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(2001) journal publié par des détenues

Mise en ligne : 9 décembre 2004

Texte de l'article :

"Le 3ème oeil, dehors", un journal publié par des détenues de Rennes

Les détenues de Rennes viennent de publier un journal, témoignage "rarissime" de la vie des femmes en prison, fruit d’une politique culturelle nationale en milieu pénitentiaire qui s’essouffle dans un contexte de surpopulation carcérale. "Le 3e oeil, dehors", du nom de l’oeilleton de surveillance des détenues, regroupe textes, dessins et photos réalisés de 2001 à 2003 en atelier par une quinzaine des quelque 250 femmes incarcérées à la centrale pénitentiaire. Les condamnées à de longues peines d’enfermement (de 2 ans à perpétuité), racontent les jours qui "collent aux aiguilles tels la crasse" dans une cellule de 7 m2, comment l’incarcération peut conduire tant à la vie - "tu prends conscience (de sa valeur), tu en profites à 100%" - qu’à la mort. "Fatima" et "Miryam" (tous les noms sont empruntés) racontent le suicide à quelques jours d’intervalle de deux des leurs. La première demandait en vain à être internée en hôpital psychiatrique, selon le témoignage. On se suicide six fois plus en prison qu’à l’extérieur. "Eosine" parle du "vide affectif et sexuel", de "l’angoisse de ne plus sentir vivre son corps et sa féminité". La prison des femmes de Rennes a depuis été choisie pour expérimenter les parloirs dits intimes. Ce n’est pas la première fois que des récits de détenus sont publiés, mais leurs paroles n’en demeurent pas moins "exceptionnelles", "rarissimes" même de la part des femmes, qui représentent 4% de la population carcérale, souligne Patrick Marest, à l’Observatoire international des prisons (OIP) à Paris. L’administration pénitentiaire (AP) ne voit pas toujours d’un très bon oeil les récits au grand jour du quotidien des prisons. A Rennes, l’équipe du 3e oeil s’est surtout heurtée aux surveillants de l’Union fédérale autonome pénitentiaire (UFAP) qui a jugé diffamatoire une BD sur la sexualité et le voyeurisme. C’est la seule censure vraiment notable, l’autocensure mise à part selon Kate Fletcher, une des coordinatrices du projet publié par L’Oeil électrique éditions (Rennes) et vendu 15 euros.
bouffée d’oxygène
Ces témoignages doivent être resitués dans leur contexte : "seule une quinzaine de détenues participe, les autres n’ont pas l’énergie, sont sous médicaments" et le centre pénitencier des femmes passe chez les détenues pour "la prison la plus confortable de France", selon Mme Fletcher. Les ateliers d’écriture semblent rester toutefois pour leurs participantes une bouffée d’oxygène qui peut contribuer à retrouver un plaisir, une envie, aussi modeste soient-ils, voire la possibilité d’acquérir une compétence, ajoute Anne-Sophie Boivin, autre coordinatrice. "Et c’est un reflet (intéressant) de la société", pense Mme Fletcher. Si les détenues le publient, c’est que de tels projets sont "menacés par des coupes budgétaires et la fin des emplois jeunes", soulignent-elles en préface. Sans les trois emplois-jeunes qui travaillent à la prison, le 3e oeil dehors n’aurait pas vu le jour, selon les coordinatrices. Or leurs contrats expirent en 2005, selon elles. Après un essor durant les années 1990, l’action culturelle en prison "se tasse", note Patrick Facchinetti, qui coordonne au niveau national le travail des 17 missionnés par les DRAC (directions régionales des affaires culturelles) dans ce domaine. Un essoufflement dû à la surpopulation carcérale : la France comptait au 1er novembre 57.950 détenus (47.700 trois ans plus tôt) pour 49.595 places, selon l’OIP qui attribue les sureffectifs à une "surenchère sécuritaire".

Source : France 3