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"Usure professionnelle et stratégies d’adaptation des surveillants" de Malvina Roussin

1 Cadre Théorique

Mise en ligne : 21 décembre 2004

Texte de l'article :

1. Cadre Théorique

 1.1. Situation professionnelle des surveillants de prison

 1.1.1. Repères historiques

Le terme même de surveillant a une histoire puisqu’il n’est adopté de façon générale qu’en 1919. Le terme de gardien, précédemment utilisé se généralise au XVIIIème siècle avec la création des dépôts de mendicité et traverse le XIXème. Aujourd’hui encore, certains termes de l’ancien régime sont utilisés de façon péjorative (geôlier, porte-clefs, garde chiourme) renvoyant à des modes de fonctionnement aujourd’hui répréhensibles. Pour Carlier (1997), « l’ombre du geôlier pèse sur le surveillant contemporain ». Pour lui les surveillants sont au cœur des ambiguïtés et des contradictions qui « caractérisant la prison, affectent aussi leur mission ». Le corps des surveillants longtemps recrutés parmi les militaires est soumis à une discipline « au moins aussi rigoureuses que les détenus », il n’aurait eu d’autre solution que de trouver refuge dans l’esprit de corps, l’alcool, la violence et la soumission hypocrite à de microscopiques pouvoirs sécrétés dans cet univers. Ce jusqu’à la naissance du syndicalisme qui leur permettra un temps de se sublimer (Carlier 1997).

1.1.2 Un contexte de changement

Malgré le poids de l’histoire, le corps des surveillants doit actuellement faire face aux récentes évolutions de la prison. Décrites par C. Veil et D. Lhuilier (2000) ces évolutions concernent essentiellement la population pénale et l’ouverture de la prison. L’évolution de la population pénale serait due à un allongement des peines, à une augmentation de la petite délinquance, du nombre de toxicomanes et de personnes présentant de troubles psychologiques. Par ailleurs, il y aurait une introduction de la cité dans la prison par un assouplissement de la dichotomie dedans dehors et l’ouverture aux intervenants extérieurs (qui modifierait partiellement la mission des surveillants). Il y aurait également une évolution de la mission d’entretien avec le renforcement de la prise en charge sanitaire. On notera aussi les différentes réformes, les plans de construction d’établissements mais aussi la succession de crises (médiatiques, politiques,..). Selon Vacheret (2001) Le développement des droits crée un sentiment d’insécurité chez les membres du personnel de surveillance. Les tribunaux privilégient les détenus et en accordant des avantages aux détenus, leurs supérieurs ne les soutiennent pas mais les trahissent.

 1.1.3. Image sociale des surveillants

Les surveillants estiment pour la plupart avoir une image négative auprès du grand public. Une mauvaise connaissance de la prison substituerait à un espace de débat, la création de mythes. Cette méconnaissance et cet isolement des surveillants qui en résulterait, seraient source d’insatisfaction au travail. (Chauvenet, Benguigui et Orlic, 1984). Au sein de l’opinion publique ces professionnels seraient considérés comme à priori coupables de la fonction qui leur a été confiée (Lhuilier et Aymard, 1997)
 Si l’on en croit Foucault (1975), un processus similaire existait déjà au temps du châtiment spectacle où l’horreur qui jaillissait de l’échafaud enveloppait à la fois le bourreau et le condamné « et si elle était toujours prête à inverser en pitié ou en gloire la honte qui était infligée au supplicié, elle retournait régulièrement en infamie la violence légale de l’exécuteur »
 Cette image pourrait résulter du poids de l’histoire ou de la méconnaissance dont est victime une profession dont la mission, à la différence de celle des policiers à laquelle elle s’apparente est peu visible. Mais cette interprétation ne parviendrait pas à expliquer la méconnaissance et les stéréotypes que subissent les autres corps professionnels travaillant en milieu carcéral. Ces phénomènes relèvent du principe d’homologie structurale selon lequel la double illégitimité sociale et morale de la population pénale rejaillirait sur les personnels et déclasserait leur travail. Ce principe amène les agents à recourir à des stratégies visant au rétablissement d’une image de soi positive.

1.1.4. Cadre légal

Le décret du 31 décembre 1977 définit la mission des surveillants de la façon suivante. « Les surveillants et surveillants principaux assurent la garde des détenus, ils maintiennent l’ordre et la discipline dans les établissements et services relevant de l’administration pénitentiaire et participent aux activités tendant à préparer la réinsertion de la population pénale dans la société ». Depuis 1987, il est également prévu que le surveillant participe à l’organisation de l’individualisation de la peine (Chauvenet et al, 1994). La mission du surveillant s’inscrit dans le cadre plus général de l’action de l’ Administration Pénitentiaire qui vise le maintien de l’ordre dans le respect de la personne humaine et l’absence de discrimination. En plus des missions dévolues à l’Administration Pénitentiaire, on attribue aux agents une fonction d’autorité sur les détenus et une mission d’observation. Eu égard à ces missions, les surveillants sont soumis à un ensemble de prescriptions visant à réglementer leur attitude professionnelle, la solidarité, les relations avec les détenus, l’usage de la violence.

1.1.5. Situation de travail

Chauvenet et al. (1994) définissent la situation de travail du surveillant comme instrumentalisée : c’est un exécutant qui n’aurait de prise ni sur l’amont ni sur l’aval de la tâche. Instrumentalité dont un des corollaires serait l’absence de vocation, laquelle étant de toute façon considérée comme suspecte. Instrumentalité qui se caractérise également par l’indétermination des tâches, sujettes aux modifications des règles qui les gouvernent, les contraintes de travail étant par contre, définies en termes de prescriptions impératives et d’interdits.
Pour Chauvenet et al (1994), la mission déterminée comme principale est celle de la sécurité. Il s’agit de maintenir l’ordre à l’intérieur en assurant une mission globale de protection de la société. Mais il s’agit également de protéger les détenus de la vengeance publique, entre eux et contre eux même et de les soutenir. Quant à la mission de réinsertion elle ne serait pour les surveillants, qu’un mot, qu’un cache misère, incompatible avec leur mission de sécurité. Les auteurs soulèvent surtout que « la participation des surveillants à une mission de réinsertion ne s’inscrit dans aucune doctrine officielle », ce malgré leur adhésion à cet objectif.
Aujourd’hui l’évolution des conditions d’incarcération et des droits des détenus s’accompagnerait d’exigences plus fortes en matière de sécurité alors même que le message véhiculé au cours de la formation des surveillants met l’accent sur la réinsertion, « creusant ainsi l’écart entre les attentes professionnelles des surveillants et les conditions de travail réelles ».
Pour faire face à ces évolutions, on demande aux surveillants certaines qualités, la droiture, l’affirmation de soi, l’indépendance, l’honnêteté, le respect et la politesse font partie des qualités que l’on attend d’eux.
Par ailleurs, outre une division technique ou sociale du travail, les auteurs identifient une forme de division du travail d’ordre moral, les tâches « non nobles » se caractérisant par un aspect contraire aux normes culturelles en vigueur dans la société « civile », ces tâches les plus désagréables échoient aux surveillants. Ces derniers sont eux-mêmes répartis en tâches valorisantes (aide aux détenus, conseil, service...) et tâches dévalorisantes (surveillance des parloirs, fouille à corps, fouille de cellule...). Cela génère un malaise, un sentiment de « ras le bol » chez les surveillants.

