DEUXIÈME PARTIE : ENQUÊTES QUALITATIVES : ENTRETIENS
AUPRÈS DES PROFESSIONNELS EXERÇANT EN MILIEU
PÉNITENTIAIRE
1. ENTRETIENS AUPRÈS DU PERSONNEL PÉNITENTIAIRE ET DES ÉQUIPES OPÉRATIONNELLES DES UPS
Le recueil des données
Cette partie de l’évaluation s’inscrit dans une démarche qualitative et a pour objectif de rendre compte de l’initialisation du projet sur les huit sites concernés (Lille, Lyon, Strasbourg, Metz, Marseille, Nice et Fresnes où il existe 2 QIS), c’est-à-dire décrire le fonctionnement de ces unités et restituer les difficultés qu’elles peuvent rencontrer.
Dans le courant des mois d’avril et mai 1999, la lecture des différents rapports d’activités des UPS a permis l’élaboration de deux guides d’entretiens : l’un pour les personnes directement concernées (responsables UPS, directions), l’autre pour les personnes indirectement concernées (personnels de détention, SPIP).
Au cours du mois de juin 1999, plusieurs courriers ont été adressés aux Directions Régionales des Services
Pénitentiaires et aux Directions des établissements pénitentiaires concernés (rappel des objectifs de l’enquête, appel à candidature.).
Fin juin, les candidatures et les dates de disponibilité confirmées, les déplacements ont pu être planifiés. Début juillet, un nouveau courrier a été adressé aux Directions Régionales des Services Pénitentiaires, aux établissements pénitentiaires concernés, ainsi qu’aux responsables des UPS pour confirmer les dates de déplacement et les personnes à rencontrer.
Les déplacements ont eu lieu du 28 juillet au 22 septembre 1999 (voir tableau page suivante).
L’exploitation des données
Une analyse thématique sur un corpus de 30 entretiens semi-directifs a été réalisée. Ces entretiens recueillis sur site du 28 juillet 1999 au 22 septembre 1999 ont été enregistrés et retranscrits. D’une durée moyenne d’une heure, ils portaient sur :
La situation de l’UPS dans l’établissement ;
Le thème de la santé dans le cadre du dispositif et plus largement dans l’établissement ;
Les orientations des établissements.
Les conclusions de cette analyse sont présentées comme résultats dans ce rapport.
2. SYNTHÈSE DES ENTRETIENS
Cette synthèse porte sur 4 points particuliers : l’implantation des UPS, leur fonctionnement, la place accordée aux questions de santé et l’avenir de ces unités orientations.
L’implantation des unités
Antériorité et autres structures de ce type
Sur certains sites, un dispositif proche (c’est-à-dire ayant une approche globale et collective pour un public toxicomane) existait préalablement :
Le SAS de Sortie à Lyon ;
Le RAPS (Recherche Active de Préparation à la Sortie) à Lille.
Sur d’autres sites, une préparation à la sortie globale pour les toxicomanes se faisait de façon individuelle :
À Metz, il existait depuis 1987 une coordination d’intervenants extérieurs en toxicomanie gérée par le Service Socio-Éducatif (ancien SPIP) : permanences, groupes de parole, préparation socio-économique et possibilité d’un suivi extérieur.
À Marseille, la spécificité du CSST (ex-antenne Toxicomanie) est d’avoir une approche psychosociale et socioéducative [1] et de préparer les toxicomanes à la sortie de façon globale par le biais de partenaires extérieurs.
Parallèlement à ces dispositifs visant le public toxicomane, d’autres dispositifs de réinsertion concernent tous les détenus en fin de peine (dont les toxicomanes). Ce sont des outils coordonnés par le SPIP dans lesquels participent les structures de santé (l’Unité de Consultations et de Soins Ambulatoires et le Service Médico-Psychologique Régional).
Il s’agit :
Soit d’une préparation individuelle à la sortie sur toute la durée de la peine :
Le Projet d’Exécution des Peines (PEP) au centre de détention de Lille.
Le dispositif de Préparation à la Sortie (PAS) à la maison d’arrêt des Baumettes à Marseille.
Soit d’une préparation collective se situant en fin de peine [2] :
Le Quartier Sortant aux maisons d’arrêt Saint Joseph et Saint Paul à Lyon [3].
L’unité de Préparation à la Sortie (UPS [4]) à la maison d’arrêt de Strasbourg.
Indépendamment du type de préparation à la sortie en oeuvre sur les sites, l’UPS peut donc être perçue comme faisant « double emploi » avec les structures préexistantes (Lille, Metz) ou comme un outil supplémentaire adapté aux détenus ayant des problèmes de dépendance (Lyon, Marseille, Strasbourg [5]).
Concrètement, l’implantation du projet UPS au sein des différents établissements cibles semble avoir été décidée de manière pragmatique, sans l’aide de critères précis, du moins facilement identifiables par les différentes équipes concernées. Le choix des établissements n’a pas été fondé sur l’adhésion du personnel pénitentiaire par rapport au projet, et aucune concertation préalable au sein des établissements n’a été organisée. Dans certains cas, le projet UPS répondait à l’attente d’équipe particulièrement motivée. Ainsi, à l’exception de Metz où la direction de l’établissement a initié la candidature du site, ce projet à été soutenu par les intervenants en toxicomanie qui souhaitaient s’engager dans un pareil programme (Frênes, Lille, Lyon, et Strasbourg). À Marseille et Nice, les équipes ont été sollicitées par l’administration pénitentiaire pour intégrer ce mouvement.
Aucun intervenant rencontré n’a évoqué l’existence d’étude de faisabilité locale ou transversale sur l’implantation des unités. Aucune directive précise sur la manière dont les UPS devait être initiée au sein des différents sites n’a été citée.
Enfin, aucune procédure relative à la sensibilisation des autres équipes et la recherche de l’adhésion des autres catégories de personnels au projet, n’a été établie, que ce soit au niveau des sites ou au niveau du comité de pilotage associé au dispositif.
A l’exception du site de Metz, sur les autres sites, les promoteurs du projet UPS ont fait face à deux cas de figures déterminants des conditions d’implantation des unités au sein des établissements. En effet, l’existence, à contrario l’absence, d’action ou de structure à vocation identique a fortement influencé la manière dont le projet UPS a été intégré au fonctionnement global de l’établissement.
Les établissements où existait une action ou une structure intervenant dans la préparation à la sortie des détenus toxicomanes (Frênes, Lille et Lyon)
Dans une certaine mesure, l’antériorité de préparations à la sortie, spécifiquement destinées aux détenus toxicomanes au sein des établissements, a facilité l’implantation des UPS. L’engagement de l’établissement dans ce dispositif n’a, de fait, pas marqué un changement de politique locale et, par conséquent, n’a pas donné lieu à une information
particulière en direction du personnel pénitentiaire. Dans la plupart des cas, la création de l’unité a été assimilée à « une dotation de moyens supplémentaires » pour le développement d’une activité particulière de l’établissement. Tout naturellement, la responsabilité du projet UPS a été confiée aux équipes travaillant sur les programmes antérieurs.
À Fresnes, la création en 1997 d’une UPS pour les femmes n’a été que le développement de l’action conduite depuis 1992 en direction des hommes.
À Lyon, depuis 1992, les équipes de l’antenne toxicomanie ont mené une réflexion sur la préparation à la sortie des toxicomanes qui s’est traduite par l’élaboration d’un projet, « le SAS ». Ce projet a donné lieu à une action appelée UST (Unité pour sortants), financée dans le cadre de la politique de la ville. Ce travail a permis de situer Lyon comme site d’implantation possible d’une UPS. À ce titre, le projet UPS s’est présenté, pour l’équipe de l’antenne toxicomanie, comme le moyen de pérenniser l’action UST.
À Lille, l’antériorité d’une action a été déterminante du choix du centre de détention au détriment de la Maison d’arrêt.
Le projet RASP qui consistait à proposer aux détenus en fin de peine, un stage de 4 à 6 semaines (les après-midi). Au cours de ce stage, différents intervenants extérieurs ou partenaires institutionnels (employeurs potentiels, psychologues, assistantes sociales...) assistaient les détenus dans la construction d’un projet individuel d’insertion. L’UPS n’est apparue, en fait, que comme une nouvelle organisation du RAPS.
Les établissements n’ayant pas conduit d’action semblable mais disposant d’un centre spécialisé de soins aux toxicomanes (Marseille, Nice, Strasbourg)
Dans ces établissements existait une forte demande d’une préparation à la sortie spécifique, à laquelle le projet UPS devait en partie répondre. Dans ce contexte, la création des unités apparaît comme une prestation supplémentaire confiée au SMPR.
À Marseille, aucune distinction au niveau du fonctionnement entre UCSA, UPS et SMPR. La création de l’UPS a occasionné un transfert de personnel du SMPR.
À Nice, le budget de l’Unité est distinct de celui du CSST, par conséquent, le CSST détache du personnel pour l’organisation des stages.
À Strasbourg, le projet UPS appelé QIS pour le distinguer d’une unité déjà fonctionnelle, devait dans un premier temps s’intégrer à cette préparation destinée à l’ensemble des détenus. Cette intégration n’a pas pu être faite malgré la volonté de la direction de l‘établissement. La création du QIS a nécessité le recrutement de personnel supplémentaire.
