RAPPORT MORAL 2003
présenté par Raphaël Bonte, secrétaire général
Chers amis visiteurs de prison et membres de l’ANVP,
Aujourd’hui, en France, 61 000 personnes sont en prison ; c’est quasiment une fois et demie la population de la ville de Chartres - 42 000 - qui nous accueille. C’est aussi, si vous préférez, 1 habitant sur 1 000 en France.
Au moment de commencer la lecture de ce rapport moral, exercice par nature un peu formel, je ne peux m’empêcher de vous rappeler la dimension humaine et les réalités quotidiennes qui se vivent derrière les termes un peu officiels de "surpopulation en détention".
Nous en avons des témoignages par les personnes détenues que nous rencontrons ; bien sûr, elles disent que l’on ne peut imaginer la vie en prison si on ne l’a pas vécue. Cela vaut pour nous aussi ; mais enfin, nous sommes, avec les personnels pénitentiaires, parmi ceux qui la perçoivent le mieux. C’est ce qui nous réunit aujourd’hui et qui est la base de l’activité de notre association.
1° Constat
Quel constat pouvons-nous faire sur l’année 2003, sur les personnes détenues, sur leurs conditions de vie, sur notre association, aussi ?
Ce constat est issu des contributions d’une grande partie d’entre vous : 92 questionnaires complétés par les correspondants ; l’an passé, les contributions, certes sous forme différente, n’étaient que 55.
Merci donc à tous ceux qui ont retourné ce questionnaire ; merci aussi à Liliane et Claude Chenain qui en ont fait l’analyse que je me permettrai de reprendre largement. Les résultats de l’analyse seront publiés prochainement dans Jéricho.
les personnes détenues
5 300 personnes détenues supplémentaires en un an, donc :
• 59 741 au 1er décembre 2003 contre 54 438 un an plus tôt ;
• une hausse de 10 % après 14 % l’année précédente ;
• la densité passe de 113,6 à 122,9 personnes détenues pour 100 places (beaucoup plus dans certaines maisons d’arrêt) ;
• la répartition entre prévenus et condamnés reste stable avec 37 % de prévenus ;
• la répartition, parmi les personnes condamnées, des condamnations à plus de 5 ans reste stable également (37,5 %) ;
• 5 056 décisions de libération conditionnelle seulement.
« La construction de nouvelles prisons n’est pas la solution à la surpopulation »
Tous les facteurs de hausse du nombre de personnes détenues semblent à l’oeuvre :
• on incarcère plus (alors que les faits constatés de délinquance, tous secteurs confondus, n’augmentent pas ou sont en légère baisse) ;
• on condamne, proportionnellement aussi lourdement, davantage de personnes jugées ;
• on reste parcimonieux pour l’individualisation des peines - seuls les placements sous surveillance électronique progressent - et les libérations conditionnelles.
Le processus risque donc de durer. Le gouvernement en a pris acte en repoussant à des jours meilleurs, par amendement parlementaire, l’entrée en vigueur de la loi de juin 2000 sur l’encellulement individuel. Il convient, d’autre part, de rappeler que le programme pluriannuel en cours, de construction de nouvelles prisons, porte sur 13 200 places dont 7 000 nouvelles (compte tenu des désaffections de prisons vétustes) : 7 000 places, c’est un effort coûteux, mais c’est à peine plus d’une année de hausse du nombre de personnes détenues : la construction de nouvelles prisons, à l’évidence, n’est pas la solution à la surpopulation. Le rapport Warsmann, présenté au printemps 2003, et qui propose des mesures en vue de "faire appliquer les décisions de justice dans un délai raccourci et de développer les modalités d’application des peines et alternatives à l’incarcération" n’a pas eu de suite pour le moment.
Les conditions matérielles de détention, sans être bonnes, s’étaient plutôt améliorées, ces dernières années, grâce à une lente diminution du nombre de personnes détenues et à des investissements un peu plus importants.