1.1.6. Le cas des surveillantes de prison

Le cas des surveillantes de prison attire aujourd’hui notre attention car elles sont de plus en plus nombreuses en détention homme. La façon dont ce nouvel élément est appréhendé, intégré dans les réseaux de significations déjà existant peut nous aider à analyser les logiques qui président à l’élaboration des systèmes de croyances collectifs et individuels.
La constitution d’un corps de surveillantes est un phénomène tardif, un arrêté de 1819 « exige que la garde des détenues des prison départementales soit confiée à des femmes pour qu’il soit mis fin aux exactions commises par les gardiens ». A cette époque les pouvoirs publics se tournent vers les congrégations religieuses. Le début du XX è siècle voit s’opérer une laïcisation des prisons et les nouvelles surveillantes sont recrutées parmi les femmes de surveillants. (Cardon, 1999) Les religieuses ont également été les premières femmes à travailler en détention homme au titre d’infirmières ou pharmaciennes.

Héritage du passage des congrégations religieuses, le port de l’uniforme par les surveillantes en détention femmes reste très marginal, on lui préfère généralement le port de la blouse blanche.
Corinne Rostaing (1994) décrit différents types de relations sociales entre surveillantes et détenues. Dans la relation normée, chaque partie reconnaît et assume le rôle qui lui est institutionnellement prescrit. La relation personnalisée réunit deux femmes qui se reconnaissent individuellement en dehors des rôles imposés par l’institution. A contrario, c’est la surveillante qui prend l’initiative d’établir une relation directe et plus souple avec les détenues qui contestent le cadre carcéral, dans une relation négociée. Mais il arrive que la relation devienne conflictuelle auquel cas les détenues sont persuadées qu’elles ne peuvent gagner leur dignité qu’au moyen d’un rapport de force.

Traditionnellement, il existe une proportionnalité entre le nombre de femmes dans la population pénale et le pourcentage de surveillantes. Aujourd’hui, même si l’administration pénitentiaire bénéficie d’une dérogation au principe général de non-discrimination à l’emploi, une certaine féminisation de la profession est en cours, de 1322 femmes en 1996 nous sommes passés à 1687 en 2000 (8.6%) (Inizan et al, 2001). On reconnaît aisément ce qu’elles peuvent apporter en détention : « La grande écoute, les relations individuelles avec le personnel, le dialogue avec la population pénale, un meilleur sens de la négociation, une sensibilité particulière sont autant de qualités reconnues par les proches collaborateurs et leur présence lors de conflits apaisent plus facilement les esprits. » (Inizan et al., 2001). Leur présence en détention hommes influe sur l’organisation du travail, ne serait-ce que parce qu’elles ne peuvent pas réaliser certains actes professionnels tels que les fouilles par palpation, la surveillance des douches... Par ailleurs elles seraient aujourd’hui cantonnées à des postes protégés ce qui entraîne la réprobation de leurs collègues masculins qui de ce fait n’ont pas accès à ces postes et ne considèrent pas leurs collègues féminines comme des pairs ; entre autre, ils se sentiraient obligés de les protéger. Leurs relations avec les détenus sont plus suspectées. Elles rencontrent également des difficultés à exercer dans un milieu ou tout est pensé au masculin et pour la réalisation de tâches telles que le contrôle à l’œilleton, la surveillance de nuit, l’intervention dans les cours de promenade etc... Malgré tout les surveillantes soulignent « l’importance d’être intégrées à part entière dans le dispositif de détention homme et refusent d’être cantonnées à des postes fixes, sécurisés » (Inizan et al. ,2001). 

1.1.7. De la théorie à la pratique

La situation de travail des surveillants de prison est marquée par une inadéquation entre « théorie » (mission, règlements) et « pratique » (gestion quotidienne de la détention). Cette inadéquation se traduit par un certain nombre de contradictions soulevées par Chauvenet et al (1994). Outre celle qui existe entre mission de sécurité et mission de réinsertion, on retiendra l’opposition entre logique bureaucratique et logique de maintien de l’ordre. La première étant marquée par une programmation et une organisation des tâches correspondant aux moyens légaux, extérieurs, de la gestion de la population pénale, logique qui se situe à long terme et à un niveau général. Quant à la logique de maintien de l’ordre elle se situe à court terme et au niveau individuel, essentiellement dans la répression et la réaction face au détenu qui crée l’événement.
Les auteurs décrivent également une situation de double contrainte dans laquelle se trouverait le surveillant :

 « Si on applique le règlement intérieur, c’est l’émeute à l’étage tous les jours ; si on ne l’applique pas ça va mais si il y a un problème, on est tout seul hors la loi »

Par ailleurs certaines règles semblent inapplicables (fouille exhaustive de cellules). Certaines transgressions sont généralement tolérées et peuvent apparaître comme des acquis même si elles demeurent à la discrétion du surveillant (utilisation du yoyo, heure de réveil...). Lhuilier et Aymard (1997) notent d’ailleurs une forme de grève de zèle où l’application rigide de la règle est retournée contre ses promoteurs :

« Si ils me mettent au quartier X, j’applique le règlement comme ça je n’irais plus ».

Ainsi la réalisation de certaines tâches incombant au surveillant peuvent amener des conflits et « leur exécution est d’autant plus problématique que le surveillant n’est pas toujours persuadé de leur efficacité et/ou que la hiérarchie locale n’est pas perçue par lui comme susceptible de lui apporter son soutien ». (Lhuilier et Aymard., 1997)
Enfin, le surveillant se sentirait « plus surveillé qu’épaulé ». Les transgressions auxquelles il est contraint peuvent amener des sanctions de la hiérarchie, leur proximité avec les détenus est suspecte, les désaveux de la hiérarchie sont perçus comme fréquents et d’autant plus mal vécus qu’ils sont faits devant les détenus.

