Animation : Mme Duprey-Kennedy (directrice de l’UPR de Strasbourg)
Intervenants : Dominique Cazau, Monique Buret, Alain Escudié (enseignants)
Monique Buret
J’ai commencé mon atelier de sculpture en octobre 2000. Il est ouvert aux adultes et aux mineurs. Huit à dix adultes de façon régulière. Un mineur est venu pendant trois mois, un autre six mois. D’autres mineurs ont fait la demande mais leur comportement posait problème, je ne les ai pas intégrés dans le groupe des adultes mais j’ai constitué un atelier mineurs parallèllement.
J’ai été sollicitée plusieurs fois pour monter un atelier car je pratique la sculpture, je précise que je suis professeur des écoles pas professeur d’Arts plastiques. Il existait déjà un cours d’Arts plastiques mais il ne fonctionnait pas, il végétait un peu. Sans doute n’était-t-il pas adapté au public de la Maison d’arrêt de Nancy.
Curieusement les maths et le français avaient plus de succès !
Avec mes collègues nous avons décidé de monter cet atelier.
Mme Duprey-Kennedy : Est-ce que vous pensez que cet atelier était une ouverture pour ces jeunes ?
MB : En passant dans les couloirs et en voyant travailler les adultes.
Les jeunes trouvaient que ceux ci ne faisaient pas des choses extraordinaires, eux disaient qu’ils feraient mieux ; ils ont vite déchanté car la confrontation avec la matière ce n’est pas quelque chose d’évident. Ca demande un peu d’humilité, d’arrêter de « frimer », donc déjà c’était formateur. Deux sont restés dans le groupe adultes, et les autres ont travaillé dans le groupe des mineurs, tous les autres ont abandonné et sont revenus par la suite. C’est un travail exigeant et long, les diverses opérations prennent du temps : il faut faire sécher les pièces puis les faire cuire ; il faut penser aux finitions : peinture, patine, vernis...
Ce qui pouvait apporter une ouverture culturelle, c’est la constitution de classeurs contenant des photocopies sur des thèmes (fleurs, animaux, mains, bustes etc.) et aussi sur des sculpteurs célèbres. Une majorité de personnes allait au CDI consulter des livres ; certaines d’entre elles que j’accompagnais, ne lisent pas, n’ont jamais lu, ce sont des adultes de bas niveau : « ha ! il y a des livres sur la sculpture ? ». Ca les étonnait...
Intervenant : Vous faites faire des objets à partir de modèles ou de thème, y a-t-il une place pour l’invention ?
MB : J’ai d’abord imposé des thèmes car aucune personne n’avait jamais touché la terre auparavant, pour elles la terre c’est la poterie. J’ai commencé par le masque comme première approche ; ça n’est pas de la ronde bosse, mais c’est quand même du relief ; ce n’est pas difficile techniquement et ça permet de faire dès le début quelque chose d’acceptable, ça donne envie de continuer ; Imposer un sujet au départ ça permet aussi d’éviter le poncif du « cendrier ».
Je cherchais à créer une unité en vue d’une expo... Beaucoup de personnes qui passaient devant l’atelier s’intéressaient à ce qu’ils faisaient ; ça leur plaisait d’entendre à leur sujet des remarques élogieuses.
Intervenant : Est-ce qu’eux mêmes commentent ce qu’ils font ?
MB : On essaie de faire un commentaire, une petite critique sur le rendu... Progressivement ils choisissent ce qu’ils veulent faire.
Intervenant : Pourquoi ils font ce qu’ils font ?
MB : Après le masque un monsieur m’a dit : « je vais faire un bateau » ha ! pourquoi ? « parce que je suis un ancien marinier ».
Vous voyez quelquefois leur travail est en relation avec ce qu’ils ont vécu avant d’être incarcérés... Mais on n’explique pas tout...
Je ne demande pas toujours pourquoi.
Intervenant : Vous abordez la technique du moulage ?
MB : Non pour le moment je n’ai abordé que le travail de la terre...
J’envisagerais de travailler le plâtre pour un rendu plus rapide...
Bien que ça ne soit pas facile dans ma classe, il y a des ordinateurs il faut faire attention... J’aurais bien fait de la taille directe aussi ou du travail sur béton cellulaire mais c’est le même problème, il me faudrait un lieu...
Intervenant : Est ce que ces gens suivent aussi des cours ?
