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16 L’incarcération des mineurs en question ...

Mise en ligne : 17 décembre 2004

Texte de l'article :

L’Administration pénitentiaire a invité, en avril 2000, les commissions « délinquance-prison » et « droits de l’enfant » de la LDH à réfléchir sur le Centre pour jeunes détenus (CJD) de Fleury-Mérogis. Élisabeth Auclaire en est revenue persuadée qu’il y a d’autres réponses à trouver que la prison pour les mineurs « délinquants », si on veut les aider à se reconstruire.

Ce qui saute aux yeux, dès qu’on a franchi les grilles de l’incarcération, c’est l’origine sociale des jeunes : près de 95% d’entre eux sont issus de l’immigration et des quartiers de la misère. On ne peut pas en déduire qu’il ne se passerait jamais rien dans les autres lieux et milieux. La majorité des jeunes incarcérés au CJD de Fleury, y sont en détention provisoire, pour un temps indéterminé lié à la longueur des procédures et à l’incapacité dans laquelle se trouve l’institution de prévoir la date de leur jugement.

Améliorations matérielles

Après le rapport du docteur Brahmi en 1997, il aura fallu encore deux ans pour apporter des améliorations aux conditions scandaleuses de l’incarcération qu’il dénonçait. La redistribution des lieux, l’aménagement des cellules pour une personne avec un cloisonnement de l’espace-toilettes. La mise en place de cabines de douches individuelles fermées a réduit les possibilités d’agression sexuelles, sans les éliminer complètement, (en particulier lorsque le surveillant qui devrait être posté à l’entrée des douches s’absente), la véritable solution, réclamée par tous, étant une douche par cellule. Les surveillants sont maintenant présents dans les cours, qui ont été redécoupées, ce qui a fait chuter considérablement les bagarres et le racket.

Il reste à achever la peinture des parties communes, des cellules, la réhabilitation du couloir d’accès aux parloirs, et des parloirs eux-mêmes : celui des familles et des visiteurs, ainsi que celui des avocats...

Il y avait environ quatre-vingts jeunes détenus, nous en avons rencontré, au hasard et individuellement seize. Nos entretiens se sont déroulés, selon leur souhait, dans leur cellule ou dans un bureau, la porte fermée. Les jeunes ayant des problèmes psychologiques sérieux - ceux qui « s’automutilent » - ont préféré leur cellule.

Ce qui leur paraît le plus intolérable, c’est que des surveillants les menacent très vite de « la stricte » et du passage au mitard : « la carotte et le bâton... censés les mater ». Il y a des surveillants avec qui s’instaure un respect mutuel ; d’autres qui, pour « affirmer leur autorité », aiment « pousser à la faute », puis punir, dans la plus grande « légalité ». Ceux-là donnent à la prison un seul sens, celui de « mater », casser, apprendre la discipline. Les mêmes pensent qu’on en fait beaucoup pour ces voyous. D’autres sont conscients de l’inadéquation de cet enfermement-là pour la majorité des jeunes détenus. Le mitard, « ce lieu où les heures ne passent pas » est unanimement mis en cause, « il donne la rage » sauf à être revendiqué comme le lieu de passage « obligé » par les plus forts... C’est là, le plus souvent, que se commettent les suicides. Il y en a eu un alors que nous enquêtions.

Ils disent que la prison ne suffit pas pour arrêter, parce que « l’argent, c’est important dans la vie » et même dans la prison où on retrouve les inégalités de l’extérieur. Pour « cantiner » (s’acheter des suppléments de nourriture), pour la télévision « gratuite pour les moins de 16 ans », mais pas pour les plus de 16 ans, ni dans la stricte, on peut l’obtenir si on paye. Avec leurs co-détenus, un des jeunes nous disait :« il faut savoir gérer les choses », c’est-à-dire se faire respecter dès son arrivée, pour ça, taper ! Il a été immédiatement sanctionné, envoyé au mitard..

Des projets éducatifs en prison ?

La dimension éducative de l’ordonnance de 1945 et les articles de la CIDE, qui traitent de la privation de la liberté (art. 37) et de l’administration de la justice des mineurs, sont des points d’appui pour élaborer une politique d’accompagnement des mineurs vers leur pleine réinsertion dans notre société. Les salles dites « d’activités » sont équipées de tables de ping-pong, de baby-foot, de jeux de société, de jeux vidéo et d’ordinateurs servant essentiellement à jouer. Elles mériteraient plutôt le nom de « salle de distraction » et contribuent avec la télévision à annihiler toute réflexion, expression personnelle, créativité, esprit critique. Rien n’y stimule l’imagination, les possibilités enfouies dans ces jeunes. Ils ont des trésors à donner (celui qui écrivait les contes que lui racontaient sa mère et sa grand-mère lorsqu’il était petit, l’autre qui écrivait un roman) sans parler des ateliers de photo, de musique, du théâtre, qui apparaissent par intermittences...

La scolarité au CJD, qui devrait proposer un projet adapté à chacun, doit tenir compte de l’incertitude sur l a durée de présence du jeune dans l’institution. L’effort de l’équipe enseignante porte sur la nécessité de faire comprendre au jeune l’importance d’une formation de base, d’une culture générale. C’est aussi une occasion pour les élèves de se découvrir « bon à quelque chose » en faisant travailler sa tête. Le bilan de l’année scolaire 1999/2000 a marqué un progrès : 300 jeunes arrivants ont été reçus par la responsable de l’éducation au cours de l’année ; en octobre 1999, il y avait 20 jeunes scolarisés, en janvier 2000, 50 à 60 étaient en scolarisation régulière ; 5 élèves présentés au CFG et 8 élèves présentés au brevet ont été reçus. L’enseignement est prévu pour les niveaux de 4e, 3e, 2e, 1e et terminale, il y a des enseignements spécialisés : une classe de mise à niveau français langue étrangère et un groupe de positionnement (intermédiaire). Les plus de 16 ans peuvent suivre une formation et passer un CAP (s’ils restent assez longtemps).

Conclusions toujours provisoires

L’intérêt supérieur de l’enfant dont il s’agit ici ne devrait pas être en contradiction avec celui d’une société démocratique et républicaine, société de citoyens libres et responsables. Des jeunes, qui relèveraient de services médico-psychologiques, sont envisagés avant tout dans le cadre de l’acte qui justifie leur présence au CJD. Peu de surveillants ont une idée des caractéristiques inhérentes à l’âge adolescent, temps de recherche, d’explosion, de révolte. Ils ne conçoivent pas une autre finalité pour la prison que celle de punir, « pour redresser évidemment ». La prison n’est bonne ni pour les jeunes qui y séjournent, ni pour l e personnel qui y travaille. Ce dernier ressent souvent un malaise, qu’il peine à analyser, et demande l’assistance d’un psychologue « parce qu’il n’y a pas que les jeunes qui ont besoin d’être entendus », ni pour la société qui croit en se barricadant éviter tout ce qui la dérange.

On a supprimé le bagne, il est peut-être temps de supprimer les prisons. Les jeunes qui présentent un réel danger pour la société et pour eux-mêmes ne sont qu’une infime minorité. En attendant, pour ces mineurs dont l’univers se réduit le plus souvent aux séries télévisés, aux jeux vidéo, à la rue dont les respères sont le fric, les fringues et leurs marques, dans un monde sans joie et sans projet, ouvrons la détention sur une culture qui donne sens à la vie.

Élisabeth AUCLAIRE, présidente de la commission « droits de l’enfant » de la LDH