1.1.8. La relation aux détenus

Traiter la relation surveillant détenus mériterait sûrement qu’on y accorde une grande part de réflexion dans l’étude du rôle de surveillant de prison. Néanmoins cette relation comporte des caractéristiques spécifiques pertinentes au regard de la question du stress professionnel. Cette spécificité semble s’articuler autour de la question du risque. Lhuilier et Aymard. (1997) recensent différentes formes de risques perçus.
Il s’agit dans un premier temps du risque d’agression verbale et physique par le détenu. Le surveillant représentant la loi, la justice, la société et bien d’autres choses, il est une surface projective pour le détenu et doit de ce fait se constituer une enveloppe protectrice, différencier la personne de la fonction qu’elle exerce. Il existerait une différence pour les femmes qui mettraient plus en avant ce qu’elles ont de commun avec les détenues, valorisent la relation d’aide. Ceci est également très différent en fonction des établissements et de leur régime de détention. Il s’agit ensuite du choix du lieu d’habitation, certains quartiers financièrement plus accessibles, peuvent être également fréquentés par les anciens détenus et les familles de détenus.
Le risque représente également ce que l’on considère comme les risques du métier (évasions, prises d’otages etc...), leur prise en compte dépend de l’histoire personnelle de l’agent mais également de celle de l’établissement. La problématique du risque comprend aussi la question de la contamination par le SIDA. Malgré un accès à l’information, le thème de la contagiosité reste omniprésent puisque associé à d’autres formes de contagions (violence, déviance). Ces dernières se traduisent entre autre par le risque de corruption.
D’autre part, on constate que la dangerosité perçue des détenus ne coïncide pas nécessairement avec leur dangerosité pénale. « Les perturbateurs de l’ordre moral ne sont pas ceux qui sont susceptibles de perturber l’ordre carcéral ». Les détenus dangereux du point de vue des surveillants sont ceux qui n’acceptent pas les codes informels de l’interaction, ceux qui résistent à une recherche commune de pacification des relations par l’attribution de marges d’autonomie et un respect réciproque.
Enfin les auteurs précisent que le développement d’un discours sécuritaire dans l’institution vient renforcer, soutenir une communauté professionnelle qui se sent menacée. Ainsi l’insécurité exprimée, vécue peut être associée à la fragilisation d’une position professionnelle plus qu’à la dangerosité accrue de la population.
Quoiqu’il en soit, les différentes formes de risques perçues amènent le surveillant à développer un certain nombre de stratégies, de savoir-faire de prudence qui lui permettront d’anticiper, de savoir à qui il a affaire, de s’adapter aux détenus. Il s’agira de « traiter d’homme à homme », de respecter les détenus pour être reconnus, de faire preuve d’équité, de tenir ses engagements...

1.1.9. Le collectif de travail

Lhuilier et Aymard (1990) décrivent les faits suivants. L’entrée dans la pénitentiaire se fait par concours. Les candidats de plus en plus jeunes sont poussés là par la crainte du chômage et la nécessité. Les concours de moins en moins sélectifs propulsent les jeunes surveillants dans un métier qui leur demande de faire face à un haut niveau d’insécurité dans sa pratique quotidienne. L’enjeu du métier va donc consister dans la construction d’une identité professionnelle pour faire face à cette insécurité et à l’absence de repères clairement identifiés émanant du corps social.
La nécessité d’une reconnaissance sociale se traduit en outre par le désir d’une continuité d’identification avec les autres corps de métiers qui sont du même côté de la loi (Police, Gendarmerie). La construction de l’identité professionnelle de fait à travers différentes étapes comme le recrutement, la formation, les premiers stages. Or l’une des limites imposées à la formation est celle de l’expérience, le métier de surveillant s’apprend sur le tas. D’où les difficultés que le surveillant rencontre à ses débuts. Le choc carcéral des premiers temps souligne l’importance durant ce temps de l’encadrement et de la solidarité. L’expérience des anciens peu permettre à un nouveau de s’adapter, de trouver ses repères au fil du temps. L’identité professionnelle se traduit ici en référence au groupe des collègues.
Dans la relation avec la population pénale on constate généralement une adaptation réciproque du surveillant au détenu et du détenu au surveillant. L’enjeu se situant dans la mesure du rapport intériorité extériorité qui implique une assurance intériorisée de la différenciation et un étayage conséquent fondé sur une estime pour le métier exercé et une reconnaissance réelle de ses difficultés. Il s’agit également de développer un savoir être autour du rapport de réciprocité et d’asymétrie face au détenu. Réciprocité dans le respect des places assignées qui sont par nature asymétriques.
La construction d’une identité professionnelle est d’autant plus complexe que les pratiques professionnelles des uns et des autres ne peuvent pas être homogènes. La variété des pratiques professionnelles concerne également la hiérarchie. L’origine de ces différences serait imputable à la personnalité des uns et des autres. L’absence d’uniformisation des pratiques semble être plus mal tolérée par les plus jeunes. Le surveillant qui trouve ses propres marques œuvre pour que les surveillants forment un groupe en alliance de travail, un collectif de travail. On peut dire de ce collectif qu’il est constitué quand les différences de pratiques professionnelles sont non seulement repérées, acceptées mais encore reconnues comme complémentaires.
Dans les grandes maisons d’arrêt la construction du collectif de travail se heurte à certaines difficultés. Une sensibilité particulièrement importante à la chasse aux ripoux, l’insistance portée sur le risque d’agression à l’extérieur de l’établissement, une tendance fortement ancrée à se représenter tout autre collègue comme trop laxiste ou trop répressif, un turn over important des détenus et des jeunes surveillants et le nombre de surveillants qui ne permet pas de se reconnaître.
Le collectif recherchera d’autant plus d’homogénéité que sera grande l’insécurité dans le travail individuel et l’absence de reconnaissance de proche en proche. Le fonctionnement du collectif varie selon les établissements. Si les contacts avec la hiérarchie sont positifs (sentiment d’être pris au sérieux, considéré, consulté) on peut alors faire fonctionner les règles et le règlement selon l’esprit et la finalité et non selon la lettre et l’exactitude bureaucratique.
En outre, l’objectif de toute direction comme de l’administration est de "maintenir le calme en détention", pour cela le surveillant doit disposer d’un marge d’initiative qui, pour être assumée, doit faire l’objet d’une légitimation fondée sur le degrés d’accord du collectif concernant telle ou telle réaction du surveillant. Le collectif joue donc un rôle de tiers intériorisé, de référence extérieure qui fait "loi" et rend ainsi possible la relation d’asymétrie et de réciprocité. Par contre si les conditions utilisant la constitution et la consolidation d’un esprit d’équipe manquent, on assistera alors à la propagation du fonctionnement individualiste : repli sur soi, "débrouillardise" personnelle, absentéisme, repli frileux derrière le règlement et sa stricte observance.

