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12 Un travail inscrit dans le temps et la continuité

Intervention de Rosine Réat, Sida Paroles

Mise en ligne : 7 avril 2008

Suivi des usagers de drogues en milieu carcéral et à la sortie

Suivi des usagers de drogues en milieu carcéral et à la sortie

Texte de l'article :

Depuis 2000, le Caarud Sida Paroles, à Colombes, intervient en prison pour maintenir le soutien qu’il apporte à ses usagers lorsque ceux-ci font l’objet d’une incarcération. Pour la psychologue Rosine Réat, il faut “ briser leur isolement ”.

« À la Boutique, nous recevons des usagers de drogues ayant des pratiques de consommation parfois non contrôlées, dans des problématiques multiples et douloureuses liées à la toxicomanie, parfois sociales, parfois psychiatriques. Souvent, ces personnes se trouvent hors des circuits de soins et vivent des situations d’isolement, de désaffiliation, de désinsertion. Elles se retrouvent donc particulièrement exposées aux risques d’incarcération. Car ce sont les usagers de drogues les plus désinsérés et les plus fragiles qui vont en prison », explique Rosine Réat, psychologue au centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour les usagers de drogues (Caarud) Sida Paroles. Pour les soutenir durant cette épreuve et ne pas rompre leur suivi, Sida Paroles a décidé en 2000 de poursuivre son action derrière les barreaux. Ses objectifs : assurer la continuité du lien, accompagner les projets de soins, réduire les risques d’aggravation de la situation de l’usager sur le plan sanitaire et social que peut provoquer l’emprisonnement.
À Sida Paroles, l’intervention repose sur l’approche de la réduction des risques (RdR). Il s’agit de « dresser avec la personne un bilan de sa situation, dans une dynamique d’accompagnement et de co-construction des projets » . L’idée fondatrice « est de partir de la compétence des usagers et de leur capacité de changement. Nous pensons que le principe que la démarche de santé peut commencer autour de l’usage de drogues, en transmettant des idées de protection de soi. Car préserver sa santé est déjà un pas vers le soin  ». Le premier ressort de l’accompagnement est le soutien à la personne, qui agit comme un catalyseur de la dynamique de soin. Celle-ci va au-delà du champ du sanitaire. « Ce soutien s’effectue sans conditions. Les personnes n’ont pas besoin d’avoir un projet de soin ou d’insertion. Avant tout, il sert à briser leur isolement », précise Rosine Réat.

Un espace de parole et d’écoute. Le travail tourne autour de trois thèmes : la RdR liée à l’usage de drogue, la toxicomanie et ses traitements, le VIH et les hépatites virales. Il consiste à transmettre des informations médicales, des conseils de RdR - la prison étant aussi un lieu de consommation de produits et donc de prise de risques - mais aussi à proposer un espace de parole propice à aborder des dimensions dépassant le cadre pur du sanitaire (vécu de la personne, ses craintes, ses représentations, ses résistances, ses espoirs...). Le suivi est hybride, abordant tant les aspects médicaux que psychologiques ou sociaux. Il s’inscrit dans la durée et la continuité : le travail mené en prison est toujours effectué en lien avec les membres de l’équipe qui suivaient le détenu avant son incarcération ou le suivront à sa sortie de prison. Il s’appuie sur un réseau fourni de partenaires. Il s’agit « de soutenir la potentialité d’aide de l’environnement, qu’il soit familial, amical, professionnel  », complète la psychologue. Enfin, s’ajoute un volet de lutte contre les représentations négatives dont sont encore victimes les usagers de drogues et qui leur portent préjudice. « Les usagers de drogue, même sous substitution, sont parfois refusés par certains centres d’hébergement  ». témoigne Rosine Réat.

Anticiper plutôt qu’incarcérer. En prison, Sida Paroles observe un certain nombre de manques. Les détenus n’ont pas accès à l’ensemble des outils de RdR existant en milieu libre. Et même si la disponibilité des traitements de substitution s’est beaucoup améliorée, ils ne sont pas non plus toujours prescrits par des personnes suffisamment formées à leur spécificité. L’accompagnement, si utile à la compliance, est souvent défaillant. Enfin, certaines problématiques addictives (alcoolisme, cocaïnomanie...) sont peu prises en compte. Mais les manques concernent aussi le passage du dedans vers le dehors. « Nous constatons depuis plusieurs années un manque cruel de lieux de soins ou permettant l’accès à des soins adaptés aux personnes et à leurs besoins. Il faudrait créer des lieux thérapeutiques alternatifs, suggère Rosine Réat. Cette situation, qui nuit à la préparation à la sortie, multiplie aussi en amont les risques d’incarcération. Il serait plus intéressant pour l’individu comme pour la société de favoriser l’accès aux soins, en particulier psychiatriques, des personnes avant leur incarcération. »