Metz, un établissement atypique
Dans cet établissement, du fait de l’absence d’une structure de soins spécialisée aux toxicomanes, le service socioéducatif a été le principal promoteur de l’implantation d’une UPS. Il faut néanmoins signaler que depuis 1988 des intervenants en toxicomanie assuraient une permanence au sein de l’établissement. Cependant, le projet UPS ne semblait pas répondre à une demande particulière de cette équipe.
Accueil au sein de l’établissement par le personnel pénitentiaire
Les catégories de personnels pénitentiaires font part d’attitudes différentes relatives à l’accueil du projet au sein des établissements.
Pour les directions pénitentiaires, l’UPS est d’abord vécue comme un dispositif imposé par l’extérieur sans qu’il y ait eu préalablement une étude sur les conditions de faisabilité locales et les besoins réels des sites (plus particulièrement sur les sites de Metz, Lille, Nice, Marseille). Dans certains sites, elles n’y étaient pas favorables (Metz et Lille). D’après la direction de Metz, l’UPS ne répondrait pas à un besoin de la maison d’arrêt et ferait double emploi avec les dispositifs préexistants de préparation à la sortie coordonnés par le SPIP. Par ailleurs, la situation de l’UPS de Lille, au sein d’un centre de détention, poserait, selon la direction de cet établissement, un problème spécifique. La quasi-totalité des stagiaires accueillis à l’UPS est en effet originaire de la maison d’arrêt (profil pénal de courtes peines). Peu de détenus du centre de détention (profil pénal de moyennes peines) sont concernés par ce programme. Dans le cadre du centre de détention, l’unité semble redondante par rapport à la préparation de sortie d’établissement (PEP).
Chez les professionnels des Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation (SPIP), la création de l’UPS a pu être l’objet d’une incompréhension, tout particulièrement chez ceux qui ont la charge des dispositifs généraux de préparation à la sortie (Lille, Marseille, Strasbourg). Ils trouvaient que les moyens étaient mal répartis (pourquoi donner des moyens à un aspect particulier de la préparation à la sortie plutôt qu’au dispositif général ?). De plus, l’UPS a pu être vécue comme une non-reconnaissance du travail déjà accompli par les SPIP (Lille, Marseille). À Strasbourg, les responsables de l’UPS (dispositif général) ont pu avoir l’impression que le QIS était redondant par rapport à l’UPS (puisque les subventions n’ont pas eu à être recherchées).
Enfin, pour certains membres du personnel de détention, la création de l’UPS a été vécue comme imposée et perçue comme une action supplémentaire en faveur des détenus avec le sentiment sous-jacent d’un déséquilibre en leur défaveur : « les toxicomanes qui sont reconnus comme étant des détenus difficiles sont de plus en plus considérés, alors que nos propres conditions de travail sont de plus en plus difficiles du fait d’un manque d’effectif (fort taux d’absentéisme) ».
Il faut cependant rappeler que les SMPR et les UCSA, qui sont aujourd’hui bien intégrés dans les établissements pénitentiaires, avaient également été accueillis d’un air « méfiant » à leur création. Si tout changement crée des résistances, cette constatation semble encore plus vraie en milieu pénitentiaire.
Les locaux
La localisation des UPS est variable selon les sites :
À Strasbourg et à Nice, les locaux de l’UPS (bureaux, salles d’activités et cellules réservées aux stagiaires) se situent dans une aile préservée de la détention et permettent un régime pénitentiaire plus souple ; ce n’est pas le cas de l’UPS de Lille et du QIS hommes de Fresnes qui sont localisés au coeur de la détention. Cette implantation va à l’encontre de la perspective d’une autonomisation des détenus en fin de peine. De plus, l’installation de l’UPS en pleine détention entraîne des difficultés d’accessibilité aux locaux pour l’équipe et pour les intervenants extérieurs.
À Metz, à l’origine du projet, l’unité devait être située en centre ville ; cependant, elle est aujourd’hui installée dans le quartier des « Jeunes Majeurs », c’est-à-dire dans un quartier encore plus sécuritaire qu’en détention adulte. La crainte des contacts et des trafics possibles entre les stagiaires UPS et les jeunes majeurs contribue à une surveillance accrue du personnel de détention. À Marseille, les locaux UPS sont implantés dans le quartier
Arrivant, c’est-à-dire dans le secteur le plus fermé et le plus strict de l’établissement. Ainsi, l’UPS qui se veut une unité tournée vers la sortie se trouve à Metz et à Marseille dans des quartiers dont le régime est encore plus restrictif que dans le reste de la détention.
À Nice, si l’UPS se situe dans une aile préservée de la détention, le problème majeur concerne la pénurie de locaux. Chaque session UPS se fait, par manque de salles, au détriment d’autres activités.
Le QIS femmes à Fresnes (bureaux et salles d’activités) se situe dans un bâtiment excentré de la détention. Mais les cellules réservées aux stagiaires se trouvent en détention. Après avoir passé la journée au bâtiment du QIS, les stagiaires doivent rentrer en détention. Le passage entre préparation à la sortie et détention peut s’opérer difficilement : ces femmes auraient, en effet, des difficultés à se soumettre au règlement pénitentiaire.
La maison d’arrêt de Lyon est le seul site où les locaux UPS (salles d’activités, bureaux et hébergement) sont dans un bâtiment excentré de la détention et marquent une séparation du reste de la détention [6]. Le règlement pénitentiaire y est plus souple et les cellules sont ouvertes deux heures par jour pour privilégier la vie de groupe.
Les principales difficultés
Certaines difficultés sont communes à la plupart des sites.
Nous avons pu noter, à plusieurs reprises, une certaine incompréhension entre les équipes UPS et les personnels pénitentiaires. Des points de vue différents généreraient des difficultés de communication (à l’exception de Strasbourg). D’après les équipes UPS, cette incompréhension serait spécifique aux contradictions des modes de pensée. Les objectifs de dynamisation des populations visées (qui impliquent le regroupement des stagiaires et de nombreux déplacements d’intervenants et de détenus) iraient à l’encontre des objectifs de maintien de l’ordre. La cohabitation du répressif et du social semble difficile.
De même, ont été souvent évoquées :
La lourdeur de la communication avec l’administration pénitentiaire qui pourrait entraîner des dysfonctionnements dans l’organisation du travail (Fresnes, Metz, Lille, Lyon) ;
L’obligation de se plier aux procédures pénitentiaires et de dépendre de l’organisation carcérale, vécue par les équipes UPS comme extrêmement contraignante mais néanmoins nécessaire sous peine de tensions et de dysfonctionnements (Fresnes, Metz, Lille) ;
La nécessité d’un travail constant de relations publiques avec le personnel de détention (expliquer sa mission, répéter les objectifs de l’UPS) peut apparaître lassante et décourageante (Fresnes, Metz, Lille, Lyon, Marseille).
Par ailleurs, toutes les équipes UPS (à l’exception du QIS hommes de Fresnes) ont des difficultés de recrutement des stagiaires. Ces difficultés semblent devoir être associées à l’effectif restreint des détenus entrant dans le critère de fin de peine, à la non-clarification des situations de fin de peine ainsi qu’à la non-rémunération des stages UPS.
Enfin, pour les directions pénitentiaires, la principale difficulté serait de prélever sur l’effectif global des surveillants pour l’UPS.
Certaines difficultés semblent plus spécifiques :
Les problèmes de locaux : pénurie (Nice) ou inaccessibilité (Lille) :
À Nice, chaque session UPS implique l’arrêt d’autres activités (dont certaines sont rémunérées) ; ce qui engendrerait des tensions et des conflits territoriaux. Ainsi, l’atelier « sophrologie » qui concerne un nombre restreint de stagiaires UPS nécessiterait de prélever une salle sur le travail en atelier qui lui concerne un nombre important de détenus.
À Lille où l’UPS se situe en pleine détention, les impératifs de sécurité entraîneraient des problèmes aigus d’accessibilité aux locaux. Attendre une heure à l’entrée et/ou à la sortie serait fréquent, autant pour le personnel
permanent que pour les intervenants extérieurs. Toujours par rapport à ces impératifs de sécurité, la direction pénitentiaire refuserait aux intervenants extérieurs la possibilité de rencontrer les stagiaires à titre individuel dans les locaux UPS. Ces rencontres devraient se faire dans les boxes des avocats, ce qui compliquerait encore le fonctionnement de l’unité.
En outre, l’UPS de Lille connaîtrait des problèmes d’articulations entre la maison d’arrêt et le centre de détention à l’origine de situations de non-droits sociaux et médicaux pour les stagiaires.
En effet, les travailleurs sociaux de la maison d’arrêt estimeraient qu’ils n’ont plus à suivre les stagiaires UPS qui ont quitté la maison d’arrêt ; mais comme ces stagiaires ne transitent pas par le circuit habituel d’orientation du centre de détention, les travailleurs sociaux du centre de détention estimeraient, quant à eux, qu’ils n’ont pas à s’en occuper. Cette zone de non-droits sociaux compliquerait fortement l’élaboration du projet de sortie.
En outre, sous prétexte que l’UCSA existe aussi à la maison d’arrêt, la visite médicale dite « d’arrivants » ne serait pas toujours effectuée. Or, ces bilans médicaux seraient nécessaires car ils permettent d’envisager la continuité des soins à l’extérieur et l’orientation des stagiaires sur des relais médicaux.
Sur les sites de Strasbourg, Marseille et Fresnes (QIS femmes), il existerait des difficultés relationnelles entre les stagiaires UPS et certains personnels de détention ayant même abouti à des actes de violences et des sanctions pénitentiaires.
