Animation : Pierre Giraud, Directeur de l’Unité pédagogique régionale de Marseille
Pierre Giraud
Nous recevons de plus en plus de mineurs en détention et nous nous fixons comme objectif de scolariser la totalité des mineurs incarcérés.
On n’en est pas encorelà mais on essaie d’y tendre avec une scolarisation minimale de 12 heures par semaine en plus des autres activités.
La prise en charge des mineurs est une priorité de l’éducation nationale et du ministère de la justice. Cette priorité a été énoncée dans la convention de 1995 et la circulaire de 1998. La situation de dénuement culturel est particulièrement marquée chez les mineurs.
80 % d’entre eux sont sans diplômes, 20 % sont illettrés ; la moitié d’entre eux est en échec au bilan de lecture, présentant souvent sur le plan des apprentissages des dysfonctionnements cognitifs.
La plupart n’étaient pas scolarisés avant leur incarcération depuis un an voire trois ans et plus. Les chiffres font état d’une augmentation de mineurs détenus de 92 à 99 avec une diminution en l’an 2000. Les chiffres varient d’un mois sur l’autre avec des séjours plus ou moins courts. En 1993 on compte 2368 mineurs incarcérés ; en 1999, 4326 dont 3068 scolarisés ; en 2000, 3996 dont 2712 scolarisés. La prise en charge des mineurs se fait selon le principe du parcours individualisé. Après l’accueil on élabore avec le jeune un projet personnel de formation, un projet de vie, un projet de préparation à la sortie. La question qui a entraîné de nombreux débats, des avis très divergents c’est de savoir si on imposait l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans ou 18 ans ; le débat reste ouvert...
Solange Taranne
Professeur à la maison d’arrêt d’Aix Luynes
La maison d’arrêt d’Aix Luynes est le second Quartier Mineurs après Fleury Mérogis ; l’année dernière il y a eu jusqu’à 65 détenus mineurs. Les jeunes y sont scolarisés jusqu’à 18 ans et on essaie de maintenir l’individu au centre du dispositif ; la détention doit être la plus éducative possible. Il y a des cas limites, des jeunes sans structure familiale avec un parcours de délinquance important. Pour certains la détention peut devenir une « chance », le terme est provocateur c’est vrai, en leur permettant de sortir d’une spirale négative.
Les moyens mis en place par l’administration pénitentiaire et l’éducation nationale doivent être assortis d’une pratique pédagogique et d’une organisation adaptées.
D’abord des moyens matériels : nous avons trois salles de classe, une bibliothèque, un atelier de travaux manuels, un atelier cuisine.
Les moyens humains sont peut-être les plus remarquables : on dispose d’une brigade composée d’un CSP de dix surveillants, un pédopsychiatre, une psychologue, qui intervient pour les problèmes de toxicomanie, six enseignants du premier degré pour une partie de leur service et un Cop de l’éducation nationale. On a à peu près 10 % des mineurs concernés par le second degré, ils sont mélangés à des adultes et encadrés par 16 professeurs qui interviennent en heures supplémentaires. Ajoutez à cela le service médical, psychologique, psychiatrique, social, la PJJ l’encadrement sportif, et la brigade.
Nous avons également organisé un lieu de parole, un lieu d’écoute, une psychologue fait des vacations, une heure tous les lundis qui s’adresse aux travailleurs sociaux, aux enseignants et aux surveillants bref, à l’équipe et non pas aux jeunes ; c’est une sorte d’exutoire qui permet des échanges très riches à propos du travail et des difficultés rencontrées.
À ces moyens il faut associer des réponses pédagogiques adaptées ; les enseignants doivent tenir compte des individus avec une prise en charge personnalisée dès la première semaine d’incarcération.
Elle consiste en un entretien sur les compétences mais aussi sur le comportement du jeune. On ne gère pas de la même manière un jeune migrant, un jeune du second degré et un jeune en rupture sociale. On cherche à faire émerger des compétences et non à évaluer de façon négative. on a mis en place des ateliers bois, arts plastiques, ludothèque, cuisine...
