Le Nouvel Observateur
28 novembre - 4 décembre 2002
Jean-Michel, la tête contre les murs
Il avait tout pour la liberté conditionnelle : un travail, un logement et une sale maladie, le sida. La justice a dit non. Et il ne comprend pas pourquoi.
Au téléphone, la voix est calme, grave. Elle vient de loin. De derrière les barreaux. Elle vous transperce. "Je reconnais que j’ai commis des actes d’une extrême gravité. Mais j’avais tout pour que la liberté conditionnelle me soit accordée. mon fils va avoir 8 ans. Je ne l’ai jamais vu qu’au parloir. Pourquoi ont-ils dit non ?" Silence. Colère. "D’accord, après la décision de la cour, je me suis un peu énervé en rentrant dans ma cellule. Du coup, ils ont supprimé l’eau minérable dont j’ai besoin pour prendre mes médicaments contre le sida. Alors, je ne prends plus mes médicaments. Vous trouvez ça normal vous ?"
Le 28 octobre, la cour d’appel de bourges rejetait la demande de liberté conditionnelle de Jean-Michel Treuvey, 40 ans, incarcéré depuis 1994 et condamné en 1997 à quinze ans de réclusion, pour vol à main armée, prise d’otages et tentatives d’homicide sur des gendarmes. il encourait la perpétuité. mais à l’époque, atteint du sida et d’une hépatite C, les médecins lui donnent combien ? Trois à cinq ans à vivre ?
« Quand j’ai commis ce braquage, dit le détenu, j’étais paumé, je n’avais pas de travail et j’étais malade. J’avais fait quelques séjours en prison parce que j’étais toxicomane. Non, je n’ai pas eu une enfance malheureuse. Chez nous, ce n’était pas la grande richesse, mais on partait pendant toutes les vacances scolaires. C’est moi qui n’allais pas. »
« Jean-michel avait du cœur, mais il était capricieux, raconte sa mère, Mireille, 74 ans. C’est l’autorité de son père qui lui a manqué. Mon mari est mort d’un cancer quand il était petit. Et moi, j’ai dû reprendre mon métier d’aide soignante. Je n’étais presque jamais là. » Alors Jean-Michel Treuvey délaisse ses études, se drogue. Et puis, c’est le sida.
Aujourd’hui, il ne sait pas : « La prison ? La paternité ? Ou l’âge ? mais, dit-il, j’ai changé. J’ai envie d’une vie normale, avec mon fils. » Sa mère confirme : « Il est réellement différent. Il ne vit que pour son fils. Il téléphone tous les jours pour avoir de ses nouvelles. » En prison, il travaille. D’abord cuisinier, puis peintre. A la maison centrale de Saint-Maur, dans l’Indre, où il est aujourd’hui incarcéré, il nettoie la cour.
Voilà pourquoi, en octobre 2002, comme il en a le droit après plus de huit ans de détention, il demande sa mise en liberté conditionnelle. Avec tous les atouts pour qu’elle soit acceptée. Un certificat médical du médecin de la prison, qui atteste que « son état de santé est précaire » et que les pathologique dont il souffre « rendent difficiles les soins appropriés en milieu pénitencier ». Dominique Meha, le médecin qui le suit, précise : « Il va beaucoup mieux, il n’est pas à l’article de la mort. Mais il va falloir l’opérer. Et c’est très compliqué quand on est détenu. » Deuxième pièce à conviction : l’expertise psychiatrique. Elle affirme entre autres que Jean-Michel Treuvey a « évolué de manière très favorable pendant sa détention », qu’il « n’a pas rechuté dans la toxicomanie », que « les risques de récidive apparaissent faibles » et que « ses dispositions psychologiques sont tout à fait favorables à une bonne réadaptation ».
Troisième atout du détenu : s’il sort de prison, il est sûr d’avoir un job. « On est là », une association de Seine-Saint-Denis, qui tente depuis la fin 1999 de sortir les toxicomanes de la drogue, lui a proposé un poste d’éducateur, payé au SMIC. « Nous voulions qu’il aille au contact des jeunes des cités pour leur expliquer ce que sont réellement la drogue et la prison », précise Zinzdine Gouchich, le responsable de l’association. « Educateur ? Je suis sûr que ça lui plairait, qu’il le ferait bien », estime sa mère. Enfin, un membre de l’administration pénitentiaire a constaté que Jean-Michel Treuvey, s’il sortait, avait un toit : la chambre qu’a précieusement gardée sa mère, après son incarcération.
Las. Le 28 octobre, la cour d’appel de bourges balaie d’une main tous ces arguments. Ses motifs, notamment : la jeunesse de l’association - « Est-ce qu’il faut que je trouve du taf dans une entreprise fondée en 1870 ? » - et les trop menus versements qu’il a effectués en faveur de l’indemnisation des victimes. « Quand on gagne 93,92 euros par mois, qu’il faut payer la télévision et les cadeaux qu’il fait régulièrement à son fils, comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? plaide Maître Camille Potier, l’avocat qui l’a défendu devant la cour d’appel. En plus, il s’était engagé à sa sortie à verser chaque mois un pécule pour les victimes. Dans la vie d’un prisonnier, il y a toute une série de clignotants qui nous signalent que le détenu peut sortir. Jean-Michel Treuvey les avait allumés. Le risque maintenant, c’est que l’exécution de la peine devienne difficilement compréhensible. » Depuis, Jean-Michel Treuvey a fait appel de la décision de la cour. Depuis son coup de fil, grâce à son médecin, il dispose de nouveau de son eau médicale. Il continue de voir son fils, Louis Amar. Au parloir.
Martine Gilson - mgilson@nouvelobs.com