À Strasbourg, ce problème aurait été résolu en détachant un surveillant pour le QIS.
À Marseille, ces difficultés relationnelles entre les stagiaires UPS et certains surveillants du quartier Arrivant sont toujours d’actualité.
À la maison d’arrêt des femmes de Fresnes, le passage du QIS à la détention ne s’effectuerait pas dans les meilleures conditions : devoir se soumettre aux fouilles, ne plus parler dans les couloirs ou devoir se mettre en ligne généreraient des tensions et des dérapages. Par ailleurs, le travail en partenariat avec l’administration pénitentiaire ne se présente pas sans difficulté, notamment, lors des commissions d’application des peines : difficultés d’accès aux dossiers, retards dans les permissions de sortie pour un projet d’orientation...
L’équipe UPS des Baumettes éprouverait des difficultés d’autonomisation du projet UPS (statut et financement) par rapport au Centre Spécialisé de Soins aux Toxicomanes.
Le fonctionnement
Les objectifs seraient identiques sur l’ensemble des sites ; par une approche collective globale :
Permettre une dynamisation des populations ayant des problèmes de dépendances,
Examiner les priorités d’actions,
Trouver des solutions adaptées à leur sortie,
Passer le relais à des institutions partenaires pour éviter la récidive.
Les critères d’inclusion des stagiaires
Le public visé est sensiblement le même sur tous les sites.
Il s’agit avant tout d’une population « bas seuil » (en situation sociale très précaire associée à un faible niveau scolaire et culturel), et multirécidiviste.
L’UPS s’adresse à toutes les personnes ayant des problèmes de dépendances (toxicomanie, alcoolisme, polytoxicomanie, pharmacodépendances).
La sélection a été étendue aux personnes dépressives (suicidaires), à celles ayant des problèmes d’intégration sociale ou des problèmes de dysfonctionnement comportemental (conduites d’échec), ainsi qu’aux personnes ayant des troubles psychiatriques mineurs.
À Marseille, l’équipe UPS sélectionne également les détenus ayant des problèmes de santé somatiques.
Toutefois, sont exclus du recrutement :
Les candidats présentant des troubles psychiatriques majeurs, car ils risquent de ne pas pouvoir s’insérer dans la vie du groupe ;
Les candidats ayant une Interdiction du Territoire Français (ITF) ;
Certains candidats connus pour trafic de drogues ou pour leur agressivité ;
Ainsi que les ex-stagiaires UPS réincarcérés, à l’exception de Nice.
L’UPS niçois reprend les ex-stagiaires UPS réincarcérés jusqu’à trois fois, apparemment dans l’objectif de pallier le manque de candidats.
À Lyon, l’équipe UPS exclut également les détenus de plus de 40 ans.
Les modalités de recrutement
Les modalités de recrutement des détenus varient d’un site à l’autre au niveau du public visé mais aussi dans la manière dont s’organise la sélection des détenus.
Aire de recrutement
Face aux difficultés de recrutement, la plupart des équipes ont étendu leur action à plusieurs établissements et les stagiaires sont alors transférés pour suivre les sessions.
À Frênes, le faible nombre de femmes détenues à conduit l’équipe à solliciter la collaboration de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis.
À Lille, l’implantation du projet UPS au sein du centre de détention a, de fait, imposé un recrutement hors de l’établissement, tout particulièrement en direction de la Maison d’Arrêt qui fournit la part la plus importante du contingent des stagiaires.
À Lyon, l’extension du recrutement aux détenus de la maison d’arrêt de Villefranche est envisagée.
À Nice, les tentatives d’étendre le recrutement aux établissements voisins (Grasse et Draguignan) n’ont pas donné de résultat satisfaisant.
À Strasbourg, les détenus accueillis proviennent aussi des établissements proches (Maisons d’arrêt de Colmar et de Mulhouse et centre de détention d’Hermingun).
Information des détenus et repérage des candidats
Dans l’ensemble des sites, une sensibilisation et une information des détenus est organisée soit par un affichage (Metz, Strasbourg, Marseille, Lille), soit par l’utilisation d’un canal TV-VIDEO interne (Metz, Strasbourg), soit par des réunions d’information (Frênes, Metz), ou bien encore par une information systématique en direction des arrivants (Lille). À Metz, cette action a été progressivement abandonnée car jugée peu efficace par les équipes. À Nice, le repérage des candidats potentiels est effectué dès l’entrée en détention par l’UCSA et le SMPR.
À l’exception de Marseille, des listes des détenus « libérables » sont fournies par les services du greffe. Ces listes permettent aux équipes de proposer une information plus ciblée.
Accès aux UPS et sélection des candidats
Sur l’ensemble des sites, les services socio-éducatifs, l’UCSA et le SMPR constituent les principaux pôles d’orientation des détenus vers les UPS.
Toutefois, la composition du comité de sélection diffère selon les établissements dans la mesure où elle marque le niveau d’intégration du projet UPS aux autres services. La sélection est soumise dans une certaine mesure, à la discrétion des équipes intervenant dans les soins spécialisés aux toxicomanes (SMPR, CSST) associées ou non à des représentants des services socio-éducatifs, des UCSA, de la détention ou des services administratifs.
La composition des comités de sélection est hétérogène. Le poids de l’administration pénitentiaire sur le recrutement diffère selon les sites. À Nice, par exemple, elle n’intervient pas dans le recrutement et la sélection des stagiaires, tandis qu’à Lille, en assurant le transfert des détenus de la Maison d’Arrêt vers le centre de détention, elle commande en quelque sorte l’accès au stage.
Il faut néanmoins préciser que les difficultés de recrutement que rencontre l’ensemble des UPS confèrent au comité de sélection un rôle qui reste modéré dans le fonctionnement du dispositif.
Les difficultés de recrutement
Certaines difficultés sont communes à la plupart des sites :
La notion « de fin de peine », c’est-à-dire la difficulté de trouver des détenus se situant à un mois, un mois et demi de leur fin de peine.
En effet, la situation pénale des détenus est rarement claire, des incertitudes pèsent fréquemment sur la date de sortie (Lille, Metz, Marseille, Lyon). Selon les sites (Nice, Lyon), la population pénale est majoritairement constituée de prévenus qui vont être transférés. De plus, beaucoup de détenus ont une Interdiction du Territoire Français (ITF) et ne peuvent donc pas participer à l’UPS. Pour réduire ces difficultés de critère de fin de peine, certains UPS ont élargi, d’une part, le recrutement aux établissements pénitentiaires régionaux, et d’autre part, le laps de temps entre la fin de session et la sortie effective. L’extension du recrutement aux établissements régionaux se fait sur Fresnes (QIS femmes), Strasbourg, Nice et Metz. À Metz toutefois, cette extension n’aurait eu que peu de résultats. L’UPS de Lyon prévoit également de recruter des candidats dans les maisons d’arrêt régionales dont la population pénale serait en grande partie originaire de Lyon. Si à Lille, Lyon et Fresnes, le laps de temps compris entre la fin de session et la sortie effective excéderait rarement trois semaines, en revanche, les équipes UPS de Strasbourg, Metz [7], Marseille et Nice pourraient étendre ce laps de temps jusqu’à deux mois pour pallier les difficultés de recrutement. Dans ce cas-là, les UPS suivent les stagiaires individuellement jusqu’à leur libération.
À Strasbourg, l’administration pénitentiaire occupe les détenus qui ne sont pas immédiatement libérables pour ne pas perdre les bénéfices de re-dynamisation du stage.
Le caractère volontaire du recrutement et la motivation des détenus.
La principale cause de refus des candidats potentiels serait la non rémunération des sessions UPS, alors que le travail en atelier et les formations sont rémunérés. Les indigents qui souhaiteraient participer à la session UPS ne le peuvent pas : ils doivent avoir un revenu pour satisfaire leurs besoins en nourriture, cigarettes et petits achats divers. Ce serait l’obstacle majeur dans la plupart des sites.
Par ailleurs, le fait de devoir déménager de cellule, de quartier, voire d’établissement (pour les recrutements régionaux) un mois avant la sortie constituerait la seconde cause de refus. Il se serait créé un réseau relationnel sécurisant et un déménagement à un mois de la sortie impliquerait une nouvelle perte de repère et une nouvelle phase d’adaptation. Ils pourraient craindre, en outre, de se retrouver en groupe avec des détenus qu’ils ne connaissent pas. Le refus de déménager peut être aussi lié à l’impossibilité pour les familles (du fait d’un problème d’éloignement ou d’emploi du temps) de changer les horaires de parloirs.
Le phénomène de stigmatisation des détenus pourrait également être un frein à la participation de l’UPS. Certains toxicomanes refuseraient cette identité.
La crainte de sanctions disciplinaires ou d’une révocation de sursis est également signalée sur certains sites (Strasbourg, Lille).
Plus spécifiquement, sur certains sites, l’absence de motivation des détenus serait liée soit :
À l’impossibilité de poursuivre le traitement de substitution au centre de détention de Lille
Au fait de déménager ; les locaux UPS pouvant être situés dans des quartiers sécuritaires. De même, quelques femmes de Fleury-Mérogis refuseraient également d’être transférées à Fresnes parce que la discipline y serait plus stricte.
Le fonctionnement : les contraintes carcérales et la gestion de la discipline
Certaines contraintes compliqueraient le fonctionnement du dispositif :
La localisation de certaines UPS en détention -qui occasionne des difficultés d’accessibilité et du respect des horaires- a déjà été évoquée.