En particulier, sur 85 réponses au questionnaire, 51 indiquent que les personnes détenues ont droit à 2 à 3 douches par semaine, 28 davantage (nombre illimité, une fois par jour ou tous les deux jours) : c’est loin d’être satisfaisant, mais les plus anciens visiteurs confirmeront qu’il y a quelques années, la norme était souvent d’une douche par semaine. Dans 43 établissements contre 34 on peut faire laver son linge.
Les prix des produits "cantinables" restent considérés comme trop élevés dans 59 établissements contre 24.
Les soins en détention sont considérés comme satisfaisants dans la majorité des établissements (71) mais les délais sont souvent longs notamment pour les soins dentaires et ophtalmologiques.
L’indigence est suivie dans la plupart des établissements par une commission d’indigence ; dans la majorité des cas les personnes détenues peuvent bénéficier de vêtements, timbres, petites aides financières apportés surtout par des associations.
Les associations socioculturelles et sportives existent toujours dans la majorité des établissements.
Il faut saluer l’ouverture, en septembre, de la première unité expérimentale de vie familiale, au centre pénitentiaire de Rennes.
Mais l’impression sur les conditions matérielles de détention, c’est que l’on reste sur les situations acquises, sans volonté politique d’évolution, ce qui fait craindre un recul si la surpopulation continue de s’aggraver et s’il n’y a pas de demande de changement forte sur le terrain.
les membres de l’ANVP (visiteurs et membres associés)
Le nombre de membres de l’ANVP est à ce jour de 1 269 ; parmi eux, le nombre de visiteurs ANVP en activité poursuit une lente diminution : 931 à ce jour contre 950 en mars 2003 et 1 022 en 1994, l’année maximale.
« Le nombre de visiteurs ANVP en activité poursuit une lente diminution »
Cette diminution est particulièrement regrettable face à la hausse du nombre de personnes détenues. Nous le constatons tous dans nos établissements : nous pourrions être bien plus nombreux et faire oeuvre utile ! Le questionnaire semble indiquer qu’en moyenne, le nombre de visiteurs est proportionnellement plus élevé dans les petits établissements : un correspondant dynamique réussit souvent à constituer une petite équipe et sait se faire respecter et connaître en détention. Dans les établissements
plus importants, la sempiternelle remarque sur "l’absence de demandes" de
la part des personnes détenues justifie souvent une certaine inertie des SPIP ou de la direction dans l’information des personnes incarcérées et l’agrément de nouveaux visiteurs. L’interminable attente de l’agrément décourage bien des candidats, notamment les plus jeunes qui sont professionnellement mobiles. Pour l’information des personnes détenues, je rappellerai ici qu’un dépliant est souvent efficace et qu’un document-type a été réalisé par le siège, distribué aux correspondants ; il est disponible sur demande.
Près d’un visiteur sur cinq parle une langue étrangère, c’est une richesse qui pourrait être mise en valeur.
Les réunions "trimestrielles" entre SPIP et visiteurs, prévues par le Code de procédure pénale, ont lieu en fait bien moins souvent, avec des situations locales variables. Peu de visiteurs sont membres de commissions
de surveillance d’établissements pénitentiaires.
Dans 43 établissements contre 35, les visiteurs ne peuvent intervenir le samedi : c’est un frein important et particulièrement regrettable au recrutement de visiteurs en activité professionnelle et au rajeunissement de l’association.
Quelques mots sur le personnel pénitentiaire :
• le nombre de surveillants augmente légèrement (22 358 au 1er janvier 2003 contre 21 749 au 1er janvier 2002), soit un rythme inférieur à celui du nombre de personnes détenues ;
• nombre de travailleurs sociaux des SPIP est en hausse significative (1 949 contre 1 800) mais à peine proportionnelle à celle du nombre de personnes détenues.
Le sentiment d’appartenance à l’ANVP peut être appréhendé par plusieurs indicateurs :
• la participation aux réunions locales et régionales est généralement satisfaisante ;
• certains visiteurs témoignent de leur activité dans des écoles, des forums associatifs...
