concerne toutes les personnes placées sous main de justice, quelles soient détenues ou suivies en milieu ouvert. Les objectifs restent les mêmes. Pourtant, peu de démarches culturelles sont entreprises en faveur des probationnaires. Le fait même que ces personnes soient suivies à l’extérieur rend complexe une action culturelle ciblée, et les Spip ne connaissent pas toujours bien leurs besoins culturels. Comme en détention, la culture peut contribuer à une resocialisation de l’individu. Et des expériences concluantes ont été menées dans certaines régions (notamment au sein des Spip de Lyon et de Fresnes).
5.2.1.3 Des écueils à éviter
Il ne s’agit pas de vouloir mettre en place une politique d’accès à la culture pour les probationnaires pour y parvenir. Les modalités d’intervention ne peuvent être les mêmes. Dans un premier temps, il convient de veiller à ce que les probationnaires ne deviennent pas un public stigmatisé .Leur réinsertion passe avant tout par un retour dans la société, en société. Dans le cas où il y aurait un sérieux travail d’accompagnement en amont et en aval d’une sortie de ce type, il serait intéressant d’organiser, par exemple, une projection de cinéma où les probationnaires seraient accueillis. Cependant, il serait plus judicieux que cette séance soit publique et que les probationnaires se mêlent aux autres spectateurs, comme lors de n’importe quelle séance de cinéma. C’est important que le Spip qui impulse cette dynamique d’accès à la culture l’inscrive dans une démarche progressive. Un accompagnement doit être pensé, à la fois intellectuel mais aussi financier. Mais cet éventuel soutien financier ne saurait être systématisé. Distribuer des places de spectacle gratuitement n’aurait pas grand sens si l’on n’a pas pris la peine auparavant de savoir quelle personne serait vraiment intéressée et quels sont ses propres moyens. La gratuité n’est pas une solution, mais dans ce cas une facilité qui ne rendrait pas l’action très porteuse, mais transformerait le probationnaire en consommateur de culture. Une telle démarche serait dénuée de portée éducative, alors que l’objectif tendrait plutôt à amener les probationnaires qui le désirent à s’ouvrir sur l’extérieur et à élargir leurs possibilités. La culture n’est pas un « plus » mais une balise supplémentaire sur un parcours de réinsertion.
5.2.2 Le public des probationnaires à Dijon
Une réflexion s’est donc engagée au sein du Spip de Côte-d’Or au printemps dernier. Bruno Fenayon souhaitait mettre en place une politique d’accès à la culture adaptée aux probationnaires suivis par son service.
5.2.2.1 Quelles sont les attentes des probationnaires ?
Ce sont 1 025 personnes qui au 1er janvier 2005 étaient suivies en milieu ouvert par le Spip de Côte-d’Or pour un total de 1 131 mesures [15]. Ces probationnaires sont principalement suivis pour des mesures de sursis avec mise à l’épreuve ou pour effectuer des travaux d’intérêt général. Ces personnes sont soumises à des obligations régulières et viennent ainsi au Spip pour rencontrer leur travailleur social référent. Ces convocations sont les seuls moments où les probationnaires sont présents dans les services pénitentiaires puisqu’ils vivent leur condamnation dans le monde libre. Ces moments procurent l’occasion de mieux cerner leurs besoins culturels. Afin de proposer une politique culturelle en adéquation avec les probationnaires et leurs attentes, un temps d’enquête était nécessaire. Un questionnaire a été élaboré afin de faire émerger (ou non) la pertinence d’une offre culturelle soutenue par le Spip. Pour ce faire, il fallait sonder les pratiques culturelles des probationnaires, la nature des éventuels freins à une « consommation culturelle » et les attentes de ce public. Le questionnaire, dont nous trouvons un fac-similé en Annexe (page A36), a été proposé de manière systématique à chaque probationnaire lors de son accueil au Spip. Sur les 120 questionnaires distribués, 100 ont été remplis et déposés dans l’urne prévue à cet effet. La période d’étude a été relativement courte - un mois - mais semble suffisamment représentative. Au-delà d’un mois d’étude, les probationnaires sollicités pour ce questionnaire auraient été les mêmes puisque leur venue au Spip est généralement mensuelle. Les probationnaires risquaient donc d’être sondés deux fois. Il ne s’agissait pas de cerner de manière exhaustive les habitudes culturelles des probationnaires (qui comprendraient également dans ce cas les pratiques domestiques telles la lecture, l’écoute de la radio ou de musique, le visionnage de cassettes vidéo ou de DVDs, etc.) mais de mieux connaître les endroits culturels qu’ils fréquentent dans le but de proposer l’offre culturelle la plus appropriée au public cible. Afin de favoriser la libreexpression, un questionnaire semi-ouvert semblait plus judicieux qu’un entretien. Il n’est pas toujours aisé, en effet, de s’exprimer sur la culture et ses pratiques culturelles. De la même manière, ce sondage a été conçu de façon à être le plus accessible, même aux personnes aux parcours scolaires les plus divers. C’est pourquoi certaines formules, malgré leur imprécision, ont été préférées à d’autres.
