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(2000) Rapport d’activité de l’atelier peinture

Mise en ligne : 7 avril 2005

Texte de l'article :

Atelier d’art thérapie de la Maison d’Arrêt du Val d’Oise

rapport d’activité 2000

 

Divisé en deux groupes de sept personnes depuis quelques mois, je l’ai crée en février 1998. Il fonctionne le mardi et vendredi, matin et après-midi, ainsi que le mercredi jour réservé à l’encadrement des tableaux.
La durée de fréquentation est principalement liée au temps de détention, temps inégal variant de trois mois à plus de deux ans pour certains.
La présence d’une étudiante de l’ESSEC et membre du GENEPI (Groupement Etudiants National d’Enseignement aux Personnes Incarcérées) a contribué au déploiement de l’activité, repoussant ses limites hors des murs. Ainsi un livre à été édité et une dizaine d’expositions ont été réalisées en structure universitaire et lycée. Cette action humaniste, intitulé " l’art vers la liberté " a eu pour raison de sensibiliser le jeune public au monde carcéral en construisant une passerelle de communication entre les deux mondes. Les détenus ont fait d’un public nombreux les destinataires de leur discours intérieur, ce public n’ayant pas manqué de renvoyer sa réponse dans un " livre d’or ". Les médias ont aussi pris la parole et cette reconnaissance publique fût autant d’encouragements pour tous.
Ces actions ont été également possibles grâce à la contribution et aux soutiens de nombreux mécènes et partenaires financiers tels que : la Direction Régionale des Services Pénitentiaires, le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation du Val d’Oise, la Maison d’Arrêt du Val d’Oise, L’ESSEC, Le Conseil Général du Val d’Oise, le Syndicat d’Agglomération des Villes Nouvelles de Cergy/Pontoise, la Mission Culturelle de l’Université de Cergy, les Sociétés Eurest, France Télécom, Gepsa, Lapeyre, Lefranc & Bourgeois, les pétroles Shell, l’entreprise Marin, le laboratoire photographique Initial, des étudiants Génépistes de l’ESSEC.

a) Objectif :

N’étant pas intégré dans une structure psychiatrique cet atelier a une visée socio-éducative dans le but de faciliter la réintégration du monde extérieur à la sortie de prison.
L’atelier aide les détenus à se confronter une meilleure appréhension de leurs propres limites en leur permettant de découvrir (ou redécouvrir) leurs potentialités créatives latentes. Il stimule le pôle des capacités intellectuelles, facilite le processus de communication, le développement de qualités relationnelles et la dynamique de re-socialisation intra-muros.
L’atelier génère un processus de transformation de la personne qui renoue avec la partie encore vivant d’elle-même et redonne un sens à sa vie. Il est un antidote à la dépression et au suicide.
Il y a dans ce travail la nécessité de rigueur, de régularité, de durée dans le temps, que ce soit en groupe dans l’atelier ou solitaire en cellule. L’atelier reste un espace d’ouverture, contrairement à celui clos de la prison, et la toile un espace de projection et de visualisation du psychisme.
Dans " l’espace temps " de la création le prisonnier réuni ses " morceaux " de vie pour écrire quelque chose de lui, de son histoire. C’est un travail sur lui-même pendant lequel ce " temps d’incarcération " cesse d’être l’éternelle longue attente : des repas, de la promenade, du courrier, de la visite, des activités... La reconnaissance de son oeuvre, de son style comme n’appartenant qu’à lui, restaure le sentiment d’exister, chose oubliée ou perdue en relation souvent avec des évènements traumatiques du passé. C’est aussi un travail sur sa propre identité qui lui permet de se nommer, de présenter son être intérieur, celui-là même qui n’est plus seulement l’auteur d’un délit, mais celui d’une oeuvre.
Au coeur de l’enfermement l’atelier favorise une mobilisation psychique libérant des forces positives et restructurantes qui tente de limiter les récidives et une meilleure réinsertion sociale.

b) Approche pédagogique :

