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08 Le Canada, un coupable à condamner ?

Intervention de Jean-Claude Bernheim, université d’Ottawa

Mise en ligne : 3 avril 2008

Le VIH-sida en prison, l’expérience canadienne

Le VIH-sida en prison, l’expérience canadienne

Texte de l'article :

Au Canada, la prise en compte du VIH et du sida est loin d’être efficiente dans tous les pénitenciers. Malgré les textes promouvant l’accès à la santé sans discrimination, des manques importants sont repérés. Une situation que dénonce le Pr Jean-Claude Bernheim, criminologue de l’université d’Ottawa. Pour lui, la responsabilité de l’État est engagée.

Moins on en sait, mieux on se porte ! Telle est, selon le Pr Jean-Claude Bernheim, la position des autorités fédérales canadiennes concernant le VIH en prison. Lequel déplore : « On ne veut pas savoir combien de détenus sont porteurs du virus ou atteints par la maladie et ce n’est que confronté aux réalités que l’on aura des chiffres.  » Aujourd’hui, on estime à minima que 250 personnes détenues sont contaminés. Le Canada compte un système fédéral - qui accueille quelque 11 000 condamnés à des peines d’emprisonnement de deux ans et plus - et 13 systèmes provinciaux et territoriaux - qui prennent en charge les 20 000 prévenus et condamnés à des peines inférieures à deux ans. Les taux changent en outre beaucoup d’une province à l’autre. « Globalement, on peut observer institution par institution qu’ils sont de 6 à 70 fois plus élevés que dans la population libre, avec une moyenne de 30. Le système correctionnel fédéral, quant à lui, évalue celle-ci à 10  », résume le criminologue.

Des textes aux actes. Depuis 1988, maints organismes et experts ont publié des rapports et émis des recommandations en matière de VIH. Parmi elles : rendre disponible les tests de dépistage anonyme pour les détenus, leur offrir, de discrètement et sans attendre leur demande des préservatifs, des digues dentaires et des lubrifiants, leur fournir du matériel d’injection stérile ou à défaut de l’eau de Javel, permettre de débuter ou de poursuivre des traitements de substitution. Pourtant, certaines provinces refusent toujours de faire des dépistages, de fournir du matériel de prévention ou de réduction des risques et de délivrer des traitements de substitution.
Au Canada, divers textes (lois provinciales ou nationales, normes internationales) reconnaissent le droit à la vie, à la sécurité, à des services de santé... pour tous. Dans les faits, on en est loin. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel, qui analyse les plaintes des détenus et émet si besoin des recommandations, dénonce depuis longtemps la question des soins médicaux. En 2006, il s’est notamment dit préoccupé par le fait que seules 10 % des installations avaient reçu une totale accréditation, plus de la moitié se l’étant vu refuser d’emblée. Réponse lapidaire du service correctionnel « l’accréditation de toutes les installations des soins de santé est un objectif et non une obligation légale ». De manière générale, le nouveau gouvernement, en place depuis septembre 2006, affiche clairement vouloir réaffecter l’argent des contribuables attribué à certains programmes menés en prison à la lutte contre le crime. Des projets pilotes visant à organiser des activités de tatouage avec du matériel stérile ont ainsi été interrompus.

Un crime d’État. « Mais qu’est-ce qu’un crime ? », interroge Jean-Claude Bernheim. « Avant de s’intéresser à la prison, il convient d’évaluer cette notion, car c’est elle qui détermine, selon les époques, les comportements conduisant en prison », développe-t-il. Et d’illustrer, non sans ironie : « Le vol à l’étalage est ainsi un crime affreux s’il en est. La publicité trompeuse, non. On a là un exemple clair de ce que l’État considère ou pas comme un crime.  » Pour sa part, le chercheur définit pour sa part comme crimes d’État « les actes, omissions et attitudes de la personne morale d’ordre public allant à l’encontre du droit national ou international et dont la perpétration est incontestablement nuisible à la vie, à la liberté et à la sûreté des personnes, à la paix, à l’ordre, aux normes et politiques établies ainsi qu’à la sécurité nationale ou internationale  ». Or il observe que le gouvernement du Canada, par action ou omission, met en cause la vie et la sûreté des personnes détenues atteintes par le VIH ou pouvant l’être. Aussi, il estime que « le Canada a commis un crime d’État pour lequel il devrait en être condamné. »