Edito
Le congrès qui s’est tenu à Chartres cette année a été marqué par divers changements. De nouveaux statuts et règlement intérieur ont été adoptés par l’assemblée générale, l’objectif étant d’améliorer le fonctionnement de notre association, de renforcer sa cohésion aux différents niveaux et de rendre ces textes plus lisibles. Le conseil d’administration a été profondément renouvelé, plusieurs membres parvenant à l’échéance de leurs trois mandats ou n’en sollicitant pas de nouveau. Liliane Chenain ne s’est pas représentée pour une nouvelle année de présidence, ainsi qu’elle l’avait annoncé il y a quelques mois. Qu’elle soit particulièrement remerciée pour l’important travail accompli, citons à titre d’exemple : la déontologie du visiteur, le statut du correspondant, La Lettre de l’ANVP, l’agrément "Jeunesse et Éducation populaire"...
Toujours aussi préoccupante, l’augmentation de la population carcérale ne semble pas connaître de répit. Les conséquences en sont une dégradation très forte des conditions d’incarcération. Des parlementaires s’en émeuvent qui, usant d’une prérogative attachée à leur mandat, visitent les établissements et constatent non seulement la surpopulation, mais aussi ses effets plus que néfastes. Des rapports, dont celui du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT), avaient déjà attiré l’attention des responsables politiques sur les conditions inhumaines et dégradantes auxquelles sont confrontées beaucoup de personnes détenues. Il est même envisagé de recourir à des installations provisoires en préfabriqué pour faire face à l’inflation carcérale. Nous avons reçu, en réponse à l’envoi de la motion adoptée au congrès de Chartres, un courrier signé par le ministre de la Justice nous informant que la situation s’améliorera grâce à la construction de nouvelles places ! Les problèmes et difficultés actuels ne sauraient être résolus par la simple mise en service de nouvelles places, lesquelles ne seront effectives par ailleurs que dans un certain nombre d’années...
C’est bien la question de savoir s’il faut recourir de façon aussi fréquente à l’incarcération qui se pose. L’actualité judiciaire nous renvoie aussi cette interrogation à propos d’un procès retentissant dans le nord de la France et qui montre à quel point la présomption d’innocence (qui est un droit) est si peu prise en compte, des vies étant brisées, alors que l’avocat général demande l’acquittement de sept personnes maintenues près de trois années en détention. La plus grande circonspection devrait être de mise en la matière. La population pénale en détention provisoire (taux très important en France : 36 %) est la première touchée par le fracas de l’incarcération en maison d’arrêt, là où précisément se font sentir le plus les effets de la surpopulation.
La prudence et le plus grand respect de la présomption d’innocence, le recours aux peines alternatives (préconisées par le rapport Warsmann) seraient des moyens autrement plus efficaces de réduire la population carcérale, avec l’avantage considérable de ne pas désocialiser les personnes concernées, leur évitant ainsi de devoir fournir des efforts, quasi surhumains parfois, pour remonter à la surface à leur sortie. Ce n’est pas l’intérêt des personnes mises en cause par la justice que de cumuler les handicaps pour se réinsérer, ce faisant, ce n’est pas non plus l’intérêt de la société et des citoyens que nous sommes. Ce sujet difficile qui porte aussi bien sur la question pénitentiaire que sur le fonctionnement de la justice doit être abordé avec le souci de l’intérêt général et une vision à long terme, en faisant preuve à la fois d’intelligence, d’imagination et d’humanité.
Philippe Frétigné
MOTION
L’assemblée générale réunie au congrès de Chartres, fin mars dernier, a adopté la motion suivante. Nous l’avons adressée en avril à bon nombre d’élus (députés et sénateurs), au garde des sceaux, au directeur de l’administration pénitentiaire, à l’AFP...
Nous comptons sur nos lecteurs pour poursuivre la diffusion de ce texte et ainsi sensibiliser le plus grand nombre, en notant qu’il s’agit désormai de 64 000 personnes pour 49 000 places !
