Le Sida requiert en prison une pratique médicale et des soins particuliers, eu égard aux caractéristiques des malades et à leurs conditions de détention qui, par la force des choses, déteignent sur les effets de la maladie. Parce qu’être condamné à une peine de prison rend difficile un véritable traitement.
Le rapport entre prison et VIH/Sida est particulièrement sensible ; les difficultés sont malheureusement encore nombreuses, et il est difficile de considérer que l’accès aux soins et aux traitements est comparable à celui disponible à l’extérieur. Le premier obstacle est en fait d’ordre statistique. En effet, comme au niveau de la population générale, les données fiables quant au taux de contamination par VIH des personnes privées de liberté ne sont pas monnaie courante. Les chiffres disponibles semblent ainsi prouver une réduction de l’infection au cours des dernières années. On dénombrait ainsi environ 900 cas de personnes séropositives incarcérées en 1997, contre plus de 2 000 en 1991.
Toutefois, comme le souligne l’ensemble des acteurs concernés, ces chiffres doivent être considérés avec la plus grande prudence, car la particularité même de cette pathologie, liée à celle de l’espace visé, rend tout dénombrement spécialement délicat. Car en effet, dans l’inconscient collectif, les notions de VIH et de Sida renvoient « nécessairement » à la mise en évidence d’une pratique homosexuelle ou de toxicomanie par injection. Pratiques suffisamment connotées péjorativement pour que, dès lors, de nombreuses réticences à se reconnaître atteint de cette si honteuse maladie se fassent jour, de même qu’une réticence à se prêter aux tests de dépistage.
Il faut en outre préciser que l’univers carcéral, et la situation sanitaire s’y rapportant, ne recouvrent pas une situation uniforme. De nombreuses différences s’imposent entre les établissements, mais aussi entre les différentes populations concernées. Ainsi l’administration pénitentiaire, dans son rapport d’activité pour 1997, ne peut-elle que se contenter d’estimations, et se borner à souligner « l a persistance des tendances déjà observées les années précédentes : le nombre de détenus dont la séropositivité est connue des services médicaux au jour de l’enquête continue de diminuer. Il représente, en 1997, 1,61% de la population pénale (contre 1,9 en 1996) ; la légère diminution observée depuis 1995 du nombre de détenus malades ayant déclaré un Sida se confirme (0,27% en 1995, contre 0,15% en 1997) ; pour la première fois (en 1997), le nombre de détenus hospitalisés au jour de l’enquête pour une infection en lien avec leur séropositivité est en baisse importante (en 1996, les personnes hospitalisées représentaient 3% des détenus concernés, en 1997, 0,6%) ».
La prise en charge médicale en milieu carcéral a connu un bouleversement remarquable en 1994, lors de l’adoption de la loi 94-43 du 18 janvier. Ce texte rompt en effet avec la pratique antérieure, séculaire, d’une gestion par l’administration pénitentiaire de la totalité des champs d’intervention dans ce contexte particulier : surveillance, entretien, médecine... La loi du 18 janvier 1994 transfert donc la compétence médicale du service public pénitentiaire au service public hospitalier, en même temps qu’elle étend la protection sociale à tous les détenus pour au moins le temps de leur détention (les ressort issants français bénéficient en outre d’une couverture pour l’année suivant leur libération). Cette réforme historique s’applique à l’ensemble des établissements pénitentiaires, à l’exception de ceux dits du « programme 13 000 », soumis à un régime particulier de gestion conjointe publique et privée.
Droit aux soins équivalents
Historique, c’est le qualificatif adéquat semble-t-il. La loi, et ses divers textes d’application, prend en effet acte de divers constats antérieurs alarmants quant à l’insuffisance et l’inadaptation de l’administration pénitentiaire face à la situation sanitaire en milieu fermé. C’est là notamment le signal lancé par le Haut Comité à la santé publique dans son rapport de 1993. La loi vise donc à « assurer à la population incarcérée une qualité et une continuité de soins équivalentes à ceux offerts à l’ensemble de la population », ce qui ne saurait être « sans l’apport immédiat et indispensable d’un personnel médical et infirmier qualifié et expérimenté » [1]. Le nouveau système s’inspire ainsi de la réforme qu’avait opérée un texte de 1986 en matière psychiatrique. À l’image donc des services médico-psychologiques régionaux (SMPR), chargés localement de prendre en charge l’aspect psychique de la population incarcérée, la réforme de 1994 institue, pour le reste du champ médical, une prise en charge par les hôpitaux de proximité. Dans chaque établissement est mise en place une unité de consultations et de soins ambulatoires (UCSA), rattachée à l’hôpital général le plus proche.
Ce changement ne peut être que salué. Six ans d’application plus tard, force est de constater les améliorations qui ont ainsi été réalisées. Les progrès ont été nombreux, mais la mise en oeuvre des apports de cette réforme n’a peut-être pas été encore totalement réalisée, et, surtout , les moyens nécessaires pour ce faire n’ont jamais totalement été insufflés, laissant dès lors un goût amer au vu de certaines difficultés récurrentes.
