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"Les personnes placées sous main de Justice : un public en peine(s) de culture" d’Axelle Nagrignat

08 Entretiens

Mise en ligne : 30 mai 2007

Texte de l'article :

Entretien avec Colombe Babinet, de l’Administration pénitentiaire.
Vendredi 27 mai 2005.

Colombe Babinet est chargée du développement des actions culturelles à destination des personnes placées sous main de justice, au sein du Bureau des politiques sociales et d’insertion de l’Administration pénitentiaire.

A.N. : Avant toute chose je me demandais quel était votre rôle à l’Administration pénitentiaire, qu’est-ce que c’était exactement le Bureau des politiques sociales et d’insertion ? D’accord... Donc moi je suis chargée du développement des actions culturelles proposées aux personnes sous main de justice et donc le Bureau des politiques sociales et d’insertion, c’est un Bureau qui suit un certain nombre de partenariats avec des ministères dans le domaine essentiellement de la Santé, mais aussi du Sport et de la Culture. Les partenariats interministériels les plus importants qui concernent l’Administration pénitentiaire c’est l’Éducation nationale qui met à disposition depuis maintenant trente ans 400 enseignants, dans les établissements pénitentiaires, sinon le Travail et la Formation professionnelle et puis le partenariat avec le ministère de la Santé puisqu’il est fondé sur une loi qui date de 1994. Et puis il y a le Sport et la Culture.

A.N. : Est-ce que vous pouvez me précisez votre parcours personnel, ce que vous avez fait avant ? Donc moi je suis contractuelle du ministère de la Justice. De formation, j’ai fait des études d’Histoire de l’Art et je suis bibliothécaire. J’ai travaillé dans des bibliothèques municipales et assez vite je me suis posée des questions d’accès à la culture, pas seulement le livre et la lecture en fait, car de formation je n’étais pas uniquement intéressée par le livre et la lecture. Donc, par exemple, j’ai travaillé dans une bibliothèque qui était ouverte dans le métro, dans les années 1983-1984. Je crois que c’est vraiment la première fois que j’ai vraiment percuté sur la manière d’aménager l’accès à la culture pour les personnes qui n’ont pas du tout l’habitude et qui n’ont pas notamment pas l’habitude de franchir la porte des lieux étiquetés institutionnels. Voila, je saute plein d’étapes car j’ai fait des choses diverses et variées, et en 1996 j’ai été recrutée comme chargée de mission dans un Centre régional pour le livre, comme chargée de mission pour le développement de la lecture en prison puis des actions culturelles en prison. J’ai fait cela pendant quatre, cinq ans, en région Centre. Donc j’ai commencé à comprendre un peu comment ça fonctionnait puis à voir les difficultés de la mise en place des partenariats mais aussi tout simplement de la mise en oeuvre des choses et il y avait un poste qui se libérait ici, donc je ne viens pas de la culture pénitentiaire du tout alors que c’est très important de la connaître et ce sont des corps très différents avec des histoires très différentes et des manières d’exercer des rapports de force différentes. Je ne suis pas non plus du sérail de la culture. Je fais partie de ces gens qui font le lien.

A.N. : Et pour vous comment s’articule le développement culturel en milieu pénitentiaire ? Quels sont les liens ministère de la Culture/ministère de la Justice ? Alors, moi ce que j’ai appris en travaillant ici, c’est que, fort heureusement, on a des textes. Malheureusemement, on n’a pas de textes de loi concernant l’action culturelle en direction des personnes placées sous main de justice, mais on a des circulaires et c’est le dénominateur commun au ministère de la Justice et au ministère de la Culture. Je pense que le cadre intellectuel et juridique de l’action culturelle en prison, il a été formulé en 1985-86 ; on est toujours en train de travailler à partir de ce cadre de référence là. C’est un fait, c’est comme cela. Si on pointe plus précisément les deux circulaires de référence, celle sur les actions culturelles et celle sur les bibliothèques, on est à 40% de réalisation donc on a encore du chemin à faire. Maintenant, si l’on analyse pourquoi en vingt ans, si peu d’avancée, il y a un certain nombre de freins qu’on n’arrive pas à lever et que les textes officiels, administratifs, tout bien intentionnés qu’ils soient, ne lèvent pas. Donc le constat que moi je fais maintenant est celui-là : le cadre de référence est clair et il est solide ; par contre la mise en oeuvre est vraiment, est toujours, difficile.

A.N. : Quels sont ces freins ? Ces freins sont de plusieurs ordres. Du point de vue de l’Administration pénitentiaire, c’est peut-être aussi mon point de vue car je suis ici depuis six ans et que j’ai assisté au report parlementaire en 2000 où à la fois il y avait une dénonciation très forte des conditions de détention et même pour le sujet qui nous concerne rien ; il n’était même pas pris en compte. Ce n’est pas tout à fait vrai, mais on ne va pas rentrer dans les détails. Les freins c’est d’abord ce que c’est qu’une prison, les espaces d’une prison, la manière dont on traite et organise la vie des détenus mais aussi depuis trois ou quatre ans les effets de la surpopulation. C’est un premier point. Le deuxième point c’est globalement une réticence des personnels, ou plutôt une méconnaissance de ces questions là par les personnels qui donne lieu à un certain nombre de résistances en interne et ces résistances ne sont levées que dans le cas où le chef d’établissement a un projet d’établissement clair et auquel tous les personnels adhèrent à peu près. Et cela existe dans les établissements où le chef d’établissement va rester suffisamment longtemps pour instaurer cela et puis c’est vrai que parfois les chefs d’établissement sont obligés d’affronter d’autres types de problèmes et donc font le choix de sacrifier l’activité, car si à un moment donné il y a quelque chose à sacrifier ce sera l’activité plutôt que les parloirs-avocats, ce qui est légitime, et que l’intervenant culturel doit comprendre, ce qui n’est pas toujours le cas. Après, on peut entendre qu’il y a des freins qui concernent les moyens ou les personnes ; moi de mon point de vue je ne suis pas tout à fait d’accord car je pense que les moyens, si on les demande on les obtient et que souvent c’est parce qu’on ne sait pas bien les demander qu’on ne les a pas. Et je le dis pour les services mais je le dis aussi pour moi, c’est-à-dire qu’à un moment donné je sais que je ne suis pas assez claire dans mes argumentaires pour convaincre le directeur de faire passer tel ou tel projet. Mais quand je suis claire sur l’argumentaire, il n’y a aucun problème, on arrive à avoir les budgets. L’autre frein qui se retrouve à tous les échelons, ce sont les joies des partenariats.

A.N. : Et le partenariat est plutôt bon ou difficile avec la culture ? Il est au travail, donc il faut comprendre la logique de l’autre, voire les logiques puisque nous, Administration pénitentiaire, on travaille avec plusieurs directions du ministère de la Culture qui ne sont pas toujours d’accord sur les objectifs. Inversement, par exemple, le ministère de la Culture ne comprend pas très bien pourquoi on ne bosse pas avec la Protection judiciaire de la jeunesse, alors que ce n’est pas du tout le même public, par exemple, pour vous donner un exemple de la méconnaissance. Ensuite c’est vrai qu’il faut s’apprivoiser constamment, pour trouver des moyens d’action communs ou des outils communs. Et ce fameux petit livre rouge [1], on a passé beaucoup de temps à l’écrire avec une éditrice pour trouver un langage commun qui soit clair pour tout le monde, pour sortir les uns et les autres de notre vocabulaire et de notre manière de présenter les choses. Donc on a toujours ce travail de traduction à faire mais aussi de trouver un terrain d’entente minimum ou maximum si on peut, mais au moins mininmum, et cela se pose à tous les niveaux. C’est-à-dire qu’il y a un projet bibliothèque dans une maison d’arrêt, le Spip dit « j’ai tant de centaines d’euros à dépenser pour acheter des livres », et va, si cela se passe bien, travailler avec les bibliothécaires de la Bibliothèque municipale pour le choix des livres. Et là ils vont commencer à discuter : qu’est-ce qu’on va mettre comme livres ? Est-ce qu’on met un livre sur la toxicomanie ? Est-ce qu’on met un livre sur le suicide ? Ce sont des sujets centraux pour nous par rapport à la population qu’on suit. Voyez le type de questions qui peuvent se poser. Donc c’est à tous les niveaux comme cela. Par exemple nous on a une question qui est traitée en interne plutot mais qui est très emblématique, c’est la question du droit à l’image des détenus, et sur laquelle on n’arrive pas à déboucher réellement, donc on est sur des textes contradictoires. Il y a la Circulaire de 1995 et il y a le droit des personnes, mais il y a plein de circulaires internes à l’Administration pénitentiaire qui essayent d’imposer l’anonymat, notamment pour les reportages. En fait il y a un hiatus entre les reportages où l’anonymat est imposé par l’Administration et les réalisations dans le cadre des ateliers de pratiques audiovisuelles où en fait la circulaire de 1995 énonce le droit commun, donc si une personne veut être filmée il n’y a aucune raison qu’elle ne le soit pas. Mais on est depuis des années dans un conflit juridique mais aussi pratique car du coup si le Spip n’est pas informé, il ne va pas bien négocier avec le chef d’établissement qui lui a une vigilance très forte pour les reportages.

A.N. : Est-ce que cela ne serait pas un problème de transmission d’information ? Non, je pense que c’est vraiment autre chose, et c’est là que cela devient intéressant, car c’est emblématique d’où en est la prison. La prison est un endroit qui est créé par la société pour mettre un certain nombre de personnes qu’on ne veut pas voir, pour des raisons qui dépendent du délit et de la Justice. On ne veut pas les voir. Mais à un moment donné de l’histoire de la prison on dit qu’il faut qu’il y ait de la culture en prison, donc qui dit culture dit un certain nombre de disciplines artistiques et supports de réalisation, et un des supports, c’est l’audiovisuel. Ok on fait des ateliers audiovisuels en prison. En 1995, le ministère de la Culture, le ministère de la Justice, la Caisse des Dépôts mettent pas mal d’argent pour lancer les activités audiovisuelles. A l’époque les films sortent sans problème. Et tout à coup il y a des images de détenus qui sortent et là on dit « Non, non ; on ne veut pas les voir ! ». De là sort en 1997 la circulaire qui impose l’anonymat pour les reportages et cela commence à être flou. Et il y a plein d’intervenants audiovisuels qui ont fait un travail en prison, le chef d’établissement disait « Elles ne sortent pas ou elles sont floutées » et les intervenants disaient « Ok ». Et bien ok on fait un film qui répond à cette injonction. Or on n’est pas obligé. Actuellement on est dans un contexte où ce n’est pas évident. Donc voila, il y a des freins mais cela permet aussi de cogiter, ce n’est pas rédhibitoire, car les choses sont complexes. Et même pour une personne incarcérée, c’est complexe, dans le temps de la détention, donc, c’est mon point de vue, soyons un peu modeste par rapport à ce qu’on peut proposer, et souvent je trouve qu’il y a un côté prétentieux de la part des intervenants, quels qu’ils soient, qui n’est pas très respectueux du cheminement nécessaire aux détenus pour se saisir de l’offre qu’on lui fait dans un contexte pareil. On ne se rend pas compte à quel point sortir d’une cellule pour aller à une activité c’est énorme comme démarche ; énorme, énorme, car la cellule c’est le lieu-refuge. Sortir de la cellule c’est déjà d’une certaine manière accepter l’institution pénitentiaire, alors en plus accepter que cette institution-là travaille avec d’autres parce que oui, on va sortir, c’est une démarche difficile. Il faut donc être modeste mais en même temps il faut être tenace sur les mises en oeuvre et il ne faut pas lâcher.

A.N. : Mais il y a aussi que parfois l’intervenant n’est pas très bien préparé à sa venue en détention,non ? Ah, oui, cela c’est clair, mais c’est de la responsabilité du Spip, enfin des services pénitentiaires, c’est évident. Et puis il y a des intervenants qui viennent pour de mauvaises raisons. Cela c’est tout ce travail de médiation sur lequel on est aujourd’hui. Mais il n’y a pas de poste de médiateur ; cela n’existe pas, donc l’état des lieux c’est quatorze chargés de missions régionaux et puis sinon des agents de justice qu’on a balancés au niveau local sur des postes un peu comme cela et qui n’étaient pas très bien préparés avant et pour qui la position était, à mon avis, intenable. Cela s’arrête les emplois jeunes donc en 2005, il y a soixante postes qui sont proposés par Bercy, de contractuels pour la coordination des activités socioculturelles et sportives.
Voila où on en est. On avait cent agents de justice posititionnés sur la culture en 1994, mais il va y avoir beaucoup de recrutement de Cip dans les prochaines années, donc après le D. Spip [2] peut décider de la répartition du travail en privilégiant les actions culturelles.

A.N. : J’imagine qu’il y a forcément des D. Spip pour qui la culture est plus que secondaire et dans ce cas là cela impulse ce qui est fait ou non dans les établissements, non ? Oui, absolument. Et puis certains personnels pénitentiaires, alors je vais mettre des guillemets, n’y croyent pas du tout. Alors nous, ministères de la Culture et de la Justice, le premier argumentaire que l’on développe, c’est que c’est un droit. C’est un droit, c’est un service public culturel. Et donc ce service public de la culture doit aller vers ce public là et doit aménager, même si on n’y croit pas, des conditions pour que le service public soit assuré de partout, même en prison. Voila, c’est en cours.

A.N. : Et par rapport à la loi Perben 2, il y a eu des changements au niveau des positionnements et notamment quant aux priorités ? Moi, ce que j’en ai compris, parce que ce n’était pas d’une clarté folle les textes concernant cette question précise, car la problématique est beaucoup plus sur le suivi de la peine ; c’est que les services d’insertion qui n’étaient pas très convaincus par la nécessité de construire une offre culturelle se sont empressés de dire que ce n’était plus possible et que de toute manière ce n’était pas vraiment dans les textes. Mais aucun texte concernant l’action culturelle n’a été abrogé. Donc c’est un peu un faux problème. C’est une manière de se défausser à bon compte. Mais je peux comprendre qu’on fasse des choix aussi.

