Incidence des cas de Sida dans les institutions pénitentiaires espagnoles volume 8 - September 2003
page 176-181
Acín E, Gómez P, Hernando P, Corella I.
Subdirección General de Sanidad Penitenciaria, Madrid, Espagne
Trois sources d’information utilisées dans la surveillance du Sida dans les prisons espagnoles ont été utilisées pour entreprendre une étude de capture-recapture. Les résultats montrent que le registre des cas de Sida sous-estime largement l’incidence de cette maladie dans les prisons, puisqu’il ne couvre qu’à peine 50% des cas. Cette étude souligne la nécessité d’utiliser des données complémentaires au RCS pour évaluer l’incidence réelle du Sida dans les prisons en Espagne.
Introduction
La surveillance épidémiologique du Sida dans les prisons gérées par la Direction Générale des Institutions Pénitentiaires (DGIP) (1) (toutes celles de l’état espagnol sauf la Catalogne) se fait au moyen du Registre des Cas de Sida (RCS) qui fut mis en œuvre en 1989. Ce registre est administré par la Sous-Direction Générale de la Santé Pénitentiaire (SGSP), et s’intègre dans le Registre National des Cas de Sida, qui se trouve au Centre National d’Epidémiologie (CNE), dépendant du Ministère de la Santé.
La notification, qui est obligatoire, est effectuée par les médecins des établissements pénitentiaires. Dès qu’un cas est diagnostiqué, le médecin responsable doit le notifier au registre de la DGIP, ainsi qu’à celui du système de santé régional correspondant, en utilisant pour cela le document officiel de déclaration élaboré par le CNE, où est recueillie l’information individualisée de chaque patient et le nom du médecin qui notifie et son centre de travail.
On réalise des croisements périodiques avec le Registre National des cas de Sida, et on ajoute à la base de données les cas qui y figurent comme diagnostiqués pendant un séjour en prison du malade et qui n’avaient pas été notifiés à notre registre.
La SGSP tient également un registre de cas de tuberculose (2). Cette maladie est déclarée par les prisons de façon individualisée depuis 1990, faisant partie du Système de Surveillance Epidémiologique des Maladies à Déclaration Obligatoire (MDO). Le Registre des Cas de Tuberculose (RCTb), établi en 1997, comprend, en plus des cas notifiés à travers les MDO, les cas détectés par les registres de Sida, de mortalité et d’hospitalisations de la SGSP, par les registres de tuberculose des systèmes de santé régionaux, et par le laboratoire de mycobactéries de l’hôpital " Doce de Octubre " de Madrid. Une des variables comprises dans ce registre est la situation face au VIH. Tout cas de tuberculose positif pour le VIH n’ayant pas été déclaré auparavant comme cas de Sida, doit être déclaré non seulement au registre de la tuberculose, mais aussi au registre du Sida, puisque la tuberculose est une des maladies indicatives pour le diagnostic du Sida.
De même qu’avec les cas de Sida, chaque fois qu’un cas de tuberculose est diagnostiqué, le médecin responsable doit le notifier au registre de la DGIP, et en même temps, envoyer une copie au registre du système régional de santé correspondant, en utilisant pour cela le document spécifique de déclaration du Système de Surveillance, qui recueille l’information individualisée de chaque patient.
La SGSP dispose aussi d’un Registre d’Admissions Hospitalières (RAH) (3), où figurent les diagnostics de tous les détenus qui ont été admis à un hôpital.
Les notifications au RCS et au RCTb sont faites par chaque médecin au moment du diagnostic ; dans le cas du RAH, l’information est envoyée chaque mois à la SGSP par le responsable sanitaire de chaque centre pénitentiaire.
L’existence de ces trois registres nous permet d’évaluer la sensibilité du RCS pour détecter les cas de Sida qui sont diagnostiqués pendant que le malade se trouve en prison, en utilisant la méthode de capture-recapture pour trois sources.
L’objectif de ce travail est d’aboutir à une meilleure connaissance de l’incidence réelle de cas de Sida pendant l’année 2000 dans la population pénitentiaire.
Matériaux et méthodes
Définition de cas
Conformément à la définition européenne établie en 1994, un cas de Sida est défini comme toute personne présentant des anticorps face au VIH et chez qui une des maladies indicatives figurant dans la liste des CDC (Centers for Disease Control) de 1993 a été diagnostiquée. Cette étude a porté sur les cas diagnostiqués pendant l’année 2000 parmi les détenus.