• la participation au congrès national ne "décolle" pas, elle reste comprise entre 130 et 200 personnes selon les années ;
• procurations comprises, le nombre de votants à l’AG est compris entre 320 et 450 ;
• sur le terrain, la multi-appartenance est fréquente entre ANVP et autres associations ;
• aux questions sur l’action de l’association, la réponse majoritaire est une satisfaction d’ensemble, mais un peu floue ;
• environ la moitié des correspondants participent à la réunion annuelle d’octobre ;
• il n’est pas toujours facile de trouver des personnes disposées à prendre des responsabilités de correspondant, de président de section et a fortiori de délégué régional : la délégation régionale de Toulouse est vacante, des successeurs sont recherchés pour Rennes.
Face à ce constat, quelles ont été les actions de notre association en 2003 ? J’examinerai d’abord les interventions en direction des personnes détenues et en direction de nos membres, puis nos prises de position publiques.
2° Nos orientations
en direction des personnes détenues
Si nous n’avons aucune possibilité d’intervention directe sur le nombre de personnes détenues, nous pouvons agir, dans la mesure de nos moyens, pour améliorer certaines situations ou encourager des démarches d’insertion.
Bon nombre de sections locales ANVP mobilisent ainsi des moyens humains et financiers pour des interventions auprès des personnes incarcérées et de leurs familles, souvent avec d’autres associations.
Mais certaines sections manquent de moyens financiers pour mener à bien leurs projets.
Pour cette raison, le bureau de l’ANVP a adressé en novembre 2002 un appel à projets en vue du financement par le siège d’actions sociales. Cet appel a permis de financer 20 actions en 2002 pour 6 800 euros, et quelques autres au 1er semestre 2003.
Le conseil d’administration, le 14 juin 2003, a décidé de développer ce mode d’interventions sous forme d’une subvention annuelle aux délégations régionales, charge à celles-ci, sur cette enveloppe, de soutenir les projets locaux d’aides individualisées à des personnes détenues. Une évaluation devait être faite chaque fin d’année. En 2003 la subvention totale a été
fixée à 20 000 euros.
L’évaluation des interventions en 2003 montre que le nouveau dispositif n’a pas jusqu’ici obtenu les résultats escomptés. Peut-être l’information a-t-elle été insuffisante ? La réflexion doit être approfondie.
Dans un registre différent, l’ANVP a pris des contacts avec l’association FIL (Français Incarcérés au Loin) qui intervient auprès de détenus français incarcérés à l’étranger. L’ANVP reste d’autre part représentée au CA de l’association JET (Jeunes en équipe de travail).
en direction des membres de l’ANVP
Depuis plusieurs années, le CA et le bureau de l’ANVP s’efforcent de renforcer les compétences des visiteurs, ainsi que la communication
interne et la cohésion de l’association, afin :
• de rendre les visiteurs plus efficaces dans leurs interventions auprès des personnes détenues ;
• mais aussi de conforter leur crédibilité vis-à-vis de l’administration pénitentiaire, voire de l’opinion publique, et ainsi de créer les conditions d’un recrutement accru, et de procédures d’agrément accélérées.
Ainsi le financement par le siège de formations à l’écoute, lancé en 2002, a bénéficié à 237 personnes cette année-là, et encore à 106 en 2003. Les formations ont été pour l’essentiel assurées par l’institut Astrée, sur la base d’une convention. Elles semblent avoir été largement appréciées et sont appelées à se poursuivre.
35 questionnaires font état de réunions de groupes de parole en 2003. Le siège peut y participer financièrement pour amorcer la démarche là où les sections ont peu de moyens.
Les réunions régionales (annuelles, en règle générale) contribuent à la formation des visiteurs par la diversité des thèmes abordés, la qualité des intervenants et le nombre important de visiteurs qui s’y rendent. Le colloque annuel, à Nantes, sur un sujet assez "pointu" ("Complémentaires ou accessoires : des peines qui s’ajoutent à la peine") a été particulièrement formateur cette année.
Par contre, la communication interne n’a pas progressé autant qu’espéré. Jéricho et La Lettre ont été publiés en un moins grand nombre d’exemplaires que les années précédentes. D’autre part, en septembre, le
nouveau site Internet n’était toujours pas activé.