A.N. : Tout à l’heure nous parlions des chargés de mission pour le développement culturel en milieu pénitentiaire, je voulais savoir ce que vous pensiez de leur travail ? Est-il pertinent ? Que vont-ils devenir ? Comment dire... Déjà certains chargés de mission ne sont pas rémunérés par les structures régionales mais par des Ligues de l’enseignement. Le problème du dispositif des chargés de mission, c’est qu’il est dans une articulation qui est classique et que là aussi on retrouve à tous les niveaux, entre les services de l’État et le milieu associatif. C’est-à-dire qu’à un moment donné les services de l’État font le constat qu’il est nécessaire d’avoir un poste de médiation entre les services pénitentiaires et les institutions culturelles, mais n’a pas les moyens de créer un poste ou décide de ne pas créer un poste. En plus la question c’était :« Si on a un poste comme cela, est-ce qu’on le met à la DRSP ou est-ce qu’on le met à la Drac ? », sachant que l’échelle DRSP n’est pas la même que l’échelle Drac. Donc à l’époque, quand le dispositif des chargés de mission a émergé, il a émergé d’une Drac - La Drac Aquitaine - et d’une DRSP-celle de Bordeaux. Et donc l’idée était de développer les bibliothèques dans les établissements pénitentiaires d’Aquitaine et tout naturellement cette mission a été proposée au Centre régional pour le livre d’Aquitaine qui était à l’époque une agence de coopération. Ensuite on a étendu le dispositif. C’est tout le problème aussi de la déconcentration, c’est-à-dire que chaque région est dans un cas de figure différent. Si on prend la DRSP de Dijon, il y a eu à un moment donné un chargé de mission sur Champagne-Ardenne, un ou deux même, mais à un moment donné le Centre Régional du Livre a décidé de ne pas continuer la mission et il n’y avait pas d’autres structures régionales. Il y a eu plusieurs chargés de mission en Bourgogne les uns après les autres positionnés sur le Centre Régional du Livre mais avec un bilan qui est ces dernières années, du moins du point de vue de la DRSP, négatif, et peut-être même contre-productif. Sur la Franche-Comté, un poste de chargé de mission depuis très longtemps pour l’agence de coopération pour le livre avec un glissement d’un profil de poste Bibliothèques à un profil de poste Actions culturelles et par le fait des recrutements, une personne qui a actuellement plus un profil de Spectacle vivant et qui donc fait un tout autre travail de médiation que celui que pouvait faire la personne qui était en poste avant et qui était plus branchée sur la lecture et les bibliothèques, etc. Du point de vue de l’Administration énitentiaire on a abondé aux budgets des DR [3] pour qu’elles financent des postes de chargés de mission, sachant que selon les DR il y a deux ou trois régions administratives et que certaines n’ont pas de chargé de mission, alors que ce sont de grosses régions pénitentiaires pour nous,comme l’Île de France, la Région PACA, parce qu’ils ont mis du temps à s’entendre avec la Drac, que ni la Drac ni eux n’ont été tout à fait d’accord pour un poste de chargé de mission, ou bien tout simplement parce qu’il n’y a aucune structure régionale pour prendre cette mission. Ce qui arrive. En Île de France, il n’y a pas structure régionale ; et en PACA, ce n’est pas une priorité d’avoir une structure régionale. Le problème aussi quand on est dans des missions spécifiques, c’est de trouver des structures supports, alors c’est vrai qu’il y a eu
aussi le choix de la Drac de Bretagne de passer par La Ligue de l’Enseignement, mais parce que la Drac a déjà un très bon partenariat avec la Ligue, et donc ils ont proposé à la DRSP qui a dit : « Si pour vous c’est un bon opérateur, s’il est compétent, on vous suit ». Dans ce cas, le chargé de mission est salarié par la Ligue. On essaye aussi de faire en sorte que le contexte régional soit pris en compte ; mais c’est la décentralisation ça. Mais quand c’est la DR qui pilote plus, ce sont des choix de programmations différents. De même que les Drac sont plus ou moins partantes ; parfois même au sein de la même DR.

A.N. : Sinon, je voulais savoir si vous, ici, vous réussisse à avoir une vision globale de ce qui se fait dans les régions, ou justement y-a-t-il un problème de remontée d’information ou bien est-ce au coup par coup ? Alors... On n’a pas de circuit de remontée d’informations systématique. On n’oblige pas les services à nous informer de tout ce qu’ils font. Sur la programmation culturelle on avait un outil qui était les rapports faits par les chargés de mission or ils en font de moins en moins. Il y a eu une époque où en gros dans les régions où il y avait des chargés de mission on avait des infos tous les ans, sur ce qui se faisait. Donc rien de systématique. Après, c’est en fonction des DR et des D. Spip, surtout les D. Spip, qui ont le réflexe de faire remonter les choses, et quand ce sont des projets un peu ambitieux, en général je suis au courant parce qu’il y a un coup de fil, une demande de conseils, etc, et quand il y a des « merdes », cela remonte tout de suite. Voila. Mais rien de systématique.

A.N. : Mais pourquoi on n’impose pas justement aux DR ou aux D. Spip cette remontée d’informations ? Là, c’est le problème d’une administration centrale ; les personnels pénitentiaires et notamment les cadres sont évalués en gros, pour ce qui concerne les chefs d’établissements, sur les taux d’évasion et de suicide. La responsabilité de l’Administration pénitentiaire depuis très longtemps c’est de garder les détenus, donc il ne faut pas qu’ils meurent, enfin il ne faut pas qu’ils décident de mourir, et il ne faut pas qu’ils s’évadent. Bon, après, l’évaluation des Spip, la loi Perben nous a affectivement fait perdre la main sur une évaluation des activités de tout ce qui était la prise en charge des personnes sous main de justice, de manière globale. Que ce soit les liens avec l’ANPE, les activités sportives, etc. Les services ne sont pas vraiment évalués là-dessus mais sur le suivi de la peine. Donc ça, ça ne pèse pas dans la balance. Donc les activités culturelles, encore moins. La vision de la Direction, cela va être des coûts, à un moment donné si c’est médiatisé, si cela va plaire ou ne pas plaire. Mais une vision vraiment approfondie de ce qui est fait au jour le jour par les services, de ce que ça veut dire pour les partenariats, non. Ce qui me gène beaucoup, c’est la question des indicateurs que l’on pourrait donner. Par exemple, l’Éducation nationale qui est un mastodonte, il y a a 400 enseignants, dans tous les établissements pénitentiaires, et là on a des chiffres et notamment c’est la réussite aux examens. La question, c’est « Est-ce que c’est suffisant comme chiffre ? », car c’est peut-être plus intéressant de faire de la lutte contre l’illettrisme. Et moi j’avais très peur que l’on dise, Monsieur Machin est allé à la bibliothèque et parce qu’il a lu tel livre va obtenir une conditionnelle. Je caricature grossièrement
mais à un moment donné ce que propose la pratique artistique ou la fréquentation des oeuvres c’est autre chose. Et je ne suis pas sûre que cela a à être évalué au ministère de la Justice, donc je suis un peu gênée de proposer des indicateurs. Quels chiffres proposer pour évaluer un public ?
Les critères d’évaluation sont un peu complexes.

A.N. : En ce qui concerne le milieu ouvert, où en est-on en France ? Car cela dépend plus encore que milieu fermé du bon vouloir des Spip, non ? C’est une question qui est très difficile à traiter car grosso modo c’est un public de droit commun, qui a affaire avec l’extérieur. Donc il n’est pas question ; mais ça a été tenté il y a quelques temps dans la Somme, de mener des actions spécifiques culturelles pour des probationnaires au Spip. Je trouve qu’en terme d’objectifs cela ne va pas. Sinon, au-delà de l’information, c’est-à-dire que tout simplement s’il y a un partenariat avec un certain nombre de structures culturelles dans un département, qu’en même temps que des informations plus sociales il y ait un peu d’information culturelle, pourquoi pas. Il y a aussi des expériences de distribution de places de spectacles qui se fait, mais j’aurais tendance à penser que c’est l’accompagnement qui est important. Je ne vois pas dispositif formalisé, je ne peux pas imaginer cela. Mais c’est évident qu’une sensibilité à cette question-là, due à un partenariat entre le Spip et des structures culturelles, cela débouche sur quelque chose pour les personnes suivies.
Mais on n’en est pas là. Par exemple il y a très peu de bibliothèques publiques qui donnent des cartes de lecteur. C’est un truc très bête, mais la personne qui va à la bibliothèque de la maison d’arrêt quand elle est incarcérée il faudrait qu’elle ait en sortant la carte de la bibliothèque... de
Dijon par exemple. Voila. Ce sont ces liens là qu’il faut tisser mais c’est en fonction de comment fonctionne la structure culturelle. Donc si c’est un théâtre, peut-être cela peut passer par une distribution de places mais cela peut être autre chose. Il faut être un peu inventif là-dessus, sachant qu’il n’est pas question d’avoir des groupes très définis, qu’on va suivre, etc, puisque ce n’est pas le principe du milieu ouvert. Après c’est encore plus rare mais un certain nombre d’opérateurss culturels qui sont implantés depuis très longtemps dans un établissement et dans des ateliers depuis longtemps, font en sorte que certaines personnes qui travaillent chez eux aient ensuite un travail,un stage etc. C’est aussi peut-être au Spip de responsabiliser ces partenaires culturels pour au-delà d’une offre culturelle immédiate, imaginer des perches qu’on peut tendre.
C’est difficile d’imposer des manières de faire, à mon sens, en tout cas depuis les administrations centrales. Mais malheureusement on n’est pas suffisamment à l’affût - mais on essaye - des initiatives qui sont certainement plus nombreuses qu’on le croit. Actuellement on n’a pas d’outils de mise en valeur de tout cela. On a du mal à concevoir cela, pour diverses raisons.

A.N. : Et juste pour conclure, quelle serait votre définition de la culture ? Quelle est la place de la culture pour vous en milieu pénitentiaire ? La première chose que je répondrais, c’est la culture si possible partout. Pour moi elle ne doit pas être différente à l’intérieur qu’à l’extérieur. Après il est évident que le contexte carcéral et donc d’un délit et d’un jugement aiguise les choses pour la personne elle-même et pour la personne qui s’y frotte. Ma position c’est d’abord que dans ma propre histoire, ma propre trajectoire professionnelle, j’ai eu la chance d’être confrontée à des oeuvres et d’être émue au sens d’une émotion qui met en mouvement. Cela m’a mise en mouvement, intellectuellement, etc. J’ai eu cette chance là. Mon métier m’a appris aussi qu’à un moment la transmission, ça se travaillait, et que c’est quelque chose de très intéressant. Le lieu de la prison c’est un lieu où la transmission doit être pensée d’une façon très particulière et en même temps en gardant bien en mémoire que cela doit être le plus possible comme dehors. Mais cela ne l’est pas tout à fait et du coup cela aiguise les choses. Après, ce que je trouve vraiment intéressant, c’est cette confrontation de deux cultures. Et ce n’est pas cette culture pénitentiaire mais ce qu’est la Justice en France, et du coup quels sont les publics qui sont le plus dans les prisons ? Si l’on dit que ce sont 80% d’hommes qui ont grosso modo entre 18 et 25 ans, et quand on a fréquenté les institutions culturelles, on sait qu’elles sont plutôt mieux aimées par les femmes et plutôt plus âgées. Voila. C’est aussi intéressant pour cela. Cela oblige les uns et les autres, c’est-à-dire les détenus et les personnels, à se mobiliser d’une certaine manière, à penser, se confronter à. Mais aussi pour moi cela interroge très fortement sur ce que c’est que produire de l’art, produire la culture actuellement. C’est vraiment un lieu de réflexion très intéressant. Car cela oblige nos interlocuteurs de la culture à penser leur travail, leur production artistiques. Et jusqu’à quel point c’est possible, et qui a envie de le faire et pourquoi ? Donc là on a peu d’éléments actuellement sur ce que cela fait aux intervenants, mais je trouve que c’est aussi intéressant de se poser cette question-là quand on se pose la question de ce que cela fait aux détenus. On est aussi un peu tétanisé par la prison. C’est très fort. Il fait vraiment être très costaud en face, et ne pas être absorbé par elle, car on a aussi des intervenants qui se laissent aller à la routine de la prison. Ce point d’équilibre est assez délicat et cela nécessite un gros travail, où chacun de beaucoup de gens différents et où chacun doit rester à sa place. Le Cip n’est pas l’intervenant ; le chef d’établissement n’est pas le directeur du théâtre (rires). Il faut veiller à la pérennisation d’une action avec une structure mais il faut que les intervenants soient différents au fil des années, pour éviter de s’installer. C’est ce que fait le CDN de Valence. C’est très important que l’artiste ne soit pas seul mais que derrière lui il y ait une structure culturelle qui tienne la route.

Entretien avec Bruno Fenayon, directeur du Spip de Côte-d’Or.
Mercredi 1er juin 2005.

Étant en stage depuis trois mois au sein du Spip, le tutoiement est de mise lors de cet entretien.

A.N. : Est-ce que tu peux me rappeler ton parcous professionnel ? Je suis rentré dans l’Administration pénitentiaire en 1990, comme éducateur à l’époque. Donc j’ai travaillé après les deux ans de formation en milieu ouvert, à Montbrison, dans la Loire ; en milieu fermé dans un centre pénitenitaire, à Saint-Quentin-Fallavier, dans l’Isère, et ensuite à Cayenne, en milieu ouvert pendant deux ans. Ensuite j’ai passé le concours de chef de service d’insertion et de probation, fait ma scolarité à Paris pendant un an et ensuite j’ai travaillé à la DRSP de Dijon pendant trois ans et demi, et depuis le 15 mars 2004 je suis le directeur du Spip.

A.N. : Qu’est-ce que c’était qu’un chef de service d’insertion et de probation ? En fait j’exerçais la fonction de chef d’unité à l’action socio-éducative, à la DRSP. Il faut être cadre, et j’étais cadre. Chef de service pénitentiaire, c’est cadre.

A.N. : Et il faut passer un autre concours pour être directeur du Spip ? Après on devient Directeur du Spip en postulant pour un statut d’emploi et ce n’est pas un concours mais une décision du Garde des Sceaux qui place qui il veut sur le poste de directeur, conseillé bien sûr par les directeurs régionaux. Donc une proposition du directeur régional de deux noms au Garde des Sceaux qui, lui, choisit.

A.N. : Et pourquoi as-tu fait le DESS culturel de l’IUP Denis Diderot ? En fait dans la fonction que j’ai exercée à la DRSP j’ai essayé tout de même d’impulser une certaine dynamique au niveau régional, donc à la fois en Bourgogne, Franche-Comté et Champagne-Ardenne, sur la mise en place d’activités culturelles dans les établissements, de multiplication de partenariats, et j’avais besoin d’avoir vraiment d’avoir des atouts, des billes, pour connaître tous les réseaux culturels, avoir peut-être une meilleure définition de la culture. Et surtout ce qui m’intéressait c’étaient les possibilités de financements nouveaux, les inscriptions dans les réseaux de communication. Je voulais en savoir un peu plus sur la culture et également me remobiliser intellectuellement (rires).

A.N. : Et c’était une formation intéressante pour toi ? C’était très intéressant sauf que j’y ai rarement mis les pieds. Le problème c’est que je n’ai pas obtenu de décharge de temps de travail pour aller en cours, donc généralement j’allais à l’IUP le lundi. Voila. Et donc après des difficultés pour faire le stage, des difficultés pour mener un travail de recherche, et je pouvais difficilement conjuguer les deux, en travaillant en moyenne de dix à douze heures par jour, toujours en déplacement, c’était difficile de rentrer le soir et de se mettre à son mémoire. Mais ceci dit, des rencontres intéressantes, un voyage d’étude à Saint-Etienne très intéressant avec l’IUP, et des échanges nombreux avec des étudiants et avec Monsieur Patriat et Monsieur Chaumier. Cela m’a beaucoup apporté.

A.N. : Est-ce que tu peux me rappeler en gros les fonctions attendues d’un directeur de Spip et les fonctions des travailleurs sociaux au sein du Spip ? Donc le directeur du Spip c’est l’interlocuteur privilégié de tous les acteurs départementaux, comme on est maintenant service départemental mes interlocuteurs sont le directeur de la Protection judiciaire de la jeunesse, le préfet, le DDASS, le Drac, etc. C’est une première partie de mes missions ; très institutionnelle.
Après ma mission telle que je la conçois, c’est manager un service, définir des orientations, me caler dans les orientations nationales du Garde des Sceaux, des orientations de la Direction Régionale ; fixer mes orientations au Spip et ensuite mettre cela en application en essayant de mobiliser au mieux les travailleurs sociaux. Donc c’est un rôle de décision, d’orientation et après également de recherche budgétaire, partenariale. Donc je passe quand même beaucoup de temps à rencontrer des partenaires, pour essayer de développer une politique d’insertion cohérente.
Après concernant les travailleurs, deux missions bien distinctes : en milieu ouvert, où là c’est vraiment du suivi individuel, de la prise en charge de personnes, la vérification du respect des obligations et l’aide à l’insertion. Avec une particularité ici, je leur demande de faire beaucoup de rendus-comptes, car j’estime qu’on a une mission de service public. Et la deuxième mission, c’est donc en milieu fermé où là c’est de s’inscrire dans les différents champs de compétences qui sont la compétence directe, le pilotage, la participation, la coordination, les actions, et donc c’est le suivi individuel des personnes, la préparation à la sortie mais également participer à la vie en détention. Et mon analyse personnelle c’est que les travailleurs sociaux ne participent pas assez à la vie de la détention.