1.1.10. Un travail qu’on apprend à aimer

Chauvenet et al (1884) rapportent que 53% des surveillants disent ne pas trouver de motif intrinsèque de satisfaction de leur fonction, ils évoqueraient plutôt la stabilité de l’emploi, le statut de fonctionnaire. 1/3 des surveillants ne valoriseraient que quelques amitiés entre collègues, pour les autres ce qu’ils apprécient ce serait leur relation avec les détenus. Lhuilier et Aymard (1990) concluent leur rapport sur « sécurité et identité professionnelle des personnels de surveillance dans la dynamique du changement et des résistances au changement » en soulignant ce qui relève du plaisir dans ce rôle. Il s’agit d’avoir le sentiment d’être utile non pas au regard d’un objectif qui leur semble aussi lointain que la réinsertion mais dans la gestion quotidienne de la détention. Ce sentiment d’utilité étant surtout éprouvé à l’égard du détenu. Il s’agit d’alléger la souffrance liée à l’incarcération en lui remontant le moral, en lui rendant de petits services, en l’aidant à se maîtriser vis à vis d’autres détenus, en l’aidant à faire son temps tout en diminuant les effets désocialisant de l’incarcération. En maison d’arrêt le plaisir peut également être lié au fait d’avoir su maîtriser sa journée de travail, à ne pas avoir l’impression d’être débordé, de réussir à tenir le ‘timing’, c’est à dire à avoir la sensation de maîtriser plus que de subir les conditions de travail. Le détenu étant en situation de dépendance vis à vis du surveillant, le plaisir peut se situer dans le fait d’avoir les moyens de répondre aux besoins du détenu, au moins en partie. Le plaisir peut également être lié à l’investissement de l’espace qui existe entre travail réel et travail prescrit, ce en construisant une identité professionnelle où s’expriment leurs potentialités à évaluer une situation, à l’anticiper, à s’adapter, s’ajuster aux relations, à l’imprévu. Ceci générant le sentiment d’avoir mérité son appartenance au groupe professionnel. Le rôle de surveillant peut aussi être perçu comme un défi à relever en permanence, un métier où on apprend toujours. Les surveillants peuvent se montrer satisfaits d’être capables de tenir leur fonction malgré la disqualification dont ils sont l’objet et l’hostilité générale des détenus, se sachant malgré tout utiles à la société et aux détenus. A cela peut s’ajouter la satisfaction d’être reconnu par sa hiérarchie qui peut manifester certains signes de confiance ainsi que les collègues qui peuvent faire appel à lui dans des situations délicates ou encore les détenus qui se laissent aller à montrer leur gratitude ou à se confier.
 

1.2. Stress et coping

1.2.1. Approche transactionnelle du stress (Graziani, 2001)

C’est une approche strictement psychologique de l’expérience stressante qui focalise son attention sur des éléments centraux construits cognitivement, sur la façon dont l’individu perçoit la situation stressante (stress perçu), analyse sa capacité à faire face (contrôle perçu) et met en place des stratégies de coping. Rien n’est considéré à priori comme stresseur, les stresseurs physiques ou psychologiques amènent des réponses au stress après avoir été évalués comme menaçants et dangereux par le sujet.
Le stress est donc envisagé comme une transaction particulière entre la personne et l’environnement, dans laquelle la situation est évaluée par l’individu comme taxant ou excédant ses ressources et pouvant menacer son bien-être (Lazarus et Falkman 1984).
 Selon ce modèle, une situation devient stressante quand la ‘demande’ faite par l’interaction individu/environnement est évaluée par le sujet comme excédant ses propres ressources. Le stress serait donc une relation particulière, un processus orienté entre la personne et l’environnement.
 L’évaluation cognitive de la situation stressante s’effectue à deux niveaux.
- L’évaluation primaire est rapide, automatique et vise à déterminer si la situation représente ou non une menace, un danger, un défi.
- L’évaluation secondaire concerne les ressources du sujet qui va mettre en place les efforts nécessaires pour faire face à la situation stressante.
Une série de réévaluations sont alors mises en œuvre tant que la situation stressante est encore active.

 

1.2.2. Les déterminants du stress

La situation stressante est donc médiatisée par des processus d’évaluation subjectifs ainsi que par des variables contextuelles et l’adoption de stratégies d’adaptation.
Pour Bruchon-Schweitzer il existe un certain nombre de facteurs qui modèrent ou permettent de prédire la transaction sujet/environnement tels que l’âge, le sexe, l’ethnie, le statut social, la résilience etc.... Ces multiples variables sont prises en compte dans le modèle intégratif et multifactoriel de psychologie de la santé (Bruchon-schweitzer, 2002)
Les stresseurs professionnels sont parmi les stresseurs les plus fréquemment évoqués par les individus. L’environnement de travail peut nuire à la santé de façon directe (Exposition à des situations ou substances dangereuses ou augmentation des risques de développer certaines pathologies) ou de façon indirecte (stress chronique, détresse, insatisfaction, stratégies de coping et soutien social inadéquat, habitudes et comportements à risques). Parmi les caractéristiques du travail qui seraient des stresseurs potentiels, une surcharge de travail (un travail trop dur, trop long, comportant trop de tâches différentes) est associée à plus de stress perçu, des styles de vie malsains, des plaintes somatiques, une augmentation des risques de cardiopathie, associée aux rythmes de travail, la surcharge professionnelle est liée à une augmentation des problèmes de santé perçus et effectifs. Un travail très contraignant et peu contrôlable peut amener à la dépression, à l’épuisement professionnel et à une dégradation de l’état de santé. Au niveau relationnel, le conflit de rôle est généré par des demandes contradictoires émanant de différents partenaires. Quant à l’ambiguïté de rôle, elle relève d’une mauvaise définition du rôle de l’individu dans son travail. Ces deux éléments sont précurseurs de maladie. De plus, lorsque les responsabilités des personnes engagent des vies humaines ces dernières peuvent être source d’épuisement professionnel. Certains troubles psychologiques ou cardio-vasculaires pourraient apparaître à certaines étapes de la carrière notamment lorsque celle-ci n’offre pas la possibilité de réaliser ses objectifs ou ses ambitions. Enfin, l’interface entre vie privée et vie professionnelle peut amener certaines difficultés ces deux éléments n’étant pas étanches.
Certaines caractéristiques du travail peuvent donc être source de difficultés tant sur le plan émotionnel (dépression, anxiété etc...), sur le plan comportemental (consommation d’alcool, de tabac), mais également sur le plan organisationnel (absentéisme, turn-over). Néanmoins l’influence de ces caractéristiques professionnelles peut varier en fonction des stratégies spécifiques mises en place par le groupe et en fonction des modes individuels de réaction aux facteurs environnementaux. Ceci expliquerait pourquoi des conditions de travail, même très aversives, n’ont pas forcément un effet nocif sur tous les travailleurs.