Sources d’information
Registre de cas de Sida (RCS)
Les cas détectés par cette source sont les cas incidents de l’année 2000, diagnostiqués lors du séjour du patient en prison et qui ont été notifiés à ce registre par les médecins pénitentaires. Nous avons considéré aussi comme détectés par cette source les cas notifiés par les médecins des centres pénitentiaires au moyen du formulaire de notification envoyé au système de santé régional, même si la copie correspondante à la SGSP n’avait pas été reçue.
Registre de cas de tuberculose (RCTb)
Sont considérés comme détectés par cette source les cas incidents de tuberculose et simultanément de Sida, c’est-à-dire ceux qui ont été diagnostiqués pour la tuberculose en 2000 pendant un séjour en prison, qui étaient positifs au VIH et chez qui aucun diagnostic de Sida n’avait été établi dans les années précédentes. Les cas avec un diagnostic préalable de Sida ont donc été exclus. Nous avons inclus comme cas détectés par le RCTb tous les cas présents dans ce registre et qui remplissaient les conditions décrites, à l’exception évidemment de ceux incorporés au RCTb à partir du RCS ou du RAH.
Registre d’admissions hospitalières (RAH)
Nous avons inclus comme cas détectés par cette source toutes les admissions hospitalières de détenus positifs au VIH pendant l’année 2000, dont le diagnostic au moment de la sortie d’hôpital comprenait une pathologie indicative de cas de Sida, et chez qui le Sida n’avait pas été diagnostiqué les années précédentes.
Méthode
Nous avons recueilli l’information individualisée du RCS (4), des tuberculoses positives pour le VIH déclarées au RCTb (5) et des sorties d’hôpital avec diagnostic de Sida du RAH (6). Ces trois sources ont été croisées afin d’identifier les cas communs à deux ou trois d’entre elles. Les variables utilisées pour le croisement sont le prénom et les deux noms, et la date de naissance ou bien l’âge.
La méthode de capture-recapture (7-12) permet, à travers l’analyse des cas communs à plusieurs sources, d’estimer les probabilités de capture de chacune d’elles, ainsi que la probabilité qu’un cas n’ait été capturé par aucune d’entre elles. De cette façon on peut estimer le nombre de cas qui ont échappé à la capture de toutes les sources et qui par conséquent n’ont pu être décelés.
Lorsqu’on ne dispose que de deux sources, pour pouvoir estimer les cas non capturés il faut présumer du fait que les deux sources sont indépendantes. Ceci limite considérablement l’utilité de la méthode, puisque dans de nombreux cas cette indépendance ne peut être prouvée. En revanche, lorsque trois sources sont disponibles, il est possible de contraster les hypothèses d’indépendance de deux quelconques d’entre elles au moyen de l’analyse du comportement des cas par rapport à la troisième source. De cette façon, la seule hypothèse à retenir, nécessairement " a priori ", est qu’il n’existe pas d’interaction complexe de troisième ordre entre les trois sources. On peut construire huit modèles différents. A chacun correspond un nombre estimé de cas non détectés. Il faut alors choisir parmi ceux-ci, celui qui correspond le mieux à la distribution observée des cas. Les huit modèles possibles sont les suivants :
- Les trois sources (que nous appellerons s1, s2 et s3) sont indépendantes.
- Une interaction : s1-s2 ou s1-s3 ou s2-s3.
- Deux interactions : s1-s2 et s1-s3 ; ou s1-s2 et s2-s3 ; ou s1-s3 et s2-s3.
- Trois interactions : s1-s2, s1-s3 et s2-s3.
L’analyse a été faite au moyen de modèles log-linéaires qui excluent la cellule de valeur inconnue du processus de modélisation (zéro structurel), en utilisant le programme statistique SPSS®. Pour choisir parmi les huit modèles le plus compatible avec les données observées, on a utilisé le critère BIC ("Bayesian Information Criterion"), calculé comme suit : BIC = G2 - (ln Nobs/2 ?)(dl), où :
- G2 est une statistique de distribution Chi au carré qui mesure le degré d’ajustement des données observées au modèle proposé. Il est égal à 2 ? Obs ln (Obs / Att), somme qui se calcule pour toutes les cellules, où Obs est la valeur observée et Att la valeur attendue pour chacune d’elles. La valeur de G2 est inversement proportionnelle à l’ajustement des données au modèle.
