Jean-Christophe Poisson 11, rue du Réveillon 91330 - Yerres
Monsieur Stéphane Gely Direction Régionale des Services Pénitentiares de Paris 3 avenue de la Division Leclerc BP 103 94267 Fresnes
Monsieur Gely,
Je tenais à vous dire combien j’ai été sensible à votre présence au spectacle donné par les prisonniers du CD de Melun le 28 mai et à la conversation que nous avons eue lors de l’échange qui s’ensuivit.
Je voudrais revenir sur l’appréciation que vous avez formulée au sujet du travail livré par l’équipe.
En mettant en avant l’intérêt que vous portez à la cohésion dans la durée d’un groupe de détenus concentrés sur un projet de création, vous me donnez l’occasion d’opérer la mise en perspective de ce résultat par rapport aux conditions particulièrement douloureuses dans lesquelles il a pris forme.
Le thème que j’ai choisi et proposé aux acteurs cette année n’est le fruit ni du hasard, ni d’une propension à la provocation que d’aucuns auraient tendance à me prêter. Utiliser comme trame de création la prise d’otage opérée par les Tchétchènes au Théâtre du Monde de Moscou en octobre 2002 portait de façon éclatante le constat que je nourris après 8 spectacles en prison : le théâtre y est le seul espace d’expression libre pour la population pénale, tout comme il l’est, historiquement, en Russie.
Les participants se sont emparés de ma proposition symbolique avec ferveur, pour la mettre au service d’un propos humaniste en faveur des minorités ethniques opprimées dans le monde et de la puissance de désinformation des médias.
Phénomène inédit, ils ont de leur propre chef doublé les séances que je dirige le vendredi par un atelier d’écriture autonome le jeudi où l’assiduité le disputait à la créativité.
Une démarche collective par trop intense pour qu’un équilibrage en retour de l’Administration locale ne s’établisse à un niveau de réaction et d’inquiétude disproportionné. L’absence de la Direction aux représentations en dépit de la présence d’un certain nombre d’institutions culturelles partenaires n’en est pas un des moindres symptômes.
Le SPIP, qui y était représenté par deux agents, était informé dès la première réunion de début décembre de la nature du propos et du nom du personnage principal de la pièce. Cela ne posa de problème à personne jusqu’à ce que, quatre mois plus tard, par la bouche de Monsieur Peray, l’objection de la Direction tombe : il ne convient pas de mettre en scène une prise d’otage en prison et le nom de Monsieur Barayev ne doit pas être mentionné.
L’équipe explose. Quatre acteurs se désistent, craignant pour les conditions administratives de leur séjour au Centre de Détention. Cette fracture intervient après une première, qui disloqua définitivement la troupe de l’atelier précédent. L’immaturité d’une personne recrutée par le SPIP sous contrat emploi jeune, surchargée de responsabilités, dont celle de l’atelier théâtre, sa conception toute personnelle du devoir de réserve envers les détenus, ses dérapages relationnels envers certains avaient conduit à des rivalités d’homme d’une violence extrême au sein d’une population dont il n’est rien de dire qu’elle est particulièrement vulnérable au déficit de sensible imposé par la prison. L’agent est en arrêt maladie de longue durée pour dépression. Les dégâts causés à l’intérieur sont d’autant plus profonds que la culpabilité de l’infraction pèse obligatoirement sur les prisonniers, pourtant victimes de l’erreur de casting administrative et de sa persistance pendant plusieurs années.
Les répétitions commencent. Comme par hasard nous ne disposerons de la salle de théâtre que le dernier mois pour quatre après-midi au lieu de la vingtaine de demi-journées habituelle. Afin de garantir la survie du projet, je suis tenu d’intervenir bénévolement hors-contrat plusieurs lundi pour fertiliser au maximum le travail accompli jusque là et garantir la qualité des représentations.
Pendant quatre mois, à quinze personnes confinées dans une salle d’angle de 20 mètres carré les incidents avec le personnel de surveillance se multiplient. L’énergie vocale et la bonne humeur développées par l’équipe dans la création semble perturber la quiétude des étages. Irruption de surveillants alarmés dans les répétitions, altercations avec les détenus, menaces de rapports, tracasseries formalisées par une application erratique du règlement intérieur (D’un jour sur l’autre la porte de la salle doit être verrouillée et les prisonniers ne peuvent plus aller prendre leur tour dans la queue pour le téléphone, le lendemain elle doit absolument être ouverte, - dans les deux cas il s’agit de me protéger en cas d’incident !) un jour la salle est fumeur, l’autre non fumeur, etc.).