5.2.2.2 Synthèse des retours
Plusieurs remarques se sont imposées après un examen minutieux des résultats. Elles se déclinent en plusieurs points. Les lieux culturels qui ont été fréquentés au moins une fois par les probationnaires sont le cinéma, les musées, les bibliothèques et les salles de concerts de musique actuelle. Le cinéma arrive en première position puisqu’il a été cité à 89% par les sondés. Viennent ensuite les musées et les bibliothèques, avec respectivement 57% et 51% des interrogés. Les concerts de musique actuelle sont cités à 48%. Ces constats concordent avec ceux des grandes enquêtes culturelles menées auprès de l’ensemble des publics. D’après les statistiques sur le milieu ouvert [16], plus de 55% des probationnaires ont entre 18 et 35 ans ; ce qui peut certainement expliquer cette forte fréquentation des salles de musique actuelle. Les raisons qui peuvent expliquer que certains probationnaires ne fréquentent pas les lieux de culture évoqués ci-dessus sont nombreuses et variées. La première limite à la fréquentation de ces lieux culturels est le manque de moyens financiers. Cela est vrai pour 41% des personnes interrogées et confirme donc la nécessité de proposer un accompagnement financier. L’absence d’intérêt pour ce type de sorties représente pour 27% des sondés un frein à la fréquentation de lieux de culture. Il faut prendre en compte cette donnée dans la réflexion sur la mise en place du dispositif d’accès à la culture en milieu ouvert ; car une « sensibilisation culturelle » pourrait être initiée. Il ne s’agit pas de faire de tout le monde des « consommateurs de culture » mais de donner la possibilité à tout à chacun de s’ouvrir aux disciplines artistiques s’il en a l’envie. Le Spip peut, dans le cadre de ses missions, créer cette opportunité. Ce n’est que dans 10% des cas que la non-fréquentation de lieux culturels s’explique par un manque d’informations, ou plus précisément par un manque d’accès à une information de ce type. Sans être très élevé, ce chiffre montre la pertinence d’une diffusion d’information culturelle dans la salle d’attente du Spip, dispositif envisagé à la même période. Dix-huit pour cent des probationnaires interrogés ne sortent pas dans des lieux culturels parce qu’ils n’en ont pas l’habitude. Fréquenter des lieux de culture n’est pas une démarche familière pour ces personnes mais cela ne correspond pas à un rejet catégorique de ces sorties. Souvent, cette réponse était donnée en doublon avec celle qui fait état d’un manque d’accès à une information culturelle. On peut ainsi faire l’hypothèse que ces deux critères sont liés, et qu’en agissant sur l’un on agira sur l’autre. Cinquante-deux pour cent des sondés ont pris soin de préciser leur(s) souhait(s) en terme d’endroits qu’ils n’avaient jamais fréquentés mais qu’ils aimeraient découvrir. Ce qui se dégage fortement des réponses est la demande en théâtre puisque les sondés ont été 17% à citer ce type de sorties. Le théâtre est un lieu fréquenté par 36% des probationnaires interrogés mais c’est néanmoins l’une des pratiques les plus sollicitées dans les attentes. Le questionnaire ne permet cependant pas de différencier la demande en spectacles de celle de cours de théâtre. Viennent ensuite les concerts qui sont cités par 10% des sondés. Ce résultat confirmerait la pertinence du partenariat en cours d’élaboration avec la scène de musique actuelle de Dijon, La Vapeur. Beaucoup d’autres propositions ont été faites (cirque, cours de musique, peinture sur soie, sculpture, etc) mais restent marginales.
