Alerte au suicide dans les prisons [1]
Le nombre de suicides de détenus a nettement augmenté en 1991. Au 1er septembre, 51 personnes s’étaient volontairement données la mort en prison, alors qu’on n’en comptait que 37 à la même date en 1990. L’alerte a amené la direction de l’administration pénitentiaire à se livrer à une enquête sur les suicides en prison et leur prévention. Dans une circulaire datée du 12 novembre et adressée à tous les directeurs de prison, elle détaille par le menu les chiffres, et définit les moments particulièrement fragiles.
Les premiers temps de l’incarcération sont particulièrement douloureux. Sur un total de 59 suicides en 1990, l’enquête constate que 33 (soit plus de la moitié) ont eu lieu dans les trois premiers mois de l’incarcération, et 18 (le tiers) dans les quinze premiers jours. C’est dire le « désespoir au début d’une détention ». Le suicide de prison n’est pas « l’aboutissement d’une dépression mûrie de longue date au fond d’une cellule », mais un geste soudain, dans des moments particulièrement difficiles.
Certains jours y sont particulièrement propices. Le samedi, la nuit du samedi au dimanche précisément, enregistre à elle seule le quart des suicides de l’année. Si on fait le total du week-end, samedi-dimanche, jours sans activités, on arrive à 33%. La nuit est bien sûr le moment privilégié de l’angoisse. Restent les 23 suicides qui ont lieu de jour, entre les rondes, les promenades, les repas, pour prouver si besoin était combien l’acte suicidaire en prison peut être rapide.
80% des suicides ont lieu en cellule. Que le détenu y soit seul (19 cas) ou à plusieurs (27 cas). L’enquête ne relève pas l’écart entre ces deux chiffres. La proportion de détenus seuls qui se suicident semble pourtant forte compte tenu de la population pénale qu’ils représentent.
9 suicides, soit plus de 15%, ont eu lieu en quartier disciplinaire, autrement dit au mitard. La circulaire rappelle aux directeurs de prisons que le « déplacement d’un détenu au quartier disciplinaire n’est pas une action anodine » et qu’il convient, au-delà de l’infraction commise, de s’informer de la « personnalité de l’auteur(souligné) ». « Un comportement agressif peut être le symptôme d’une crise psychologique grave », dit-elle encore en insistant sur le rôle du médecin « porteur d’un regard différent » qui doit être consulté avant une mise au mitard. La loi impose une visite du médecin « si possible dès la mise en cellule de punition (souligné) ». Le médecin doit pouvoir interrompre la punition. Enfin elle insiste sur le fait que la mise au mitard est limitée par le code de procédure pénale « aux cas d’urgence et pour faute grave ». Un rappel sûrement très utile.
Mais un rappel qu’on aimerait que l’administration pénitentiaire s’applique à elle -même. Quand par exemple, réglementera-t-elle le recours aux quartiers d’isolement pour l’instant soumis à aucune autre limite qu’un renouvelle -ment automatique tous les trois mois ?
Les suicidés sont majoritairement des prévenus (70%), alors que les prévenus ne représen -tent que 40% de la population pénale. Non seulement les « suicidaires » sont nettement plus nombreux parmi les prévenus, mais ils se « ratent » moins. Le nombre de suicides « réussis » rapportés à celui des « tentatives » est supérieur parmi les prévenus. L’année 1991 a été mauvaise sous cet aspect-là aussi. 16% des 269 ten-tatives de suicides ont abouti à un suicide effectif. Alors qu’en 1990, la proportion des suicides « réussis » avait été de 13,5%.
En prison on se suicide par pendaison. Massivement. 52 des 59 suicidés de 1990 avaient trouvé un drap et des barreaux pour se pendre ou s’étrangler. Et 229 avaient essayé. Alors que sur les 62 détenus qui ont économisé soir après soir les barbituriques distribués à l’unité par l’administration, aucun n’est mort. L’automutilation, les fourchettes avalées et autres « appels au secours » n’aboutissent que rarement à la mort, mais chaque année en compte tout de même.
Enfin, contrairement à la vie civile, les femmes se suicident plus que les hommes. Et les jeunes plutôt moins que les hommes d’âge mûr. C’est entre 30 et 40 ans que le nombre de suicides est le plus élevé en prison.
Au-delà des recommandations de l’administration pénitentiaire (surveillance, observation, concertation entre les personnels), l’augmentation du nombre de suicides et encore plus des tentatives de suicide en prison est impressionnante. De 39 suicides en 1980, les prisons françaises sont passées à 75 en 1988, année record, pour avoisiner les 60 depuis 2 ans. Quel président de la République a dit que la prison était seulement privative de liberté et rien d’autre ?
Catherine Erhel
Source : Quasimodo - n° 2 (« Corps incarcérés »), janvier 1997, Montpellier, p. 26-27.