Un jeune qui s’est révélé très doué en arts plastiques a pu préparer sa sortie grâce à une formation espaces verts. Le groupe lycéen est mêlé aux adultes qui ont pour eux un rôle régulateur.
Ils jouent le rôle de grands frères parfois même de pères. Parmi ces jeunes certains sont particulièrement durs, environ 10 % ; on leur donne un minimum de scolarité mais leur participation aux ateliers est plus importante ; ils ont besoin d’un suivi quotidien et de beaucoup de sollicitations. Les jeunes du second degré sont comme dans un établissement scolaire ; à la fin du trimestre ils réclament leur bulletin scolaire ; celui ci fait état de leur niveau et de leur comportement.
Ce bulletin pourra être utilisé au moment du passage devant le juge d’application des peines. Le contact avec l’extérieur est maintenu avec l’atelier cyber gazette qui leur permet d’écrire des textes dans un journal inter Segpa sur Internet, les meilleurs articles sont tirés sur papier. Nous avons mis en place l’écriture d’un journal, l’activité « la presse à l’école », la semaine de l’euro...
Dans le premier degré on a cinq groupes scolaires comportant quatre à huit heures de cours, huit ateliers qui occupent les jeunes de trois à six heures par semaine :
- le groupe 1 comprend les jeunes migrants, ceux là ne posent pas de problèmes, ils sont plutôt contents d’apprendre ;
- le groupe 2 est constitué de jeunes assez remuants. Il faut s’employer à les surprendre si on veut les intéresser ;
- dans le groupe 3 il y a des élèves proches du collège, beaucoup passent le CFG pour eux il y a la « carotte » du passage vers le lycée ;
- dans le groupe 4 on a affaire à des jeunes en rupture, qui posent des problèmes de personnalité avec des parcours délinquants importants et de lourdes condamnations ;
- le groupe 5 s’occupe de cuisine ; les jeunes fabriquent des plats et peuvent consommer leurs productions. La cuisine généralement intéresse beaucoup, mais il y a un contrat qui les oblige à suivre les cours.
Pour le second degré. En Lycée 1 c’est la mise à niveau collège, en Lycée 2 ils passent le brevet technologique, le Lycée 3 c’est le niveau bac.
Donc on essaie d’occuper au maximum les jeunes, sans oublier le sport, ils en font 8 heures par semaine.
Un ciné club leur est proposé le week-end ; le film sera réutilisé pour un débat ou un travail dans la semaine avec les enseignants.
L’organisation fonctionne à deux niveaux :
les savoirs fondamentaux et la reconstruction de l’individu. Ce n’est pas toujours facile surtout en ce qui concerne les récidivistes ou les jeunes condamnés à de lourdes peines qui sont passés par tous les parcours ; pour eux il est nécessaire de varier les orientations professionnelles pour les attirer.
Valérie Ardhuin
Au CJD de Fleury pour le moment, il y a 350 détenus dont 100 mineurs et 50 sont scolarisés. Les cours qu’on propose sont compris entre la fin du cycle 3 et le bac. En répartition horaire, il y a trois postes et demi pour le premier degré, deux temps partiels et onze vacataires pour le second degré. 71 heures pour le premier degré et 50 heures pour le second.
Ces 121 heures sont réparties en 59 modules. Pour nous un module c’est un créneau horaire, une fois par semaine, pendant lequel l’élève travaille des compétences. L’élève vient autant de semaines que nécessaire jusqu’à l’acquisition de toutes ou presque toutes les compétences du module. La durée totale de la participation d’un jeune dans un module ne peut pas être connue à l’avance.
Les modules qu’on appelle « liés » ont les mêmes contenus mais sont à difficultés progressives, ils sont dispensés en même temps afin d’établir des passerelles entre eux. Il y a aussi des modules optionnels proposés aux jeunes en fonction de leurs besoins en termes d’examen, de méthodologie, de remise à niveau ou de leurs envies, leur curiosité. Nous proposons aussi des modules spécifiques à certains examens comme l’anglais, la SVT ou la comptabilité.