- Nobs est le nombre de cas observés.
- dl est le nombre de degrés de liberté du modèle, qui sont trois pour le modèle à trois sources indépendantes, deux dans les cas à une interaction, un pour deux interactions et zéro pour le modèle à trois interactions (modèle saturé).
La méthode employée a été obtenue d’un article de Hook et Regal (7). Conformément à la recommandation des auteurs, nous avons sélectionné comme meilleur modèle celui dont la valeur du BIC était inférieure.
Une fois obtenue l’estimation des cas non détectés, et par conséquent du total des cas (détectés + non détectés), la sensibilité ou exhaustivité (probabilité de capture) de chaque source est égale au quotient entre les cas détectés par cette source et le total des cas estimés. La sensibilité conjointe des trois sources est égale au quotient entre le total des cas observés (détectés au moins par une source) et le total des cas estimés.
L’intervalle de confiance des cas estimés a été calculé de même au moyen de G2, en appliquant la méthode proposée par Regal et Hook (8).
Les calculs ont été réalisés à l’aide du programme statistique SPSS Advanced Models.
Résultats
L’étude comprend 105 cas notifiés au RCS, 113 cas de tuberculose séro-positifs pour le VIH détectés par le RCTb et 96 cas provenant des registres hospitaliers avec un diagnostic de Sida. On a croisé les trois registres pour détecter les cas communs. Le nombre total de cas observés (détectés au moins par une source) est de 173 (tableau 1).
Le tableau 2 montre le nombre de cas estimés, le G2 et le BIC pour chacun des huit modèles possibles. Le modèle choisi, c’est-à-dire celui dont le BIC est le plus bas, correspond à l’indépendance des trois sources. Pour ce modèle la valeur de G2 est de 3,12, celle du BIC - 6,8, et le nombre de cas estimés est de 190 (intervalle de confiance à 95% : 181 - 203).
Le taux d’incidence du Sida calculé à partir des cas notifiés au RCS pendant 2000 serait de 2,7 cas pour mille détenus. Calculé à partir des cas observés après le croisement des trois registres, le taux s’élève à 4,4 pour mille détenus, et le taux obtenu à partir des cas estimés est de 4,9 pour mille détenus.
La sensibilité pour la détection de cas est de 55,3% pour le RCS, de 59,5% pour le RCTb et de 50,5% pour le RAH. La sensibilité conjointe s’élève à 91,1%. On estime que 17 cas de Sida n’ont été décelés par aucune des trois sources.
Discussion
Dans cette étude, nous avons utilisé trois sources d’information disponibles dans la SGSP pour la réalisation d’une analyse de capture-recapture. On peut en déduire que le RCS sous-estime de façon très importante l’incidence de cette maladie en prison. En fait, ce registre ne détecte qu’un peu plus de la moitié des cas et par conséquent, si on n’avait pas recours à la recherche active de cas au moyen du croisement avec d’autres sources, l’incidence mesurée serait très inférieure à l’incidence réelle.
Fait paradoxal, le RCTb montre une meilleure sensibilité pour détecter les cas de Sida que le RCS, ce qui peut s’expliquer par la haute capacité de détection de cas de ce registre, qui a incorporé la recherche active au moyen de sources complémentaires depuis 1997, et par le fait que la plupart des patients atteints du Sida (>70%) ont comme maladie indicative la tuberculose.
Le registre d’admissions hospitalières a apporté un plus grand nombre de cas que prévu, et sa sensibilité est proche de celle du RCS. Cela est peut-être dû au fait qu’une grande proportion des patients atteints de Sida ont besoin d’hospitalisation au moment du diagnostic, ainsi qu’à la fiabilité du recueil d’informations sur les hospitalisations.
Lorsqu’on utilise les trois sources pour l’estimation de l’incidence de la maladie, on obtient une sensibilité qui peut être considérée comme acceptable.
Cette étude démontre le besoin d’utiliser des sources complémentaires au RCS pour détecter l’incidence réelle de cette maladie.