L’accès au matériel nécessaire aux activités de groupe peut également être difficile (toujours pour des impératifs de sécurité).
L’inventaire obligatoire et détaillé du matériel qui doit, en outre, être mis sous clé (Metz, Strasbourg). Seules les équipes de Lille et de Fresnes (QIS femmes) refuseraient de fermer les armoires à clé. Elles récuseraient l’idée d’infantiliser les stagiaires et préféreraient miser sur l’autonomie. Dans la mesure où les UPS travaillent sur la perspective de la sortie, il leur paraît nécessaire de rétablir la capacité de confiance que certains stagiaires ont
perdue.
L’accès au téléphone est également un point de litige.
Dans le contrat de fonctionnement, les stagiaires ont le droit de téléphoner dans le cadre de leur projet de sortie.
Les communications sont réglementées par le dispositif : Une personne de l’équipe ou un surveillant doit être présent lors de l’appel et les communications doivent être répertoriées.
Or, à Metz, Lyon et Marseille, les stagiaires n’auraient pas accès au téléphone pour l’élaboration de leur projet de sortie.
Au QIS hommes de Fresnes, l’équipe du QIS serait constamment dans l’obligation de rappeler aux personnels de détention que les stagiaires ont le droit de téléphoner.
De plus, les lignes téléphoniques seraient coupées à partir de 17 h 00. Après 17 h 00, l’équipe n’aurait plus les moyens de joindre l’extérieur et ne pourrait plus être jointe. Ce qui est une contrainte importante dans le travail des travailleurs sociaux.
D’autres contraintes sont plus spécifiques à certains sites :
Comme le personnel de détention redoute les échanges possibles entre les stagiaires et les jeunes majeurs à Metz, les stagiaires UPS subiraient des fouilles au corps à chaque mouvement. Le regroupement dans la coursive devant la salle d’activités et tout contact avec la population pénale (même au cours de la promenade) leur seraient interdits.
À Marseille où les locaux sont implantés au quartier « Arrivant », la direction a accordé un certain nombre de droits particuliers aux stagiaires UPS : une plaque chauffante et la télévision dans les cellules, une pause entre les ateliers dans la coursive. Ils ont également droit à une douche par jour à 8 h 00. Or, en dehors des deux surveillants qui encadrent l’UPS, les autres surveillants de l’étage « Arrivant » ne respecteraient pas les consignes plus souples prévues pour les stagiaires UPS. Ils négligeraient la consigne de douche à 8 h 00 pour les appeler à 7 h 00 comme les arrivants. Cette situation génèrerait des tensions et des conflits.
Les problèmes de discipline sont également gérés dans l’ensemble des unités. Dans la mesure du possible, les problèmes de discipline sont gérés par l’équipe : par la discussion en groupe et/ou en individuel et cela autant de fois qu’il le faut. L’administration pénitentiaire n’intervient que lorsqu’il y a une menace pour la sécurité du groupe : la procédure disciplinaire est la même que pour les autres détenus (rapport, commission de discipline et éventuellement quartier disciplinaire). Cette situation serait rare, dans la mesure où tous les intervenants ont constaté l’existence d’un effet de groupe : un stagiaire qui entreprendrait un acte de violence serait arrêté par le groupe. Ainsi, la plupart des UPS n’auraient jamais eu recours à l’administration pénitentiaire.
En revanche, si un stagiaire manque d’assiduité, s’il a un problème psychiatrique trop important et n’arrive pas à s’intégrer dans le groupe, l’équipe UPS et le stagiaire peuvent choisir d’interrompre le stage sans qu’il y ait de sanction pénitentiaire. Pour pallier les réactions violentes, l’équipe QIS femmes de Fresnes offre la possibilité aux femmes en situation de malaise de prendre un certain recul. Cette coupure aurait l’avantage de limiter les ruptures de contrat définitives. Lors d’une interruption de stage, les équipes de Fresnes (QIS femmes) et de Marseille assurent néanmoins un suivi dans le cadre de l’élaboration du projet individuel.
Le fonctionnement : le choix et le contenu du programme
Contenu du programme
Le contenu du programme est décliné soit à partir du projet pilote (Marseille, Metz), soit à partir de l’expérience antérieure de préparation à la sortie du site (RAPS à Lille, SAS à Lyon). Le programme évolue au fil des sessions pour s’adapter aux besoins. Au cours des quatre semaines, la session s’organise autour des ateliers de groupes et des entretiens individuels. Le programme est très dense. On y retrouve les mêmes orientations (même si les dénominations changent d’un site à l’autre) :
Aspect social (hébergement, instruction du RMI, remise à jour des papiers administratifs).
Axe professionnel (constitution d’un CV, initiation à l’informatique, acquisition de techniques à la recherche d’emploi, élaboration de projets professionnels).
Axe juridique (droit et citoyenneté, éducation civique).
Axe santé somatique (ateliers sur les dépendances, les interactions médicamenteuses et la réduction des risques mais aussi sur les démarches de santé et sur l’hygiène).
Axe santé mentale (thérapie de groupe). Le QIS femmes de Fresnes a mis en place deux ateliers supplémentaires : l’atelier « Violence conjugale » et l’atelier « prostitution ».
Axe corps (sport, relaxation). Ici encore, le QIS femmes de Fresnes a mis en place un atelier supplémentaire d’esthétique.
Axe « créativité » (Arts plastiques, théâtre). L’atelier théâtre a été instauré dans tous les UPS à l’exception de Lyon et de Strasbourg. Il est décrit par toutes les équipes comme fondamental : il permettrait, d’une part, de développer la cohésion du groupe et, d’autre part, de libérer les blocages psychologiques. Les exercices à but thérapeutique généreraient des blocages parmi les stagiaires alors que l’activité théâtrale leur permettrait d’être pris dans une dimension de jeu et donc de plaisir.
Déroulement du stage
Le déroulement des stages semble particulièrement marqué par des contingences matérielles et évolue selon la disponibilité des différents intervenants. À l’exception de Marseille, les équipes n’ont pas préservé l’organisation hebdomadaire thématique proposée par le cahier des charges initial.
À Marseille, le stage se déroule sous forme de quatre semaines à thème. La première est consacrée à l’emploi, la seconde au théâtre la troisième, à la santé et la dernière aux questions de droit et de citoyenneté. Néanmoins ce programme évolue au fil des sessions notamment par une diversification des partenaires extérieurs.
Chaque fin de journée prévoit, un bilan avec les stagiaires de ce qui s’est passé pour eux. Le dernier jour, les stagiaires présentent un bilan oral de l’UPS et ils font aussi un bilan écrit. Est alors remise à chacun des stagiaires, une pochette contenant des préservatifs, 1 carte téléphonique, 1 carte des transports, 1 bloc note, 1stylo, 1 mini agenda pour noter les rendez-vous, 1 petit livret avec les adresses d’urgence (hébergement, intervenant en sida, intervenant en toxicomanie, services sociaux).
En revanche les autres sites proposent des activités transversales sous forme d’ateliers qui ne sont pas regroupés en module hebdomadaire.
À Frêne, seule l’activité théâtre se déroule sur une semaine complète. Des ateliers plus spécifiques (cuisine, violences conjugales) sont proposés dans le cadre de l’UPS « femmes ».
À Lille, le programme a été mis au point, au cours du mois précédent la création de l’unité. L’objectif du stage est de permettre aux détenus de réaliser un bilan médical et social, de recevoir une information sur les toxico-dépendances, et sur la loi.
À Lyon, le programme du stage développe quatre modules. Le module « Projet de vie » est au centre du stage car c’est dans le cadre de ces ateliers que les détenus vont construire leur projet d’insertion socioprofessionnelle. L’élaboration de ce projet s’appuie sur des rencontres avec les intervenants extérieurs (les centres de soins, le comité de probation et le collectif logement). Le module « Développement personnel » associe un atelier artistique (peinture) et six séances de régulation de groupe par un psychologue. Le troisième module comprend des activités sportives où sont aussi abordées des questions relatives à d’hygiène de vie. Enfin, le dernier module, plus informatif, porte sur le droit et la citoyenneté.
Deux séances d’information autour du droit du travail sont assurées par un juriste.
À Nice, la session débute par une semaine consacrée à l’activité théâtrale, puis se succèdent des ateliers d’information (droit et santé), de « réinsertion » (hébergement et emploi), enfin des ateliers de revalorisation (activité sportive, sophrologie, secourisme).
À Metz, la première semaine est consacrée à des bilans sociaux et médicaux pour chacun des participants. La seconde, au théâtre. Enfin, au cours des deux dernières semaines, le stagiaire réalise son projet d’insertion avec l’aide d’un assistant social mais aussi d’un psychologue. Sur l’ensemble du stage sont proposées des séances de sport et un atelier d’arts plastiques.
À Strasbourg, la première demi-journée est consacrée à l’accueil où les intervenants présentent leur programme.
Parfois, un surveillant vient aussi à l’accueil pour rappeler le règlement pénitentiaire. Il est demandé aux stagiaires d’organiser les séances de parloirs le samedi pour éviter trop de mouvement. Sur chaque semaine se succèdent de manière aléatoire 3 ateliers : le sport, l’art plastique, l’atelier de raisonnement logique. Ces ateliers sont aussi l’occasion d’interventions ponctuelles de différentes associations (permanence emploi adulte, association d’aide des anciens détenus). Tout au long de la session, les plages encore disponibles sont consacrées aux entretiens individuels (interventions du travailleur social, du psychologue). L’atelier de raisonnement logique s’appuie sur des fiches d’aspect ludique. L’atelier d’art plastique laisse libre cours à la créativité individuelle des détenus autour de la réalisation d’un projet artistique personnel. Deux bilans sont réalisés : le premier avec les stagiaires, l’autre avec les intervenants.