La forme modulaire permet un emploi du temps personnalisé ; de cet emploi du temps va dépendre la motivation et l’assiduité du jeune. Cet emploi du temps est le résultat de plusieurs rencontres entre le jeune et le centre scolaire. Dès l’accueil s’effectue un dépistage de l’illettrisme, puis on fait un bilan scolaire la semaine suivante, en maths et en français ; puis un entretien un peu plus personnel permet de connaître son parcours antérieur, son projet à court terme et à long terme. À l’issue de l’entretien le jeune aura une idée précise de la constitution de ses modules, le nombre d’heures, sachant que la durée hebdomadaire est de douze heures (six heures de français, quatre heures de maths, deux heures de modules optionnels). Si un élève a des besoins importants, nous lui proposons un emploi du temps plus conséquent. Certains ont des demandes bien précises par exemple un jeune nous a demandé d’assister à des cours de philo alors qu’il était en seconde, et un autre élève de 1re L souhaitait une initiation en comptabilité ; dans la mesure où leur emploi du temps le permettait on a pu répondre à cette demande. Ce système permet au jeune de se re-connaître ; l’âge et la classe n’ont plus d’importance. Il n’y a plus de comparaisons qui peuvent être négatives. Les jeunes ne se situent plus en terme de niveaux mais de compétences : Ce n’est pas : « je suis en cinquième »c’est : « je suis capable de... Et il me reste à apprendre ça... ». Leur hétérogénéité est prise en compte si bien qu’ils n’ont pas honte de revenir sur des bases non acquises. Enfin s’ils ont conscience de leurs difficultés, ce système leur permet de prendre conscience de leurs acquis ; en effet aucun élève n’est vierge de tout savoir.
La première année a demandé une grosse charge de travail pour mettre en place ce système ; il a fallu établir une liste des compétences à acquérir dans chacun des modules ; il peut y avoir jusqu’à vingt compétences par module. L’élaboration du planning général a aussi été source de difficultés. Cette organisation nécessite une bonne capacité d’adaptation pour répondre aux demandes de chacun et elle ne prend tout son sens qu’en partenariat avec les surveillants, les membres des services sociaux et médicaux. En résumé un partenariat est indispensable avec tous les acteurs concernés par la situation des jeunes pour une efficacité optimale de leur prise en charge.
Patrick Molineri
Maison d’arrêt de Grasse
L’incarcération d’un mineur ne doit pas être seulement une parenthèse dans sa vie. Ce temps plus ou moins long doit s’inscrire dans un parcours. Cette conception de la détention, oriente notre réflexion sur l’articulation entre le milieu ouvert et fermé.
Elle implique de fait la notion d’équipe pluridisciplinaire. Elle place le jeune au centre d’une prise en charge globale. Pour mener à bien notre mission nous avons tenté de transformer le quartier des mineurs en un lieu de vie autonome.
Cette organisation s’articule autour de deux axes complémentaires de travail. Nous les avons nommés Parcours civiques et Parcours de formation. Il ne s’agit pas bien sûr, de deux parcours distincts dans lesquels le jeune pourrait s’inscrire, mais de deux axes de travail que l’équipe pluridisciplinaire doit intégrer dans ses actions éducatives.
Deux niveaux de prise en charge ont été constitués :
- au premier niveau une équipe restreinte, qui oeuvre au quotidien avec les jeunes. Un temps de concertation et de coordination hebdomadaire a été instauré, pour que tous les acteurs de l’équipe éducative puissent échanger et rendre cohérentes leurs actions ; cette réunion est indispensable à un réel travail d’équipe, car le nombre important d’intervenants rend difficile la lisibilité de la règle. Les jeunes peuvent participer à leur demande aux réunions hebdomadaires ; ils représentent alors les mineurs détenus et ne doivent pas parler uniquement en leur nom propre ;
- au deuxième niveau une équipe élargie, qui aide à une meilleure articulation milieu ouvert/milieu fermé. Elle définit et valide pour chaque mineur détenu, les choix et leurs enjeux (éducatifs, de placement, une libération provisoire ou conditionnelle).
Une réunion mensuelle « de suivi des jeunes » a été instituée tous les premiers lundis de chaque mois. L’irresponsabilité, le manque de repères sociaux, l’image négative qu’ils ont d’eux mêmes sont les traits récurrents des jeunes que nous accueillons.