A.N. : C’est quoi « la vie de la détention » ? Ce sont les activités. C’est vrai qu’il y a des activités, mais souvent ce ne sont pas les travailleurs sociaux qui sont les moteurs.

A.N. : Mais j’ai l’impression que beaucoup n’ont pas envie d’aller à la maison d’arrêt. Qu’est-ce qui justifie ce « rejet » en quelque sorte du milieu fermé ? C’est une histoire, car avant 1999, il n’y avait pas de Spip mais le service était organisé en Comité de Probation et d’Assistance aux Libérés (ou CPAL) auprès du tribunal où là il y avait huit ou dix travailleurs sociaux qui ne faisaient que du milieu ouvert, et il y avait trois travailleurs qui étaient en permanence à la maison d’arrêt. Sur ces trois travailleurs sociaux deux sont partis :il y a Joël Jallet qui est détaché syndical, une autre qui est partie et il ne reste que Martine Vaidelauskas. Donc une personne qui avait l’habitude de travailleur en maison d’arrêt, et on a demandé aux autres de faire des permanences en maison d’arrêt, chose qu’ils n’avaient jamais faite et qu’ils n’avaient surtout pas envie de faire. C’est donc pour cela qu’ils y vont à reculons, parce qu’ils sont obligés et qu’ils ne s’investissent pas dans la vie de l’établissement. La vie de l’établissement pour moi, c’est la communication avec l’ensemble des personnels et puis c’est aussi la communication avec la personne détenue pas simplement lors de l’entretien individuel. La communication, elle passe aussi par des actions collectives, et ça, la majorité des Conseillers d’Insertion et de Probation d’ici ne l’a pas compris. Sinon, tu les verrais beaucoup plus dans la salle lorsqu’il y a des actions collectives. Parce qu’il y a des choses qui se vivent. Jeudi, lorsqu’il y a eu Jacques Secretin chez les femmes, il y a eu des choses très importantes qui se sont jouées, des rapports entre certaines détenues. Là on peut voir qu’il y a des détenues qui vont mal au sein du groupe, et là moi j’ai cette information parce que j’y étais mais ce qui est dommageable c’est qu’il n’y avait pas un seul travailleur social.

A.N. : Les détenus, une fois sortis de détention, sont-ils encore suivis par le Spip ? Cela dépend, s’ils ont une obligation. Ils sont suivis s’ils ont une peine ferme et un sursis et mise à l’épreuve. Par contre la personne qui prend un an ferme, le jour où elle sort, elle n’est plus suivie. Mais si elle veut, elle peut être reçue ici pendant six mois après sa sortie. C’est ce qu’on appelle l’aide aux probationnaires, aux passagers. Mais tous les détenus n’ont pas vocation à venir ici après leur sortie. Et il y en a qui préfère sortir à la fin de leur peine et non pas anticiper avec un aménagement de peine pour se dire « Terminé, après je ne vois plus la Justice ; je ne veux pas rendre des comptes ».

A.N. : En ce qui concerne la réinsertion professionnelle, et autre, est-ce que c’est à la demande du détenu qui va sortir ou bien c’est une proposition du Spip dans tous les cas ? Disons qu’on essaye d’orienter les personnes qu’on suit sur la plate-forme sociale où là on commence déjà à péparer la sortie. Ils rencontrent l’ANPE et là il y a un premier bilan qui est fait pour déjà commencer à préparer la sortie. C’est vraiment le détenu qui doit être acteur de sa réinsertion. Nous on ne propose pas mais on aide à l’insertion. Des fois je définis le service comme un service d’orientation et après notre rôle est limité. On a des contacts avec l’ANPE quand le détenu est sorti, afin de favoriser son insertion, mais rien d’autre. Après au niveau de l’insertion, là je pense qu’on sera meilleur en fin 2005-2006 avec ce que je suis en train de développer : les postes en chantier d’insertion qui vont être multipliés. Essayer de faire sortir le plus rapidement les détenus sur des postes d’insertion existant. Et ces postes-là nous manquaient ; on en avait zéro. Là, je pense que fin 2005 on en aura une quinzaine.

A.N. : Pourquoi y en avait-il aucun jusque là ? En fait le directeur du Spip définit les orientations de son service ; ce n’était peut-être pas une priorité pour mon prédécesseur, alors que maintenant conjugué à la mise en place de la loi Perben2, j’ai tenu à développer vraiment ce volet pour multiplier les aménagements de peine.

A.N. : Les objectifs fixés par un directeur de Spip c’est valable pour une période donnée ou seulement tant qu’il est en poste ? C’est valable sur un an. Le directeur du Spip a un entretien avec le directeur régional en décembre, donc là c’était décembre 2004, où j’ai présenté le bilan de ce que j’ai fait en 2004, par rapport aux objectifs atteints, non atteints, pourquoi, et fixe mes objectifs pour 2005. Et lui peut m’en fixer, ou me dire que les objectifs que j’ai fixés ne sont pas efficients et m’en fixer de nouveaux. Un échange assez constructif. Et après c’est acté, signé par le directeur du Spip et le directeur régional ; c’est ma feuille de route en fait pour l’année. Et je recommence en décembre de l’année d’après.

A.N. : Et en 2005, quels sont tes objectifs ? Le développement des postes d’aménagement de peine, c’est ce que je disais, donc je prospecte ; deuxièmement la signature d’une convention avec la Protection judiciaire de la jeunesse pour définir les modalités de leur intervention future à la maison d’arrêt ; après c’est la mise en place du chantier-école pour l’insonorisation de la salle polyvalente ; après c’est multiplier les possibilités d’expositions d’oeuvres ou de travaux réalisés par les détenus à l’extérieur ; donc là c’est pour cela qu’on travaille avec la MJC de Chenôve et qu’on va essayer de travailler avec la mairie de Dijon pour faire sortir les oeuvres. Et le dernier objectif, c’est évaluer la charge de travail des agents du Spip par l’intermédiaire de grilles que j’ai confectionnées. Donc là je vais avoir un premier bilan intermédiaire en juin pour voir un petit peu où j’en suis et après le bilan final en décembre 2005. Et ce bilan sert pour mon évaluation qui est faite par le directeur régional. Il peut baisser ma notation si je ne remplis pas mes objectifs.

A.N. : Et à quoi sert cette notation ? Ma notation est importante car elle me sert à gagner des mois pour changer d’échelon plus vite.

A.N. : En général, un directeur de Spip reste longtemps à la tête d’un service ou il change souvent ? En fait le directeur du Spip, c’est pas comme le directeur d’un centre pénitentiaire à qui on demande de changer tous les sept ans. Nous on peut rester à vie.

A.N. : Il y a des département où il y a des directeurs depuis longtemps ? Oui, et non, car comme les Spip ont été créés en 1999, les plus anciens ont donc six ans à peine. Mais il y en a qui n’ont pas envie de bouger, qui sont à dix ans de la retraite et qui resteront sur le même Spip ; c’est possible. Après ce qui était mauvais, c’est que dans la mise en place des Spip on a demandé souvent à des personnes qui étaient avant la réforme directeur de probation. Après ils sont devenus chef de projets pendant la réforme des Spip et ensuite ils sont devenus directeurs de Spip, et souvent ces gens-là avant d’être directeurs de probation ils avaient été Cip avant sur le même lieu. Donc on se retrouve actuellement avec des directeurs de Spip qui n’ont connu qu’un seul lieu de travail. Et pour moi c’est mauvais. On aurait du demander à l’époque la mobilité ; car après on se retrouve avec des directeurs de Spip à la tête d’équipes avec lesquelles ils ont bossé et ils ont été collègues avant ; ce qui n’est pas toujours bon en terme de management.

A.N. : Cet échelon départemental du Spip te paraît-il judicieux ou non ? Ca me paraît judicieux ; parce que cela permet de créer un interlocuteur unique pour l’Administration pénitentiaire en terme d’insertion, et une certaine reconnaissance. Maintenant on a notre place dans toutes les instances, on est membre de droit de certaines commissions (politique de la Ville, Ville Vie Vacances, etc. ) alors qu’avant on n’était pas reconnu. Donc souvent c’était le directeur de l’établissement qui était invité à ces instances-là. On est aujourd’hui vraiment reconnu comme
échelon départemental.

A.N. : Quel est le travail avec les chefs d’établissements pénitentiaires ? Le travail entre le Spip et la maison d’arrêt est formalisé par les engagements de services. En fait, ce n’est pas du donnant-donnant, mais presque. C’est de dire, « Moi directeur du Spip, voila mes moyens, voila ma problématique en terme de prise en charge milieu ouvert, prise en charge milieu fermé ; voila mes ressources. Voila ce que je peux proposer en terme d’interventions dans ton établissement ». Et il faut absolument que cela soit acté. Le problème, c’est que à 90 % des Spip, il n’y a pas d’engagements locaux de services. C’est vraiment de la discussion, pas formel. Moi j’ai rédigé mes engagements locaux de services, validés par le chef d’établissement ; ça ne veut pas dire que je ne discute pas, mais au moins cela permet d’acter et de formaliser les choses. De dire « Voila, je m’étais engagé à fournir une programmation culturelle ;je l’ai fait, tu t’étais engagé à fournir un surveillant, c’est un exemple, pour la salle polyvalente quand il y a une action. C’est fait ou ce n’est pas fait ». Et là on peut pointer si l’autre ne remplit pas ses engagements. Et c’est important.

A.N. : Dans ce cas, qu’est-ce que vient faire la culture au sein du Spip et quel rôle elle a au sein du service ? En fait, c’est encore une histoire de politique. Il y a tout de même une programmation culturelle à Dijon parce que moi j’y crois. Si demain je dis que la culture ne sert à rien, et qu’il vaut mieux faire du sport ou des activités occupationnelles, je peux. Ca c’est le libre-arbitre du directeur du Spip. Moi j’y crois car cela a des vertus socialisantes. Cela peut permettre au détenu de s’exprimer dans un groupe, de faire fonctionner son esprit créatif. Donc c’est pour cela qu’on met en place des activités. Toujours aussi dans l’esprit que les détenus puissent s’approprier quelque chose et puissent créer quelque chose de collectif. Ca c’est important aussi.

A.N. : Quel est pour toi le sens du développement de la culture en milieu ouvert ? En fait, ça c’est un peu un plus. Si l’on peut aider les gens à découvrir quelque chose qu’ils ne connaissent pas, c’est une certaine richesse qu’on leur apporte. Moi ça m’ennuie à la limite qu’il y ait des choses à Dijon en terme de culture, des possibilités culturelles, et que des personnes ne peuvent pas y accéder par méconnaissance, par manque de moyens financiers, ou autres. Donc si on peut être ce déclencheur, leur permettre de voir des spectacles ou pratiquer un atelier de pratique artistique, je pense qu’on doit le faire. Et déjà notre premier travail c’est de les informer de ce qu’il y a. Car un truc tout bête, une personne qui n’a pas de moyens, peut ne pas lire les journaux, ne pas avoir connaissance de ce qui se passe à Dijon. Quand on est dans une situation socialement faible, souvent on se replie sur soi et on ne pense pas à s’ouvrir vers l’extérieur. Donc là on va leur dire : « Voila ce qui se passe ; soit c’est gratuit, soit on vous aide, mais vous pouvez y aller, vous pouvez sortir ». Et la personne qui est en difficulté, ou autre, en perte d’emploi, le fait d’aller vers l’extérieur, vers les autres à travers une pratique, ça peut être intéressant. En terme de socialisation.

A.N. : Quel est pour toi le bilan de l’action culturelle à la maison d’arrêt ? Où aimerais-tu aller ? Je pense qu’il y a des choses qui émergent. Le fait d’avoir travaillé avec tous les intervenants en 2004 sur le thème de l’Afrique a été l’émergence de la notion de fédération entre les intervenants. Ils ont envie de travailler ensemble ; ça, on le sent. C’est pour cela que le bilan est positif sur cette action. Ce que j’aimerais vraiment, c’est que la culture soit reconnue comme projet d’établissement, vraiment. Là en 2005 il y a de petits projets, mais en 2006 il faut vraiment revenir sur la thématique, je pense, et avoir un projet global englobant de petits projets. Mais avoir une seule thématique. Et ce que je veux c’est qu’on continue à avoir des intervenants de qualité, comme l’Ecole des Beaux-Arts, ou autres, et les amener à venir travailler chez nous.
Leur dire : « Voila, vous pouvez vous exprimer avec ce public également qui est un avant tout un public d’individus et de citoyens ». Donc j’ai vraiment envie de sensibiliser les partenaires et opérateurs culturels pour leur dire de venir travailler avec notre public qu’ils retrouveront peut-être un jour dehors. Et ils ont une charte à respecter ; et j’essaierai de la faire respecter. Je me battrai pour cela. Et après le gros souci c’est la sensibilisation de nos partenaires financeurs afin qu’ils comprennent qu’il y a un sens à ce qu’on met en place en prison au niveau culturel, qu’ils s’y intéressent vraiment et non pas qu’ils disent autour d’une commission : « Tiens, la maison d’arrêt, on leur donne 1 500 euros », mais sans savoir ce qu’on va en faire. C’est pour cela qu’on les invite. Donc en fait c’est un peu ça que je veux mettre en place en 2005-2006, c’est vraiment communiquer, inviter, sensibiliser. Et pas seulement sur la culture.

A.N. : Quels partenaires culturels aimerais-tu particulièrement toucher et sensibiliser ? Oui... (rires). Le TDB. Le problème c’est qu’il fait avoir du temps ; il faut inviter les gens, aller les rencontrer, leur expliquer ; et c’est souvent ce temps qu’il manque. Après, c’est vrai qu’on ne peut pas renverser des montagnes non plus. S’ils ne veulent pas venir en prison, bah ils ne viennent pas. Mais c’est dommage, car je pense qu’ils pourraient apporter une certaine ouverture culturelle à la population pénale. Mais je pense que sinon la programmation actuelle est suffisamment diversifiée. Il nous manque en effet un espace de création autour du théâtre.

A.N. : Il n’y a jamais rien eu au niveau du théâtre ? Il y a simplement eu deux pièces en quatre ou cinq ans qui ont été jouées.

A.N. : Il n’y a pas eu d’atelier de pratique ? Non, non.

A.N. : Parce qu’il n’y a pas eu d’opportunité ou bien parce qu’il n’y a pas de public potentiel ? Je pense que à un moment où on avait questionné la population carcérale, elle n’était pas tellement favorable. Et puis également pas d’opportunité mais je pense que c’est avant tout le désir de la population pénale qui a été pris en compte. Cela ne les interesse pas trop le théâtre. S’exprimer devant les autres, souvent ils n’en sont pas là.

A.N. : Oui mais à l’inverse c’est aussi un outil pour arriver à cette prise de parole... C’est aussi pour cela que je ne désespère pas ; je pense qu’on va trouver quelque chose...

A.N. : C’est aussi un travail sur le corps le théâtre... et par exemple l’atelier cirque qui va avoir lieu cet été, il y aura du travail corporel. Si là il y a quelque chose qui fonctionne bien... Il n’y a pas que du théâtre institutionnel, avec du texte, mais le corps est très important aussi. Mais après c’est vrai que c’est également une orientation du groupe culture. Moi j’ai repris en cours depuis un an et demi, mais avant si les travailleurs sociaux qui font partie du groupe culture ne sont pas particulièrement « branchés » sur le théâtre, ils ne vont pas certainement pas impulser quelque chose dans ce sens là. C’est mon avis, même s’ils se défendent bien du contraire en disant qu’ils n’appliquent pas leurs pratiques culturelles sur la population pénale.