MB : Presque pas à part les mineurs... Au départ j’avais dit à mes collègues que je ne voulais pas l’élite de la détention, je voulais que ce soit ouvert aussi aux très bas niveaux et aussi aux personnes en difficulté en détention. Je ne pourrai pas expliquer pourquoi ils sont venus...
Mme Duprey-Kennedy : Les cours d’arts plastiques sont habituellement des cours de peinture non ?
MB : Le travail en trois dimensions est souvent nié dans l’enseignement peut-être parce que c’est plus difficile à mettre en place
Mme Duprey-Kennedy : Beaucoup ont dans l’idée que l’art est quelque chose de ludique. Il faudrait les convaincre que l’art est formateur et exigeant
MB : Oui c’est formateur. Tous mes collègues passent à l’étage pour voir ce qu’ils font. Ils sont très étonnés ; quand ils s’extasient devant leurs travaux ils ne font pas semblant pour leur faire plaisir, et ça aux détenus ça leur fait du bien
Dominique Cazau
Dans la Maison d’arrêt où je travaille j’ai démarré au quartier des femmes. Ce qui m’a le plus impressionné chez ces femmes c’est le silence, la passivité. Comment débloquer la parole ? La vie est faite de rencontres ; un jour j’ai fait la connaissance d’une jeune plasticienne qui travaillait sur la féminité ; en parlant, l’idée nous est venue de développer un travail plastique où le corps serait utilisé pour débloquer la parole. À ce moment-là, je tâtonnais j’avais besoin de quelque chose d’autre pour entrer dans les apprentissages, quelque chose de fort... Il me semble que ça a bien marché, bien qu’au niveau de l’évaluation j’aie du mal à être affirmative.
Par la suite il y a eu une demande au niveau du théâtre. J’ai beaucoup hésité n’étant pas formée à cette discipline. J’ai suivi des stages... Dont une université d’été intitulée « théâtre et violence ». Et puis j’ai entendu parler de la comédie de Reims. J’ai fait la connaissance de gens passionnants. Ils ont donné deux représentations ; le metteur en scène était très motivé. Ensuite il y a eu des échanges entre les détenus. Curieusement c’était plus difficile chez les hommes : ils étaient très décontenancés par les acteurs qui, au milieu, les interpellaient. Souvent, ils riaient nerveusement. Les femmes quant à elles ont assisté à la représentation en silence. C’était impressionnant ce silence. Pour la pièce de Dostoiewski Le Rêve on s’est adressé à un public scolarisé.
Les femmes muettes c’étaient plutôt des bas niveaux. Les échanges à la fin ont été bouleversants. Puis j’ai rencontré une danseuse... On a monté un atelier de danse contemporaine et de calligraphie avec huit femmes de niveau six. La danseuse a fait tout un historique sur la danse contemporaine leur a enseigné des figures, des rythmes... Maintenant pour l’année prochaine j’ai un projet d’atelier avec un comédien un écrivain et un plasticien sur la question de l’art contemporain... Dans mes expériences variées « j’ai appris ce que j’ai à apprendre », j’ai à l’esprit cette phrase-là.
Intervenant : Faire venir des spectacles en prison c’est très bien, moi j’en avais proposé un qui a été censuré... J’ai fourni le texte au directeur avant et il a dit non.
Intervenant : Je remarque que les femmes ont plus d’écoute, les hommes éprouvent une gêne une pudeur. Le théâtre c’est une bonne discipline pour dénouer le corps... Ils sont physiquement noués, tétanisés, ou bien ils « tchachent » à longueur de journée pour ne rien dire.
Intervenant : Moi tout ce que j’ai vu à Épinal comme stage de théâtre c’était du bricolage. J’anime un atelier en collège je voudrais faire avec des détenus ce que je fais avec mes élèves.
Intervenant : Tu vas voir la Drac. Tu montes ton projet. Le théâtre permet des apprentissages de savoir être ; moi je persévère et pourtant je rencontre des difficultés pour tous les projets que je veux monter. On me dit toujours « les voyous n’ont pas besoin de ça... ». J’ai mis en place des commissions de validation des activités.
Mme Duprey-Kennedy : Si le projet ne passe pas ça peut se négocier, envoyez le moi.
Intervenant : On nous dit de développer la culture mais ce n’est pas simple ; il y a des problèmes avec des personnes qui sont en place depuis vingt ans ; il y a des enjeux de pouvoir. Pour revenir à la censure, la seule chose qu’on peut censurer pour des raisons de sécurité c’est l’accès des personnes à l’établissement.
