Des mots pour des maux.
La taule, malvenue en enfer. Après être passé par la cellule « arrivant », je suis dans une cellule définitive. Nous sommes trois. Un des mecs est en taule depuis un an. Le type fume, mange et fait sa vie sans même me proposer quoi que ce soit. Le soir, le repas était tellement dégueulasse que je n’ai pris que le kiwi. Mon co-détenu, lui, se fait une gamelle pour cinq et ne me propose même pas une assiette. Pareil pour les clopes et le café.
Comme j’ai été incarcéré sans argent, c’est la galère, l’enfer et la misère. Il fait chaud, j’essaie de boire le maximum, mais l’eau du robinet est imbuvable. Elle a un goût de brûlé ou un truc de ce genre.
Mon quotidien n’est pas terrible. Dans le bâtiment, tous les autres détenus savent, par la presse, pourquoi je suis là (en prison, on rejette les mecs tombés pour agressions sexuelles), du coup je ne suis pas descendu en promenade de tout le week-end. Je n’ai pas envie d’avoir des ennuis. Quand un jour, j’ai failli devoir me battre pour me défendre, j’ai prévenu le chef du bâtiment. Il m’a répondu de faire une lettre pour aller en cellule seul. Je sais qu’il va falloir que je fasse attention. Je suis capable de me défendre contre un mec, mais si on s’y met à plusieurs, je ne fais pas le poids.
Le lendemain, j’ai revu le chef du bâtiment en lui disant qu’il serait mieux de me mettre en cellule seul, mais il n’a pas voulu. Il m’a seulement descendu de deux étages. Autant dire que cela ne servait strictement à rien. J’ai encore des petits coups de pressions de certains détenus de l’étage où j’étais avant, mais cela se limite à me dire de ne pas leur adresser la parole.
Je reçois du courrier d’une amie, Charlotte. Chaque jour, sa lettre m’apporte un courage énorme. Il m’arrive souvent dans la journée de me dire que tout est fini pour moi, que j’ai tout perdu. Et il arrive 17h00, le moment de la distribution du courrier. Sa lettre me parvient et, à chaque fois, je me sens mieux et tellement moins seul. C’est si difficile pour moi ici vis-à-vis des autres détenus. On me fait savoir qu’on va me faire la peau ou me couper la gorge. Je stresse en permanence. Je me force à descendre en promenade, mais je ne me sens pas tranquille. J’ai, une nouvelle fois, prévenu le chef du bâtiment, qui m’a répondu cette fois « qu’il fallait que j’assume ». Quoi faire ? Assumer en me faisant casser la tête comme on m’a répondu ? Je n’ai pas trop l’habitude de me laisser faire, alors comment réagir ? Et je n’ai pas envie d’avoir plus d’ennuis que j’en ai déjà.
A Espoir Goutte d’Or (EGO), à mon travail, ils se sont désolidarisés de moi car mon affaire, médiatisée, les a mis dans une position difficile. Ils m’ont laissé tombé, je crois bien. Facile d’imaginer à quel point cela m’affecte. J’ai travaillé pendant 10 ans avec eux. Ce sont mes collègues, certains mes amis. C’est idiot, mais je ne comprends pas pourquoi ils ne m’écrivent pas personnellement. Je pense qu’ils se sont sentis trahi.
Les lettres de Charlotte me sont d’un grand secours. Si je pouvais même lui écrire le dimanche, je le ferai. La Poste ferait-elle un acte de solidarité pour nous ? Petite plaisanterie, j’essaie. Pas facile, mais j’essaie.
Avec mon premier mandat, j’ai pu enfin cantiner [1] un peu. Je me suis acheté surtout des choses pratiques : tabac, papier à lettre, enveloppes, et produits de toilettes. Pour le linge, Charlotte, qui a eu un permis de visite par le juge, vient me voir au parloir, accepte de me le laver chez elle. Ici, on peut faire laver un filet de 6 kg de linge par semaine. C’est 3€ environ.
