Si l’on peut « survivre en milieu carcéral avec de lourdes pathologies, cela ne peut se faire que dans des conditions psychologiques et matérielles souvent attentatoires à la dignité humaine », estime Julien Nève, de l’Observatoire international des prisons (OIP). Lequel dénonce la rareté des suspensions de peine accordées aux détenus malades ainsi que les obstacles multiples qui les attendent à leur sortie de prison.
Chaque année, quelque 120 personnes meurent de maladie ou de vieillesse en prison, décès naturels auxquels s’ajoutent 120 suicides. Des chiffres donnés par le Conseil national du sida en 2005 et qui font dire au Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé que « la prison est un lieu de mort, de maladie et de vieillesse ». Pourtant, rares sont les suspensions de peine pour raison médicale accordées, alors même qu’elles visent « à assurer aux condamnés gravement malades un suivi médical ou une fin de vie dans la dignité, hors les murs », résume Julien Nève. En effet, selon les chiffres de la Direction de l’administration pénitentiaire, sur les 502 demandes déposées entre 2002 et 2006, seules 259 ont été acceptées, soit à peine plus d’une sur deux.
Des freins sur le fond et la forme. L’application de la loi se heurte en fait à plusieurs obstacles : manque de repères de la jurisprudence sur les critères médicaux d’octroi entraînant une interprétation limitative du texte, introduction depuis son vote de critères restrictifs, non application aux personnes en détention provisoire, alors que certaines risquent de décéder avant même d’avoir été jugées et qu’en maison d’arrêt, elles subissent les conditions d’incarcération les plus difficiles... À ces entraves s’ajoutent des freins d’ordre pratique, telle la lourdeur des procédures d’expertise. En effet, précise Julien Nève, « comme l’a relevé la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, dans 25 % des cas, le délai moyen d’étude du dossier est supérieur à trois mois ». La compétence des experts qui, souvent, connaissent mal la problématique de la santé et de la vie en détention, pose également probème. Une lacune dont sont « particulièrement victimes les détenus séropositifs », observe Julien Nève, rappelant que « de par la promiscuité et le manque d’hygiène, la détention exacerbe les effets secondaires de la maladie et peut pousser une personne à arrêter son traitement ». Parmi les détenus obtenant une suspension de peine, rares sont d’ailleurs ceux atteints du sida, car il est généralement estimé qu’ils bénéficient de soins de bon niveau. « À partir du moment où une personne est en trithérapie et qu’elle va à peu près bien, les experts considèrent souvent que son état de santé est compatible avec la détention. On ne tient pas assez compte de ce qu’implique de vivre une maladie chronique en détention. », résume-t-il.
Des inégalités de traitement entre établissements sont également à déplorer. « De nombreux cas de mort en détention ont mis en évidence le déficit de signalement aux juges d’application des peines des détenus malades dans des prisons où la suspension de peine est peu pratiquée », assure le représentant de l’OIP. De surcroît, il est à regretter que les conseillers d’insertion et de probation (CIP) « ne disposent pas de formation spécifique concernant la mise en place de dossiers permettant la sortie et la prise en charge médicale et sociale des personnes concernées. Cela en dépit des obstacles rencontrés avec les administrations, les structures de soins ou d’accueil ». Mais, avant cela même, c’est l’absence de solution d’hébergement qui ruine le plus les chances des détenus malades de bénéficier d’une sortie anticipée (lire encadré). Elle conditionnerait ainsi près d’un refus de suspension de peine sur cinq, selon une enquête de l’Association nationale des juges d’application des peines. « Faute de perspective d’hébergement, des ajournements de mesures sont prononcés alors même que la juridiction de l’application des peines est favorable à une suspension de peine », témoigne Julien Nève. Des détenus gravement malades voire mourants restent donc de fait incarcérés.
Dehors sans ressources ni CMU. Pour maints détenus malades, la possibilité de sortir de prison ne signifie pas pour autant l’arrêt des ennuis. En effet, assure Julin Nève, « bien souvent, l’ensemble des démarches maintenues ou initiées en détention risquent d’être interrompues par manque de relais entre l’intérieur et l’extérieur et par l’absence de solution d’hébergement ». C’est à l’administration pénitentiaire qu’incombe la mission de réinsertion et que revient, selon le code de procédure pénale, de « permettre au détenu de préparer sa sortie dans les meilleures conditions possibles ». Pour autant, celle-ci « s’apparente en général à un parcours du combattant », selon le Julien Nève. Alors que la continuité des soins doit être assurée entre le dedans et le dehors, il arrive souvent que le dossier médical ne suive pas la personne ni ne soit transmis à l’hôpital, que celle-ci ne sorte qu’avec un traitement pour la journée et sans ordonnance. Parmi les explications : l’absence d’information des unités de consultations et de soins ambulatoires (UCSA) sur la date de sortie des patients et la mauvaise articulation avec les services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP). En outre, surchargés, les CIP, ne parviennent pas toujours à préparer la sortie. Ce, en particulier, en maison d’arrêt où, souvent, si les personnes ne sollicitent pas de rendez-vous - ce qui doit se faire pr écrit - avec le SPIP, rien n’est entrepris. Aussi, témoigne Julien Nève, « beaucoup de détenus sortent sans qu’aucun dossier n’ait été instruit en détention. Tout reste à faire après la sortie. » Maintes formalités sont de surcroît irréalisables en prison. Des détenus se retrouvent donc dehors sans ressources, ni couverture maladie ni prise en charge à 100 %, alors même que leurs thérapies sont des plus coûteuses. Autant de freins, d’insuffisances, voire de manquements, parfaitement identifiés par les pouvoirs publics. Autant de réalités aussi qui « soulignent avec acuité la difficulté à concevoir la prison comme un lieu de soins », analyse Julien Nève. Pourtant, l’heure est non « à sortir la maladie de la prison » mais plutôt « à rendre cette dernière compatible avec toutes les pathologies ».