Notre collaboration avec notre chargé de communication a alors pris fin.
Le recrutement pour quelques mois de Catherine Heyden, la mobilisation de Catherine Coéroli, déléguée générale, et les efforts des membres du
bureau ont permis de pallier à cette situation.
En particulier, Philippe Frétigné s’est mobilisé pour l’ouverture du nouveau site Internet que chacun peut désormais consulter sur www.anvp.org ; le site comprend les textes fondateurs de l’association (statuts, règlement intérieur, charte, déontologie...) et des documents d’actualité. Il forme un ensemble cohérent qui sera bien sûr à compléter et actualiser régulièrement.
Le recrutement en janvier 2004 de Nicolas Loeb comme chargé de communication devrait permettre de redresser la situation. Il est prévu également de réactualiser dépliants, affiches, banderoles et autres outils de communication afin de les mettre à disposition de tous.
Une cassette vidéo sur les visiteurs de prison a été réalisée à l’initiative de Liliane Chenain et Michel Servais, en vue d’être distribuée à tous les correspondants en ce premier semestre 2004. Il s’agit d’un document pédagogique utilisable pour le circuit interne des prisons, les réunions
publiques, le recrutement de visiteurs...
« Une cassette vidéo sur les visiteurs de prison a été réalisée »
Dans une période un peu difficile, la journée des correspondants le 11 octobre n’a pas pu être aussi structurée que prévu, et certains correspondants l’ont regretté. Cette journée a néanmoins réuni, comme en
2002, une soixantaine de personnes auxquelles a été remis le Guide du correspondant ANVP riche de conseils et informations pratiques.
D’une manière générale, les conditions d’exercice des mandats de responsables locaux de notre association, délégués régionaux, responsables de section, correspondants ont été une préoccupation constante du CA et du bureau. Compte tenu de l’engagement que représentent ces responsabilités locales, et des difficultés à pourvoir les postes, il semble nécessaire que l’appui du siège, en termes de logistique, mais aussi de conseil et de soutien, soit renforcé.
L’ANVP serait ainsi appelée à se professionnaliser davantage ; le bureau a envisagé le recrutement d’une troisième personne au siège ; la question sera certainement débattue dans le cadre du futur CA, et dans l’association en général.
Le groupe de travail "statuts et règlement intérieur" mis en place en juin 2002 a poursuivi ses travaux en 2003. Ce point sera évidemment détaillé demain lors de l’assemblée générale "extraordinaire" dont c’est le point principal. Les nouveaux statuts et règlement intérieur, s’ils sont adoptés,
s’inscrivent dans la démarche de cohésion de notre association, d’amélioration des conditions d’exercice des mandats, et de crédibilité renforcée.
Les instances nationales ont bien fonctionné en 2003. Sous la présidence de Liliane Chenain, le CA s’est réuni 5 fois, le bureau 9 fois, avec une certaine continuité des personnes, des débats de qualité, et un bon esprit collectif. Jacques Debray a remplacé Bruno Alefsen comme coordonnateur des délégués régionaux lors du Congrès de Nantes ; les réunions de délégués régionaux, la veille de chaque CA, se sont poursuivies.
En fin d’année, les conditions de travail au siège ont cependant été affectées par des dégâts des eaux consécutifs à des travaux mal réalisés au 1er étage de l’immeuble.
Une consultation organisée lors de l’AG de Nantes a permis de constater que la majorité des visiteurs semblent prêts à s’investir davantage, en particulier en milieu ouvert, dans la mesure où ils accompagnent au préalable les personnes en milieu fermé.
D’autre part, une convention a été signée avec l’Unité pour malades difficiles (UMD) de Cadillac (Aquitaine) ; elle permet des visites de membres de notre association à des personnes sous main de justice, en hospitalisation.
Ces évolutions ont suscité quelques débats sur le rôle à venir du visiteur, appelé sans doute à s’élargir progressivement, mais dans quelle articulation avec le rôle de l’administration pénitentiaire ?