1.2.3. Le Burnout

Le burnout est distinct du stress professionnel qui recouvre l’ensemble des pressions physiques et psychologiques liées aux situations de travail et qui se traduisent par des réactions physiques et psychologiques diverses, ayant un effet sur la santé (Fisher et Truchot, 2002). Le burnout est l’une des conséquences du stress professionnel qui semble concerner essentiellement les professions qui supposent une forte implication relationnelle. Il toucherait surtout les employés exposés à des relations qui nécessitent une mobilisation constante des ressources cognitives et émotionnelles.
Ce concept a été élaboré par Freudenberger (1987) à partir de l’observation d’un sentiment de vide de l’existence dû à un épuisement favorisé par les contraintes de travail. Il décrit un tableau fait de signes somatiques non spécifiques, de comportements inhabituels, d’une surcharge émotionnelle et d’attitudes défensives caractérisées par l’activisme ou le cynisme et le détachement face à autrui. La perte d’intérêt envers l’autre en tant qu’être humain gagne la sphère du privé et les conflits relationnels rencontrés en dehors du travail redoublent ceux rencontrés sur le lieu de travail (Lhuilier et Aymard, 1997)
Maslach et Jackson (1981-86) le définissent comme un syndrome d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et de réduction de l’accomplissement professionnel, impliquant le développement d’images de soi négatives, des attitudes défavorables envers le travail et une perte d’intérêt pour autrui. (Fisher et Truchot 2002).L’épuisement émotionnel renverrait au fait que la personne est « vidée nerveusement », a perdu tout entrain, n’est pas motivée par son travail. La dépersonnalisation correspondrait à des attitudes négatives, cyniques envers le public auprès duquel on intervient. Fisher et Truchot (2002) la considèrent comme une stratégie de coping car en traitant de façon impersonnelle le public, la personne se protège en échappant à leur demande. Enfin, avec un accomplissement émotionnel réduit, la personne s’évaluerait négativement, ne s’attribuerait aucune capacité à faire avancer les choses. Cette dimension est considérée comme la conséquence de la perte de l’efficacité personnelle, notamment lorsque la situation n’est plus perçue comme contrôlable.
Parmi les éléments spécifiquement associés au Burnout on retrouve les causes organisationnelles notamment avec le conflit de rôle et l’ambiguïté de rôle. Dans un premier cas l’individu est surchargé d’informations contradictoires et risque toujours d’effectuer une tâche qui contredit certaines attentes, dans le second cas il manque d’informations sur la façon la plus efficace de réaliser son propre travail. On compte aussi le contrôle et la participation aux prises de décisions. Seligman (1975) a montré qu’être face à des situations ou des tâches non contrôlables produirait des déficits affectifs, cognitifs et motivationnels. En terme de relation interpersonnelles on retiendra également qu’un support social élevé de la part des collègues ou de la hiérarchie a un effet direct sur le bien être psychologique et physique et peut avoir un effet tampon dans les situations stressantes. Concernant l’organisation du travail on remarque que le travail posté peut nuire à la santé, la perturbation de rythmes circadiens apparaissant parmi les facteurs pouvant médiatiser l’épuisement professionnel (Bruchon-Schweitzer. 2001). Parmi les caractéristiques socio démographiques qui influencent le burnout on retrouve l’age et l’ancienneté dans la profession. Dans une étude sur le burnout des médecins libéraux, Bantegnie et Roncari (2002), montrent que les médecins de plus de 55 ans ont des niveaux d’épuisement émotionnel et de dépersonnalisation plus faibles que les plus jeunes. Elles montrent également qu’après vingt cinq ans d’exercice, les médecins présentent des moindre en épuisement émotionnel et en dépersonnalisation.
L’épuisement professionnel est mesuré dans la majorité des recherches à l’aide du « Maslach Burnout Inventory » (MBI). Il mesure les trois dimensions d’épuisement émotionnel, de dépersonnalisation et d’accomplissement personnel, chacune de ces dimensions étant indépendante.

 

1.2.4. La notion de coping

En terme d’adaptation, le coping renverrait à la sagesse de choisir la réponse la plus adaptative pour les situations les plus stressantes, notamment il s’agirait d’avoir la détermination de produire une réponse active lorsqu’elle est souhaitée et de s’auto contrôler pour répondre passivement quand c’est préférable, cette adaptation visant un bien être physique, psychologique et social.
Les « modes » de coping peuvent influencer la santé de trois façons différentes. Ils peuvent influencer les réactions physiologiques et neurochimiques au stress soit par défaut des stratégies centrées sur le problème, soit par inefficacité des stratégies centrées sur l’émotion ou encore par l’utilisation de stratégies à risque. Les modes de coping peuvent également influencer la santé de façon directe par la consommation excessive de substances nocives soit par l’adoption de comportements à haut risque.
Dans l’approche transactionnelle, le coping est définit comme l’ensemble des efforts cognitifs et comportementaux destinés à maîtriser, réduire ou tolérer les exigences internes ou externes qui menacent ou dépassent les ressources d’un individu. (Lazarus et Folkman, 1984). C’est donc un processus orienté, lié au contexte, les stratégies ne peuvent donc pas être jugées à priori bonnes ou mauvaises. Certaines stratégies peuvent être efficaces à court terme et contre productives à long terme (ex : addiction).

Lazarus et Folkman (1984) identifient deux types de coping principaux, le coping centré sur le problème et le coping centré sur l’émotion.
Le premier type regroupe les stratégies d’approche du stresseur qui obligent l’individu à faire quelque chose pour altérer la source de stress. Ces stratégies visent à réduire les exigences de la situation et/ou à augmenter ses propres ressources pour mieux y faire face. Pour Paulhan (1992) il s’agit de modifier directement les termes actuels de la relation personne/environnement par la mise en place d’efforts comportementaux actifs avec affrontement du problème dans le but de le résoudre. Ces stratégies incluraient la confrontation, l’élaboration et la mise en œuvre de plans d’action qui permettent au sujet de se donner les moyens de transformer la situation qu’il est en train de vivre ce qui contribuerait directement à modifier son état émotionnel.
Le deuxième type de stratégies contient celles qui visent l’aménagement, la réduction ou la régulation des émotions de détresse provoquées par le stresseur. Le coping centré sur l’émotion comprend les différentes tentatives de l’individu pour réguler les tensions émotionnelles induites par la situation. Il tente par là d’altérer la signification subjective de l’événement en ayant recours à des activités cognitives comme l’humour, la sous-estimation des aspects négatifs ou encore la réévaluation positive (transformer une menace en défi). Pour Paulhan (1992) ces stratégies, souvent génératrices d’émotions positives se sont révélées être efficaces pour abaisser la tension émotionnelle dans le cas d’expériences stressantes de courte durée et surtout quand le coping centré sur le problème n’est pas possible (ex : perte d’un proche, maladie grave)
On retrouve fréquemment l’évitement comme stratégie spécifique ou associé aux stratégies centrées sur l’émotion, il concerne l’évitement de la situation stressante comme la fuite, la distraction, le désengagement ou la dénégation. Il peut également s’agir d’activités de substitution comportementales ou cognitives comme les activités sportives ou encore la relaxation, les loisirs. Ces activités sont destinées à liquider la tension émotionnelle et aider ainsi l’individu à se sentir mieux. Pour Paulhan (1992) ce type de stratégie peut être efficace quand il est associé à des stratégies de confrontation avec l’événement stressant, contrairement à la fuite qui n’offre qu’un répit temporaire.
Pour Bruchon-Schweitzer (2002), la recherche de soutien social apparaît comme une stratégie à par entière, elle correspond aux efforts du sujet pour obtenir la sympathie et l’aide d’autrui. La recherche de soutien social n’est donc pas une ressource, il s’agit bien des tentatives effectives d’une personne pour obtenir une écoute, des informations ou encore une aide matérielle.