A.N. : Et dans ce cas-là, le groupe culture propose des choses et après c’est toi qui décides et t’occupes des financements, c’est ça ? Oui. Moi je m’assimile aussi au groupe culture donc je propose des choses. On reçoit des propositions extérieures et après moi je décide, je soumets à la maison d’arrêt pour qu’elle valide cette programmation et ensuite je cherche les financements.

A.N. : J’aimerais bien que tu me parles un petit peu des chargés de mission ; du chargé de mission au niveau du Centre régional du livre Bourgogne, de ce qui a été mis en place jusqu’à aujourd’hui. Bah ça c’est vraiment une histoire de personnes. Il aurait fallu plus cadrer
les choses, car là le chargé de mission recevait une subvention de la DRSP, mais après il n’avait pas de temps imparti à consacrer à l’Administration pénitentiaire. Donc en fait il gérait son temps un petit peu comme il l’entendait. Et comme il était sur d’autres missions par rapport au Centre régional du livre, c’est vrai que ses autres missions au Centre régional du livre lui prenaient plus de temps et il consacrait moins de temps à l’Administration pénitentiaire. Et en fait lui il était très « branché » sur le développement de la lecture et il était plus dans ce créneau-là, donc force de propositions pour des interventions d’écrivains qui étaient en résidence et sur le versant culturel propre, il n’a pas fait grand chose ou alors il a travaillé avec ses réseaux et là il a été influent sur Varennes-le-Grand parce qu’il connaissait la directrice de l’Arc, au Creusot. C’était son réseau, alors que le rôle du chargé de mission est de travailler avec le Spip pour la programmation et après de chercher des opérateurs culturels et des possibilités de financements. Donc cette recherche d’opérateurs et de possibilités de financements, on ne les a jamais eues. Pour moi il n’a pas rempli son rôle. En deux ans, sur Dijon, la seule chose qu’il a mise en place c’est autour de la lecture avec l’intervention de l’association La Voix des Mots en 2004. C’est un peu réducteur pour une subvention de 100 000 francs. Après se pose la question de si on doit avoir un chargé de mission. C’est vrai qu’en matière d’aide propre je pense que c’est important car eux ont connaissance des réseaux, ils ont une meilleure connaissance des opérateurs culturels. Mais je pense que la Pénitentiaire devrait être beaucoup plus regardante et exigeante, comme elle paye, sur ses temps d’intervention, son bilan et son action. Mais qui va le faire ? Il faut trouver quelqu’un à la DRSP qui s’en occupe et ce n’est pas simple. Mais après il y a des régions où cela se passe très très bien.

A.N. : Donc encore une fois c’est une question de personnes et de choix ? Oui. Mais c’est difficile le choix car normalement quand on recrute un chargé de mission la DRSP doit être présente. Il y a aussi la Drac. Mais après, qui à la DRSP va être compétent en terme de recrutement d’une personne qui est du domaine culturel pour donner son avis ? Là actuellement on n’est pas formé pour. Si on participe au nouveau recrutement du chargé de mission, peut-être qu’on va se planter aussi. Mais par contre ce qui sera important, et ça nous on sait faire, c’est le conventionnement très cadré. Et je pense qu’on ne va pas se faire avoir deux fois.

A.N. : Car là il n’y avait pas de conventionnement ? Il y a du avoir quelque chose au départ mais c’est quelque chose qu’il faut revoir tous les ans. Il faut une évaluation de son action sur une convention annuelle avec des objectifs. C’est ça qui nous a manqué.

A.N. : Et le rôle de la Drac dans tout cela ? Pour moi la Drac cela doit être un relais. Comme nous on n’a pas la connaissance de tous les réseaux. Si moi je veux monter un projet de film en détention, je ne sais pas à qui faire appel, donc je pense que c’est à la Drac de nous donner des noms. Le rôle du Drac serait quand même d’investir ce public qui est enfermé alors qu’elle est quand même investie sur le monde extérieur, sur la ville. Donc elle devrait également être force de propositions par rapport à notre public empêché au même titre que les hôpitaux et s’investir un peu plus, car elle se désinvestit en ne venant pas, en se « foutant » de ce qui se fait en détention. Je pense qu’elle devrait avoir un investissement un peu plus fort en termes financiers. Parce que donner 2 000 euros par an, c’est peut-être déjà pas mal, mais c’est aussi se foutre un peu de nous, car quand on sait qu’une programmation pour d’autres actions peut coûter entre 50 000 et 60 000 euros. Donc là encore, c’est une histoire de personnes, mais je pense que constamment la Pénitentiaire doit rappeller, sans cesse, à la Drac qu’une convention a été signée et cela n’est pas simple. Avec le jeu des personnes, le Drac qui s’en va, le directeur régional qui s’en va, on oublie les conventions et ce qui a été dit avant.

A.N. : Est-ce que tu peux me rappeler les possibilités de financements ? Deux possibilités pour nous : soit on utilise notre budget à la maison d’arrêt qui me délègue un certain budget par an ; et j’en fais ce que je veux. Ce budget est calculé sur le nombre de jours de détention par détenu de l’année précédente. Donc plus on a de détenus et plus mon budget sera en augmentation. Le budget pour 2005 était de 10 000 euros. Mais je ne peux pas payer exclusivement payer des actions pour la culture ; c’est aussi le sport, l’insertion, etc. C’est le titre 3. Après, c’est le titre 4, réservé aux subventions. L’association qui sera porteuse du projet ou l’association socioculturelle de la maison d’arrêt fait une demande à la DRSP, sur ce titre là. Ce qui nous permet de subventionner une bonne partie des actions.

A.N. : Et le reste ? On voit avec la structure porteuse pour essayer de diversifier les demandes de subventions (Drac, Fasild, Préfecture, Ville Vie Vacances, Comadi, etc). Moi j’ai également un rôle de conseil. J’ai un peu un rôle d’orientation. Et sur cette année, il nous manque encore pas mal d’argent pour boucler les actions. Donc comment je vais faire ? Je sais pas. Car il y a eu moins de rentrées qu’escomptées. Après je pense que je vais me retourner vers la DRSP pour resolliciter une aide, mais sinon je pense qu’on terminera les actions plus tôt que prévu.

Entretien avec Stéphane Lafoy, intervenant culturel à la maison
d’arrêt de Dijon. Vendredi 17 juin 2005.
Stéphane Lafoy, artiste vidéaste, anime depuis trois ans l’atelier vidéo au quartier mineurs de la maison d’arrêt de Dijon ainsi que l’atelier musique chez les hommes.

A.N. : Pour commencer, pouvez-vous ma parler de votre parcours professionnel et de ce que vous faites ? On va commencer par le bac alors. J’ai fait un bac B, c’est-à-dire économique et social. Après je suis allé à la fac où j’ai fait des Langues étrangères appliquées, puis des Langues et civilisations étrangères, en anglais, et puis je ne savais pas trop ce que je voulais faire ; en tout cas pas prof d’anglais. A la base je me préparais aux STAPS, mais je n’ai pas pu le faire à cause d’un problème de dos. Bref ! J’étais plutôt tourné vers le sport, l’animation. A l’époque j’ai fait pas mal de colos, de camps avec des enfants ; et je me suis retrouvé en fin d’année à ne pas savoir ce que je voulais faire. Donc j’ai fait mon armée ; où j’ai été objecteur. J’ai trouvé objection à l’Union Départementale des MJC qui a un circuit itinérant. J’étais donc projectionniste itinérant et c’est là que j’ai découvert la pellicule et petit à petit je suis tombé amoureux de la pellicule. Pendant que les films passaient je commençais à faire de petits essais d’animation. Avant je finançais mes études en faisant de petites figurines en terre, donc logiquement je me suis mis à animer mes petits personnages en terre, j’ai acheté une caméra super 8. J’ai commencé comme cela. Puis je me suis lancé pendant deux ans sur un gros projet ; d’ailleurs je ne m’attendais pas à passer deux ans pour un film en volume de dix minutes. Donc je me suis accroché et je travaillais en plus de mon boulot. Quant aux premiers ateliers que j’ai faits... En fait je faisais déjà cela pour les enfants d’amis, de manière privée, ou en week-end où je les faisais travailler un peu l’animation. Puis j’ai commencé à l’IUFM à former des instituteurs pour ce qui existaient à l’époque :les classes APAC. J’ai fait une première classe APAC à Talant, avec du vieux matériel. Ensuite j’ai quitté mon travail d’opérateur projectionniste pour me mettre à mon compte et à développer seul les ateliers, faire les films, etc. Et comment je suis arrivé à travaillé à la prison ? C’est via la Fédération des oeuvres laïques qui eux avaient envie de remettre en place l’activité vidéo qui était arrêtée depuis deux ans je crois. Ils cherchaient les moyens de remettre cela en place dans le quartier mineur et donc moi je me suis présenté. C’est intéressant de faire de l’animation avec les mineurs qui n’ont pas le droit de montrer leur visage en vidéo ; car je ne voulais pas faire quelque chose où les détenus ne peuvent pas s’exprimer. L’animation est tombée au poil car ils sont cachés derrière des marionnettes et peuvent déjà s’exprimer un peu plus qu’en se montrant réellement et cela permet de faire sortir le film. Donc un premier film a été fait, avec les moyens du bord, des papiers découpés aimantés sur un tableau Véleda et des décors au feutre. L’année dernière j’ai fait venir Emile Saulac qui était l’animateur de Chapi Chapo. Il a amené ses décors, a présenté ses films et cela a donné envie justement aux détenus de travailler en volume. Alors que c’est un peu plus dur à mettre en place, puisque déjà on n’a pas le droit à la pâte à modeler en prison, donc on s’est débrouillé avec de la mousse, du fil de fer pour les armatures. On a fait des personnages. Cela a pas mal marché. Les femmes ont fait les costumes...

A.N. : Le film, c’est « Un gnawa à Dijon », c’est cela ? Oui, c’est cela. On l’a terminé un peu tard, je suis resté un peu plus longtemps que prévu car on voulait le terminer en septembre/octobre pour le présenter à Fenêtres sur Courts, le festival de courts-métrages de l’Eldorado. Mais on n’a pas eu le temps de le terminer. On a mis un an pour faire un film de quatre minutes, c’est une belle performance. Je vais le présenter plus tard, en novembre donc à Fenêtres sur Courts et j’ai bien envie de le présenter aussi à Auch, qui est les prémices d’Annecy qui lui est le Cannes du court-métrage. C’est un festival qui a aussi une ouverture sur les films d’ateliers puisqu’il y a une compétition de films d’ateliers. Je vais essayer de voir s’il est possible de faire une sortie avec éventuellement des détenus.

A.N. : C’est quand le festival d’Auch ? En avril.

A.N. : Donc cela fait trois ans que vous animez un atelier à la maison d’arrêt ? Oui, deux ans et demi.

A.N. : L’atelier s’étend sur combien de mois ? Au début, c’était sur six mois, d’avril à octobre. L’an dernier j’ai essayé d’étaler un peu plus afin de terminer le film. Donc jusqu’en décembre. Cette année il y a une quarantaine de séances qui seront plus étalées sur l’année afin qu’il n’y ait pas de coupure. C est important qu’il y ait une continuité même si je ne viens pas toutes les semaines. J’essaye de gérer l’atelier sous forme de phases, avec de petites coupures, en espérant qu’ils travaillent un peu cellule ou du moins qu’ils réfléchissent à ce qu’on a fait, etc. Normalement l’atelier c’est une fois par semaine, mais il y a des coupures car je travaille aussi à l’extérieur quand je trouve des contrats ailleurs, dans d’autres régions ou même à l’étranger. Donc j’essaye d’organiser les séances en fonction. D’abord l’écriture, puis on va réfléchir sur la musique, et puis on va voir comment le projet évolue un peu.

A.N. : Comment est perçue justement cette irrégularité par les jeunes ? Est-ce qu’entre temps ils « travaillent » un peu tout seuls dans leur cellule ou non ? Non, je ne crois pas. C’est justement difficile de les faire arriver à ce que cela ne soit pas un travail. Surtout au début, le travail d’écriture, de story-board, c’est le plus dur car il n’y a pas grand chose de concret. C’est pour cela que régulièrement je leur fais faire des essais. Il y a des séances où l’on s’amuse à faire de l’animation, à faire ce que l’on appelle de la pixellation, c’est-à-dire image par image. On fait même des dessins-animés tout bêtes sur le Véléda. Il faut les remotiver, car s’ils n’ont pas quelque chose de concret devant les yeux ils n’arrivent pas à prendre plaisir à l’animation. Je mets beaucoup l’accent sur la pratique car c’est quand ils auront fait des essais et qu’ils auront vu par eux-même que le petit oiseau qu’ils ont dessiné s’anime, et bah là il y a un déclic. Avec les ados, et surtout dans ce milieu, il faut travailler sur du concret. Ils mettent aussi un point d’honneur sur le réalisme ; car à chaque film ils se présentent derrière un héros, derrière une histoire, et il faut que cela leur ressemble. Il ne faut pas que cela soit quelque chose de « gnangnan » ou quelque chose qui soit à l’opposé, à l’extrême. Ils mettent parfois un point d’honneur sur des détails. Par exemple, dans le « Gnawa à Dijon », on voit la mer et un bateau dessus. Et les jeunes trouvaient que le bateau était trop grand, et qu’une barque comme cela elle coule dans l’océan. Ils ont du mal à comprendre que c’est un film d’animation et qu’on s’en fout un peu si la barque peut couler. On dit qu’elle ne coulera pas et voilà. Mais non, ils ont du mal à accepter cela. C’est parfois assez étonnant et à la fois intéressant.

A.N. : Comment cela se passe concrètement un atelier ? Est-ce que les jeunes « tournent » beaucoup ? Cela dépend des périodes. On est tributaire de cela en fait. Il y a des périodes où il y a vraiment un grand turn-over. Après cela dépend aussi des jeunes qui sont là. Parfois il y a plein de détenus qui n’ont pas envie de bosser, et cela entraîne les autres. Ce qui est important ce sont les relations de groupe. C’est bien quand il y a un caïd qui est un peu plus posé et on arrive mieux à travailler car j’ai quelqu’un à qui me raccrocher pour le travail. Si on arrive à l’intéresser, tous les autres vont suivre. Quand le caïd n’est pas là à une autre séance, on le sent. C’est plus dur. On est tributaire des gens qu’on a en face de nous, mais en même temps ce sont des jeunes, c’est un travail d’éducateur.

A.N. : C’est un groupe de combien d’adolescents ? Là ils sont douze mais le problème c’est que le mardi après-midi est le jour des prétoires, donc souvent soit on les appelle soit on me dit que untel et untel sont au prétoire. De manière générale on est quatre, cinq ; parfois j’en ai que deux...

A.N. : C’est difficile à gérer tout cela ? Je commence à avoir l’habitude, je connais les surveillants et certains gamins je les connais bien aussi car cela fait trois ans que je viens, et eux reviennent. Il y a des périodes où les groupes se reforment, où des nouveaux arrivent et apportent une nouvelle dynamique. Du coup le projet évolue tout le temps.