Plus largement, les relations avec l’administration pénitentiaire se sont inscrites en 2003 dans la perspective d’une nouvelle convention, remplaçant celle signée en 1995. Cette nouvelle convention envisage notamment :
• un financement triennal de l’ANVP par l’AP avec une base annuelle de 30 000 euros ;
• des objectifs communs faisant l’objet d’une évaluation régulière ;
• une référence explicite à la charte et à la déontologie du visiteur de prison ANVP ;
• des avancées sur les délais d’agrément des nouveaux visiteurs.
Au-delà de la signature formelle, qui devrait intervenir courant 2004, l’enjeu est dans l’appropriation sur le terrain de ce partenariat.
3° Nos prises de position publiques
Depuis plusieurs années, la position du CA et du bureau est que, dans l’intérêt des personnes détenues, l’ANVP doit intervenir dans le débat public, sans prise de position partisane, mais à partir de ses valeurs et sur la base de l’expérience concrète de chacun de ses membres.
Cette approche s’est poursuivie et développée en 2003.
Ainsi, pour la première fois, une motion a été soumise au vote de l’assemblée générale, en mars 2003 à Nantes. Il s’agissait, audelà de l’aspect formateur du colloque, de s’appuyer sur ses conclusions pour alerter sur le fait que les peines complémentaires ou accessoires sont des freins à l’insertion et à l’embauche des personnes après leur détention. Cette motion adressée ensuite aux parlementaires a été reprise par Maxime Gremetz, député (PCF), dans une question au garde des Sceaux.
« Notre association a envoyé une lettre à tous les parlementaires intitulée : L’ANVP rappelle ses convictions »
En novembre, notre association a envoyé une lettre à tous les parlementaires intitulée "L’ANVP rappelle ses convictions" pour notamment :
• dénoncer la surpopulation en prison ;
• demander le développement des peines autres que la prison ;
• regretter la baisse générale de l’accompagnement social et culturel des personnes détenues ;
• demander une hausse des libérations conditionnelles ;
• proposer de développer les accompagnements thérapeutiques.
L’ANVP a demandé, pour reprendre les termes employés par Bruno Alefsen dans une lettre à une parlementaire, que l’on "échange les remises de peine et les grâces collectives contre un aménagement personnalisé de l’exécution de la peine en réhabilitant la libération conditionnelle dès la mi-peine effectuée".
Les interventions de l’ANVP se sont faites le plus souvent dans un cadre associatif plus large.
Dans la relation avec le ministère de la Justice, il n’y a certes plus le Conseil d’orientation stratégique (COS) qui avait été mis en place en 2001. Mais le ministre a néanmoins réuni une fois, en 2003, les associations nationales intervenant dans et autour de la prison ; et si l’ANVP à elle seule est une association de dimension moyenne, le gouvernement a tenu compte de ce que représentent collectivement les associations quand elles se mobilisent.
Ainsi le collectif "Une peine, point barre" dont fait partie l’ANVP, a contribué à un mouvement d’opinion visant à abolir la "double peine" qui frappe de nombreuses personnes détenues étrangères, expulsées à l’issue de leur détention, ce qui affecte également leurs familles. Ce mouvement d’opinion a permis d’obtenir que dans la loi votée en juin sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France, les situations de double peine potentielle soient restreintes. On devrait moins souvent expulser des personnes ayant toutes leurs attaches familiales en France.
L’ANVP a signé une lettre du collectif "Octobre 2001" au garde des Sceaux, en décembre, sur le thème "Comment sanctionner le crime dans le respect des droits de l’homme" en s’appuyant sur les engagements pris par la France dans le cadre européen (Conseil des ministres du Conseil de l’Europe). Ces engagements ne permettent pas à la France de s’engager dans une voie trop strictement sécuritaire. Dans le même ordre d’idées, le Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) a visité plusieurs prisons françaises en juin.