Généralement les sujets utilisent à la fois des stratégies centrées sur le problème et centrées sur l’émotion simultanément. Si l’adoption de ces stratégies dépend du type de situation elles s’avèrent relativement stables chez une même personne ou dans un même groupe et l’impact de la situation dépendrait surtout du mode de coping lequel changerait également selon les étapes de l’interaction.

Le coping est médiatisé par de nombreux facteurs. Il peut s’agir des traits de personnalité (‘hardiness’, ‘locus of control’...) ou de facteurs plus externes comme le support social. Les femmes seraient, entre autre décrites comme utilisant plus de réponses émotionnelles dans la confrontation au stress, utilisant peu de stratégies de résolution de problème et ayant peu de ressources de coping. Dans le cadre professionnel elles utiliseraient moins de stratégies centrées sur le problème, plus de stratégies de retournement contre soi et de stratégies de fuite et d’évitement. En somme, elles utiliseraient un coping moins efficace mais aussi moins désirable socialement faisant ainsi plus l’épreuve de la souffrance (Graziani 2001). Notons également qu’une activité physique vigoureuse, comme faire du sport, réduirait l’anxiété et améliorerait l’humeur en inhibant temporairement les mécanismes de stress mais également en améliorant le bien être psychologiques et l’efficacité du coping (Graziani, 2001).

1.2.5. Relations entre coping et burnout

En terme d’efficacité, il semblerait qu’un style de coping actif centré sur le problème se révèle plus efficace qu’un style de coping passif, centré sur l’émotion, pour réduire la tension émotionnelle induite par l’événement dans le cas où celui-ci apparaît comme contrôlable (Paulhan 1992). Pour Bruchon-Schweitzer (2002) il semble que les stratégies centrées sur le problème soient plus efficaces que les autres et ceci dans une variété de situations professionnelles.
Les études réalisées par Pronost et Tap (1996) font apparaître chez les infirmières à fort taux d’épuisement professionnel des stratégies d’adaptation en terme de retrait, d’évitement et de fuite. Par ailleurs, les infirmières à faible taux d’épuisement professionnel utilisent des stratégies de résolution de problème, d’évaluation, de recherche de soutien social. Chez les infirmières qui apparaissent comme le moins épuisées émotionnellement, l’adaptation à la situation est plus souple, les conduites sont moins défensives, se traduisant souvent par un changement de comportement et une demande d’aide à autrui. Les stratégies de "faire face" socialement désirables, en particulier la capacité de contrôle de soi et de la situation et la possibilité de rechercher ou d’accepter l’aide d’autrui, sont plus fréquemment présentes lorsque des possibilités d’expression inter individuelle de la souffrance des soignants se font jour.

1.2.6. Stress et collectif de travail

Selon Lhuilier D., le groupe de travail joue un rôle essentiel de médiation entre l’individu et la situation de travail. Ce qui est important n’est pas la coprésence mais la coopération déployée et le sentiment d’appartenance qui lie chacun aux autres dans une unité de travail. L’identité professionnelle constitue un outil principal des professions de la relation et apparaît comme un frein au risque de "contagion psychique" et permet à la relation de s’inscrire dans un cadre qui attribue des places respectives, qui attribue des droits et des devoirs. De plus le degré d’accord du collectif permet d’assumer et de légitimer l’écart entre le travail prescrit et le travail réel. Ainsi, si la souffrance est liée à un sentiment d’impuissance, de débordement d’une tension psychique. La prévention passe par la restauration d’une capacité d’élaboration et d’action. Elle suppose l’existence d’un espace social où les difficultés rencontrées dans l’exercice du métier peuvent être exprimées, ou une prise de distance peut se construire permettant ainsi d’atténuer les mécanismes contre transférentiels (indisponibilité psychique, catégorisation, ironie...)

1.3. Le stress des surveillants de prison

1.3.1. Connaissance du sujet dans l’administration pénitentiaire

Le stress est un phénomène bien connu au sein de l’administration pénitentiaire, il est pris en compte dans le cadre de la gestion des risques professionnels. En 1997, un groupe de travail a été chargé d’élaborer des recommandations en matière d’hygiène et de prévention des risques professionnels destinées au personnel pénitentiaire. Ce travail engagé sur l’initiative de l’Administration pénitentiaire sous l’autorité de Mme Tardieu Médecin de prévention auprès de la Maison d’Arrêt de Fleury Mérogis, est présenté sous forme de livret destiné au personnel comprenant des recommandations pratiques. Le stress y est donc présenté comme un ensemble de perturbations organiques et psychiques provoquées par des agents agresseurs variés, comme le froid, une maladie etc. C’est donc une réponse unique de l’organisme à un événement « une grande joie pouvant provoquer les mêmes effets qu’une mauvaise nouvelles ». Il pourrait donc être salutaire car il permettrait de focaliser l’attention, de mobiliser l’énergie et incite à l’action mais un stress d’intensité et de durée trop élevée pourrait amener une altération des processus d’adaptation jusqu’à l’épuisement.
 Madame Tardieu et son groupe de travail identifient les facteurs liés aux contraintes du métier et ceux qui sont provoqués par des événements graves, le plus souvent imprévisibles. Pour les agents travaillant en détention on prend en compte :
- le stress généré par la tension carcérale,
- Le stress généré par la difficulté d’agir sur les souffrances observées,
- Le stress généré par la difficulté de mesurer la dangerosité que représente le groupe « population gardée » et l’imprévisibilité de certains comportements.
- Le stress généré par les attitudes provocantes (associé au manque de reconnaissance des autres corps professionnels),
- Les tensions générées par la double mission de garde et de réinsertion dont les logiques peuvent s’opposer,
- Le stress généré par la complexité des rapports sociaux avec les détenus et la hiérarchie,
- L’insuffisance des repères, le déficit de communication, la difficulté d’obtenir des projets de service explicites et lisibles, la difficulté à se réunir.
- Le stress lié aux difficultés d’appliquer strictement les règlements
- Le stress généré par les effets du rythme de travail.
On souligne également les facteurs organisationnels comme les problèmes d’effectif, les lourdeurs administratives et la nécessité de travailler dans l’urgence.
Les éléments qui permettent de compenser sont la cohérence de l’équipe, la solidarité, le sentiment d’être reconnu par la hiérarchie, le sentiment d’efficacité, l’intérêt, le sentiment d’appartenance à la fonction publique et toute manifestation authentique de reconnaissance sociale.
Dans les recommandations pratiques, on encourage les agents à participer aux actions de formation proposées, qu’elles portent sur les pratiques professionnelles, la gestion des conflits, les techniques de défenses ou les activités visant à préserver leur équilibre. On les engage également à identifier les stresseurs professionnels sur lesquels ils peuvent agir, à parler de leurs difficultés, à prendre soin d’eux même et à soigner les conséquences d’un événement traumatique.
 

