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(2003) Armand Gatti retourne au parloir (novembre)

Mise en ligne : 6 mai 2004

Dernière modification : 17 août 2006

Texte de l'article :

Armand Gatti retourne au parloir
Pour réaliser un « Livre errant », l’écrivain rencontre des condamnés à de longues peines.
 
 « J’ai fait cinq prisons différentes. Et je m’aperçois maintenant que ce sont les grands moments de ma vie. » Armand Gatti

Dans le quartier des activités dites socioculturelles, au bout du couloir qui longe les ateliers calligraphie, poterie, bois, c’est la salle de spectacles. Tout en haut, deux surveillants. Au pied de la scène, sur une table, est posée la Parole errante (éd. Verdier), d’Armand Gatti. « C’est là que tous les quinze jours un prêtre vient dire la messe », explique un détenu. Ce vendredi de novembre, l’écrivain Armand Gatti, « 80 balais » rappelle-t-il, a répondu à une invitation.

Changer le monde « Articulez ! » Gatti se dresse. Fulmine. Les bras levés, les mains volant dans l’air, il répète : « Articulez votre nom. Sinon on capitule ! » La scène se passe à la D2, la division des condamnés aux longues peines. 400 environ, sur les 800 détenus au centre de détention de Val-de-Reuil, en Seine-Maritime. Ils sont quatre du « C.D. », comme on dit ici, à être venus l’écouter. Gatti aboie presque : « Je suis venu vous rencontrer. Qu’est-ce qu’on fait alors, si on ne s’entend pas ! » Il tend les cahiers que lui a remis l’un des détenus : « En voyant ce qui a été écrit, je suis ébloui. J’ai fait cinq prisons différentes, et pour couronner le tout, la concentration. Et je m’aperçois maintenant que ce sont les grands moments de ma vie. »

Et de citer Blanqui : « "Quarante ans en prison, 27 prisons différentes", il dit : "Mes moments de liberté, je les ai connus en prison." » En face, Bernard, qui a écopé de vingt ans, lance : « C’est vrai. La prison est une terre de métamorphose. » Les mains dessinant ses signes comme des appels, Gatti s’enflamme à nouveau : « C’est par les mots qu’on change le monde. »

Armand Gatti a répondu à l’invitation de Philippe Ripoll. Cet écrivain, maître de conférences à l’université de Rouen, a mis en place depuis bientôt un an un projet artistique « le Livre », à la demande de l’association Comellia (coopération des métiers de la lecture, du livre et de l’audiovisuel), où Gilles Durupt, compagnon de route de Gatti, est chargé de mission culture-justice. L’initiative devrait aboutir en décembre à la réalisation collective d’un « abri-livre », un « livre errant » selon Ripoll, avec le soutien de la Drac (direction régionale des affaires culturelles) de Haute-Normandie et du Spip (service de probation et d’insertion pénitentiaire) de l’Eure.

Résistance « Je veux changer leur vie », lançait Gatti ce matin-là, en quittant Montreuil-sous-Bois, où il vit et travaille, dans les anciens studios de Méliès.
A Fleury-Mérogis, en 1989, avec douze détenus de la maison d’arrêt, il avait écrit et monté les Combats du jour et de la nuit, pièce sur la Révolution.
A Val-de-Reuil, la parole fuse. « Quel est votre sentiment sur les couloirs de la mort aux Etats-Unis ? » Gatti rappelle Sacco et Vanzetti, et sa pièce Chant public devant deux chaises électriques. Un autre parle de censure. Lui puise dans sa vie de résistant et de déporté. Entonne le chant du mitard de Tulle. Assène : « Vous êtes libres. Vous décidez que les barreaux de la prison n’existent plus. » Bernard interroge : « J’écris des contes pour enfants, des nouvelles et des essais. En étant réaliste dans l’imaginaire. J’aimerais avoir des conseils. » 16 heures, pause. Les détenus parlent encore, lui montrent des textes qu’ils ont écrits.

L’après-midi touche à sa fin et Gatti repasse dans le sas de contrôle. Arrive dans la D1. La division des courtes et moyennes peines. Là, ils sont venus à une petite dizaine. A nouveau, chacun se présente. Interroge. « Qu’est-ce qui selon vous, monsieur Gatti, est un bon livre et un mauvais livre ? », « Evitez de rentrer dans le bon et le mauvais, s’énerve Gatti. C’est ensemble que ça existe ! » « C’est quoi, une bonne histoire ? » Gatti hurle : « Là où tu as le cri, le vécu, l’existence même... » Fait rire : « La grande trahison, c’est le langage-initiales : USA, URSS, CNT... », « Quelle solution vous préconisez ? » Gatti s’enflamme encore et toujours : « Prendre le langage. »

Algérie. Armand Gatti repart le soir même pour Le Havre. Rencontre autour de l’Algérie. Stéphane, son fils cinéaste, y présente son film Kateb Yacine, poète en trois langues et lui, le lendemain doit lire le Cadavre encerclé, pièce que son ami algérien avait écrite au lendemain de la répression sanglante de mai 1945 à Sétif. A la veille du combat pour l’indépendance.