5.2.2.3 Quelques remarques pour une réflexion en cours
Des pistes de réflexion pour le Service Pénitentiaire se sont très nettement dégagées après cette phase d’enquête. Elles devaient permettre d’élaborer une politique d’accès à la culture la plus idoine pour les probationnaires tout en s’assurant que l’application du dispositif projeté ne vienne pas troubler l’étiquette pénale indispensable au bon fonctionnement du Spip. Si l’aspect financier doit bien évidemment être pris en compte dans le dispositif d’accès à la culture, il ne s’agit pas pour autant de proposer une culture gratuite, mais d’opter au contraire pour une démarche responsable et citoyenne du probationnaire, grâce à un accompagnement spécifique et personnalisé du Spip. Selon les revenus de chacun, le Spip pourra proposer aux probationnaires de prendre en charge une partie du coût d’une sortie culturelle. Le coût restant sera à la charge de ces derniers. Une réflexion semble devoir s’engager sur les trois disciplines les plus sollicitées : le cinéma, la musique et le théâtre. La rencontre avec le responsable du cinéma Le Desvoge a été riche en projets. Il en va de même avec le directeur de La Vapeur en ce qui concerne la musique actuelle. Les deux approches sont à mûrir. En ce qui concerne les actions liées au théâtre, le démarche de partenariat avec les principales scènes de Dijon n’est donc pas encore d’actualité (si ce n’est avec le Théâtre Mansart). Il convient alors de se demander quels types de prestations ou d’efforts le Spip attend de leur part. Par exemple, le Théâtre National Dijon Bourgogne (TNDB) ne semble pas oeuvrer dans le sens d’une démarche d’ouverture au plus grand nombre de son théâtre contemporain. Il est peut-être vain de vouloir travailler avec cette structure - même si elle est l’une des plus importantes de la vie culturelle dijonnaise - si leur travail ne correspond pas aux attentes des personnes sous main de justice ; ce qui semble s’être confirmé dans les années passées lors de lectures faites par les comédiens à la maison d’arrêt. Il conviendrait aussi de s’interroger sur la diffusion de l’information culturelle. La mise à disposition de programmes et tracts culturels dans la salle d’attente du Spip a été une premier étape intéressante. Ainsi les probationnaires sont tenus au courant de ce qui se passe dans leur ville. Beaucoup de personnes ignorent que certains lieux sont accessibles gratuitement ou à des tarifs préférentiels (pour les chômeurs). Mais cette diffusion n’est pas suffisante puisque les publics illettrés ou en difficultés de lecture ne sont pas touchés par cette voie d’information. Peut-être faudrait-il envisager un relais de l’information par les travailleurs sociaux lors des entretiens individuels qu’ils accordent aux probationnaires.
5.2.3 Les dispositifs envisagés
Prenant en compte les résultats de l’enquête menée au Spip au printemps, le directeur a mis à l’essai quelques dispositifs dans le but d’améliorer l’accès de la culture aux personnes suivies en milieu ouvert.
5.2.3.1 Une information facilement accessible
Ce qui semblait le plus important, c’est que les probationnaires puissent avoir une vie culturelle s’ils le souhaitent, alors même que bien souvent ils ne sont pas informés des spectacles, des programmes de cinéma, des expositions en cours ou même des horaires d’ouverture des bibliothèques de Dijon. Il n’est pas facile de se repérer dans la masse de propositions culturelles, d’en tirer des informations claires et de faire des choix. Le Spip proposant des informations à caractère social dans sa salle d’attente, il était possible d’imaginer que l’information culturelle soit diffusée de la même manière. Ainsi une table proposait en libre accès des tracts d’événements ou de spectacles à venir, des programmes de cinéma, la revue Spectacles (qui tous les mois présente de manière la plus exhaustive tout ce qui est lié à la culture), le dépliant « Dijon Culture » édité par la Ville, etc. Outre ces tracts faits pour être emmenés par les probationnaires intéressés, un panneau présentait des renseignements pratiques sur les lieux de culture à Dijon. Ainsi musées, salles de spectacle et bibliothèques étaient listés de manière précise avec leur adresse, leurs horaires d’ouverture et leurs tarifs. Il s’agissait alors de faire connaître les conditions d’accès aux lieux ou événements culturels aux personnes fréquentant la salle d’attente du Spip. Conscient que l’obstacle financier reste fort, le Spip avise les probationnaires que des manifestations et des lieux sont accessibles à tous, sans droit d’entrée, et que de nombreuses salles pratiquent des tarifs abordables, et notamment des tarifs « dernière minute ». Ce dispositif ne vise pas à faire des probationnaires des consommateurs passifs, mais à faciliter un premier pas vers une culture, culture qui peut impressionner parce qu’elle paraît foisonnante et multiple. Une personne qui s’approprie une information culturelle aura moins tendance à penser que ce « cela n’est pas fait pour elle ».