1.3.2. Stress et caractéristiques professionnelles

La profession de surveillant de prison appartient à l’ensemble des professions concernées par la question du stress professionnel. C’est en effet un rôle qui demande une forte implication relationnelle, le surveillant étant sans cesse exposé aux sollicitations des détenus. La question de la dangerosité de la fonction rapproche le rôle de surveillant de celui des policiers ou autres professions à risque. La dangerosité est relative à l’imprévisibilité de la population, elle revêt le risque d’agression physique mais également verbale. D’autres caractéristiques professionnelles peuvent être prises en compte comme la charge de travail qui peut s’avérer très lourde ou complètement inexistante et les horaires et le rythme de travail, bon nombre de surveillants travaillant en service posté (travail de nuit). On retiendra l’indétermination des tâches décrite par Chauvenet et al (1994) qui renvoie à la notion de conflit de rôle, la personne ne sachant pas quelle est la meilleure façon de remplir sa fonction. Ceci est également associé à l’ambiguïté de rôle, les informations contradictoires se situant soit entre les missions de sécurité et de réinsertion soit entre logique bureaucratique et logique de maintien de l’ordre, on retiendra que pour Chauvenet et al. (1994) le surveillant est dans une situation de double contrainte. Ces derniers décrivent également l’instrumentalisation de la fonction de surveillant laissant ainsi supposer un faible niveau de contrôle quand à leur fonction ainsi qu’une faible participation à la prise de décision. A ce titre on retiendra que la participation des surveillants en commission d’application des peines semble peu étendue et qu’ils demeurent jusqu’à présent les exécutants des décisions de justice sur lesquelles ils n’ont aucune emprise. Le sentiment d’inéquité quant aux détenus se développe avec l’impression qu’on fait tout pour les détenus, qu’ils ont droit à tout au détriment des surveillants ou de la sécurité. En terme de support social, les désaveux de la hiérarchie semblent s’ajouter à un effritement de l’esprit de corps et de la solidarité entre surveillants. L’organisation des carrières ne semble guère offrir de réconfort, certaines personnes mettent des années à revenir dans leur région d’origine vivant constamment dans l’attente d’une mutation (« Ils vivent assis sur des cartons ») et vivant difficilement de nouveaux reports de l’échéance attendue. Enfin l’interface entre vie professionnelle et vie privée est marquée par l’image négative de la profession et le fait que certains lieux de vie, plus accessibles financièrement amènent de jeunes surveillants à vivre au contact d’une population comprenant d’anciens détenus ou des familles de détenus.

1.3.3. Usure professionnelle des surveillants de prison

La question de l’épuisement professionnel des surveillants de prison en France ne semble pas avoir été très étudié mais de savantes transpositions des travaux Anglo-saxons ont permis à quelques chercheurs d’approfondir rapidement la question.
Lhuilier et al. (1997) abordent cette problématique à travers la question de la souffrance. L’épreuve serait plus psychique que physique. Le sentiment d’usure au travail serait associé à l’insécurité vécue, au poids de l’enfermement, à l’exposition aux sollicitations permanentes des détenus, à un sentiment d’impuissance et pour certains à la perte de la signification subjective de leur rôle associé au sentiment d’un manque de reconnaissance et de considération à leur égard. Pour elles, le sentiment d’impuissance qui émerge à propos des relations avec les détenus se transforme en sentiment généralisé de perte de contrôle sur la gestion de l’existence quotidienne. La souffrance prendrait alors la forme d’un épuisement de la capacité des individus à supporter le poids des tensions, des conflits, le sentiment d’abandon et l’absence de reconnaissance. Les auteurs relient ce tableau au syndrome de burnout.
De façon plus systématisée, on peut se référer aux travaux de JP. Neveu (2001) qui a étudié les conditions de travail et la gestion des ressources humaines en Maison d’Arrêt afin d’analyser la nature dynamique du phénomène d’épuisement. En utilisant le MBI (Maslach et Jackson, 1981-86) l’auteur note que les surveillants se situent à un niveau de gravité de 5 sur une échelle en 8 points notamment sur la dimension d’épuisement émotionnel tandis que les scores semblent globalement bons sur l’accomplissement personnel. Parmi les facteurs d’émergence, ceux qui semblent avoir la plus grande incidence sont le sentiment de dévalorisation de la tâche et le locus de contrôle externe. La dépression semble marquer fortement la population. Concernant l’épuisement professionnel, il semblerait qu’une entrée tardive dans la profession favorise la préservation du sentiment d’accomplissement professionnel. Au niveau organisationnel, l’auteur souligne l’importance de la qualité des rapports avec les collègues dans l’accomplissement de soi, l’impact particulier de la non reconnaissance et du sentiment de dévalorisation de la tâche et l’impact négatif du manque de repos sur le sentiment de reconnaissance.
Pour Lourel (2002) l’épuisement émotionnel est associé au désengagement des participants vis à vis du travail, à de faibles possibilités d’évolution de carrière et au manque de soutien social de la part des supérieurs hiérarchiques, il établit également un lien entre l’épuisement émotionnel et les plaintes liées à la santé physique. Pour lui, l’ancienneté a un impact positif sur l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation. Les réponses organisationnelles fournies par les agents se traduisent par une baisse de l’efficacité au travail, un fort turn-over, un absentéisme important et l’intention marquée pour l’agent de quitter son travail.