A.N. : Cette année, quel est le projet ? J’ai décidé de les faire travailler un peu plus sur le texte, ou du moins sur leur culture. Je leur amène à chaque fois trois CD de musique, des choses éclectiques : du rap, de l’électro, du reggae, de la chanson française, etc. Et cela fait souvent discussion par rapport à ce que j’amène. J’amène aussi du rap français, ce qu’ils écoutent, et je mets l’accent sur le fait qu’ils n’écoutent que Booba et Sniper, ce sont deux groupes de rap français, et quand je leur amène du rap américain ils trouvent cela mauvais. Souvent parce qu’ils ne comprennent pas les paroles. En ce moment ils accrochent à fond sur Renaud, voilà. J’étais étonné mais je les laisse faire. On travaille sur l’écriture, sur l’argot. J’essaye de les faire réfléchir ; donc il y a eu quelques séances où j’ai amené des textes de Sniper, de Booba. Je leur donne mon idée des textes et on voit comment eux comprennent les textes, et un peu aussi pour décortiquer des textes que eux-mêmes écrivent en cellule. Ils ont tendance dans ces textes qu’ils écrivent à utiliser de la rime et donc des mots qu’ils ne connaissent pas mais simplement pour la rime. Faire un travail sur le sens des mots ; lui dire : « Là, je suis sûr que tu as voulu dire le contraire de ce que tu as marqué ». Essayer de leur faire comprendre que certains textes de rap sont tendancieux ; j’essaye de leur faire mettre l’accent dessus. Pareil, au niveau de leur culture cinématographique, le film culte pour eux c’est « Scarface » avec Tony Montana. Pour eux, c’est LE film. Je vais venir un jour leur projeter afin qu’on ait une discussion sur le film, car il est intéressant. C’est l’histoire d’un gars de la mafia, un voyou. Cela reflète justement leur rapport à l’argent qui est complexe. Parfois ils sont contradictoires. Je ne cherche pas à changer en quelques séances leur mentalité, mais on peut les amener à une réflexion sur l’argent, les apparences, entre autre. Justement dans les clips de rap que je leur ai amenés, on a travaillé sur l’image, sur le clip en lui-même. Je leur ai amené des clips de ce que j’appelle le « rap crâneur », où il y a le chanteur et des filles aux gros seins derrière qui se trémoussent. On a réfléchi sur l’intérêt de l’image par rapport aux textes qui n’ont rien à voir, qui sont très violents. Qu’est-ce que cela amène les blondes qui se trémoussent derrière ? Qu’est-ce que artistiquement cela veut dire ? Je leur ai amené des textes plus légers, comme le clip du « Mia ». C’est autre chose, c’est superbe. Leur montrer que malgré un texte plus léger ici, eh bien il passe bien plus de choses que le clip « crâneur ». Les quelques idées fortes du « Mia » passent alors beaucoup plus efficacement qu’un texte très violent avec une image complètement décalée derrière. C’est aussi faire un travail sur leur culture télévisuelle, sur ce qu’ils regardent et les amener à une réflexion pour parvenir à une création. Donc on reste beaucoup dans la discussion et j’ai du mal paradoxalement en ce moment à les lancer sur l’écriture d’un texte de rap qui fait partie justement de leur culture mais en leur demandant de faire un peu différemment. Ce que je leur demande, ou plutôt propose, c’est d’écrire un texte qui ne soit pas compris uniquement par des gars de chez toi mais aussi par ceux qui habitent le centre de Dijon, ou Paris, ou aux États-Unis, etc. J’ai envie de leur faire écrire un refrain anglais, un peu d’arabe aussi, voilà intégrer cela à leur culture. J’aimerais bien aussi les faire travailler avec les filles ; certaines écrivent de très beaux textes. Je pense que la présence féminine est très importante, même si elle n’est pas là avec eux. Au début je travaillais avec une collègue, et je sentais vraiment la différence. Il y a le côté maternel qui est là ; ce que moi je ne peux pas faire avec des ados, c’est plutôt un rapport de force, même si on n’est pas en bleu on reste un adulte qui est là pour emmerder, etc, etc. Quand il y a une femme, cela change tout ; l’ambiance est complètement différente.

A.N. : Ce travail de réflexion sur l’image, la télévision, cela les intéresse bien ? J’imagine que des choses riches doivent en sortir, non ? Cela dépend des fois... J’ai fait de l’analyse filmique avec eux sur « Bruce Lee », quelque chose qui fait partie de leur culture. Je les ai fait travailler sur la scène finale, celle du dragon. Je les ai laissés analyser eux-mêmes et il en est ressorti plein de choses. Ils ont trouvé tout ce qu’il y avait dedans, tant sur le plan technique que celui du sens ou des différents personnages. Ils ont ressorti les termes de base du cinéma. J’essaye souvent de leur transmettre les notions de base et de leur faire utiliser par eux-mêmes pour qu’ils montrent et apprennent aux autres.

A.N. : Qu’est-ce qui vous paraît différent d’un atelier que vous pouvez animer à l’extérieur ? Qu’est-ce qui vous paraît contraignant ? Ce qui est le plus contraignant, c’est qu’ils ne sont pas volontaires. Ils ne viennent pas là pour faire un film d’animation, cela leur est imposé. Cela change beaucoup de choses dans les rapports. Si je faisais la même chose chez les majeurs, les gens seraient forcément motivés puisqu’ils s’inscrivent, qu’il y a des listes d’attente. Là ce sont des ados qui sont en prison, souvent en attende d’un jugement ; donc ils ont l’esprit occupé, il y a parfois des bagarres entre certains jeunes. Voilà. C’est beaucoup plus complexe. Avant de pouvoir faire de la vidéo, il faut être déjà éducateur, discuter. Souvent une séance est longue à partir car les jeunes ne se sont pas vus depuis une semaine, ils échangent sur leur affaire. Quelques fois on ne fait pas du tout de vidéo ; cela reste purement de la discussion, ce qui fait aussi avancer le projet. Quand des nouveaux arrivent je garde toujours les autres films réalisés pour leur montrer. Et je suis content quand ce sont les jeunes qui prennent l’initiative de leur montrer. Ils sont fiers de ce qui a été fait, même si ce n’est pas eux directement. Des fois, ceux qui voient pour la première fois le « Gnawa » disent : « C’est quoi ce cas soc’ ? ! ». Je leur réponds : « Mais cela veut dire quoi un cas social ? Tu crois que tu n’en es pas un, de cas social ? ». Il y a des sujets de réflexion plus délicats, comme la religion. Mais dans ce cas j’essaye de couper court rapidement, car cela peut dégénérer très vite, au même titre que les discussions sur les drogues. On se rend compte que pour certains ils connaissent très peu ce qu’ils vendent. Des fois je leur fait donc un cours de biologie et leur explique comment cela se passe, avec les synapses, etc. J’aimerais bien justement qu’ils écrivent sur la drogue, car ils ont un certain détachement par rapport à cela. Pour eux, être dealer de shit c’est normal. Leur apprendre un peu les responsabilités ; quand tu vends de la drogue ce n’est pas anodin. Quelque part on est meurtrier quand on agit comme cela. Ils ont du mal à admettre cela. Je pense qu’il y en a plein qui réfléchissent à ces choses mais je m’aperçois qu’ils ne savent souvent pas l’importance de l’ecstasy ; cela fait partie de leur culture. On essaye aussi d’avoir une réflexion sur l’argent mais leur rapport à l’argent est à la fois simple et très compliqué. Ce qui est difficile avec eux, là où on arrive à bloquer, c’est que ces réflexions, sur la société, etc, c’est qu’une partie de leur colère est légitime. C’est difficile de leur faire comprendre que le premier pas c’est à deux de le faire, et non à la société qui ne le fera pas. Il fait se bouger pour se faire accepter dans la société.

A.N. : Finalement, il y a avant tout un grand rôle éducatif avec ces jeunes ? J’imagine que ce cadre est plus important pour les mineurs que pour les majeurs, non ? C’est un rapport difficile avec les ados. Il faut arriver à être le copain pour arriver à discuter, pour qu’ils se lâchent et parlent un peu, et en même temps il faut arriver à donner les normes, les directives. Il y a des limites, et comme tous les ados, qu’ils soient dehors ou ici, il faut négocier et toujours rattraper ce qui a dérapé éventuellement. Tandis que les adultes, même si certains sont de jeunes adultes, ce sont avant tout des volontaires pour l’activité. Le volontariat change tout. Pour les mineurs, c’est obligatoire dans le sens où s’ils refusent d’aller à l’atelier ils restent en cellule et n’ont pas la télévision. Quelques fois cela fonctionne pour certains. Il reste une séance en cellule, deux séances, puis il revient. Il se met dans le fond, ne fait rien, parle un petit peu. On arrive à lui faire lever les fesses pour lui faire faire un petit essai, lui faire dessiner un truc ou écrire deux, trois phrases. C’est une évolution ; forcément c’est très lent. Il y a un énorme travail éducatif. Mais selon les gens qu’on a en face de soi, selon leur origine, pourquoi ils sont là, tout change. Sur certains points, ils peuvent être très adultes et à 17 ans avoir déjà roulé leur bosse, et pas en bien. Ils ont souvent vu des choses atroces. Je ne suis pas là pour leur faire la morale, mais travailler sur la confiance. Je travaille beaucoup sur cette notion. Pour eux appartenir à un groupe est vital. C’est pourquoi ils sont si attentifs aux marques de confiance en général. La dernière fois j’en ai repris un qui avait fait une réflexion a propos de l’aumônier. A Noël, on fait une petite bouffe avec eux et l’aumônier leur apporte un petit cadeau - un CD ou une BD - et il amène à boire. Il a un petit budget, il craque tout dans les cadeaux déjà, donc il a amené du coca mais pas du « vrai » Coca Cola. Et il y a eu la réflexion : « Ouais, il offre quelque chose, c’est même pas du vrai coca... ! ». Après je l’ai pris avec les autres, et lui ai dit : « Attends, mais tu te prends pour qui ? Tu te permets de critiquer parce que c’est pas du vrai coca, mais cela veut dire quoi ? » Et il ne comprenait pas. Il faut que le cadeau soit « class » , du tape-à-l’oeil. Cela a amorcé une réflexion très intéressante. Nous sommes tous sortis de la salle un peu énervé mais c’était positif. Des fois c’est nécessaire de leur rentrer dedans. Il y a des choses que je ne peux pas laisser passer, et ce d’autant plus que d’autres jeunes ont été choqués par cette réflexion. On avance donc à petits pas. Mais ce rôle d’éducateur est nécessaire, sinon on se laisse envahir et c’est le bordel monstre. Et c’est dur à rattraper ensuite. Moi aussi j’apprends petit à petit comment être avec eux. Même si parfois ils rentrent en cellule énervés et qu’on n’a pas concrètement avancé, et bah tant pis, il fallait discuter de tout cela et pas laisser passer.

A.N. : Cela doit être des séances denses et épuisantes pour vous aussi, non ? Je sors complètement vidé. Quelques fois il me faut une petite pause ; je fume une cigarette avec les surveillants, je bois un café, car trois heures d’affilées c’est pas possible ! Il faut avoir les yeux de partout, il faut revenir ; un gros travail de réflexion et tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de parler, parfois il faut savoir réagir tout de suite sinon c’est trop tard. Je suis tout le temps sur le qui-vive, tout comme eux. C’est une énergie folle. Une heure et demie, c’est long aussi pour eux. Ce sont des gosses et au bout d’une demi-heure, ils saturent. C’est normal aussi, car ils sont enfermés. C’est un exutoire. Il y a des moments où ils s’amusent et d’autres sérieux. C’est pourquoi maintenant j’aimerais avoir une formation vraiment sociale, du moins techniquement. Je lis beaucoup de choses tout seul.

A.N. : Vous êtes intervenu la première fois à la maison d’arrêt à la demande de la Fédération des OEuvres Laïques ou vous aviez vous envie de rencontrer ce milieu ? Je travaillais sur le Festival Primer Plano et on est déjà intervenu en détention. Je suis allé à Varennes-Le-Grand et à Dijon. On projetait des films. C’était un milieu qui m’intéressait. J’avais envie au moins d’essayer. C’est un travail prenant, même si ce n’est que trois heures par semaine. Parfois j’y pense toute la semaine, je me demande comment travailler, si cela va bien se passer ; pourquoi cela ne s’est
pas bien passé, etc. Et puis on s’y attache à ses gosses, on s’intéresse à leurs « affaires », à leurs études. C’est un travail prenant et intéressant. Mais c’est un travail de longue haleine, avec plein d’autres adultes. C’est un milieu touchant. On n’est pas le même quand on rentre chez soi après trois heures passées avec eux. Ils nous apportent autant, eux, que vous pouvez leur apporter.

A.N. : Au quartier hommes, comment se passe l’atelier de guitare ? C’est complètement différent. C’est un atelier très demandé. Ils sont nombreux à être inscrits sur liste d’attente. J’en ai cinq, ce qui est déjà pas mal. Ce qui est difficile, c’est que j’ai différents niveaux. Il y en a deux qui se débrouillent très bien et qui peuvent s’éclater, et les autres sont débutants et galèrent pour apprendre leurs accords. Ces différents niveaux sont un peu difficile à gérer. Le problème vient aussi du matériel qui commence à être vétuste. Il n’y a plus une guitare qui a toutes ses cordes. Le problème aussi en maison d’arrêt, c’est que les détenus ne peuvent avoir une guitare en cellule. Alors qu’on a le droit en Centrale. L’argument qu’on me donne, c’est qu’ils vont faire du bruit la nuit. C’est un faux argument pour moi car ils feront plus de bruit avec leur télé ou leur poste. Alors je ne sais pas trop pourquoi ; c’est peut-être les cordes aussi.

A.N. : Apparemment, cela dépend d’une maison d’arrêt à l’autre. Il y a des chefs d’établissement qui permettent et d’autres non. Il n’y a pas de vraie explication à donner. Je reviens régulièrement à la charge, auprès de monsieur Machecourt, parce qu’ils n’arrivent pas à avancer ainsi, en ne travaillant que deux heures pas semaine. Et puis moi je leur fait confiance, je sais que s’ils ont une guitare ils n’en joueront pas la nuit, qu’ils ne vont pas casser la guitare ou se pendre avec une corde. Je pense justement que ce serait un moyen de socialisation ; moi je crois beaucoup en la confiance et après avoir un système de location, ce qui serait d’autant plus intéressant pour l’atelier puisque du matériel pourrait être acheté avec ce prix même symbolique de location. Responsabiliser les participants serait capital. Ce qui est difficile aussi c’est le turnover des participants. C’est difficile de mettre en place un concert alors je vais mettre l’accent sur l’enregistrement je crois. Au quartier mineur il y a une table de mixage qui ne sert à rien ; on pourrait l’utiliser. On va essayer de trouver un budget, même à l’extérieur, pour acheter un mini-disc, un petit enregistreur, un sondar, et travailler sur l’enregistrement en studio. Et pourquoi pas faire un CD et le faire tourner dans les prisons. C’est intéressant de faire un travail avec tous les participants et qu’il y ait entraide et apprentissage entre eux. C’est intéressant de faire des fusions aussi. Il y en a deux qui chantent et écrivent du rap ; un autre qui est plus rocker. Et même celui qui ne sait jouer que deux notes, pas très justes et pas très en rythme et bien il peut s’amuser et prendre plaisir comme les autres. Et il peut participer à quelque chose de commun. C’est important pour la confiance en soi. Peut-être que pour faire évoluer l’atelier il faudrait faire deux groupes vraiment : deux heures avec les débutants et deux heures avec les « confirmés ».
Mais je suis quelqu’un de patient et je reviens régulièrement à la charge en ce qui concerne les guitares. Et en même temps, c’est un milieu où il faut être patient et où on n’obtient rien si l’on ne demande pas et bouge pas. Voila

A.N. : Pour conclure, quel regard portez-vous en général sur l’action culturelle en milieu pénitentiaire ? Je vais être très pessimiste, mais en trois ans d’intervention, je vois que que cela régresse, non pas en terme de qualité, mais c’est que l’on voit les budgets divisés par deux et une politique de plus en plus axée sur la répression. Il n’y plus trop d’activités chez les mineurs, alors qu’il faudrait que tous les jours ils soient dans une activité différente. C’est de plus en plus difficile et cela va l’être de plus en plus malheureusement.