Nous obtenons in-extremis le matin de la deuxième représentation la batterie de l’atelier musique qui ne sert à personne et que nous sollicitons depuis plusieurs semaines. Je suis tenu de fournir à mes frais le nécessaire pour la première représentation. Le haut parleur de la salle de spectacle n’est pas débranché à temps au début de la représentation. Les participants s’épuisent en courriers kafkaïens pour obtenir trois cartons et du film plastique auprès des ateliers. Acune coordination n’est établie avec le service scolaire en infraction avec la circulaire d’orientation sur l’enseignement en milieu pénitentiaire du 29 mars 2002 : deux prisonniers apprennent vers la fin de l’atelier qu’ils doivent choisir entre le DAEU et les représentations. Le climat se dégrade.
Un climat de suspicion généralisé pèse sur mes intentions. Pour la première fois en cinq ans des surveillants s’imposent dans les répétitions pour écouter. Je fournis au SPIP comme tous les ans un support magnétique contenant l’affiche du spectacle afin qu’il soit édité dans l’atelier PAO de l’imprimerie ? Un audit d’une semaine est nécessaire à l’Administration pour le rejeter au motif que j’ai oublié d’effacer des sauvegardes de documents personnels (ce qui est faux) et que le document contenant l’affiche n’est pas lisible par les services concernés (Qui s’étonnera que le logiciel Adobe Illustrator destiné aux professionnels de l’édition n’équipe pas les bureaux ?). Chacune de mes demandes, aussi insignifiante soit-elle et toujours liée à la survie du spectacle, se heurte à une ouverture de parapluie du SPIP.
Jusqu’au refus par la Direction de laisser assister au spectacle Monsieur Belhakal, éducateur ASE lié professionnellement à un des participants à l’atelier dans le cadre d’un aménagement de fin de peine, au motif final , énoncé par Madame Hanicot, Directrice, qu’il « paye la dimension « hors-cadre » de mon travail », qu’elle juge par ailleurs excellent.
De quel cadre s’agit-il ? Le mien est clair et j’attends avec curiosité qu’on vienne me le contester par écrit. Il s’agit des protocoles Culture/Justice de 1986 et 1990 et, notamment, dans la circulaire d’application de 1995, du paragraphe 1.2.3. qui souligne la nécessité d’une prise en compte des exigences posées par l’opérateur culturel pour ne pas altérer la singularité de la proposition artistique : rythme de l’intervention ...matériel nécessité...).
« Le Ministère de la Culture et l’Administration Pénitentiaire ont tout particulièrement privilégié le développement des ateliers d’expression et de production : Lecture, écriture, arts plastiques, théâtre, bande dessinée, musique, vidéo. Ces ateliers permettent en effet aux prisonnier(e)s qui y participent non seulement de valoriser des relations sociales positives mais surtout d’acquérir des connaissances et des techniques susceptibles de favoriser leur réinsertion à l’issue de leur incarcération » (Protocole Culture Justice de 1986).
J’attends une nouvelle fois avec beaucoup de curiosité l’écrit qui viendra déplorer mon action en faveur de la ré-insertion des participants à mes ateliers et la faveur que j’accorde au tissage de leurs relations sociales. L’engagement personnel bénévole très lourd que me dictent à la fois les textes, mon respect des personnes et ma déontologie personnelle pour trouver un emploi dans les entreprises culturelles aux prisonniers acteurs qui m’en font la demande - au nom de notre confiance mutuelle - a déjà porté ses fruits à 9 reprises avec 0% de récidive.
La prison va changer. C’est inéluctable. L’enjeu de société est trop considérable pour le « pays des droits de l’homme » qui prétend donner des leçons à la planète. Elle changera lorsque les administrations locales ne considèreront plus a priori comme des agressions les interventions extérieures qui, refusant cette forme de surveillance que remplissent les pratiques occupationnelles, n’ont d’autre souci que le respect des Droits Fondamentaux. Elle changera lorsqu’aux cadres informels et aux traditions orales qui régissent le fonctionnement des établissements pénitentiaires se substitueront les textes et l’application scrupuleuse de la loi (CPP, Protocoles Culture-Justice, Education Nationale - Justice, directives européennes, etc.).
C’est en renonçant à cette perspective que je me mettrais hors la loi. Je n’en ai aucune intention.
Je suggèrerai juste une petite avancée jurisprudentielle : Je trouverais souhaitable qu’à la réunion évoquée par Madame Breton et Monsieur Peray concernant mon projet pour le prochain atelier théâtre un représentant des prisonniers m’accompagne. Je n’oublierai jamais qu’ils sont les premiers concernés par notre action.
Veuillez croire Monsieur Gely, à l’assurance de mes sentiments respectueux et dévoués.
Jean-Christophe Poisson