1.3.4. Les stratégies d’adaptation des surveillants de prison

Lhuilier et Aymard (1997) citent Dejours et Abdoucheli (1990) pour qui « la souffrance que l’on s’efforce de saisir ne peut être atteinte qu’au travers des stratégies défensives qui en ont profondément transformé l’expression ». En étudiant la santé psychique des surveillants, elles constatent une tentative d’établir un clivage entre l’activité professionnelle et la vie privée lequel ne peut plus être maintenu dans les moments de crise.
Elles décrivent ensuite un ensemble de stratégies défensives qui ne sont pas sans rappeler les stratégies d’adaptation décrites dans les études sur le stress. Celles qui sont décrites ici sont entendues au sens de ce qui permet d’éviter, d’atténuer, voire de transformer les contraintes de travail. Qu’il s’agisse de pacifier les rapports avec les détenus ou de diminuer l’incertitude dans laquelle se trouvent les agents, ces stratégies visent, de façon générale, soit le changement d’une situation réelle, éprouvante, menaçante, soit le changement de la représentation subjective qu’en a le sujet, soit la modification de l’affect associé à la situation.
La première stratégie décrite peut être apparentée à une stratégie d’évitement puisqu’elle vise à « s’évader » de la détention soit en cherchant à effectuer l’essentiel de son service sur les miradors, soit en cherchant à occuper des postes fixes.

« La détention c’est étouffant à la longue »
« Il y a des surveillants qui sont plus capables que d’autres à certains postes. On met sur les tours ceux qui sont moins à l’aise en détention. [...] Il y en a qui aiment le mirador »

Si le fait de se retirer du cœur de l’espace carcéral possède un certain nombre d’avantages (meilleur rythme de travail en évitant notamment les services de nuit, possibilité de mieux cerner le contenu de son rôle...) ces positions n’en restent pas moins mal tolérées par ceux qui restent dedans. Restent alors l’absentéisme comme soupape de sécurité et l’attente d’une mutation comme perspective d’un meilleur avenir.
Le deuxième type de stratégies décrites visent à contrôler, maîtriser l’émotion, qu’il s’agisse de la peur, de l’agressivité ou de la souffrance.

 « Il faut garder le masque, toujours »
« Il ne faut pas faire paraître sa sensibilité parce que les détenus le voient »

Elles passent par le port de l’uniforme qui accentue la coupure avec l’extérieur et qui révèle les qualités psychologiques et morales qu’est censé avoir celui qui le porte. Le contrôle émotionnel apparaît comme un devoir face à l’agressivité des détenus, devoir qui a du mal à être réalisé et qui génère chez les surveillants un sentiment d’étrangeté à soi même, sorte de dissociation entre identité professionnelle et identité personnelle.
Certaines stratégies portent sur la modification de la réalité, du moins sur la façon dont elle est perçue. Il serait souvent question de ne pas penser aux risques afin de ne pas avoir peur. La représentation du détenu est également un enjeu dans la mesure où elle serait susceptible d’accentuer ou d’atténuer le sentiment d’insécurité et la culpabilité.

 « Ce ne sont pas des enfants de cœurs quand même ! Il faut voir ce qu’ils ont fait. On prend toujours le même exemple, un gars qui a tué une gamine...il faut penser à ça, ça remet les choses à leur place »

Si les surveillants sont sensibles aux notions de justice de classe, d’échec du système carcéral et aux problèmes qui se posent en détention, il serait d’autant plus difficile pour eux d’être l’agent d’une institution qui aurait perdu de sa grandeur.

 « La Justice c’est le monde de l’injustice, tout le monde le sait. D’une cours d’assise à l’autre, pour le même délit c’est pas les mêmes peines. Si on a de l’argent, si on n’en a pas c’est pas la même chose »

De plus la rigueur de la séparation avec le groupe des détenus suppose une représentation qui ne soit pas de nature à susciter l’identification, le système de représentation étant élaboré collectivement et entretenu par le groupe. Un ensemble de rites sont alors mis en place de façon à se préserver de la contagion du mal (évitement des contacts, non utilisation d’objets leur appartenant, précautions d’hygiène...).

 « Il y a deux milieux : les détenus et nous ; il faut bien faire la part des choses au début pour savoir de quel côté on est. On ne peut pas être des deux côtés à la fois, c’est pas possible. Si on ne sait pas dans quelle eau on nage il y a aura des problèmes »

On assiste néanmoins à l’émergence d’un double discours, public versus privé. Si le premier est généralement « défensif, sécuritaire et anti-détenu » (Chauvenet et al, 1994), le deuxième, plus favorable est fondé sur la relation interpersonnelle. Notons que le discours collectif ne comporte pas que la relation au détenu mais bien un ensemble de codes et de dimensions dans une tentative de créer un discours collectif.

Marion Vacheret (2001) décrit trois types de stratégies d’adaptation mises en place par le personnel de surveillance canadien pour faire face à ce qu’elle décrit comme un sentiment de perte de pouvoir et de dévalorisation.
Dans une tentative pour retrouver leur crédibilité certains vont faire valoir le caractère indispensable de leur présence pour le maintien du bon ordre. Ils citeront des exemples de situations problématiques où seule leur intervention a permis la reprise en main des détenus, insisteront sur le fait qu’il peut se passer n’importe quoi, mettront en avant les dispositifs de sécurité de l’établissement qui permettront rapidement de faire face à un danger toujours présent ainsi que leur force physique et leur force de caractère. A ce titre les femmes qui travailleraient comme des hommes seraient extrêmement valorisées par leurs confrères.
D’autres, mettant en avant leur connaissance des détenus, vont se valoriser à travers leur mission en réinsertion sociale. Ils se considèrent comme les mieux placés pour comprendre les personnes soumises à leur contrôle et vantent la clairvoyance de leur jugement privilégiant une attitude d’écoute, de relation d’aide et de support des détenus. Leur présence favorise le maintien d’une ambiance positive, la tolérance et la souplesse dominent et la discussion est le mode d’échange privilégié.
Les derniers vont opérer un retrait privilégié et un laisser aller dans l’exécution de l’ensemble de leurs tâches quelles qu’elles soient ; Ils expriment un sentiment d’impuissance, de frustration et de désintérêt, vis à vis des détenus, le discours consiste à dire « qu’il n’y a rien à faire avec eux, moins on les voit, mieux on se porte », ils manifestent une attitude générale d’indifférence, leur travail prenant la forme d’un simple gagne pain dont on comptabilise les jours avant la retraite. Ils organiseraient leur travail de façon à éviter tout contact avec les détenus, ayant également recours à des congés maladie ou à de l’absentéisme.

 En terme de stratégies de coping évaluées par la ‘Ways of Coping Checklist’, la recherche de soutien social apparaît comme un modérateur de la dépersonnalisation, l’épuisement émotionnel et la dépersonnalisation seraient reliés à l’absentéisme, les absences seraient à leur tour reliées à la non reconnaissance, au manque de contrôle et à la dépression (Lourel 2002).