Les intervenants
Les ressources internes à l’établissement sont fortement mobilisées.
Trois autres types d’intervenants sont sollicités, les représentants d’institutions (CPAM, ANPE...), les intervenants spécialisés dans le soin aux toxicomanes ou aux alcooliques et les associations d’entraides (AIDES...) ou culturelles.
Dans la plupart des cas, les équipes se sont appuyées sur un réseau de proximité déjà existant (Frênes, Nice, Lille, Strasbourg). Pour les autres, le projet UPS a été l’occasion de d’élargir leur réseau de partenaires (Marseille, Metz, Lyon). À Lille, seuls, les professionnels intervenant à titre bénévole, sont associés au travail de l’équipe UPS.
Sur certain site, ces partenaires ont un rôle essentiel comme relais à l’extérieur de l’établissement pour les détenus en fin de peine (Strasbourg). À ce titre, ils constituent un élément de première importance dans le suivi des stagiaires à leur sortie de prison. Néanmoins, il est utile de préciser que, pour la plupart, les partenaires extérieurs intervenant dans l’UPS participaient déjà à des actions en milieu pénitentiaire, par conséquent, ils étaient déjà identifiés comme des relais extérieurs. De plus, la recherche et la mobilisation de nouveaux intervenants peuvent s’avérer difficiles : à Nice, par exemple, les diététiciens contactés par l’équipe n’ont pas souhaité participer au programme.
Le suivi extérieur
Le suivi extérieur consiste, dans un premier temps, à accompagner lors de leur sortie de prison, les stagiaires les plus fragiles jusqu’à leur lieu d’accueil. Par manque de personnel, cet accompagnement ne serait pas opérationnel sur certains sites (Marseille, Metz).
Ce suivi s’articule autour d’un rendez-vous entre l’équipe et les stagiaires ; toutefois, les équipes ne sont pas toutes dotées de locaux pour les permanences. À Marseille, à Nice [8] et à Strasbourg, les rendez-vous ont lieu dans un local appartenant à l’hôpital de rattachement. Les équipes de Fresnes et Lille ne disposent pas de local ; elles fixent les rendez-vous dans une structure d’accueil partenaire. Les équipes de Lyon et de Metz ne font pas de permanence mais elles peuvent être contactées à tout moment.
De manière immédiate, sont traitées les démarches sociales qui n’ont pas été achevées au cours du stage. En ce qui concerne les demandes de soutien psychologique (lors d’une phase dépressive ou d’une rechute dans la drogue), ces dernières seraient plus rares, et concerneraient davantage les femmes. Le contact extérieur avec les femmes semble d’ailleurs plus aisé ; elles n’hésiteraient pas à rester en contact avec l’équipe, même longtemps après leur sortie. De manière générale, si la durée du suivi extérieur dépend beaucoup de l’individu, on constate néanmoins que, pour le plus grand nombre, les liens avec l’UPS s’interromperaient une fois le suivi immédiat achevé et le relais transmis aux intervenants et aux structures extérieures. La durée de suivi est évaluée à environ un mois et demi, ce qui conforte les UPS dans leur rôle d’espace de transition.
Des difficultés plus spécifiques concernant l’organisation du suivi extérieur peuvent apparaître dans certains sites. Si l’UPS lillois bénéficie d’une association extérieure ayant pour vocation l’accueil des toxicomanes sortants de prison, les UPS de Fresnes (QIS hommes [9]), de Nice et de Metz auraient des difficultés à trouver des foyers d’hébergement pour les stagiaires, d’une part, parce que beaucoup de structures extérieures refuseraient de recevoir des sortants de prison ; d’autre part, parce que les foyers d’hébergement seraient de plus en plus débordés surtout en hiver.
En outre, le suivi extérieur s’avérerait difficile à Metz en raison de la dispersion des stagiaires sur le territoire français. Cette difficulté serait encore accentuée par le manque de personnel UPS.
À Strasbourg, c’est le renouvellement des travailleurs sociaux qui créerait des ruptures dans le suivi, les stagiaires préférant être suivis par la même personne. Cette situation ne pourrait se débloquer que si l’action se
pérennisait [10].
Articulation des UPS aux autres services de l’établissement
Les surveillants apparaissent comme des partenaires incontournables des équipes UPS et dans la gestion du bon déroulement du stage. Par ailleurs, il est parfois partie prenante du recrutement des détenus en intervenant dans la proximité et en aidant les équipes au repérage des candidats potentiels (Frênes, Nice, Strasbourg). Dans ce contexte particulier, le « turn over » du personnel ainsi que les roulements, peuvent altérer le fonctionnement des sessions UPS.
Sur certain site (Marseille), il semble qu’un personnel de surveillance fixe soit associé à l’unité.
Les antennes toxicomanies ou SMPR sont les principaux partenaires des UPS. Dans une certaine mesure, ils assurent l’ancrage de l’unité au sein de l’établissement pénitentiaire. La participation des services socio-éducatifs est très variable d’un site à l’autre et dépend de l ‘histoire de l’établissement. De même, si dans tous les cas, les services administratifs contribuent au fonctionnement quotidien des unités, l’implication des directions d’établissement dépend de l’engagement personnel à l’encontre du projet UPS dont peuvent témoigner les différents directeurs en exercice.
À Frênes, les principaux partenaires au sein de l’établissement restent le SMPR qui assure de plus en plus un soutien psychologique voir psychiatrique en direction des stagiaires et le service socio-éducatif de la maison d’arrêt pour Femmes qui participe pleinement au recrutement des stagiaires. Ce dernier assure des interventions au cours des stages (gestion d’un atelier « violence conjugale ») et assure une médiation entre les équipes de l’UPS et les services administratifs. Le service socio-éducatif demande l’avis des équipes de l’UPS dans le cadre de la Commission
d’Aménagement des Peines.
En revanche, la charge de travail du service socio-éducatif de la maison d’arrêt pour hommes a progressivement limité l’implication de ce service dans le fonctionnement de l’UPS. Il assure toutefois la gestion de la régularisation administrative des stagiaires (papiers...). Même si dans le cadre du projet initial était souhaité, une séparation entre les stages UPS et le dispositif d’application des peines, l’intérêt que porte certains juges d’application des peines peut conduire les équipes à reconsidérer cette position.
À Lyon, le principal partenaire reste le service socio-éducatif avec lequel un bilan hebdomadaire est réalisé lors des stages (fiche de liaison).
À Lille, le chef de détention est associé au fonctionnement de l’UPS, et a la charge de régler les différents problèmes matériels qui peuvent survenir au cours des sessions. Par ailleurs, le chef de détention participe au comité de sélection.
Un référent du SPIP intervient dans le fonctionnement de l’UPS, notamment à l’accueil des détenus et dans le cadre du comité de sélection des stagiaires. La participation des travailleurs sociaux du centre de détention est plus importante du fait de la proximité de l’UPS même si la plupart des stagiaires proviennent de la maison d’arrêt.
C’est à la direction de la maison d’arrêt que revient la charge d’organiser les transferts des détenus sur la base de la liste établie par le comité de sélection et transmise par le responsable de l’UPS.
À Marseille, les deux surveillants attachés à l’UPS participent au bilan de fin de stage et de fin de journée.
À Strasbourg, l’UCSA intervient dans le cadre du recrutement des stagiaires dans les autres établissements de la région...
La santé
L’état des connaissances des stagiaires sur les risques sanitaires liés à l’usage de drogues
Si, selon les équipes, les stagiaires auraient une bonne connaissance du risque d’être infectés par le VIH associé à l’injection de drogues, ils témoigneraient en revanche d’une méconnaissance des dosages médicamenteux et des interactions avec les drogues ou avec l’alcool. Beaucoup d’entre eux mésestimeraient les risques d’overdose à la sortie de prison. Peu connaîtraient réellement les risques de contamination par les virus des hépatites B et C. Enfin, peu feraient le lien entre leur problématique de dépendance et leur histoire personnelle.
L’éducation à la santé
On retrouve dans toutes les UPS trois programmes d’information :
Le premier concerne les dépendances (drogues, alcool, médicaments) : il traite de la prévention des risques associés à l’usage de drogues (overdose), de l’effet des drogues sur l’organisme et des dispositifs de soins extérieurs. Pour vaincre les réticences, différents supports sont utilisés : des films à Strasbourg, des activités sportives à Lyon...
Le second volet aborde les traitements de substitution et les interactions médicamenteuses, notamment les mélanges à éviter.
Le troisième volet concerne les maladies infectieuses transmissibles (VIH, Hépatites...), et porte plus particulièrement sur la prévention et les dispositifs de soins extérieurs (centres de dépistage, centres de bilan
gratuit).
En outre, concernant les actions santé, les UPS de Lille, Fresnes et Marseille ont aussi mis en place un atelier d’éducation à la santé (nutrition, hygiène bucco-dentaire, etc.).
Les actions de prévention seraient bien développées sur les sites de Fresnes, Marseille, Lyon et Metz. À Marseille et à Metz, plusieurs moyens de prévention du VIH et des hépatites seraient accessibles : distribution de préservatifs, de produits désinfectants, d’eau de Javel et d’une trousse d’hygiène pour les indigents (brosse à dents, dentifrice, savon). Pour les UPS de Lyon et de Fresnes, il importe surtout que les actions de prévention soient soutenues par le personnel, par conséquent, que l’information soit émise par plusieurs catégories de personnels avec un sentiment de souci de santé.