5.2.3.2 L’inscription dans le réseau culturel dijonnais
Pour ce faire, le Spip a contacté la plupart des structures culturelles dijonnaises dans le but d’être inscrit comme partenaire dans leur listing de diffusion, au même titre que les lieux relayant les informations à caractère culturel. Des tracts et programmes sont depuis régulièrement envoyés ou déposés au Spip qui diffuse cette documentation dans sa salle d’attente. De la sorte, le Service pénitentiaire se positionne très clairement comme un partenaire pour les institutions culturelles de la ville. En termes de communication, le Spip devient plus identifiable et s’inscrit progressivement et de manière forte dans le réseau culturel dijonnais. Cela permet d’entretenir des relations avec les partenaires culturels qui peuvent déboucher sur des projets en direction de l’ensemble des personnes placées sous main de justice, qu’elles soient incarcérées ou suivies à l’extérieur. Des prises de contact entre le Spip et les responsables de certaines structures culturelles s’en sont suivies et des amorces de partenariat ont vu le jour, avec La Vapeur par exemple, mais aussi le cinéma le Devosge et le Théâtre Mansart.
5.2.3.3 L’utilisation du Chèque Multiservices
Le Spip émet des Chèques Multiservices à valeur déterminée qu’il distribue dans des cas bien particuliers aux personnes dans le besoin. Il arrive par exemple qu’une personne sortant tout juste de prison n’ait aucune ressource pour payer une chambre d’hôtel ou ses premiers repas. Dans ce cas, le Service Pénitentiaire peut lui donner un ou plusieurs
Chèques Multiservices qu’il pourra utiliser pour l’hébergement, l’alimentation et l’habillement.
Il est des missions du Spip de parer aux urgences et d’accompagner la sortie de prison et le retour dans la société civile. Un système similaire pourrait être imaginé pour la culture. Il serait possible pour le Spip d’émettre des « Chèques Multiservices Culture » qui soient acceptés par des structures culturelles. Le Spip disposerait alors de chèques de valeurs différentes qu’il remettrait de manière individualisée aux probationnaires qui désireraient fréquenter un lieu culturel mais qui n’en auraient pas les moyens financiers. Le Spip ne paierait pas la totalité du droit d’accès exigé mais supporterait une partie du coût seulement, le reste étant à la charge du probationnaire. Il reviendrait aux travailleurs sociaux référents d’identifier les besoins et moyens des probationnaires et de proposer cet accompagnement aux personnes intéressées.
Ce dispositif peut s’avérer difficile à se mettre en place. Les structures qui seraient partenaires et accepteraient les chèques comme moyen de paiement devraient au préalable faire une demande d’affiliation pour obtenir un agrément du réseau des Chèques Multiservices.
Cette démarche est relativement coûteuse pour la structure, et ce d’autant plus si celle-ci est de petite ou moyenne envergure. De plus, il est impossible pour des structures en régie municipale ou même personnalisée (tels à Dijon La Vapeur, les musées municipaux, l’Auditorium, etc.) d’être affiliées à ce réseau des Chèques Multiservices. La question de la pertinence de la mise en place de ce dispositif de « Chèques Multiservices culture » se pose alors.
Quelques mois après ces tentatives différentes et prometteuses, et dans un contexte de remaniement de service pour le Spip, on peut se demander s’il n’était pas un peu prématuré pour le Spip de Côte-d’Or de réfléchir à une politique d’accès à la culture en milieu ouvert, alors même que l’action culturelle menée à la maison d’arrêt se trouve encore dans une position fragile.