L’équipe éducative oeuvre selon des orientations préalablement identifiées dans le but de les protéger, de faire en sorte qu’ils définissent un projet ; qu’ils construisent de nouveaux repères, qu’ils préparent leur sortie, qu’ils organisent ainsi un temps utile à leur insertion. Cela se traduit concrètement de la manière suivante :
- Créer un temps d’arrêt en provoquant une rupture avec un parcours délinquant (fixer des règles incontournables, changer les valeurs, permettre un nouveau départ par la reconstruction d’une image personnelle positive).
- Assurer une continuité de prise en charge avec l’aide de la PJJ et du CIP, des travailleurs sociaux des missions locales, des psychologues d’orientation.
- Protéger en limitant, en évitant, les violences, en repérant les signes avant coureurs de mal-être, en élaborant et en menant des actions de prévention dans les domaines de la santé et de la violence.
- Mobiliser sur un parcours en élaborant avec le jeune un projetde vie durant son temps de détention.
- Donner des repères en apprenant à connaître ses droits mais aussi ses devoirs (repères sociaux, civiques, de formation, d’hygiène).
- Donner un sens à la sanction en faisant prendre conscience de l’acte, en faisant comprendre le sens de la loi.
- Provoquer une réflexion sur soi en permettant une restructuration, en déclenchant une remise en cause, en changeant la relation au savoir, à l’apprentissage.
Pour ce faire il est indispensable de bien connaître le jeune à l’arrivée.
Dès le premier jour il est reçu en entretien individuel par le chef du QM, le CIP, l’infirmier référent, un enseignant. L’enseignement occupe une place centrale au QM. Obligatoire jusqu’à 18 ans, il conditionne l’accès aux autres activités. L’accueil par l’enseignant (20 à 40 minutes) lui permet de se présenter en partenaire et de poser les règles de vie. Toute une série d’informations est collectée pour mieux connaître le parcours scolaire et mieux cibler les axes de travail.
On peut dire qu’une alliance pédagogique s’établit. L’emploi du temps est alors remis au jeune, constituant un repère temporel simple, il doit être respecté par tous au risque de ne plus avoir aucune valeur. Si le jeune suit un cursus bien défini nous faisons en sorte de ne pas interrompre son cycle de préparation d’un examen.
Nous vérifions les dires du jeune avec l’aide des différents travailleurs sociaux (PJJ, CAE, SPIP, CPE, etc.). Si le jeune est en rupture de scolarisation nous tentons d’élaborer avec lui un projet personnalisé de formation qui soit réaliste et cohérent.
Dans le parcours de formation les objectifs visés sont :
- assurer la continuité d’un cursus scolaire s’il existe,
- faire le bilan des compétences,
- élaborer et confirmer un projet de formation,
- valider les acquis scolaires,
- certifier des expériences en formation professionnelle,
- répondre aux attentes des jeunes qui désirent s’orienter vers des acquis proches des réalités du travail,
- permettre l’accès aux différentes formes du savoir.
Moyens en ressources humaines :
- trois enseignants mis à disposition de l’AP intervenant à temps complet à la Maison d’arrêt de Grasse et pour 50 % de leur temps au QM ;
- un enseignant EPS ;
- deux professeurs du lycée hôtelier de Nice ;
- un PLP ; (tous intervenant sur des HSE du secondaire)
- deux formateurs Greta vacataires de l’Éducation nationale en lycée professionnel ;
- les formateurs de l’AFPA.
L’enseignement général comprend :
- l’alphabétisation et consolidation des acquisitions de base en mathématiques et en français,
- la préparation au CFG,
- la préparation au CAP,
- une remise à niveau collège,
- une remise à niveau Lycée.
Trois formations professionnelles ont été mises en place :
- formation aux métiers de la restauration (amélioration du quotidien et participation à la fabrication des repas des détenus) ;
- formation aux métiers d’hygiène, d’entretien du linge et des locaux ;
- formation au métier de maintenance des bâtiments (entretien et remise en état des locaux).
Toutes ces formations sont organisées en modules de sept semaines.