D’après les UPS de Lille et de Strasbourg, les actions de prévention ne seraient pas suffisamment développées en matière d’éducation de la santé : il n’y aurait pas assez d’actions collectives et de réunions-débats. L’UPS de Nice aurait des difficultés pour mettre en place des actions en matière d’hygiène (corporelle et alimentaire) en raison des contraintes carcérales spécifiques au site : cellules surpeuplées, nombre limité de douches, repas légers et peu équilibrés. En outre, la prévention de l’hépatite C et des MST ne serait pas suffisamment développée.
Concernant le contenu du stage, les équipes s’accordent à dire que la prise en charge de l’UPS est globale, car les stagiaires sont « multi-carencés ». C’est la raison pour laquelle le volet « santé » n’apparaît pas plus « prioritaire » que les autres aspects. L’objectif central est social. L’équipe du QIS de Fresnes précise que s’il n’y avait pas d’autres propositions (hébergement, formation, etc.), la prise en charge thérapeutique ne serait pas forcément acceptée par les stagiaires. Certains d’entre eux seraient dans un tel état de prostration qu’il faudrait trouver des biais pour les motiver à se faire soigner.
Les relations avec les autres équipes médico-sociales
Toutes les UPS semblent entretenir de bonnes relations, voire d’excellentes, avec le SMPR.
En plus de repérer les éventuels candidats UPS, le SMPR suivrait les stagiaires ayant un traitement de substitution et donnerait son avis quand des problématiques psychiatriques éclatent au sein du dispositif.
Dans la plupart des sites, un réel partenariat entre les UPS et les UCSA a pu être mis en place. L’UCSA prendrait en charge rapidement les stagiaires ayant des problèmes de santé. Toutefois, l’UPS de Lille semble avoir des difficultés de communication avec l’UCSA : Les visites médicales d’arrivants ne seraient pas toujours effectuées par l’UCSA du centre de détention. Celui-ci refuserait en outre de prendre en compte l’impératif de quatre semaines des stagiaires UPS. Comme l’UCSA souffre d’un manque de personnel, la liste d’attente serait très longue pour consulter un médecin.
Le SPIP serait un véritable partenaire qui repérerait les détenus candidats, qui siégerait au comité de sélection, qui aiderait à régler certains dossiers et projets de sortie des stagiaires ; bref, qui participerait activement aux sessions pour les UPS de Strasbourg, Lyon, Fresnes (QIS femmes) et Lille. À Lille cependant, le responsable de l’UPS note une implication plus importante des travailleurs sociaux du centre de détention que ceux de la maison d’arrêt. Par contre, sur certains sites, l’UPS n’aurait pas encore trouvé un mode de fonctionnement satisfaisant avec le SPIP. À Metz, étant donné le faible réservoir local de personnes susceptibles d’entreprendre un stage UPS, la prise en charge des toxicomanes se chevaucherait rapidement. À Marseille, le SPIP manquerait de motivation : son implication à l’UPS serait fluctuante. Enfin, le SPIP de la maison d’arrêt des hommes de Fresnes serait surchargé et donc peu disponible pour offrir une réelle collaboration au QIS hommes.
La prise en charge de la dépendance
Le suivi psychologique est soit le fait du psychologue attaché à l’UPS (Metz, Lille, Fresnes), soit celui des psychologues du CSST (Marseille, Strasbourg, Lyon). Quant au suivi psychiatrique, il est assuré par les SMPR.
Ces suivis ne sont pas obligatoires. Les UPS de Strasbourg, Lyon et Metz signalent une diminution des demandes de suivi psychologique.
Les orientations en matière de traitements de substitution sont variables selon les sites. :
Les sites de Fresnes, Lyon et Metz peuvent initier un traitement par Subutex ? (et en continuité d’un traitement initié en dehors de la prison). Les sites de Marseille et de Strasbourg privilégient la dispensation de la méthadone.
L’UCSA de Nice n’initie pas de traitement de substitution, mais les arrivants sous traitement avant leur incarcération auraient la possibilité d’obtenir de la méthadone. Quant au centre de détention de Lille, il ne dispense aucun traitement de substitution.
La politique de substitution locale peut être un frein au recrutement des stagiaires : n’ayant pas la possibilité de poursuivre leur traitement de substitution, les détenus « substitués » de la Maison d’arrêt de Lille refuseraient de s’inscrire à l’UPS (se situant au CD). Ces politiques de substitution variées doivent être associées, d’une part, à des orientations idéologiques divergentes, d’autre part, à la crainte que les traitements de substitution échappent au contrôle des médecins de l’UCSA et que se développent un trafic et une consommation parallèle.
Les services médicaux des Baumettes ont tenté l’expérience « Subutex ? », mais l’auraient abandonnée en raison des risques de détournement d’usage. Ils proposeraient donc aux arrivants sous traitement une substitution par la méthadone. Mais celle-ci ne serait pas systématiquement acceptée.
À Marseille, Metz, Lyon et à Strasbourg, les traitements de substitution sont pris sous contrôle du personnel de l’UCSA.
À Fresnes, le mode de distribution du Subutex ? sans contrôle des prises [11] favoriserait, d’après le SMPR, une prise massive et anarchique de Subutex ?, des intoxications médicamenteuses majeures et le trafic. La seule façon de remédier à ce problème serait de faire prendre le Subutex ? devant le personnel, comme les autres sites prescripteurs. Mais la difficulté majeure serait pratique : il n’y a actuellement à Fresnes que deux infirmières pour la totalité de la dispensation des médicaments. Pour ce qui est des stagiaires substitués, les infirmières se déplacent au QIS pour distribuer les traitements. De plus, l’équipe du QIS a une discussion approfondie avec les stagiaires autour de la prise des médicaments. Nous avons vu qu’elle faisait appel à un psychiatre quand les stagiaires n’arrivaient pas à gérer leur traitement, ce qui permettait d’affiner les dosages ou de changer de traitement. Des « réunions de substitution » ont aussi été mises en place récemment pour faire le point sur la situation des stagiaires substitués.
La situation d’insertion sociale des stagiaires
Les UPS permettraient de poser les bases de l’insertion sociale en apportant des solutions au niveau des inscriptions administratives, de l’hébergement, de l’insertion économique (emploi, formation) et des soins
extérieurs.
En ce qui concerne les inscriptions administratives, l’ouverture des droits sociaux (immatriculation à la sécurité sociale, carte d’identité) et l’instruction du RMI seraient les démarches les moins difficiles à mettre en place.
Toutefois, les UPS auraient des difficultés avec l’instruction de l’Allocation Adulte Handicapé : la lenteur et la lourdeur administrative des COTOREP iraient à l’encontre de la situation d’urgence des personnes ayant un état
de santé très précaire.
L’hébergement (en CHRS, en hôtel social, en centre spécialisé, en famille d’accueil ou encore en Hébergement Transitoire Thérapeutique) serait généralement résolu. Toutefois, nous avons déjà noté que les UPS de Metz, Fresnes et Nice pouvaient avoir des difficultés à trouver des foyers pour les stagiaires surtout en hiver, essentiellement parce que ces centres sont débordés.
Pour ce qui est de l’insertion économique, les stagiaires sortiraient au minimum avec des pistes, au mieux avec des contrats de formation ou de travail. Si l’acquisition d’un emploi est la revendication première des stagiaires, beaucoup d’entre eux ne seraient pas aptes à rechercher un emploi ou à travailler en raison d’un état de santé précaire. De plus, les possibilités d’insertion économique sont variables d’une région à l’autre : le marché du travail est moins propice dans les régions du sud (Marseille, Nice).
Enfin, si les UPS ne rencontrent aucune difficulté pour proposer des structures de soins spécialisés en ambulatoire [12] ou en hébergement [13], certaines UPS (notamment à Marseille et Strasbourg) observeraient une diminution importante des demandes d’accès aux soins spécialisés aux toxicomanes.
Les actions concernant directement la « Santé »
Deux types d’actions « santé » sont distingués par les interlocuteurs :
La prise en charge somatique,
Les prises en charge psychiatriques et psychologiques
La prise en charge somatique apparaît suffisamment développée dans la plupart des sites. Toutefois, certains responsables d’UPS évoquent des carences en médecins généralistes et spécialistes (Lille) ou uniquement en médecins spécialistes pour les soins dentaires et ophtalmologiques (Lyon).
Il est important de signaler que l’UPS permet aussi un accès à une prise en charge somatique [14] ou psychiatrique [15] qui n’aurait pas été faite en détention. Certains stagiaires négligeraient leur santé pendant le temps de l’incarcération. À Marseille, notamment, la population prise en charge par l’UPS n’adhèrerait pas, même en prison, aux dispositifs de soins somatiques ou psychiatriques. L’UPS serait alors la dernière occasion d’y remédier et il permettrait de coordonner les soins de santé.
Les prises en charge psychiatriques et psychologiques dans le cadre de l’UPS seraient satisfaisantes sur les sites de Strasbourg, Lyon, Metz, Nice, Marseille et Lille. La direction et le SPIP de Lille déplorent néanmoins une carence en personnel psychiatrique et psychologique sur le centre de détention. La liste d’attente pour consulter un psychologue s’étendrait à plusieurs mois. À Fresnes, le QIS et le SMPR dénoncent le manque de personnel infirmier pour distribuer les traitements de substitution, ainsi que celui de médecins psychiatres spécialisés dans les dépendances et les traitements de substitution [16].