La Sous-Direction Générale de la Santé Pénitentiaire est en charge de l’organisation des soins sanitaires dans les centres pénitentiaires, ainsi que de l’implantation des programmes de santé publique, dont la plupart sont élaborés en collaboration avec le Secrétariat du Plan National sur le Sida du Ministère de la Santé. La connaissance correcte de l’évolution du syndrome est nécessaire pour pouvoir évaluer les résultats des activités préventives et des soins sanitaires mis en place dans les centres pénitentiaires, et pour mieux planifier les futures activités. A défaut d’études de ce type, on pourrait interpréter comme un succès des mesures adoptées ce qui n’est en réalité qu’un relâchement des comportements de notification. La recherche active de cas au moyen du croisement des sources permet aussi une meilleure contribution à l’exhaustivité du Registre national de cas de Sida, puisque les Institutions Pénitentiaires en déclarent une part substantielle, 9% environ.
En conclusion, on peut affirmer que le croisement des sources et l’utilisation de la méthode de capture-recapture sont extrêmement utiles à la détection de la sous-déclaration, qu’ils apportent une information de grande valeur sur la sensibilité des systèmes de surveillance pour détecter les cas de Sida, permettent de corriger partiellement la sous-déclaration en réclamant aux médecins pénitentiaires la déclaration des cas qui n’ont pas été notifiés auparavant, et permettent ainsi d’aboutir à une approche plus réaliste de l’incidence de la maladie. Par conséquent, il est important d’utiliser systématiquement la recherche active à travers le croisement de registres pour déceler la plupart des cas de Sida qui sont diagnostiqués en prison. Cependant, malgré tous les croisements, on estime que 9% des cas ont échappé à la détection. La sous-notification ne pourra être réduite que si les médecins des prisons s’efforcent de déclarer tous les cas diagnostiqués. Pour cela, la SGSP insiste souvent sur le caractère obligatoire de la notification des nouveaux cas, aussi bien au registre de la DGIP qu’à celui des systèmes régionaux de santé, et sur le besoin d’améliorer la notification. Ainsi seulement, nous pourrons aboutir à une connaissance fiable de l’incidence réelle des cas de Sida dans notre société.
Références
1. Subdirección General de Sanidad Penitenciaria/Secretaría del Plan Nacional sobre el SIDA. Programa de prevención y control de la infección por VIH en el medio penitenciario.2000.
2. Subdirección General de Sanidad Penitenciaria/Secretaría del Plan Nacional sobre el SIDA. Programa de prevención y control de la tuberculosis en el medio penitenciario.2000.
3. Subdirección General de Sanidad Penitenciaria. Estadística sanitaria mensual.
4. Subdirección General de Sanidad Penitenciaria. Area de Salud Pública. Casos de SIDA en Instituciones Penitenciarias. 2000.
5 Subdirección General de Sanidad Penitenciaria. Area de Salud Pública. Casos de tuberculosis en Instituciones Penitenciarias. 2000.
6 Subdirección General de Sanidad Penitenciaria. Area de Salud Pública. Informe de ingresos hospitalarios en Instituciones Penitenciarias. 2000.
7. Hook EB, Regal RR. Capture-Recapture methods in epidemiology : methods and limitations. Epidemiol Rev 1995 ; 17 : 243-64.
8. Regal RR, Hook EB. Goodness-of-fit based confidence intervals for estimates of the size of a closed population. Stat Med 1984 ; 3:287-91.
9. Ferrer D, Ballester F, Pérez-Hoyos S, Igual R, Fluixá C, Fullana J. Incidencia de tuberculosis pulmonar : aplicación del método de captura-recaptura. Gaceta Sanitaria 1997 ; 11:115-21 (abstract available at http://www.uv.es/ docmed/documed/documed/476.html)
10. Ballester F, Pérez-Hoyos S, Ferrer D. Valoración de las asunciones de homogeneidad e independencia en la aplicación del método de captura-recaptura con dos fuentes de información. Gaceta Sanitaria 1997 ; 11:150-1. (abstract available at http://www.uv.es/ docmed/documed/documed/478.html)
11. Fajardo ML, Martínez-Navarro JF. Evaluación del Sistema de Vigilancia Epidemiológica del SIDA en la Provincia de Huelva. Bol Epidemiol Semanal 1997 ; 24 : 233-40. (http://cne.isciii.es/bes/bes4197.pdf)
12. Infuso A, Hubert B, Etienne J. Underreporting of legionnaires disease in France : the case for more active surveillance. Euro Surveill 1998 ; 3:48-50. (http://www.eurosurveillance.org/em/v03n05/0305-222.asp)
Source : Eurosurveillance