Les jeunes ont la possibilité de suivre plusieurs fois le même module et de découvrir néanmoins de nouveaux savoirs et savoir-faire. Chaque module permet des entrées permanentes d’élèves. Le programme de chaque formation est élaboré en trois dimensions à partir du référentiel des compétences du niveau V de qualification (CAP) :
- Enseignement général : six heures hebdomadaires (remise à niveau personnalisée en maths et en français avec un approfondissement des connaissances en vie sociale et professionnelle).
- Enseignement professionnel : neuf heures à douze heures hebdomadaires
de formation théorique et pratique.
- Expérience en entreprise assurée par un partenaire privé sous la responsabilité d’un surveillant volontaire. Un suivi de parcours personnel de formation est assuré par un entretien hebdomadaire. L’enseignant et le jeune peuvent être menés à effectuer ensemble des réajustements dans le contrat de formation. Les stages AFPA préparent aux différents métiers du bâtiment. En complément des heures de cours dispensées dans ces différents cursus, des devoirs en cellule sont donnés à la demande.
Le parcours civique :
Il renvoie aux notions de règles, de lois, de droit et de devoir. Sa finalité est de donner au jeune des repères sociaux en mettant en place un travail interdisciplinaire traitant des notions de lois, de règles et de sanction ; en inscrivant l’incarcération dans un parcours délinquant ; en responsabilisant le jeune pendant sa détention ; en lui faisant prendre conscience de l’existence et de l’importance d’autrui ; en lui permettant de réaliser l’incontournable facteur temps dans toute décision ou réalisation.
La participation aux activités socio-éducatives (jeux de société, code de la route, arts plastiques, bibliothèque, sport) est conditionnée par l’acceptation des règles de vie qu’elles imposent. La règle ne peut être lisible que si elle est appliquée par tous. Cela suppose une concertation régulière entre tous les acteurs de l’équipe pour se tenir informé afin d’harmoniser et rendre cohérentes les pratiques.
Le projet de sortie initié en milieu fermé trouve une continuité dès la sortie de prison : chaque acteur dans son domaine de compétence, peut être amené à suivre pour un temps le jeune à sa sortie.
Conclusion :
Le séjour des adolescents en maison d’arrêt ne prend de sens que s’il constitue une étape significative dans leur parcours. Il est primordial que ce séjour contribue à structurer la personnalité des jeunes en leur rappelant que tout un chacun est soumis à la loi.
Il importe que l’action des adultes intervenant auprès de lui soit porteuse de sens ; cela concerne tous les personnels associés au travail éducatif et implique une coordination régulière. Il est essentiel que ce travail initié en milieu fermé soit relayé dès la sortie de prison.
L’incarcération alors par sa dimension ré éducative aura su poser les premiers jalons d’un projet de vie.
Aline Font-Schwartz
J’interviens auprès des jeunes âgés de 13 à 21 ans, au sein de la Maison d’arrêt de Villeneuve les Maguelonne et du centre pénitentiaire de Perpignan en qualité de coordinatrice de l’action expérimentale « relais/jeunes détenus » sur l’académie de Montpellier. Cette action innovante présentée dans le cadre régional au Fonds social européen a débuté en octobre 2000, grâce au Recteur de l’académie de Montpellier qui a décidé la création d’un poste en vue d’assurer un relais Éducation nationale auprès des mineurs et jeunes majeurs pendant et après leur détention dans le cadre de la lutte contre la déscolarisation et la désocialisation des jeunes. L’action est principalement fondée sur le partenariat entre enseignants, conseillers d’insertion et probation, personnel de direction et de surveillance, éducateurs PJJ, juges des enfants et juges d’instruction, mais aussi chefs d’établissements scolaires, enseignants, conseillers pédagogiques, CFA, CEP, CPI, CER, etc.