À Fresnes, le QIS fait appel à un médecin psychiatre pour aider les stagiaires qui n’arrivent pas à gérer leur traitement de substitution. Il s’agit alors d’affiner les dosages ou de changer de traitement.
Les orientations
Les changements concernant la population toxicomane
À l’image de l’évolution de la population toxicomane, l’ensemble des équipes UPS observe :
Une augmentation des problèmes psychiatriques ;
Une paupérisation de la population toxicomane ;
Un vieillissement de la population toxicomane ;
Une augmentation de la poly-toxicomanie (avec pharmacodépendance et alcoolisme) et inversement, une diminution de la consommation d’héroïne ;
Des injections intraveineuses moins fréquentes ;
Une perception différente de la dépendance : les cocktails médicamenteux non-cadrés se substitueraient aux « drogues dures », et les toxicomanes ne se considéreraient plus comme tels.
Par ailleurs, les traitements de substitution induiraient des comportements différents en détention : les effets liés au manque disparaissent et les personnes toxicomanes susciteraient moins de problèmes de discipline. Le poids de la dépendance aux drogues serait moins perceptible en détention.
La perception de la toxicomanie par le personnel pénitentiaire
Deux représentations opposées des toxicomanes co-existeraient sur tous les sites visités.
D’une part la personne toxicomane est perçue comme un détenu particulièrement difficile. Les multirécidivistes sont perçus comme irrécupérables. La constatation ou la suspicion du trafic et de la consommation de drogues entraînerait de la résistance de la part du personnel de surveillance.
D’autre part, les personnes toxicomanes sont aussi reconnues comme des personnes malades, particulièrement vulnérables et qui doivent être soignées et accompagnées.
Néanmoins, d’une manière générale, cette seconde perception tend à s’imposer. Cette évolution de la représentation des toxicomanes peut être associée à plusieurs facteurs : la création des SMPR et des antennes toxicomanie, les formations spécifiques sur la toxicomanie et les toxicomanes (Lille, Strasbourg, Nice), le changement du personnel de surveillance avec l’arrivée d’un personnel plus jeune, plus diplômé, ayant une vision moins répressive et, plus récemment, l’avènement des traitements de substitution en détention.
La perception de l’UPS par le personnel pénitentiaire
La perception du personnel pénitentiaire est variable dans tous les sites ; cependant, d’une manière générale, les UPS resteraient mal perçues car :
Toute action en direction des détenus en général apparaîtrait comme inutile, et les actions en direction des toxicomanes en particulier.
L’UPS apparaîtrait comme un luxe, compte tenu de l’argent dépensé et du personnel de santé mobilisé et, à l’inverse, de la faible frange de la population pénale concernée.
À l’exception de Strasbourg [17], les nombreux déplacements des intervenants extérieurs et des stagiaires de l’UPS représenteraient pour les personnels de détention une charge de travail supplémentaire.
Enfin, différents arguments ont été avancés pour décrire le sentiment éprouvé par le personnel de surveillance d’une perte d’autorité face au projet : obligation constante de réprimander les stagiaires ayant perdu la notion de la réglementation du régime pénitentiaire, le poids de la « corporation des surveillants » qui perçoit l’UPS comme un projet « en faveur » des détenus mais « contre eux », sentiment que l’équipe UPS soustrait les stagiaires à l’autorité et les protège du règlement pénitentiaire ; ce qui susciterait une animosité envers l’UPS.
Toutefois, cette perception s’améliore par effet de proximité :
Chez les surveillants qui encadrent les UPS : Ils verraient les transformations s’opérer chez les stagiaires ;
Chez ceux qui ont reçu des formations sur la toxicomanie (Lille, Strasbourg, Nice). À Lille, comme l’UPS a été créé après le PEP, il aurait été englobé dans la démarche globale de réinsertion sociale des détenus ;
Par ailleurs l’antériorité du projet contribue à apaiser les tensions par un phénomène de banalisation, c’est le cas à Fresnes.
La perception de l’UPS apparaîtrait donc variable sur tous les sites visités en fonction de la proximité ou de l’éloignement du dispositif, de la sensibilisation ou non aux problèmes de toxicomanie par des formations spécifiques, en fonction de la charge de travail ou non que le dispositif représente, ainsi que plus largement, en fonction de la perception des toxicomanes.
L’évolution des relations entre les détenus et le personnel pénitentiaire
Deux situations contraires ont été évoquées en ce qui concerne les relations entre détenus et personnel pénitentiaire en détention :
Soit les relations entre détenus et personnel pénitentiaire n’auraient pas vraiment évolué. En raison d’un sous effectif en agents pénitentiaires, les surveillants ne pourraient pas s’investir dans leur mission de réinsertion. Ils n’auraient pas assez de temps à consacrer aux détenus (Metz, Lyon et Marseille).
Soit les relations entre surveillants et détenus auraient connu une évolution favorable. Le personnel de détention serait plus « à l’écoute ». Une meilleure orientation des arrivants toxicomanes vers le SMPR. Cette évolution est associée à une sensibilisation du personnel (Strasbourg, Lille, et Nice). À Lille, un psychologue a été recruté pour aider le personnel de détention à s’impliquer davantage dans leur mission de réinsertion et un changement de fonctionnement [18] a été réalisé afin que les surveillants connaissent mieux les détenus dont ils ont la charge.
La création des UPS aurait également permis une évolution des relations entre détenus et personnels, même si elle ne concerne que les stagiaires UPS et les surveillants qui encadrent le dispositif. L’UPS apparaîtrait un espace privilégié au sein duquel les détenus et les surveillants se percevraient autrement : les rôles changeraient. Le côté répressif serait atténué au profit du côté relationnel. D’après les surveillants, cette fonction serait plus valorisante que le travail en détention. Ce rapprochement permettrait, en outre, de faire disparaître les préjugés chez les surveillants mais aussi chez les stagiaires.
Les principaux apports de l’UPS pour les stagiaires et pour les établissements pénitentiaires
Pour les stagiaires
D’après les équipes UPS, le dispositif permettrait aux stagiaires de « débanaliser » la prison, de réfléchir à leur situation personnelle et de retrouver une estime de soi, ce que les psychologues appellent une « revalorisation narcissique ». De plus, un nouvel apprentissage de la vie de groupe et des rapports aux autres au cours du stage réduirait les angoisses par rapport au monde extérieur (la famille, les administrations, etc.). En fait, le dispositif permettrait d’impulser un mouvement dynamique vers la sortie, une re-dynamisation par rapport à la situation carcérale qui est perçue comme « infantilisante ». Il leur permettrait de mieux anticiper la sortie. Des transformations d’attitudes et de comportements seraient visibles au cours de la session chez tous les stagiaires.
Toutes les personnes interrogées citent le cas d’un ou de plusieurs détenus qui seraient arrivés prostrés à UPS et qui en seraient sortis transformés, même physiquement. L’atelier théâtre serait sur ce point fondamental.
Toutefois, toujours selon les équipes UPS, les bénéfices du stage seraient difficiles à évaluer, car ils ne prendraient pas forcément effet immédiatement à la sortie : l’UPS serait une action à long terme. D’après les personnes rencontrées, certains stagiaires auraient besoin de se confronter à un échec à la sortie ; ils pourraient retourner éventuellement en prison avant de pouvoir rompre définitivement avec une situation d’illégalité et de dépendance aux drogues.
Pour les établissements
Si les équipes UPS de Fresnes, Strasbourg, Lyon et Lille évoquent le fléchissement des taux de récidive chez les détenus ayant fait le stage, en revanche, le personnel de détention verrait d’abord dans l’UPS une activité « occupante » : pendant qu’ils seraient en stage, les stagiaires poseraient moins de problème en détention. L’UPS contribuerait donc à la paix sociale de l’établissement au même titre que d’autres activités « occupantes » (Nice, Strasbourg, Fresnes, Lille).
D’après le personnel de détention de Strasbourg, de Fresnes (hommes) et de Lyon, l’UPS contribuerait aussi à aider l’administration pénitentiaire à parvenir à l’objectif de réinsertion. D’après le SPIP de Fresnes et de Strasbourg, le QIS serait un outil supplémentaire de fin de peine qui permettrait d’affiner le suivi effectué au cours de la détention par le SPIP.
Les directions de Metz, de Fresnes et de Lille n’y verraient que peu de bénéfices. Pour les directions de Fresnes et de Metz, ainsi que le personnel de détention de Metz, l’UPS ne serait pas une plus-value pour leur établissement :
l’UPS ne touchant qu’une infime partie des toxicomanes incarcérés, il entraînerait plus de complications (travail supplémentaire pour les surveillants) que d’avantages. Pour la direction de Lille, comme peu de détenus du centre de détention seraient concernés par l’UPS, celui-ci n’apparaîtrait pas comme un bénéfice pour l’établissement.
Les résultats
Pour les équipes UPS
À Fresnes, Strasbourg, Lille et Lyon, les objectifs de re-dynamisation, d’amorce de réinsertion socio-économique (droits sociaux, logement, formation), de gestion de la consommation de drogues et de réduction de la récidive seraient atteints.