LES VISITEURS DE PRISON, MEMBRES DE L’ANVP,
réunis en Congrès national annuel à Chartres les 26, 27 et 28 mars 2004 :
DÉNONCENT l’augmentation constante du nombre de personnes incarcérées qui atteint 7,3 % sur les 12 derniers mois, soit plus de 61 000 personnes pour 48 000 places.
DÉNONCENT la dégradation des conditions de détention qui en résulte, notamment dans les maisons d’arrêt où 3 personnes, voire plus, peuvent être confinées dans 9 m2.
DÉNONCENT l’impossibilité d’entreprendre une réinsertion sociale dans de telles conditions d’enfermement.
RÉITÈRENT leur demande de voir se développer sans tarder des peines alternatives à l’emprisonnement, suivant les recommandations du rapport Warsmann.
TROIS QUESTIONS À PHILIPPE FRÉTIGNÉ, PRÉSIDENT DE L’ANVP
Quelles sont les priorités d’action de l’ANVP vis-à -vis de ses membres ?
Que l’association, à travers ses différents niveaux, favorise les contacts et rencontres entre les visiteurs. Que ces derniers puissent accéder à davantage de formations, disposer de plus d’informations sur le monde carcéral, le droit de la peine, les questions d’insertion.
Quelles sont les priorités d’action de l’ANVP vis-à -vis du grand public ?
L’ANVP doit davantage s’adresser à l’opinion pour témoigner des réalités que nous constatons : la situation de la population carcérale, les problèmes liés à l’incarcération, la faiblesse des moyens alloués à l’insertion, les difficultés rencontrées par les personnes à leur sortie.
Quelles sont les priorités d’action de l’ANVP vis-à -vis de l’administration pénitentiaire ?
Nous devons relayer les problèmes liés à la visite : l’inertie face au recrutement de nouveaux visiteurs ; les longueurs des procédures d’agrément ; le nombre insuffisant de parloirs avocats-visiteurs ; les attentes avant les rencontres des personnes détenues ou le fait qu’elles ne soient pas prévenues ; la non tenue régulière des réunions trimestrielles avec les SPIP.
Philippe Frétigné
AILLEURS DANS LE MONDE
Nous nous alarmons de l’augmentation continue du nombre de personnes détenues dans les prisons françaises. Nous sommes amenés à constater que le chemin emprunté par la France mène peut-être à celui déjà suivi par les États-Unis. La situation ne permet pas de céder à l’optimisme ! Le système judiciaire et politique français, soutenu par l’opinion publique, semble en effet s’engager dans une situation semblable à celle des États Unis, au risque de faire de l’emprisonnement, la seule réponse possible au non respect de la loi.
Un Américain sur 140 était en prison en juin 2003 aux États-Unis, où la population carcérale a encore progressé pour atteindre 2,1 millions de détenus, a annoncé jeudi 27 mai le département (ministère) de la Justice.
Les établissements pénitentiaires américains accueillaient 2.078.570 détenus au 30 juin 2003, soit 2,9% de plus qu’un an auparavant. Cette hausse est la plus forte en quatre ans.
Au total, "une personne résidant aux États-Unis sur 140 était incarcérée" à cette date, a précisé le bureau des statistiques du ministère. Ce chiffre est bien plus élevé pour les hommes (un sur 75) puisque seules 100 102 femmes étaient détenues dans les établissements fédéraux et d’État. Les prisons ont continué à se remplir alors que les délits reculaient aux États-
Unis. Mais l’étude met cette augmentation sur le compte du durcissement des politiques pénales durant les années 80 et 90, notamment vis à vis des récidivistes.
Baisse de la criminalité
"Le taux de criminalité a baissé depuis 1991 mais, durant cette période, celui d’incarcération a augmenté de 49%", a commenté le Sentencing Project, un institut qui prône une réforme de la politique pénitentiaire. Il précise que les Etats-Unis occupent, dans ce domaine, le premier rang mondial, devant la Russie, en deuxième position, et très loin devant les autres pays occidentaux.