Mes interventions ont lieu sous forme d’entretiens individuels dès l’arrivée du jeune ; pour les jeunes majeurs c’est le RLE ou le CIP qui m’informe de la scolarité en cours ou d’une demande d’aide à la préparation d’un projet en vue de la sortie. C’est ce premier entretien qui va permettre de cerner la scolarité antérieure du jeune et d’établir ses besoins. Ces entretiens seront assurés de façon très régulière tout au long de la détention du jeune et détermineront un suivi à sa sortie. La mise en place d’un relais entre la maison d’arrêt et l’établissement d’origine permet au jeune de bénéficier des cours et de travailler intra-muros au même rythme que sa classe. Les enseignants de son établissement d’origine me communiquent les cours. Les chefs d’établissement collaborent et participent activement à la réintégration du jeune à la sortie ; ce relais concerne les jeunes incarcérés pour une durée n’excédant pas quelques mois. Pour ceux qui sont en formation par alternance, il s’agit de négocier avec le centre de formation et avec l’employeur afin que le contrat d’apprentissage ne soit pas rompu, ce qui n’est pas possible évidemment quand la durée de détention excède les trois mois.
Ce relais a donc pour but d’assurer la continuité du cursus scolaire ou de formation, d’éviter le rejet de l’établissement d’origine, de maintenir un suivi après la réintégration dans l’établissement.
Sur les 90 mineurs et jeunes majeurs que j’ai rencontrés entre octobre 2000 et juillet 2001, dix étaient en cours de scolarisation ou de formation, deux en collège, trois en lycées professionnels et cinq au centre de formation pour apprentis. Tous ont réintégré leur établissement, huit dans les meilleures conditions, deux ont été incarcérés à nouveau pendant l’été. Ceux qui demandent le plus d’attention et d’effort sont les jeunes en rupture scolaire. Ils constituent la masse la plus importante du public à traiter : 52 étaient en rupture scolaire depuis plus d’un an ; sept avaient moins de 16 ans, 60 plus de 16 ans, 13 plus de 18 ans. La plupart d’entre eux manifestent le désir d’une reprise du cursus scolaire pour une possible insertion en formation professionnelle.
Pour les ruptures scolaires très importantes il n’est pas possible d’envisager une insertion dans les structures existantes sans prise en charge spécifique (remise à niveau, traitement de l’illettrisme, soutien durable). La durée moyenne d’incarcération pour les jeunes que j’ai rencontrés est d’environ deux mois.
La phase de positionnement/remobilisation qui débute en détention se calque sur le fonctionnement d’une classe aménagée.
Ma mission consiste à établir un lien et à le maintenir entre les différents acteurs institutionnels qui gravitent autour du jeune, l’objectif étant que le projet amorcé pendant la détention grâce à un fonctionnement en réseau perdure à la sortie du jeune. Ce travail n’a de sens que s’il est activé immédiatement, les informations qui concernent le jeune doivent circuler très rapidement après son incarcération, car nous disposons d’un temps relativement court. Un support écrit est nécessaire pour transmettre les informations relatives à la phase dans laquelle s’inscrit le jeune au moment de sa sortie, un document de liaison provisoire a été élaboré par le centre pénitentiaire de Perpignan qui rend compte des positionnements récents transmis par l’équipe pédagogique qui illustrent le travail réalisé et l’implication du jeune dans son projet de formation. J’accompagne ce document de liaison d’un compte rendu oral ou écrit au directeur d’établissement susceptible d’assurer la continuité du processus amorcé pendant la détention. Je maintiens le suivi par des interventions ponctuelles avec l’éducateur PJJ quelle que soit la structure d’accueil afin d’éviter le « décrochage » du jeune. À l’heure actuelle l’Éducation nationale en partenariat avec la PJJ met en place dans les Pyrénées-Orientales et dans l’Hérault un dispositif expérimental pour les jeunes de plus de 16 ans en rupture scolaire importante sortis de détention et qui nécessitent un accompagnement spécifique. Cet accompagnement se fera grâce au binôme enseignant éducateur PPJ et permettra donc de maintenir le travail et l’orientation enclenchés pendant la détention. Nous espérons que des solutions concrètes vont se multiplier pour éviter que ce public ne soit une fois de plus « abandonné » faute de cadre. Il nous faut mesurer ce que certains a priori et croyances véhiculent de déficits et de risques d’annulation des premiers effets positifs.
Grâce à cette action relais, nous avons mesuré l’urgence d’un partage d’expériences fondé sur l’analyse de nos pratiques, pour une plus grande interdisciplinarité et moins d’hétérogénéité, première source de fragilisation des résultats.