J’ai aussi acheté de la confiture de fraise pour me faire des tartines quand je dois prendre mes médicaments. Je me suis pesé, je fais 71 kg alors que j’en faisais 79 avant de tomber [2]. J’ai perdu 7 kg en l’espace de 19 jours. J’essai de manger même si l’appétit me manque, mais la bouffe est vraiment trop dégueulasse. Il y a même des jours où quand on arrive à ma cellule, il ne reste pratiquement plus rien. Régulièrement, je n’ai ni entrée, ni dessert. Tu parles d’un repas complet. Deux merguez et des tomates en guise de légumes ou des « lasagnes » accompagnées d’une banane.... Normalement, il y a une entrée, un plat (viande/poisson et légumes) et un dessert. Mais le gars qui sert le repas, « l’auxiliaire », n’en a pas assez pour toutes les cellules. Et c’est comme ça un jour sur deux. Tout dépend de quel côté, il a commencé à distribuer le repas ; les jours pairs, par un côté, les jours impairs, par l’autre côté.
En ce moment, c’est l’été, on n’imagine pas la chaleur qu’il peut faire dans les cellules, un four. On a le droit d’acheter un ventilateur, mais il faut de l’argent. Ca coûte 25 €. Quand j’en aurai un peu plus, je vais en acheter un. En attendant, je me ventile avec un bout de carton. C’est intenable. En plus, comme j’évite un maximum de descendre en promenade, je ne prends l’air qu’à la fenêtre de la cellule. J’ai de la chance d’avoir le lit du haut, le troisième. Ainsi, je suis à la hauteur de la fenêtre. A la télévision, on n’arrête pas de parler de la canicule. On parle des personnes âgées, des personnes malades, mais pas un mot sur les prisons. Les cellules sont de vrais fourneaux.
Café (non, de la ricorée) au lait, pain beurré puis petite cigarette roulée. C’est ainsi que la journée commence. Dernière taffe, petite toilette au lavabo, brossage de dents et eau froide sur le visage. Pour tout dire, j’ai la flemme de faire le ménage dans la cellule. Les deux qui sont avec moi ne lavent même pas leurs assiettes et leurs couverts, alors comme je dois bientôt aller en cellule seul, cela sera mieux.
La promenade, cet après midi est en deuxième tour. C’est-à-dire à 16 heures. Une heure de promenade. J’évite de descendre le matin, mais l’après-midi, je tente l’aventure de temps en temps. Je regarde tous ceux qui me croisent, mais pas dans les yeux pour ne pas faire de provocation, mais je suis attentif à leurs gestes, leurs comportements. C’est stressant, mais j’ai tout de même besoin de marcher. Alors je prends mon peu de courage à deux mains et je descends. Quand je rentre en cellule, je souffle, je décompresse en écrivant quelques mots... Je suis en cellule avec deux mecs dont l’un est un vrai dingue. Il me fait « chier » toutes les 5 minutes pour lui écrire ses lettres. Il tient des propos sur le monde inimaginable, aucun respect des femmes, des hommes. Je viens de l’envoyer chier. Il me bien fait comprendre que sa gentillesse est liée au fait que je peux l’aider à faire ses lettres. Maintenant que je lui ai dit de se démerder tout seul, ce sont des menaces à tout va. Heureusement que je change bientôt de cellule. Il me faut être patient jusque là. Mais là, je suis à bout de nerfs. Je suis monté sur mon lit pour écrire et me calmer parce que sinon je vais prendre le tabouret pour lui foutre sur la gueule et le finir à coups de pompes.
Les week-ends en prison, tout s’arrête de vivre. Il ne se passe rien. J’ai hâte d’être au lundi pour recevoir du courrier. Ici, je me sens seul, si loin de tout. Vide de tout droit, de toute justice, de toute liberté. Ce monde est fait de fer, de grillages et de barreaux. Rien n’est fait pour nous donner une once d’humanité. Sciemment, on te conditionne pour la haine et la colère, ou la soumission. J’avais quitté tout cela. Dix ans que je n’avais pas mis les pieds dans une prison. « Je ne veux pas devenir cet homme. La prison ne m’aura pas ». J’ai humainement envie de résister, même si à chaque seconde on te rappelle ton impuissance et que tu n’as plus de que droit. Ma seule force, c’est de savoir que je ne suis pas seul. La solitude tue aussi bien qu’une balle.