Entretien avec Isabelle Ménétrié, intervenante culturelle à la maison d’arrêt de Dijon. Mardi 28 juin 2005.
Isabelle Ménétrié anime depuis le mois de mai un atelier hebdomadaire d’arts plastiques, au quartier hommes de la maison d’arrêt de Dijon. C’est un atelier qui va se dérouler sur au minimum dix mois, et qui aboutira à la réalisation d’une fresque sur les murs qui mènent à la cour de promenade.
A.N. : Dans un premier temps, pouvez-vous me parler de vous, de votre parcours personnel et de comment vous êtes arrivée à animer un atelier fresque en détention ? Alors mon parcours c’est l’école des Beaux-Arts à Besançon, deux ans, en préparation, puis je suis allée à Paris et très rapidement j’ai choisi la sculpture comme restitution, et puis j’ai dessiné, j’ai sculpté, etc. J’ai un trajet un peu chaotique car ce n’est jamais facile de se faire une place en tant qu’artiste, donc mon parcours à Paris à été de toutes sortes une fois sortie de l’École. Ensuite je suis venue en Bourgogne, j’ai travaillé pendant six ans dans une société de restauration d’objets d’art, pour gagner ma vie, et parallèlement à mon travail j’ai eu des sollicitations pour donner des cours de sculpture à des enfants en centres de loisirs. Donc c’est comme cela que j’ai commencé à mettre un pied dans la pratique d’ateliers. Et puis à travers cela j’ai eu une réflexion assez poussée, car cela m’interpellait la façon dont le public pouvait absorber ce que je proposais, et cela a amené beaucoup de sollicitations de la part de l’Éducation nationale, et j’ai poursuivi de façon un peu chaotique aussi des interventions régulières dans des milieux différents, avec enfants, adolescents et adultes. Parallèlement j’ai mené mon travail d’artiste dirigé sur le design ; cela fait presque dix ans maintenant que j’ai un statut de profession libérale qui me permet d’exploiter autant mon travail personnel que ces possibilités d’intervenir dans différents milieux. Donc mon travail personnel en tant qu’artiste il est fait d’un tas d’apports extérieurs et oscille entre la sculpture, le design mais également ce rapport que j’ai avec les autres au travers de mon enseignement. Pour l’instant je n’arrive pas assez à le rassembler et à le rendre cohérent, et il plus fort au
niveau de mes interventions que mon travail personnel mais je voudrais aussi qu’à partir de mes interventions arrive ma démarche d’artiste. Je crois que la prison m’aide beaucoup à envisager cela. D’intervenir dans ce milieu-là est très interpellant pour un artiste ; pour d’autres aussi, mais du fait de notre questionnement un peu perpétuel sur l’état des choses, sur la réalité, être dans ce milieu condense beaucoup de questionnements et j’aimerais bien pouvoir le mettre en marche aussi pour mon travail personnel. Alors j’écris aussi beaucoup en parallèle à ces démarches plus manuelles. Mon travail personnel, il est en recherche, et surtout au niveau de la forme.

A.N. : Qu’est-ce qu’un designer ? Je n’ai pas fait des études de designer car il faut avoir fait du dessin industriel, etc, alors que je suis plutôt issue des Beaux-Arts, c’est chercher à créer des formes par rapport à des objets usuels ; c’est un questionnement qui aujourd’hui est de plus en
plus proche d’un travail d’artiste. J’aimerais bien trouver une place qui puisse trouver l’articulation entre l’objet dit usuel, qui est malgré tout une forme qui peut être issue d’une idée, et une oeuvre d’art. C’est cette restitution là. J’aimerais bien arriver à faire joindre ces deux accès autour de ce questionnement de la forme et de l’individu. Ce qui m’intéresse, c’est l’individu en lien avec son environnement. Donc qu’il soit en lien avec ces objets quotidiens, obligatoires, ou qu’ils soient en lien avec un environnement plus vaste, comme la rue, ou autre. Bref, tout contact de l’individu avec ce qui est extérieur à lui. C’est ça qui m’interpelle. Donc c’est pour cela que ce qui se passe à la prison est enrichissant.

A.N. : Comment en êtes-vous venue à la prison ? On m’a sollicitée en fait. C’est par l’Ecole nationale des Beaux-Arts de Dijon, puisque je travaille un peu en partenariat sur différentes institutions avec eux. C’est venu par une prof des Beaux-Arts ; c’est elle qu’on avait sollicitée. Elle était en lien apparemment avec Monsieur Dominique Mans, du Centre régional du livre. C’est lui qui a fait la demande ; il l’a sollicitée elle et je l’ai rencontrée peu de temps après. Elle avait pensé à moi. C’est comme cela que c’est venu jusqu’à moi. Et d’emblée j’ai dit oui. Je n’avais jamais fait cela mais avec les expériences que j’avais eues avec d’autres interventions, dans d’autres milieux ; tout cela me semblait possible d’intervenir et d’agir là. La démarche que je propose aux détenus et que je propose dans tous les autres ateliers convient bien à ce genre de public je pense. Parce que je les mets en possibilité de restituer quelque chose par le biais d’un questionnement. Donc cela approche leur individualité avant tout et je pense que cela les touche beaucoup et c’est cela qui permet cet l’investissement. Je n’arrive pas avec quelque chose à réaliser ; ce ne sont pas des exécutants. Bien que j’influe et que je soumets mes propres idées, mais qui sont un va-et-vient entre les leurs et les miennes. Partout où j’interviens... Je vous l’avais dit, parallèlement à la prison j’intervenais aux relais de la petite enfance, donc j’étais avec de tout petits enfants, leurs nounous. Au niveau du questionnement sur l’être humain, ces deux interventions en parallèle étaient très fortes ! Dans les relais, j’ai proposé la même démarche. Parce que le cahier des charges était assez flou ; il y a eu beaucoup de court-circuitages par des demandes qui ont été différentes au fur et à mesure. Mais pour moi c’était évident qu’à des enfants de zéro à trois ans, je n’allais pas demander une restitution, etc. Cela paraît évident, comme cela, mais c’est malgré tout un désir qui reste. Et c’est pas là l’intérêt. Par contre il y a une autre démarche à proposer où l’on s’éloigne de l’idée du résultat par exemple. Et puis j’ai aussi beaucoup travaillé avec les assistantes maternelles elles-mêmes. Et j’ai eu quasiment plus de mal avec elles qu’avec les détenus. Je leur disais justement ce matin. Car je leur renvoie beaucoup ce qui m’est donné à voir par leur travail. J’ai montré leurs dessins au directeur des Beaux-Arts pour qu’il donne son avis. Et ils étaient surpris par ces retours. Mais je ne les leurre pas. Ce que je considère beaucoup c’est ce qui est proposé dans leurs idées et surtout leur réceptivité. Et je leur faisais part que cette réceptivité n’était pas si évidente. Et que je ne l’avais pas trouvée forcément aussi facilement dans d’autres lieux où j’interviens. C’est peut-être du fait de leur présence ici. On en a parlé et ils saisissent bien ce que je veux dire, et ils saisissent bien l’opportunité que je leur propose. Parce que c’est un travail sur soi qui est nécessaire pour arriver à sortir quelque chose. Et ce qui est intéressant c’est que comme je suis placée, positionnée en tant qu’artiste avec mon regard autant que possible ouvert sur les restitutions faites, je ne me positionne que par rapport à ce qui m’est donné à voir. Donc, voyez, je n’agis pas directement dans la personne mais dans et à travers ce qu’elle fait. Et moi j’ai les références plastiques, etc, qui me permet de questionner et de les entraîner dans un questionnement plus loin à travers leurs dessins. Et là ils sont très surpris. Ils sont surpris doublement : de ce qu’ils peuvent montrer, ils ne se sentaient pas forcément capables de donner un coup de crayon avant, et sont surpris de moi, de la façon dont moi je récupère ce qu’ils font et les emmène plus loin et aussi ils sont surpris sur la force d’une restitution. Ils sont surpris que deux couleurs mises dans une forme ou dans une autre, peuvent dire des choses différentes. Et je leur apporte de références d’artistes contemporains et là je suis contente parce qu’il y a vraiment une ouverture qui se fait de plus en plus, ils gardent le catalogue du Frac [4] que je leur ai apporté, et c’est vrai que l’art contemporain, contrairement à ce que l’on pense n’est pas hermétique et englobe au contraire des questionnements tellement divers que toute personne peut vraiment trouver des clefs, y accéder et avoir un retour ou stimulant, ou questionnant. Et ils sont en train de s’en apercevoir.

A.N. : Moi ce que j’ai ressenti lors des entretiens que j’ai eu avec les participants, c’est cette demande de sens. Ils aiment beaucoup quand vous amenez des livres, des références. Ils ont eu l’impression de pouvoir accéder à un sens alors qu’avant il n’y avait pas de sens. Il y a une vraie ouverture ; et ça c’est vraiment riche. Oui, c’est génial. . . Je le sens ; même si des fois c’est sous une forme d’amusement. Je sens bien que cela les interpelle vraiment. Il y a quelques personnes qui ont déjà l’expérience de travailler au quotidien le dessin (il y a un taggeur, un tatoueur...), d’autres pas du tout. Je les trouve très investis. Ils ont lâché leur première timidité, leur première gêne. Moi je les ai poussés assez vite à travailler en grand, à même le sol parce qu’on a tout l’espace. Au début ils ne voulaient pas ; et finalement il y a une aisance au niveau de leur corps déjà par rapport à l’investissement de la pièce, des gestes, etc. Chaque séance, il y a quelque chose d’acquis. Enfin moi c’est ce qu’ils me renvoient. Je trouve cela riche... Quand on s’aperçoit que l’art contemporain n’amène et ne désire amener que du sens, et requestionne la façon. Une peinture, une sculpture, c’est quoi ? On va peut-être trouver d’autres modalités que la peinture ou la sculpture pour restituer une oeuvre, même si on prend une botte de paille ou je ne sais quoi. Alors on a discuté de cela ce matin avec les détenus ; de la continuité de l’histoire de l’art. Parce que j’essaye de les pousser à trouver du sens. Le sens ne vient pas forcément du figuratif et là j’ai été un peu directive, puisque j’ai des contraintes et que par exemple on ne peut pas faire des choses qu’on regarderait en arrêt. C’est pourquoi j’étais intéressée pour avoir des lieux de passage, justement. Cela m’a aidée finalement à m’éloigner de la figuration mais je n’oppose pas la figuration à l’abstraction. Ce n’est pas cela le problème. Et ils sont en train de s’en apercevoir. Comme ce n’est pas le problème de quelque chose qui soit d’aujourd’hui ou qui a 300 ans, 400 ans. Si l’artiste a fait preuve de pertinence, il est sur la même lignée, qu’il soit du Moyen-Age ou d’aujourd’hui. Et cela, c’était bien car on en débattait ce matin. Ils sont ouverts à discuter de cela.

A.N. : Mais ce qui permet tout cela, c’est le fait que cela soit un atelier sur du long terme aussi. Oui, cela pour moi c’est du luxe de travailler sur du long terme. Moi, toutes les interventions que je fais en dehors, partout je suis frustrée car ce sont des temps courts, il y a toujours des résultats demandés, et on ne fait pas un travail de fond. Là, c’est vraiment l’amorce d’un travail de fond. On a du résultat à rendre, un temps limité, mais c’est sûr qu’un atelier à demeure, c’est cela qui serait le plus important pour eux. Comme dans plein d’institutions. Il faut du temps pour ancrer des choses, être dans le sens des choses. Il faut absolument que la société le comprenne. Il faut s’éloigner de la production à tout prix, du résultat.

A.N. : Ce qu’il ne faut pas oublier, c’est que là on est en maison d’arrêt. Il y a les mouvements. C’est plus compliqué qu’en centre de détention où les détenus restent longtemps et où les actions sont souvent plus pérennes. Oui, sûrement. Mais là on se débrouille pas mal. Il y en a déjà deux ou trois qui sont déjà partis. Deux qui sont arrivés. Je savais qu’il y aurait ces contraintes à absorber. J’ai l’impression que cela ne se passe pas mal. Et puis c’est toujours un espèce de questionnement en continu. Même si à un moment donné il faut déterminer le projet et dire qu’il y aura telle chose sur ce mur, etc. A tout moment quelqu’un peut arriver et attraper
au vol des questions qui peuvent être immédiatement intégrées. Je vais voir jusqu’où cela va pouvoir aller, car quand justement on va arriver à la réalisation in situ. Si quelqu’un arrive quand le projet est quasiment terminé, il va se trouver comme exécutant. Mais je pense qu’on va commencer par la cour, puis les autres murs. On n’aura pas décidé de tout sur tout. Dans ce cas là, moi je prendrai le parti de faire travailler la personne individuellement. C’est ce qui se passe aussi en ce moment. Ils travaillent individuellement. Certains m’ont demandé d’amener des couleurs en cellule la dernière fois, donc j’ai prêté des pastels. Ils m’ont ramené des dessins. C’est vrai que cela semblait nécessaire à tous d’avoir de quoi faire des choses. Donc là j’ai demandé l’autorisation d’acheter à chacun une boîte de peinture, des pastels, un carnet de croquis, pour qu’ils fassent des choses. Là j’étais drôlement surprise positivement. Même s’ils font autre chose que le projet. Et là j’ai aussi prêté des livres ; donc ils les lisent et on discute ensuite en séances. Par exemple le catalogue du Frac que je vais laisser à disposition de la bibliothèque, il est feuilleté pendant les séances. Et je leur ai demandé qu’ils me fassent des marques-pages pour voir quels artistes les interpellaient et je trouve cela vraiment étonnant. Je suis très contente.

A.N. : Il y a aussi une vraie intéraction entre vous et les détenus, et cela joue pour beaucoup. La confiance qui est en jeu est aussi très importante. Je n’avais aucune appréhensions avant d’intervenir dans ce milieu là, donc cela je pense que les détenus le sentent d’emblée. Ils doivent aussi sentir que cela m’enrichit aussi ; il y a un vrai échange ; et cela c’est ma démarche, c’est ma pédagogie qui font que les choses sont ainsi, c’est tout mon questionnement. C’est pour cela que cela se passe comme cela. Je n’ai aucun souci ni d’autorité, ni autre. Car je le vois bien, il sont dix, et comme j’essaye de passer vers chacun individuellement, il y a un petit groupe qui se forme, et puis ils discutent d’autres choses, ils rigolent, et je laisse faire cela car je sais qu’à un moment donné j’arrive à tous les rassembler. Je l’ai vu ce matin, je suis restée assez longtemps vers deux des détenus avec qui je discutais d’histoire de l’art, etc. Il y avait un groupe de trois plutôt bavards qui peuvent très vite s’éparpiller, et bah non, en fait ils ont travaillé. Il y a une souplesse. Ce temps de séance est long mais pendant trois heures les détenus ont le temps de discuter entre eux, de fumer une cigarette, sans que cela soit le bazar. Et plus cela va et plus je sens une solidarité. Et là ils sont responsables de ce qu’ils font. Je pense qu’il faut toujours rester vigilant sur cela ; car à un moment donné s’est bien évidemment posée la question de l’oeuvre qui va rester dans les murs de la prison. Ils avaient l’impression de travailler pour rien, etc. J’ai vite passé cela. J’ai précisé qu’on ne travaillait pas toujours pour quelque chose et que ce qui se passe pour chacun, chacun le gardera. Je n’ai pas eu beaucoup à argumenter et je trouve que depuis ils sont bien plus investis encore. Parce que cela leur renvoie plein de choses ; c’est vraiment une remise en questions. Car l’art permet beaucoup de remises en questions mais qui ne restent pas sur un plan individuel, cela met immédiatement le lien avec l’extérieur. C’est le propre d’une oeuvre d’art qui émane d’un individu mais est faite pour être vue, perçue, attrapée.