L’ANVP a rencontré M. Terra, psychiatre, qui a remis en fin d’année son rapport sur la prévention des suicides. Ce rapport, sur un sujet difficile (120 suicides en prison en 2002), n’a pas été largement diffusé à ce
jour. L’application de la loi du 4 mars 2002 sur les suspensions de peine pour raison médicales, qui permet à des personnes détenues gravement malades ou en fin de vie de ne pas mourir en prison, a retenu toute notre attention. Il a fait l’objet d’un article dans La Lettre et d’une question aux correspondants. A la mi-2003 cependant, seule une trentaine de personnes en avait bénéficié, un peu par manque d’informations et de
directives, mais aussi en raison des difficultés de faire travailler ensemble, dans l’urgence d’une situation de santé grave, travailleurs sociaux, médecins, experts, et par manque de lieux d’hébergement à la sortie. Un pôle de réflexion et d’action sur la suspension de peine, réuni à l’initiative de l’association Act Up et avec la participation de l’ANVP, a rédigé une lettre d’informationà l’attention des personnes détenues, qui a été diffusée, en juin, avec l’approbation du ministère de la Justice. La mobilisation sur le sujet a été réactivée en octobre avec le vote par le Sénat de l’amendement dit "Zocchetto" qui vidait en grande partie la loi du 4 mars 2002 de sa substance en subordonnant la suspension de peine à "l’absence de risque de renouvellement de l’infraction".
Après des contacts politiques intenses du collectif, notamment avec le ministère et avec des parlementaires, de tous bords politiques, favorables à une amélioration des conditions de détention, l’amendement a été retiré fin novembre.
Le ministère semble désormais décidé à mieux faire appliquer la loi du 4 mars 2002. L’épisode a confirmé l’intérêt d’une approche collective, pragmatique et engagée à la fois. Il a montré aussi que les positions concernant la prison ne recoupent pas nécessairement les clivages politiques habituels, et qu’il est utile de cultiver des relations de confiance auprès d’élus de différentes tendances : il est en effet plus facile de faire porter une modification législative allant dans le sens souhaité, par des personnalités de la majorité politique du moment.
Les collectifs associatifs sont par nature temporaires. L’ANVP reste membre d’un organisme informel mais permanent, le Groupe national de concertation prison (GNCP), qui se réunit régulièrement pour échanger sur
l’actualité du moment, et prépare la Journée nationale prison (JNP), le dernier samedi de novembre. La JNP, comme les années précédentes, a
donné lieu à un certain nombre de manifestations dans toute la France, à l’initiative des équipes locales ANVP et d’autres associations. Le GNCP a préparé pour l’occasion un dossier de presse et une conférence de presse inter-associative sur le thème "Surpopulation carcérale : trop
de monde en prison !".
« L’ANVP prend davantage position dans le débat public qu’il y a quelques années »
La Journée nationale prison est la principale initiative nationale en direction de l’opinion publique, sur la situation des prisons en France. Certes, sa "couverture médiatique" est encore modeste. La participation des élus locaux reste limitée. A fortiori, on ne parle guère de l’ANVP dans les médias, au contraire par exemple de l’OIP (Observatoire International des Prisons), plus polémique dans le ton, mais efficace dans ses relations aux médias, et dont les documents sont d’un contenu riche.
Sans doute les vocations respectives de l’ANVP et de l’OIP ne sont-elles pas comparables. Le travail inter-associatif est d’ailleurs certainement une richesse. Aller plus loin, s’engager davantage dans les prises de position
nécessiterait sans doute un débat de fond dans l’association. Cela poserait aussi la question de nos moyens d’action au siège (disponibilité du bureau et des permanents), alors que nos besoins internes sont importants, nous l’avons vu.
Néanmoins, l’ANVP prend davantage position dans le débat public qu’il y a quelques années, même si c’est peu perceptible encore ; cet engagement-là peut aussi contribuer à faire évoluer le contexte de recrutement de nos membres et notre perception de la part de l’administration pénitentiaire. Chacun jugera s’il s’agit d’abord d’un risque ou d’une opportunité.
Source : Jéricho n°189, juillet 2004, ANVP