Un long combat à la mémoire d’Orlando pendu dans sa cellule
Sept ans après le suicide d’un jeune homme en prison, l’Etat a été condamné. Il fait appel.
Par OLIVIER BERTRAND
Libération : jeudi 4 octobre 2007
Léa a retrouvé le sourire. Il y a sept ans, en apprenant que son père s’était suicidé à la maison d’arrêt Saint-Joseph de Lyon, elle s’était barricadée dans le silence. Ne disait plus un mot ( Libération du 16 décembre 2000). Elle avait alors 5 ans. Sept ans plus tard, souriante et posée, déterminée, l’enfant s’indigne que l’administration pénitentiaire fasse appel lorsque le tribunal administratif reconnaît, le 3 juillet dernier, la responsabilité de l’Etat dans la mort de son père. Orlando avait 24 ans. Il était en prison depuis trois mois, pour un vol de voiture, et devait sortir cinq mois plus tard. Dépressif, il avait fait plusieurs tentatives de suicide et un légiste a totalisé 83 centimètres d’entailles dispersées sur ses avant-bras.
Le long combat de Karine depuis le suicide d’Orlando
« Futur foutu ». Fin novembre 2000, le garçon avait aussi écrit à son ex-compagne, Karine, la mère de Léa. « Je suis désolé de t’écrire à toi ces dernières paroles. [...] Je t’ai toujours aimée d’une certaine façon, mais je pense que le futur est foutu, moi je n’en peux plus. » Puis il terminait son courrier par ce message à l’administration pénitentiaire : « Occupez-vous mieux de vos détenus et ne pas les ignorer [ne les ignorez pas, ndlr] quand on vous prévient de ce qui peut se passer. » Paniquée, Karine avait alerté la prison, envoyé une copie de la lettre, téléphoné à de multiples reprises. Le 28 novembre, la commission suicide des prisons de Lyon avait aussi classé Orlando parmi les détenus à surveiller. Mais l’administration s’est contentée de lui adjoindre des codétenus.
Le 8 décembre 2000, alors que ces derniers se trouvaient en promenade, le garçon s’est pendu au radiateur. Le surveillant qui l’a découvert indiquera lors de la procédure, au sujet des détenus signalés : « Nous n’exerçons pas de surveillance particulière, nous n’intervenons qu’à leur demande. » Un juge d’instruction a cependant prononcé un non-lieu. L’avocat de l’époque a déconseillé à Karine de faire appel, l’a assuré qu’il ne servait à rien d’aller devant le tribunal . « A l’époque, tout le monde s’est dit que je finirais par me lasser, dit la jeune femme. Aux yeux de la société, un détenu a moins de valeur, mais moi je ne pouvais pas entendre que ma fille était le fruit d’un parasite. » Elle a pris un nouvel avocat, engagé une procédure devant le tribunal administratif de Lyon. Pour se défendre, l’administration pénitentiaire indique que laisser un détenu suicidaire sans surveillance durant 1 h 15 constitue « un laps de temps bref dans la mesure où ce surveillant avait 30 détenus à gérer seul ».
Jacques Debray, avocat de Karine et sa fille, répond qu’on ne doit pas conditionner la surveillance d’un détenu suicidaire aux « impératifs de gestion de la détention ». La prévention du suicide, qui a pourtant fait l’objet de plusieurs circulaires depuis près de dix ans, reste souvent déléguée aux codétenus. « Je ne suis pas de ceux qui parlent des surveillants comme de tyrans ou de tueurs, précise Karine. Je sais qu’ils ont peu de moyens. Mais poser les responsabilités, c’est justement agir pour que cela change. »
« Bêtises ». Le tribunal administratif a condamné l’Etat à payer 16 000 euros à Karine et sa fille. « Léa s’est écroulée lorsque je lui ai dit que l’Etat faisait appel », raconte la mère, bien décidée à continuer sa bagarre. En tordant un peu les mains et en souriant, Léa explique : « Je sais que tout cela ne serait pas arrivé si mon papa n’avait pas fait de bêtises. Ce n’est pas seulement de la faute de ceux qui devaient le surveiller. Mais quand je suis tombée sur sa dernière lettre, j’ai été choquée. Je trouve cela injuste qu’ils ne reconnaissent pas leurs erreurs ».
Sa mère dit que Léa s’est reconstruite progressivement, qu’elles parlent beaucoup. Elle trouve que sa fille va bien, bien que totalement rejetée par la famille de son père qui enlève systématique de la tombe d’Orlando ce que l’enfant y pose. « Elle a un caractère très fort et je ne lui ai jamais menti, poursuit Karine. Je n’ai jamais fait de son papa un héros. Je ne voulais pas qu’elle grandisse avec la haine de la société, de la justice. »
C’est réussi : Léa veut être policière depuis qu’elle a 5 ans. Et précise depuis peu : « Dans la police scientifique, pour comprendre les meurtres. » Sa mère a écrit à la ministre de la Justice et au président de la République, pour leur demander pourquoi l’Etat faisait appel. « On parle beaucoup du droit des victimes, dit-elle. J e veux qu’ils me disent pourquoi Léa n’entre pas dans ce cadre-là. »