En revanche à Marseille, le manque de personnel UPS, le fait qu’elle soit le seul acteur du recrutement, la localisation de l’UPS dans un quartier sécuritaire et la nécessité de devoir désamorcer les conflits entre les personnels de détention et les stagiaires seraient des freins majeurs à l’atteinte des objectifs. À Metz, il serait impossible d’atteindre un taux de rentabilité de sept sessions par an étant donné le faible réservoir local. À Nice, l’UPS permettrait seulement une amorce de réinsertion en faisant le point sur la situation ; mais la durée du stage limitée ne permettrait pas de mettre en place des solutions de réinsertion.
Pour les directions pénitentiaires
La plupart des équipes dirigeantes sont sceptiques quant aux résultats atteints. D’après elles, la population toxicomane en détention serait très importante et l’UPS n’en atteindrait qu’une faible partie. L’argent dépensé pour les UPS pourrait être employé autrement. Sur certains sites, le peu de sessions organisées et le peu de stagiaires recrutés témoigneraient de l’échec du projet. Néanmoins, sur certains sites l’UPS reste perçu comme un outil pertinent, efficient et indispensable pour la réinsertion.
Faut-il étendre le dispositif ?
Pour la direction de Fresnes et le SPIP de Metz, le besoin de maintenir un dispositif spécifique pour les toxicomanes ne se ferait plus sentir car la toxicomanie serait en train de se modifier. Si les problèmes de toxicomanie existent, les données auraient changé avec les traitements de substitution. Les toxicomanes euxmêmes ne se reconnaîtraient plus comme tels. Ce type de dispositif devrait donc s’étendre à tous les détenus, car toute la population pénale a des problèmes de réinsertion.
Les femmes et les mineurs
L’extension de l’UPS aux femmes ayant des problèmes de dépendances est vécu comme une nécessité [19]. Selon les équipes, les femmes toxicomanes témoigneraient d’une dégradation physique et psychique plus importante.
Cependant, l’effectif des femmes en fin de peine est réduit pour envisager un dispositif spécifique et la mixité n’est pas souhaitée par les équipes par crainte d’insécurité.
Les avis sur l’extension de l’UPS aux mineurs sont plus partagés. Si l’idée apparaît intéressante, le contenu du programme actuel n’est pas adapté. Avant tout, c’est surtout la complexité institutionnelle de la prise en charge des mineurs qui apparaît comme une difficulté incontournable car la Protection Judiciaire de la Jeunesse a eu en charge le suivi éducatif et la préparation à la sortie des mineurs. On notera qu’à Fresnes, l’administration a prévu d’ouvrir une unité pour les mineurs avec un encadrement particulier.
La durée et le contenu du programme
Les avis sur la durée de la session sont partagés.
Quatre semaines semblent être une durée minimale pour restituer la notion du temps aux détenus.
Pour certains professionnels, l’effet dynamisant de l’UPS pourrait être compromis si la session se prolongeait (Strasbourg, Marseille, Lyon, Fresnes). Pour les autres, cette durée est insuffisante compte tenu des carences des détenus. Les UPS ne régleraient pas tout en quatre semaines et certains aspects qui sont survolés, faute de temps, nécessiteraient d’être approfondis (Metz, Lille, Nice, Lyon, Fresnes).
Le contenu du programme évoluait au fil des sessions pour s’actualiser aux besoins extérieurs et selon les critiques des participants. D’après les équipes UPS, ce programme apparaît satisfaisant. Toutefois, certaines directions pénitentiaires souhaiteraient pouvoir évaluer son efficacité et participer à son élaboration.
Le moment le plus opportun pour envisager le dispositif
Les opinions sur le moment le plus opportun pour mettre en oeuvre le dispositif sont partagées selon les sites et selon les types de personnels.
Ainsi, la fin de peine serait pour certains le moment idéal car les détenus sont angoissés par la sortie. En revanche, pour d’autres, envisager le dispositif le dernier mois semblerait trop tardif ; c’est, soit dès le début, quand les toxicomanes arrivent en état de manque (SPIP Metz), soit dès qu’une date de fin de peine est fixée ou encore plus subjectivement dès que le détenu le ressent qu’il faudrait envisager la préparation à la sortie. Il ne s’agirait pas de mettre en oeuvre le dispositif dès l’entrée car les détenus auraient besoin d’un temps « pour se remettre du traumatisme de l’incarcération, pour se poser et se refaire une santé ».
Mais il s’agirait de l’envisager plus tôt qu’un mois avant la sortie. Ces propositions induiraient de suivre les stagiaires individuellement jusqu’à leur libération.
Quoi qu’il en soit, il apparaît que le critère de fin de peine devrait être assoupli pour s’adapter à la réalité du terrain et aux situations pénales des détenus.
3. CONCLUSION
Un bilan commun
Au travers des différents entretiens collectés, plusieurs problèmes communs à l’ensemble de sites apparaissent.
En premier lieu, il paraît légitime de s’interroger sur les procédures d’initialisation du projet sur site, notamment, sur la création de comités de pilotage locaux, sur l’organisation d’action de sensibilisation en direction du personnel pénitentiaire avant la mise en oeuvre des unités, sur l’implication de l’administration pénitentiaire dans la réalisation du projet.
Au niveau du fonctionnement, les problèmes de recrutement renvoient directement aux conditions d’accès aux unités, notamment pour les ex-stagiaires réincarcérés, à la non-rémunération des stagiaires et à la politique locale de traitements des toxicomanes (substitution). Par ailleurs, l’hétérogénéité des modes d’organisation semble nuire à la cohérence du projet : le cahier des charges actuel, commun à tous les sites, nécessite d’être développé sur certains points pratiques (l’accès au téléphone des stagiaires, la rémunération des détenus, le critère d’inclusion).
La localisation de l’UPS est différente selon les sites.
Au niveau des résultats, l’impact des UPS semble limité et l’absence de suivi ne permet pas d’évaluer les effets sur la population pénale. S’il existe un effet de proximité sur le personnel pénitentiaire, les UPS n’ont pas modifié les représentations générales. Toutefois, il est important de souligner que le stage UPS constitue un moment d’accès
aux soins.
Quelques propositions
Les sites sont conscients de nombreux problèmes et ont émis quelques propositions d’amélioration pour le fonctionnement de l’UPS :
Améliorer les relations de partenariat avec la direction, le SPIP et les personnels pénitentiaires, c’est-à-dire progresser dans le sens d’un véritable travail en partenariat.
Développer la communication entre l’UPS et les différents services pénitentiaires en développant des réunions pluridisciplinaires.
Améliorer le recrutement.
Pour ce dernier point, plusieurs possibilités ont été envisagées. Elles concernent :
La garantie d’une continuité des revenus aux stagiaires pour permettre aux indigents de cantiner le minimum dont ils ont besoin, ou alors de permettre aux stagiaires de travailler le matin et de suivre le stage à l’UPS l’après midi [20] ;
La clarification du critère de fin de peine car le critère d’un mois avant la sortie ne correspondrait pas à la réalité du terrain. Par exemple, proposer un démarrage de prise en charge UPS dès qu’on détecte ceux qui peuvent en avoir besoin (Lille, Strasbourg, Metz) et que l’action ait le temps de « faire son chemin » [21] ;
L’implication des surveillants dans le travail de réinsertion pour qu’ils puissent proposer des candidats à l’UPS.
L’extension de la couverture en vue d’un recrutement régional (ou en relançant le recrutement régional à Metz).
D’autres propositions ont aussi été faites, notamment en ce qui concerne la sensibilisation du personnel de surveillance aux problèmes générés par les toxicomanies. Cette sensibilisation est soit perçue sous forme d’un enseignement (séance de formation collective) ou sous forme d’un soutien plus individuel (accompagnement et support psychologique).
À Nice, Metz, Lille, Lyon, Fresnes, la nécessité d’assouplir le temps imparti à la session UPS a été évoquée. Ceci permettrait d’adapter la durée de la session aux besoins des stagiaires.
De même, il semble aussi nécessaire d’envisager la sortie de manière graduelle, soit en augmentant les permissions de sorties non-accompagnées et accompagnées au cours du stage, soit en permettant au stagiaire, si son projet de sortie est en place, de terminer la session UPS dans le cadre d’une liberté conditionnelle ou en semiliberté.
Toujours dans le cadre des rapports avec l’extérieur, il est proposé par les équipes de développer le suivi extérieur. Ceci reviendrait à :
Solliciter d’autres relais extérieurs (notamment des structures d’hébergement) en accentuant la coordination intérieur-extérieur (notamment en tissant des liens plus étroits avec le réseau partenarial).
Mais aussi d’envisager une structure spécialisée pour les sortants de prison, ce qui créerait un espace tampon pour la sortie des plus vulnérables et permettrait aux équipes opérationnelles de pouvoir continuer le travail entrepris à l’UPS, et de résoudre dans certains sites le problème de l’hébergement (Fresnes, Metz, Nice). Cet espace tampon pourrait être aussi sous gestion directe de l’UPS sous forme d’un local extérieur spécifique à l’UPS (Lille, Strasbourg).
La possibilité d’étendre le dispositif a aussi été envisagée :
À tous les détenus en fin de peine (et pas uniquement aux personnes ayant des problèmes de dépendance) car tous ont un problème de réinsertion ;
Aux détenues femmes car elles auraient un parcours encore plus chaotique et douloureux que les hommes ;
À toutes les maisons d’arrêt.
Enfin sur certains sites on été mis en avant des besoins en personnels supplémentaires (Fresnes et Marseille) et la nécessité de revoir la localisation de l’unité (Metz, Marseille et Nice).