A.N. : Dans ce cas, comment perçoivent-ils le fait que leur oeuvre va rester en détention ? Et bah ça va. Il y a eu deux séances où ils manifestaient un peu leur mécontentement par rapport à cela. Et puis ce sentiment s’est apaisé. Et je pense qu’ils arrivent suffisamment à trouver d’enrichissement. Et là plus cela va, plus ils le comprennent. Et puis ils voient aussi que moi je suis détachée par rapport à cela. C’est pas du tout une prétention, mais ils voient bien qu’il y a une vraie générosité vis-à-vis d’eux, que je ne suis pas obligée d’agir non plus à ce point là ; ils voient
bien que je suis sincère. Ils ont envie de rendre cela aussi. Il y a beaucoup de respect. Ils sont touchants. Certains me ramènent des dessins entre temps. Je les ai invités à écrire aussi, donc certains écrivent. Alors ils me le soumettent ou ils ne me le soumettent pas. Certains m’ont confié une grande page d’écriture ; donc je trouve cela drôlement touchant. Ils ont confiance. Comme moi je leur fait confiance. Et je crois qu’ils ont été déboussolés que je leur fasse autant confiance.

A.N. : La confiance, c’est quelque chose autour de laquelle il y a beaucoup d’enjeux en détention. Cela se perd vite en détention. Oui, sûrement. Alors moi j’ai joué cela car c’est de toute façon ma nature. Tout en ne me leurrant pas parce que je sais très bien qu’il y a plein de possibilités de louvoiements, et tout ce qu’on veut. Mais ils voient bien que je ne suis pas dupe. Et je m’en amuse même quand il y a des choses un peu louvoyantes. Donc ils voient bien et comprennent petit à petit qui je suis. Ils sont aussi intéressés par ce que je suis. On le sent bien ; je ne sens pas du tout d’attitude malsaine ou de curiosité malsaine. Parce que de toute façon comme ce champ de la création, là, permet énormément d’ouvertures sur tous les propos. Tous les propos sont ouverts. On parle de tout. Et cela les déstabilise aussi beaucoup. Cela couvre tout ce qui est possible autour de l’humain. Forcément il y a tous les débats qui peuvent intervenir. Et là je prends mon temps pour les aborder. Ils commencent aussi à accepter ces temps de non travail, parce qu’ils ne crayonnent pas, mais je vois qu’ils commencent à bien le manipuler, cela, voyez ? Car c’est cela un travail de création, d’une réalisation qui vient de soi en lien avec un environnement. On ne vas pas travailler du 8h à 11h, non-stop ; c’est nourri par les discussions, les temps d’arrêt. Je pense que ce rythme là, ils commencent à le comprendre. Et j’en prends conscience en vous le disant. Et je me demande si cette réceptivité n’est pas propre aussi à ce passage dans ce lieu.

A.N. : Oui et non. Car pour faire la démarche d’aller à un atelier, et régulièrement qui plus est, il faut déjà être suffisamment bien avec soi. Il y a beaucoup de gens qui sont trop mal pour être en groupe, faire des efforts de concentration, etc. Ce sont des gens qui ont déjà quelque chose en eux qui rebondit. Après c’est sûr que cela étaye. Et puis même si la personne vient à un atelier, c’est peut-être aussi avant tout pour sortir de cellule et s’aérer. Après il peut y avoir un déclic, une accroche. Mais la réceptivité n’est pas automatique. Cet enfermement oblige à un face à face avec soi, nécessairement. Cela peut aussi avoir un effet sclérosant. Mais si tout d’un coup quelque chose arrive dans ce lieu qui leur permet de comprendre que ce temps là, autant l’utiliser comme une remise en question, et qu’il y a des activités qui le permettent. Parfois, avec certaines personnes, rien ne paraît possible, même en dehors de la prison, il y a des rebelles. Au bout du compte cela se réveille. Cela touche tout de
même ce genre de travail. En tout cas, cela renvoie beaucoup beaucoup de choses. Multiplie et enrichit les questionnements.

A.N. : De toute façon, aucun intervenant ne ressort de la prison de la même manière qu’il y est entré, c’est certain ! On touche en plus quelque chose au point de la société de très fort ! Oui, et qui est vraiment à questionner. Depuis que j’interviens en prison, je ne sais pas si c’est parce que je suis plus attentive à tout cela mais j’ai l’impression qu’il y a beaucoup d’émissions de télévision à ce sujet.

A.N. : (...) Je trouve cela juste ce que vous me dîtes par rapport à ce qu’on croît être de la culture. Et partout où l’on parle de culture. Là je suis passée dans les relais de la petite enfance où l’on se questionne sur la culture pour les petits enfants, mais on ne se pose pas les bonnes questions, et pas dans le bon sens. C’est effrayant de voir que la culture est mal interrogée, galvaudée ou alors mise sur un piédestal . Il y a des définitions autour de la culture qui s’opposent terriblement et du coup ce qui peut arriver en tant que culture dans des lieux qui sont en principe autres, c’est pas de qualité ou de qualité moindre.

A.N. : De toute façon, ce qui pose encore problème c’est la place de l’art et de la culture dans la société... Elle n’est pas encore acquise ! Tant que l’art sera comme quelque chose qui est à part de la réalité ou un loisir créatif, ou quelque chose qui appartient à une élite ou je ne sais quoi ; ce ne sont que des a priori. Parfois j’ai peur de l’enfermement. Si on prend la culture comme un saupoudrage, on est à côté. Toutes ces structures, ces institutions différentes, on est obligé de créer des milieux. Après on va essayer que ces milieux ne s’enferment pas. Mais malheureusement, parce que le contexte est comme cela, cela crée une configuration , cela se renferme à un moment donné et ce qui est pris de l’extérieur à l’air d’être pris spécifiquement pour ce milieu. Ce n’est pas bien. Un détenu pour moi c’est un être humain, point à la ligne. Alors évidemment je le vois en prison, il y a donc un contexte dont je tiens compte. Mais avant tout c’est d’êtres humains dont nous parlons et de la culture, c’est de l’être humain qu’on parle. Voila. Il n’y a pas de séparation

A.N. : Ce que vous voulez dire, c’est qu’il n’y a pas de culture pénito-pénitentiaire ? Voila. Parce que dès qu’on rentre là dedans, cela galvaude des choses et cela les trouble. Mais ce risque d’enfermement n’est pas propre qu’à la pénitentiaire, mais à tous milieux. Il faut être très très vigilant dans la façon dont on fait ; moi cela m’interpelle car c’est une question de responsabilités. C’est très dur de ne pas se faire piéger par ce qu’on nous demande implicitement. Ce sont des perceptions que j’ai. Et puis c’est quoi la culture ? Les définitions sont tellement différentes ! Pour moi c’est tellement un va-et-vient entre l’extérieur et l’intérieur, puisqu’on est bien constamment entre la perception de l’individu mais qui donne à voir quelque chose qui vient d’extérieur à lui. Mais c’est dur. Mais moi c’est comme cela que je peux concevoir un apport. Partir de soi même ; prendre ancrage dans ce qu’on est permet ensuite d’intégrer ce qui vient de l’extérieur mais avec une très grande ouverture, même pour quelqu’un qui paraissait ne pas pouvoir comprendre et prendre cela.

A.N. : Il faut que chacun agisse à son niveau, tout dépend de ce que la personne va vivre après, de ce qu’elle va pouvoir réutiliser et intégrer... Mais il faut rester humble aussi !

Entretien avec Benoît Grandel, Chef de l’unité d’action socioéducative à la Direction Régionale des Services Pénitentiaires de Dijon. Vendredi 1er juillet 2005.

A.N. : Je vais commencer par vous demander quel est votre parcours professionnel ? C’est important de se présenter avant, car je n’ai pas le même parcours que d’autres et cela permettra peut-être de comprendre pourquoi je ne vais pas forcément bien vous répondre à certaines questions et plus à d’autres, etc. Je suis directeur d’établissement pénitentiaire à l’origine ; j’ai exercé trois ans dans un établissement pénitentiaire dans le Nord de la France, comme directeur adjoint, dans un centre pénitentiaire où il y avait une maison d’arrêt. J’ai travaillé trois ans à l’Administration centrale comme adjoint au chef de Bureau de l’emploi et de la formation, où j’étais déjà plus orienté sur les aspects de l’insertion et quand les Spip ont été créés par le fameux décret du 13 avril 1999, ils ont commencé à se mettre en place de partout en France et j’ai été détaché dans l’emploi de directeur de Spip pendant quatre ans et demi, ici en Côte-d’Or. J’ai arrêté pendant un an de travailler, et j’ai repris il y a même pas un an, dix mois, à la Direction Régionale à un poste où je suis Cuase, c’est-à-dire Chef d’unité d’action socio-éducative. Je vous avouerai franchement que je ne me sens pas tellement Chef d’unité d’action socio-éducative car c’est plutôt un profil socio-éducatif pur, sachant que moi-même je travaille avec un travailleur social qui est plus légitime que moi sur ces aspects socio-éducatifs d’ailleurs. Moi, ma légitimité je la tire surtout du fait que je suis ancien Directeur de Spip et que je suis en lien assez fréquemment avec les Directeurs de Spip. Ce que je peux apporter, c’est par rapport à mon expérience d’ancien Directeur de Spip, surtout sur un département où l’on est sur des missions très transversales, donc ma fonction d’agent me permet aussi d’intervenir en lien avec Rachel Bernotti sur des questions que je connais un peu, qui sont les questions de travail, de formation, et pas uniquement sur les aspects socio-éducatifs, sachant que la culture est l’un des petits aspects de l’action socio-éducative, qui me prend d’ailleurs plutôt des temps de travail dans l’année qu’un travail au long cours. C’est sur des temps d’appels à projets, de distribution de financements. Je n’ai pas encore pris le temps, mais j’en fais une par mois à peu près, mais je rencontre les structures culturelles, parce que c’est aussi important de rencontrer les gens en dehors d’un contexte de manifestation, car le contexte de manifestation est toujours un contexte biaisé car forcément c’est toujours très bien, on est très content de ce qui se passe. C’est important de voir les gens dans d’autres situations et de faire le point, et d’être dans une optique que Bruno Fenayon a vraiment mis en place depuis quelques temps, c’est le conventionnement. Parce que je pense que c’est aussi le souci de professionnaliser, c’est-à-dire faire en sorte que la culture entre en prison, mais la Culture, avec un grand « C » et avec tout ce que cela représente.