Mme Duprey-Kennedy : Si on veut faire venir une troupe on a tout intérêt à travailler avec le SPIP. Si vous avez un projet vous pouvez bénéficier d’une dotation horaire. Ateliers de pratique artistique, travail avec l’EN ou la Drac, des solutions il y en a.
DC : Quand on monte un atelier ce sont des actions ponctuelles ; on travaille sur quelques semaines pas sur l’année.
Intervenante : Je suis d’accord, dans une Maison d’arrêt c’est difficile d’envisager le long terme. Il faut qu’il y ait une finalité si on propose une activité, en Maison d’arrêt ce n’est pas simple.
Il faut les intéresser, pour le théâtre certains pensent qu’il va falloir apprendre des textes alors ils ne viennent pas.
Alain Escudié : A Montauban, avec l’association socio-culturelle qui fonctionne depuis 1983 nous sommes partis de ce qui existait déjà. Nous organisons diverses actions culturelles en liaison avec des associations qui agissent au niveau de la ville. Nous profitons de la semaine du livre, de la presse, de la fête de la musique et d’autres festivals qui se déroulent à Montauban. Dernièrement un spectacle autour des vingt ans de la mort de Brassens a soulevé l’enthousiasme. À l’écoute de ces textes un jeune détenu qui ne connaissait pas cette forme d’écriture a même déclaré : « c’est du français ça ! » ; À partir de là une séquence de travail a eu lieu sur l’écriture poétique de Brassens. Avec les plus jeunes il est nécessaire de partir de leurs centres d’intérêts ; par exemple en musique il faut aller vers le rap, le reggae.
Intervenante : Qu’en est il des détenus pour moeurs qui sont écartés de toute activité et qui sont de plus en plus nombreux dans les prisons ? Ils représentent à peu près vingt à trente pour cent d’un effectif... Ils sont exclus même à l’intérieur des murs de la prison.
Intervenante : Si les quartiers n’étaient pas étiquetés certains détenus ne seraient pas mis à l’écart.
Intervenante : C’est vrai j’ai été choquée quand je suis arrivée à Fresnes. Les détenus étaient tout de suite fichés lors de leur arrivée au centre scolaire ; tout de suite tout le monde savait qui ils étaient et c’est dommage.
Intervenant : Ça dépend des établissements.
Intervenante : Comment sait-on qu’on a à faire à des délinquants sexuels ? Ils ne se livrent pas facilement.
Intervenante : On les reconnaît !
- Pas d’accord !
- Ce n’est pas si évident !
Intervenante : Chez nous ce sont les surveillants qui le disent...
Alain Escudié : Pour la mise en place des activités, il faut tenir compte des impératifs sécuritaires et du manque de personnel.
De plus certains détenus relèvent de la psychiatrie et posent quelques problèmes lors des activités collectives ; les détenus pour affaire de moeurs participent à certaines activités.
Intervenant : Quel financement pour les activités ?
Alain Escudié : Les subventions octroyées à l’association par le conseil général, la mairie, la jeunesse et les sports. La gestion du parc des télévisions a permis de dégager un budget pour la mise en place d’animations. Nous avons aussi le budget de l’établissement. (Action socio éducative). Cependant nous constatons beaucoup moins de dynamisme au niveau de l’association...
Intervenant : Pour quelles raisons ?
AE : il y a moins de personnes impliquées et notamment plus de représentants de l’AP dans le bureau de l’association.
L’existence même des associations pourrait être remise en question si la gestion des téléviseurs est faite par l’AP. L’aménagement des locaux laisse à désirer ; la salle des activités culturelles sert en même temps de salle de formation (difficultés pour établir une programmation). La bibliothèque n’a été ni aménagée ni déplacée pour favoriser un véritable accès direct. Le profil et les centres d’intérêt des détenus se sont modifiés ; la fréquentation est moins importante sur les diverses activités. Peu de détenus ont aujourd’hui des aptitudes dans les disciplines artistiques (musique, dessin, etc.).
Il y a des points positifs au niveau local, un poste d’emploi jeune a été créé pour le fonctionnement de l’association : gestion de la bibliothèque, mise
en place d’activités et comptabilité en liaison avec un cabinet comptable.
Questions qui se posent :
Quel avenir pour les associations ? Pourra-t-on envisager une collaboration plus étroite avec les SPIP dans ce domaine puisque certaines activités sont organisées avec le budget attribué pour les actions socio-éducatives. Quelles sont les activités qui paraissent les plus adaptées pour motiver davantage les jeunes détenus ?