En matière de prévention tout d’abord, puisque, si l’administration, aidée par certaines associations, fait son possible pour diffuser des connaissances minimales sur la maladie, les choses se compliquent dès lors que l’on aborde l’aspect concret des instruments de protection. Alors retrouve-t-on le rejet, la hantise d’être mis à nu, de voir sa maladie révélée et dès lors, une pratique condamnée. Ainsi les détenus n’ont-ils pas forcément toujours vu d’un très bon œil la mise à disposition de préservatifs - pour quoi faire ? - malgré toutes les imperfections de cette dernière. Ainsi également la possibilité de permettre aux détenus toxicomanes d’accéder à des seringues neuves est-elle de façon récurrente rejetée en France, les autorités ne se résolvant pas à regarder en face et à avouer la réalité d’une présence de stupéfiants dans l’enceinte des établissements pénitentiaires. On sait pourtant que ces deux outils de prévention et de protection sont vitaux, et que l’élargissement de leur accessibilité ne peut avoir que des effets bénéfiques. Si de nombreux progrès ont pu être faits ces dernières années quant aux préservatifs, tout reste à envisager quant aux seringues, alors pourtant que des exemples voisins, telle la Suisse, militent pour qu’une véritable réflexion soit a minima lancée sur le sujet. La prévention de la maladie est en effet l’affaire de tous, détenus, personnels, autorités. L’administration pénitentiaire, au premier chef, mais aussi ses personnels et les associations actives en milieu carcéral, se doivent d’élargir, d’approfondir et d’affirmer leur rôle et leurs moyens d’information, d’explication.
Situation extrême
Mais les efforts sont également à faire quant à la pratique médicale même. Pratique en situation extrême, mais qui se doit, du dépistage au suivi pathologique, d’être ici exemplaire et respecter les principes déontologiques - telle notamment la confidentialité. Si le principe de l’interdiction des dépistages systématiques des entrants est acquis depuis une circulaire de 1989, le rôle d’information et d’incitation des médecins doit être accentué, et la prise en charge des personnes positives doit être repensée. Le résultat doit en ce sens être donné par le seul médecin, qui doit l’accompagner de toutes les informations et explications nécessaires. Aucun soutien psychologique n’est textuellement prévu, mais rien n’empêche non plus de le mettre en place... Dans l’accès aux soins et aux traitements, des améliorations sont également souhaitables, même si, dans la plupart des établissements, la récente prise en charge de la question médicale par les UCSA a considérablement amélioré les choses.
Toutefois, les difficultés demeurent quant aux possibilités de consulter, au caractère écrit de la prise de rendez-vous - qui, de la demande argumentée à la réponse, transite par les surveillants -, à l’insuffisance des moyens matériels et humains mis en oeuvre... La question de la confidentialité se pose ici aussi de façon aiguë, par exemple quant à la distribution et la prise des médicament s. De même, la question des extractions pour consultations ou hospitalisations, outre celle de leur facilitation par la mise à disposition de moyens matériels et humains suffisants, renvoie au problème des entraves de détenus hospitalisés ou gravement malades au nom d’un pseudo-impératif sécuritaire. Plus généralement , se pose la nécessité d’envisager sérieusement la justification de la présence policière dans les salles de consultation et aux abords des lits d’hôpital.
En outre, bien que prévu par le dispositif réglementaire, le suivi du malade libéré n’est pas satisfaisant. Les cas sont fréquents de personnes traitées en détention et libérées sans prise en charge programmée, sans même être mises en possession de quelques jours de traitements, se retrouvant souvent en rupture thérapeutique alors qu’un suivi pourrait être mis en place auprès de l’hôpital de proximité auquel est rattachée l’UCSA (et il ne sera pas abordé la question des détenus étrangers irréguliers dépourvus de toute immatriculation à la Sécurité sociale dès leur sortie...). C’est aussi, ici, la question plus large de l’omnipotence revêtue par le médecin dans le contexte carcéral. Les détenus ne jouissent en effet pas d’une liberté qui semble à tout autre naturelle : celle de choisir la personne qui les soigne. Cette situation n’est pas forcément, d’un point de vue théorique, problématique, mais on voit ainsi des cas honteux de discrimination, tel « médecin » refusant un programme de substitution à un toxicomane, ou une tri-thérapie à un détenu étranger qui de toute façon sera expulsé et ne pourra poursuivre le traitement...
Les conditions de détention aggravent la maladie
Les difficultés émanent donc de tout es parts. Et à cela s’ ajoutent celles posées par les conditions générales de détention, mais qui se posent de manière encore plus aiguë, et parfois plus lourde de conséquences, vis-à-vis des personnes atteintes du VIH ou du Sida. Comment en effet conserver des médicaments qui exigent d’ être stockés au réfrigérateur dans une cellule vétuste ? Comment s’assurer une hygiène satisfaisante quand il n’est pas possible de se laver convenablement tous les jours ? Comment éviter les maladies opportunistes dans des douches dans lesquelles les médecins eux-mêmes conseillent de garder les chaussures ? Comment, enfin, s’assurer un régime alimentaire équilibré dans ce cadre collectif, et alors que la plupart des repas sont servis froids ?
Autant d’arguments qui militent en faveur d’une réelle prise de conscience, d’une réelle réflexion, sur ces problématiques. Autant de constats accablants devant lesquels tout un chacun, et donc la LDH, ne peut rester muet. Autant de preuves que notre volonté est la bonne, de voir se développer, et devenir la règle, une politique de diminution de la population pénale, par la dépénalisation de certaines infractions et un recours beaucoup plus large aux aménagements de peine et aux alternatives à l’emprisonnement. Parce que maintenir un malade enfermé sans être capable de lui apporter les soins nécessaires, et qui pourtant sont disponibles, ne saurait perdurer dans un État de droit.
Mathieu BOIDÉ, service juridique de la LDH