A.N. : Comme j’ai du mal à comprendre le fonctionnement de la DRSP, j’ai du mal à comprendre votre rôle également. Je vais vous expliquer. Il fait que je parte de la DRSP car c’est important que vous compreniez bien et puissiez tout situer. Au sein de la DRSP vous avez cinq départements, un directeur régional qui est le seul supérieur hiérarchique des directeurs d’établissements. Nous, on est des services techniques en quelques sortes, des équipes, mais c’est le directeur régional qui a la seule autorité sur les directeurs d’établissements. Les Directeurs de Spip, en fonction des problèmes ou des chefs d’établissements qu’ils ont à gérer, doivent s’adresser à tel ou tel département. Ce qui peut créer une sorte de cloisonnement des départements et peut être perçu comme quelque chose d’assez administratif. Dans ces quatre départements, il y un département Finances sur lequel je passe ; un département Patrimoine et équipement qui travaille par exemple sur les aspects de matériel et de sécurité dans les Spip, sur le parc d’établissements pénitentiaires qui est très ancien dans notre DRSP. Le troisième département c’est la Direction des Ressources Humaines, c’est-à-dire les recrutements, les concours, les formations en lien avec l’École d’Administration pénitentiaire, etc. Puis il y a le département Populations placées sous main de justice. Le point d’entrée ce sont les publics, surtout le milieu fermé car le milieu ouvert est réparti sur tous les départements, et la sécurité. C’est l’aspect logistique des établissements, les transferts, etc. Et on oriente aussi les gens condamnés. Et nous, le département Insertion et probation, on arrive un peu en fin de course. On est un département qui a une mission un peu particulière. On intervient sur toutes les questions de réinsertion. Ce département est un peu singulier car il faut savoir que l’on a en charge toute la réinsertion, dans tous ses domaines. Le volet Sanitaire (les soins) car même si les soins sont délégués aux hôpitaux il faut savoir qu’il y a des conventions passées entre l’Unité de consulation et de soins ambulatoires [5] et les établissements pénitentiaires, que c’est géré par des protocoles d’accord et qu’il faut qu’il y ait une harmonie d’un établissement à l’autres, il faut gérer les incidents. Etc. Tous ces volets-là sont gérés par un cadre, à la différence des autres départements où il n’y a pas de logique d’encadrement. Nous on est que des cadres dans le sens où on est des chefs de projets. On est dans une autre logique, une logique de conduite de projets. Il y a le volet Emploi, enfin le travail dans les établissements pénitentiaires. Un contractuel, un cadre qui a été recruté dans le monde de l’entreprise, et dont le boulot est d’aller chercher du travail pour les établissements pénitentiaires. La réalité c’est plutôt qu’il vient en appui des établissements pour faire le lien avec eux. Il gère aussi le suivi des marchés 13 000 car il faut savoir qu’il y a des établissements où la fonction « travail » a été déléguée. Mais il faut suivre les indicateurs. Il y a un volet Formation professionnelle, géré aussi par un cadre qui met en place toutes les actions de formations. Il y a un volet Enseignement, c’est un proviseur qui est rattaché fonctionnellement au volet Insertion et probation mais il dépend du Rectorat. Et le dernier aspect c’est l’unité socio-éducative ;alors on est sur de la conduite de projets qui sont divers et variés. On a l’aspect culturel, on en reparlera après, on a tout ce qui touche à la préparation à la sortie. Il faut savoir que derrière ce grand nom un peu pompeux, ce sont des conventions à faire vivre entre l’ANPE, l’Afpa, etc. Même si ce sont des accords locaux bien souvent, ils sont suivis par des conventions régionales qui sont d’ailleurs des déclinaisons des conventions nationales. Il y a aussi un aspect Sport et politique sportive, donc ça c’est un aspect peu travaillé, mais Bruno Fenayon a beaucoup fait pour cela car il a une expérience là-dessus, mais au départ c’est plutôt une compétence de l’établissement pénitentiaire et moins du Spip. C’est Bruno Fenayon qui, lorsqu’il était à la DRSP, a passé beaucoup de conventions avec l’Université de Bourgogne et l’UFR Staps, etc. C’est créer des conventionnements qui existent. Ensuite cette mise en oeuvre de partenariats permet d’avoir un droit de tirage sur un certain nombre de choses. Aujourd’hui la question est autour d’un grand recensement des équipements sportifs et la mise aux normes qui est en cours. On a aussi un aspect Aménagement de peine ; thème important et très consommateur d’énergie sur le terrain. Au niveau régional nous on a été plutôt des relais sur ces questions-là d’aménagements de peine. On travaille avec les cours d’appel, c’est-à-dire que le directeur régional et moi-même on rencontre une à deux fois dans l’année les présidents de juridictions pour faire un point sur ces questions-là et puis faire le point avec les directeurs des Spip. Actuellement il y a une convention-cadre ; chacun se l’approprie ou ne se l’approprie pas. Perben 2 a créé une surcharge administrative pour les Spip. L’idée c’est de travailler sur une priorisation des actions entre les Spip et à partir d’accords entre les juridictions, les parquets, et les Spip, faire en sorte que pour les enquêtes on puisse déléguer un certain nombre de choses sur les associations, etc. Il faut savoir que sur la DRSP de Dijon il y a trois régions administratives, de configurations très différentes. Donc ce qui est compliqué au niveau régional c’est de trouver des choses qui soient suffisamment larges et concrètes pour que les services puissent s’y retrouver. Après il y a le volet Alternatives à l’incarcération. C’est le travail d’intérêt général [6], le placement sous surveillance électronique [7]. Le travail d’intérêt général, c’est un outil qui dort un peu parce que au niveau central il y a un certain nombre de questions qui restent sans réponse, notamment il y a des incertitudes juridiques par rapport au TIG, donc l’idée serait de relancer le débat sur ces questions-là car ce n’est pas satisfaisant. Le dossier PSE, c’est nous qui l’avons en propre ; c’est même Madame Bernotti qui s’en occupe. A la fois l’aspect matériel avec la maison d’arrêt, avec la boîte israélienne Imotech et les magistrats. Il y a eu une montée en charge ces dernières années. On était à vingt, trente pendant quelques années et depuis quelques mois on est passé de soixante à quatre-vingt-dix bracelets. Donc ces dispositifs-là, plus il y en a et plus il y a d’alarmes et plus c’est difficile à gérer. C’est un aspect très consommateur de temps chez nous. Il y a un secteur qui me revient, c’est la Politique de la ville, avec les crédits Ville Vie Vacances de la Préfecture. Je suis réuni régulièrement avec les services régionaux culture ou autres sur des questions ou thématiques pour être au courant des évolutions administratives des autres régions. Ce qui m’a pris beaucoup de temps cette année, ce sont les relations avec les associations ; c’est-à-dire qu’il y a énormément de structures qui interviennent en détention, que ce soit la Croix-Rouge, le Secours Catholique, les visiteurs de prisons, les accueils de famille,le Génépi. Elles sont gérées par des conventions nationales qui sont déclinées en conventions régionales, mais concrètement on essaye d’être au plus près des attentes locales. Pour citer un exemple, pour l’accueil des familles on ne se contente pas d’assister à leurs réunions mais on monte aussi des actions de formation pour eux. C’est aussi les tenir informés de tous les grands textes, les changements. Régulièrement leur dire ce qui change. Et on a un rôle très important dans les agréments. On a un petit rôle d’enquête à faire. Et ça c’est plutôt sympa car les gens qui interviennent sur l’aspect bénévolat, ce sont plutôt des gens militants, qui ont évolué depuis une dizaine d’années. Avant c’était plutôt très caritatif. Maintenant cela a évolué vers un bénévolat plus intelligent et pensé. Je ne dis pas que caritatif c’est pas intelligent, mais en tout cas c’était peut-être un peu plus basique, ce qui faisait qu’on avait du mal à canaliser ce genre de personnes. Maintenant on fait beaucoup plus attention au recrutement des gens. Il y a des enjeux forts. Et c’est ça qu’on essaye de faire vivre au quotidien et cela prend beaucoup de temps car il faut rencontrer les dizaines d’associations que l’on gère au niveau régional. On a une convention avec le Courrier de Bové, le Secours Catholique, le Génépi, la Croix-Rouge, l’accueil des familles, etc. On en a sept, huit. Donc on s’est réparti le travail avec Dominique Chaon. Elle s’occupe plutôt du sport, de Ville Vie Vacances et le TIG ; car elle est travailleur social de formation. Moi je gère plutôt ce qui est aménagement de peine et la vie des associations. Et l’on gère à deux le dossier culture. Voila sur les grandes thématiques. Après on peut reparler de la culture. Alors la difficulté, c’est que les Spip sont issus d’une jeune réforme. 1999, c’est très jeune pour une Administration alors que les établissements pénitentiaires existent depuis quasiment le Moyen- Âge. Il y a un tiraillement entre les établissements et les Spip. Il y a des enjeux forts de politique, de sécurité, d’ordre publique, etc. J’ai l’impression que ce qui relève des Spip relève essentiellement du département Insertion et Probation. Alors qu’il y a des questions de tout. Et c’est un peu la logique des choses qui a fait que ce département traite souvent des choses qui ne sont pas de son ressort. On est souvent le lobby au sein de la DRSP et voire même au sein de l’Administration centrale de la question des Spip qui n’a pas été appropriée par l’ensemble de la DRSP. Ce qui peut conduire de la part des Spip a des isolements ou à des sentiments de pas être au même titre, à la même position que les établissements pénitentiaires. Et moi qui ai été directeur d’établissement je peux vous le confirmer. Cela conduit à une espèce de flou dans les missions et même dans le rôle que nous on peut avoir, à un moment donné. Ce qui nous sauve, c’est qu’il y a une nouvelle organisation qui arrive et ce que je vous dis là, dans deux mois ce n’est plus bon, au niveau de toutes les Directions régionales de France. Il y a une circulaire qui est parue le 15 avril et qui réorganise les services. Nous, notre département va rester tel qu’il est. On va avoir une unité Enseignement, une unité Aménagements de peines et alternatives à l’incarcération, uniquement, et le reste va être noyé dans une unité qui s’appelle Unité d’action éducative dans lequel on va retrouver le volet culturel, le volet sanitaire, le volet emploi et le volet formation. On repyramide les choses, et on crée trois pôles. De cinq départements, on passe à trois.

A.N. : Quelle est la raison de cette réforme ? Le but n’est pas tellement politique. Il faut savoir que l’Administration centrale a changé et a été réorganisée en 1997 et que l’organigramme des Directions Régionales date de 1994. Il s’agit donc avec un temps de retard de se réadapter à cette évoluation de l’Administration centrale. Cela reste une réorganisation fondamentalement administrative. Il y a un directeur régional, un directeur adjoint, un secrétaire général qui chapote tous les services de moyens (financiers, humains et en équipements). C’est aussi répondre à la LOLF. Le problème c’est que cela nous est imposé comme ça, et que c’est très lourd pour les gens et que cela remet beaucoup de choses en cause. Au 1er janvier 2006, c’est la circulaire qui nous le demande, tout sera rentré dans l’ordre. C’était ma vision des choses sur l’aspect organisationnel de la DRSP. On va parler de la culture, sachant qu’on ne travaille pas de la même manière avec les différentes régions. Il faut que vous sachiez que la difficulté principale de la DRSP de Dijon c’est qu’on a un découpage administratif qui ne correspond à aucun autre découpage, même au niveau judiciaire. On pourrait concevoir qu’il y aurait un découpage au niveau du ministère de la Justice mais quand on voit que la Direction Régionale de la Protection judiciaire de la jeunesse par exemple ne correspond pas à notre découpage, c’est très compliqué. Par exemple les partenaires de la Culture ont un découpage administratif sous la tutelle des préfets, ce qui n’est pas notre cas. C’est la vieille idée de la séparation des pouvoirs entre le pouvoir judiciare et le pouvoir exécutif. On travaille sur la base de conventions d’objectifs qui ont été signées en 2000, et qui sont très courtes et qui font deux pages chacunes. En appui, depuis pas mal d’années un cahier des charges pour des missions régionales d’appui. Il y a donc ensuite des chargés de missions. Mais il n’y a pas de chargé de missions de partout. Il faut savoir qu’en Ile-de-France, ce qui est un comble car c’est la plus grosse région de France, il n’y a pas de chargé de mission. Donc, la mission fixe un certain nombre de critères. La plupart des missions ont été dévolues aux Centres Régionaux du Livre, mais avec une optique très livre et lecture, pas tellement une dimension culturelle. C’est d’ailleurs ce qu’on a ressenti en Bourgogne ; c’était l’une des difficultés, et le chargé de mission en l’espèce, c’est-à-dire Dominique Mans, le reconnaîssait. En Franche-Comté c’est complètement différent, car la chargée de mission c’est quelqu’un qui vient du milieu culturel, qui était chargée de communication dans un théâtre, donc il y a une connaissance des acteurs culturels au sens large beaucoup plus forte même si ce n’est pas une artiste. C’est de ces personnes dont on a besoin, pour mettre en rapport avec des opérateurs, des financeurs et la connaissance du milieu pénitentiaire. C’est le profil Centre régional du livre, mais on est un peu au bout de cela. Au Colloque de Valence on s’est rendu compte qu’on était à un tournant par rapport à toutes ces missions. Alors, est-ce qu’on continue ou pas ? Sur la Bourgogne, j’ai interpellé l’Administration centrale car Dominique Mans s’en va et le Centre régional du livre ne veut plus prendre la mission culture en milieu pénitentiaire ; donc on se rencontre la semaine prochaine, mais qu’est-ce qu’on fait ? Au sein du ministère de la Culture il y a deux directions qui ne sont pas forcément claires sur ce qu’on veut faire au niveau des chargés de mission. L’interministérialité c’est super, car chacun apporte ses connaissances, son boulot et ses professionnels, mais à partir du moment où il y a le moindre grain de sable dans les rouages, c’est catastrophique car plus personne ne prend de décisions. Et cela on le reçoit pour tout ; c’est le problème du travail interministériel où il faut surtout très souvent réactualiser les choses, ce qui à mon avis n’a pas été le cas. Donc forcément on est sur des vieilles conventions qui ont besoin d’être revues ; et Valence va peut-être permettre cela. Alors mes outils, c’est quoi ? C’est une convention Drac, des chargés de mission. Je n’en ai plus qu’un sur les trois régions administratives, celle de Franche-Comté. Logiquement la DRSP là-dedans commence à s’organiser. Enfin comment j’ai vu les choses depuis les quelques mois où je suis ici ? L’idée c’est que tout le monde est d’accord pour avoir de la culture en prison. On a bien évolué là-dessus. Il n’y a pas une personne qui récuse cela, que cela soit les opérateurs culturels, les Spip ou les établissements culturels. Puisque même les opérateurs culturels ont dans leur cahier des charges les publics exclus. Il n’y a plus de problème de culture. L’idée c’est de mettre en rapport avec l’aide d’un chargé de mission qui a une dimension régionale - d’ailleurs la question que se pose l’Administration centrale c’est : Est-ce qu’il ne faut pas des chargés de mission départementaux ? - et de faire le lien entre les Spip et les besoins qu’ils ont repérés car ce sont eux qui connaissent les publics et qui agissent sur les deux volets, milieux ouvert et fermé, avec des actions adaptées selon la nature de l’établissement, le positionnement géographique, etc, et des opérateurs culturels avec en toile de fond un partenariat Drac/DRSP et un financement à parité, enfin dans la mesure du possible si la Drac met un euro, la DRSP met aussi un euro. L’idée c’est que dès que la Drac est d’accord et donne la caution culturelle pour un projet. Après l’appel à projets il y a une commission de validation faite ici par le chef de département. On finance tous les projets Drac ; en fait on va dire que la DRSP valide quasiment tous les projets qui sont validés par la Drac, la DRSP s’aligne dans ce cas, par contre là où il y a des discussions c’est quand la Drac ne met pas d’argent, comme par exemple pour l’atelier Echecs car elle estime que ce n’est pas proprement culturel. Au niveau régional, ce qui est très important, c’est l’avis du directeur du Spip, parce qu’on s’est rendu compte que lorsqu’on imposait un projet, cela pouvait être catastrophique. Par exemple on a une convention avec la Comédie de Reims. C’est une convention qui avait été montée par Bruno d’ailleurs. Depuis plusieurs années, c’est reconduit sans problème. Il y a eu un clash entre le directeur du Spip sur une action donnée et l’opérateur culturel, et le directeur du Spip a refusé au dernier moment de continuer cette convention. Je me suis peut-être fait avoir car je n’ai rien voulu imposer ; mais c’est vrai que c’est très mauvais politiquement ce clash avec un gros opérateur, car c’est une Scène Nationale, et puis c’est un travail sur du long terme. Là je vais aller à Vesoul au Théâtre Edwige Feuillère car il y a eu un clash il y a un an et depuis il y a une convention qui n’a ni queue ni tête. Il faut quelque chose qui ait du sens et qui tienne la route. Il y a aussi un travail à faire avec les directeurs de Spip. S’il y avait eu un chargé de mission cela se serait passé différemment ; il aurait pu recoller les morceaux. Le problème c’est que pour l’action culturelle notre marge de manoeuvre est très limitée et on n’a pas une pression énorme sur les Spip à ce niveau. Ce qui n’est pas plus mal car les Spip, c’est vraiment un domaine où ils peuvent chercher à être innovants, sans qu’on soit là, parce qu’il n’y a pas de consignes ; la culture peu de gens s’y intéresse, donc c’est vraiment un domaine sur lequel on peut s’éclater quand on a du temps et les moyens. C’est aussi l’inconvénient. Là où il y a un chargé de mission, comme en Franche-Comté et où cela colle avec le conseiller de la Drac qui est Philippe Lablanche, c’est « tip top ». Après c’est la validation ici en commission de subventions. On fait venir les chargés de mission, un directeur de Spip, cela change tous les ans pour une question de transparence. Donc sur la Champagne-Ardenne il n’y a pas de chargé de mission. On peut parler des bibliothèques. Dijon est la seule bibliothèque de France où il n’y a pas de convention avec l’établissement pénitentiaire. Le blocage vient apparemment du directeur de la Bibliothèque municipale. Sinon cela fonctionne plutôt bien ailleurs ; on a des conventions. Par contre il faut qu’on soit vigileant sur les horaires d’ouverture des bibliothèques. Globalement cela fonctionne plutôt bien. Il faut veiller à ce que lorsqu’une personne est mutée dans une bibliothèque elle soit remplacée. Et là le chargé de mission est important car il voit des choses que nous ne voyons pas forcément. Là où l’on n’est pas bon, c’est sur la question des logiciels, on va s’y attacher rapidement. Il faut trouver le bon outil. Mais j’aimerais bien qu’il y ait une politique nationale là-dessus. Moi, je pense qu’il faut de plus en plus d’appuyer sur des bibliothécaires professionnels. Il faut savoir que pendant des années à la DRSP on avait un fléchage pour l’achat de livres ; c’est-à-dire dans les budgets on déterminait tant pour l’achat de livres. Cela permettait de donner un petit coup de pouce. C’est fini aujourd’hui, on ne peut plus le faire ; parce qu’on n’a plus d’enveloppe. Donc si les choses n’ont pas été anticipées dans le cadre de demande de subventions on ne pourra plus le financer et l’achat de livres il n’est plus fléché. C’était pas grand chose mais cela avait un avantage, c’est que cela permettait de faire une demande au Centre national du livre qui doublait la subvention de la DRSP. Par contre, les dossiers de subventions du Centre national du livre ne sont pas du tout adaptés aux établissements. Il y a plein de formulaires à remplir, très compliqués. Il faut espérer qu’ils simplifient les choses ; cela permettrait qu’il y ait une bouffée d’oxygène. En Bourgogne, au niveau de la Drac il y a comme établissements la maison d’arrêt de Dijon et les établissements pour peine comme Jouy-La-Ville et Varennes-Le-Grand. Et la Drac finance pour 10 000 euros de projets sur les trois sites (dont rien sur Varennes) alors que sur la Franche-Comté il n’y a que des maisons d’arrêt, et pas des très grandes car seule Besançon a trois cent détenus, la Drac donne 30 000 euros. C’est pour vous montrer le poids de l’aide de la Drac en Franche-Comté par rapport à celle de Bourgogne. Et de même en Champagne-Ardenne.

Notes:

[1] Fédération française pour la coopération des bibliothèques, des métiers du livre et de la documentation, op. cit.

[2] D.Spip est utilisé pour Directeur du Spip

[3] DR est utilisé pour DRSP

[4] Fonds régional d’art contemporain

[5] ou Ucsa

[6] ou TIG

[7] ou PSE