Selon le ministère, le nombre de détenus âgés de moins de 18 ans a légèrement reculé tandis que celui des prisonniers de nationalité étrangère s’est accru de 2,3% sur un an, à 90 700.
68% des détenus étaient membres "des groupes de minorité raciale ou ethnique", selon le ministère. Chez les Américains noirs, 12% des hommes d’une vingtaine d’années séjournaient derrière les barreaux. En raison de l’augmentation de la population carcérale, les établissements pénitentiaires
fédéraux opéraient à 33% audessus de leurs capacités à la fin 2002 (source, Nouvelobs, juin 2004).
BIBLIOGRAPHIE
Le sens de la peine,
de Nicolas Frize, préface de Madeleine Rebérioux. Lignes Manifeste - Éditions Léo Scheer.
Responsable du groupe de travail "prisons" de la Ligue des droits de l’homme, Nicolas Frize livre ici une analyse engagée de la situation carcérale, de ses motivations et de ses acteurs divers.
Les politiques répressives et régressives des gouvernements successifs, dont l’actuelle est culminante, génèrent des dysfonctionnements graves : engorgement des prisons, hausse du nombre de suicides, accroissement des violences, raréfaction des conditionnelles, durcissement des conditions de détention (transferts de détenus au mépris des situations familiales et des actions de formation engagées, violation du secret médical, isolement abusifs, etc.)
Alors que l’emprisonnement semble devenir l’unique levier de la régulation sociale des violences, peu s’indignent de la légèreté avec laquelle les peines sont prononcées, parfois sous haute pression médiatique ; mais surtout, nul ne semble se soucier du sens que la peine véhicule - ou devrait véhiculer. Nicolas Frize fait partie de ceux-là , qui reprend à son point de départ la question de l’utilité même des prisons : s’agit-il d’enfermer toujours plus, toujours plus longtemps ? S’agit-il de briser définitivement la vie des condamnés, qui, même une fois remis en liberté, portent le poids de leur passage en prison comme une autre "double peine" ?
En se débarrassant des délinquants à travers des incarcérations aux durées et contenus aveugles, la société ne cherche t-elle pas à se débarrasser avant toute chose d’elle-même, de ses impuissances à interpréter les signes des transgressions et inégalités, à fuir les questions sociales, économiques, psychiatriques, sexuelles et idéologiques qui se posent à elle ?
Une part du ciel (DVD)
de Bénédicte Lienard - Un Certain Regard, Festival de Cannes 2002. Durée film : 83 mn
Ce film à été projeté par l’ANVP à l’occasion des Journées nationales prison en 2003
"Une Part du Ciel" raconte la résistance de femmes détenues et d’un groupe d’ouvrières en usine. En prison, Joanna s’obstine à interroger le pouvoir qui l’enserre.
Assujettie à la chaîne de production, Claudine est rattrapée par le passé qui la lie à Joanna.
L’avocat de Joanna lui demande de témoigner sur ce qui a poussé son amie à la violence : accepter de témoigner serait dénoncer l’appareil syndical qui semble encore la protéger.
"Ce film présente bien la solitude et l’angoisse qu’engendre la prison. La seule chance de s’en sortir repose sur une certaine solidarité à l’intérieur des murs et sur les relations humaines qui perdurent à travers des manifestations d’amitié venues de l’extérieur."
Le Bonus (90 mn) : Le documentaire : Têtes aux murs, témoignage de la vie de quatre adolescents temporairement placés en centres éducatifs fermés. Pendant plus de deux ans (entre 1995 et 1997), Bénédicte Liénard a accompagné, écouté surtout et filmé ces quatre mineurs sous tutelle judiciaire. Lorsque la réalisatrice commence son film, ils sont à la veille de leurs dix-huit ans, âge fatidique qui leur ouvrira les portes d’une certaine liberté qu’ils auront dû apprendre à gérer pendant leur séjour à Fraipont, Braîne-le-Château ou Saint-Servais.
Lire aussi les autres dossiers de ce journal :
• Rapport moral 2003
• Rapport financier 2003
• Annexe
• Compte rendu des assemblées générales
• Liste des administrateurs