Je ne cherche pas à connaître les motifs de l’incarcération (mais j’écoute si l’on m’en parle) et je ne fait pas d’interprétation personnelle sur les peintures.
Je facilite le passage à l’acte créatif en suscitant sans imposer, en recourant aux puissances créatrices intérieures, en provoquant le désir de peindre tout en évitant de tomber dans les thèmes récurrents de la prison.
La prise de conscience s’élabore sur les terrains personnels de leur histoire, leurs angoisses, leurs conflits intérieurs, par l’accès à la symbolique de l’abstraction, du fantasque, de l’imaginaire. Elle se développe également par l’écoute de soi, la recherche sur soi, le rapport à la peinture et aux divers matériaux, par un travail autour du silence, de la présence, de la proximité et de l’attention aux autres. Des réactions anodines prennent parfois de l’importance et renvoie à des évènements vécus dans le passé ou éclairent les relations du présent.
L’accompagnement par l’écoute attentive et une neutralité bienveillante permet de reconstruire avec eux de nouveaux repères, de nouvelles voies. Cette relation est fondée sur l’empathie, la " bonne " distance, l’adéquation thérapie/pédagogie pour gérer au mieux la force et la violence des émotions multipliées par le nombre de participants.
Il faut du temps pour ne pas brusquer, mettre trop vite les choses en surface, faire que les prises de conscience se réalisent doucement. Il y a parfois une grande distance entre les demandes formulées et les orientations possibles, le plus souvent dues à l’inadaptation du système carcéral.
La stabilité du groupe augmente les confiances mutuelles. Chacun observe l’évolution de l’autre, a de l’intérêt pour ce qu’il vit et à son travail, alors qu’au début il est mobilisé par ses doutes et ses blocages. Avec des phases de progressions et de régressions il en ressort une expression vraie, première, instantanée, qui reflète l’esprit du moment et qui interpelle. Une parole distanciée prend alors tout son poids dans la relation à " l’autre " au groupe.
Dans l’atelier les détenus apprennent le fonctionnement d’un groupe, ses phases de vie, ses temps de parole ou de silence, ses blocages, ses défaillances ou insuffisances, ses techniques de communication. La vie du groupe permet de repérer les forces et les faiblesses individuelles, reflétant tel un miroir des informations sur les attitudes et les comportements.
Les apports du groupe sont encore plus sensibles lorsqu’il est lui-même vécu comme objet d’apprentissage. Il implique une réflexion sur des questionnements, sur les problèmes et les difficultés rencontrées qui suscite une auto-analyse afin d’en tirer des instructions individuelles et collectives.
La diversité des origines et des niveaux socioculturels apporte toujours émulation et enrichissement collectif. Les détenus apprennent sur eux-mêmes en s’appuyant sur le groupe. Ils apprennent également de co-détenus sans affinité particulière avec eux, parfois aussi d’adversaires et de personnes qui ne ressemblent en rien à l’image qu’ils se font d’elles. Ils apprennent des capacités de chacun, de leur divergence d’opinion, de leur approche particulière des problèmes. Ils apprennent aussi au travers d’évènements surprenants et inattendus : mésentente foncière, renvoie d’une personne, projets divers ouvert sur l’extérieur, notamment les expositions, la participation à des concours, l’obtention de prix ou la création d’un livre...
Ils disposent de tous les moyens pour manoeuvrer librement ce qui conditionne l’engagement personnel, la confiance en soi, l’indépendance d’esprit. Cet apprentissage est très progressif et s’intègre souvent à leur insu.
Une grille d’auto évaluation et un questionnaire, qu’ils remplissent eux-mêmes, permettent une mise au point de leur évolution personnelle. Les résultats rendent plus aisés les entretiens individuels ou collectifs, plus ou moins réguliers selon les circonstances, avec ou sans la demande.

c) Conditions de la créativité :

* l’ébauche, l’éphémère sont aussi importants que l’oeuvre finie.
* l’important est dans le travail en train de se faire.
* ce qui se fait est plus important que ce qui se dit.
* il n’y a pas d’interdit ni de censure, on peut tout peindre, tout exprimer.
* en aucun cas il ne s’agit de rendre productif ou de " s’occuper ".
* écoute musicale dont les thèmes sont choisis sur des concepts utilisés en musico- thérapie :
 relaxation, calme, apaisement, créativité...
* encouragement, intégration des acquis, de la personnalité, du caractère dans des oeuvres libres
 personnelles et/ou collectives.
* animation sur mesure, au cas par cas.
* désintimidation, approche des outils comme prolongement de la main, de l’être profond.
* la cellule est la continuité de l’atelier où l’on peint encore.

d) Moyens techniques :

Innovation, création, invention à partir des matériaux spécifiques aux arts plastiques : peinture, pastels, fusains, pinceaux, papier, toile...

e) Conclusion :

Les mots sont insuffisants pour rendre compte de ce qui ce joue dans l’atelier tant sa réalité est multiple, mouvante, fondée sur la mystérieuse alchimie des rapports humains avec sa part de hasard, d’inattendu, de singularité.
Il ne fait pourtant aucun doute que l’expression picturale en prison contribue à rendre plus acceptables les relations de sociabilité, quand détenus et surveillants cohabitent dans la dépendance et la promiscuité. Elle contribue également à faire évoluer les projections réciproques d’images négatives entre détenus et surveillants, qui découlent du contexte carcéral et de sa symbolique : murs, grilles, clés, règlements, autorité, exclusion, abandon, misère, souffrance.
Quand les charges de colère, de frustration, de nervosité, de peur, de phantasmes peuvent s’investir dans des actes créateurs, la réduction des tensions qui en résulte permet de gagner du temps sur l’usure morale et psychique due à l’enfermement.
L’expression picturale fait de la prison un lieu d’accès possible à des connaissances, des expériences inconnues, à des facultés et des désirs insoupçonnés, à des moments de " mieux-être " dans la jouissance de la création.
L’exposition des oeuvres à l’extérieur de la prison est aussi un moyen de communiquer à la société des émotions, des sentiments, des messages qu’elle ne saurait entendre autrement.
Par l’acquisition d’une nouvelle estime de soi, le retour du prisonnier à la vie civile sera un peu moins difficile, augmentant les capacités de réinsertion, limitant les récidives.
Il y a cependant des chemins qui mènent à la création, d’autres à la réclusion, tout dépend des portes que l’on ouvre ou que l’on ferme...

Source : Zaiia