Enfin, je change de cellule et de bloc. Je suis enfin seul en cellule, ça change de tout au tout. Ca tombait bien car juste avant, je m’étais fait emmerder par un mec qui me disait « de ne plus descendre en promenade ».
Nouveau bâtiment, novelle cellule. En promenade, j’ai pu enfin marcher tranquillement. Jusque là personne ne me connaît. On m’a observé, normal je viens d’arriver. Je crois que je vais adopter l’attitude du solitaire : marcher seul et ne parler à personne. Pour le moment, c’est le mieux.
Il y a eu cette journée au dépôt du Palais de Justice dans une cage d’un mètre sur deux. Un mètre sur deux ! Et on y est souvent à trois, voir même à quatre quand il y a du monde. Du vrai bétail prêt à être cuisiné par un juge quelconque. On te met au plus bas psychologiquement et humainement, après on te demande d’être clair pour répondre de tes actes.
Les deux commissions sénatoriales n’ont servi à rien d’autre de plus que de parler de l’état des prisons, sauf de te donner « ton repas » (un bout de pain, un œuf dur, une vache qui rit et un fruit) dans un sac plastique.
Départ de la cellule à 9h00, attente interminable, fouille à poil (bien humiliante) et fourgon cellulaire. 10 minutes de trajet de la Santé pour arriver au Palais. On voit la liberté, les gens à travers un bout de fenêtre. Les yeux sont pleins d’envies. Arrivé au Palais, il est 10h30. Je ne passe devant le juge qu’à 14h00. 3h00 et demi à attendre dans cette cage d’un mètre sur deux. On nous met trois dedans. C’est tellement sale que les mouches t’envahissent dès que tu y rentres. Ca pue la pisse et je passe les détails. Obligé de rester debout car tu ne peux pas t’assoire ou t’appuyer contre le mur. Ils sont bondés de mouches et de « je ne sais quoi d’autres ». Même le sandwich jambon que l’on te donne est immangeable. A peine tu ouvres le sac en plastique, les mouches te foncent dessus comme des affamées. J’exagère ? Ben je suis loin de la vérité en vrai ! Il n’y a pas de vocabulaire pour décrire un tel endroit. Une cave est encore plus propre.
Quand tu témoignes de cela dehors, les gens te traitent soit de menteur, soit d’exagérer ou même encore ils te disent « bien fait pour ta gueule ».
16h00, je suis passé devant le juge, je croyais que je puais le jambon tellement je me sentais sali par cet endroit. Retour dans la cage et nouvelle attente jusqu’à 19h00 pour rentrer à la prison. Refouille à poil (on ne sait jamais...des fois que l’on t’aurait refilé un flingue ou de la drogue.) et enfin la cellule.
Le jour de la distribution des cantines, le surveillant de l’étage me dit d’aller les chercher au magasin du rez-de-chaussée. Et j’ai tout ce que j’avais commandé, ventilateur compris. L’été est super chaud, surtout en cellule. J’ai commandé des denrées alimentaires pour améliorer les repas. Je vais enfin pouvoir prendre mes médicaments avec de vrais repas que j’aurai amélioré. Je me suis acheté aussi des produits d’entretien pour me laver et tenir la cellule propre. Elle en avait besoin. Je me suis fait piquer à quatre endroits par une araignée. Je, m’attaque au lavage de la cellule dans le moindre recoin. Comme on nous donne de l’eau de javel, je désinfecte tout.
Trois fois par semaine, on a le « droit » d’aller à la douche. L’état des douches est catastrophique. Les murs et le bac de la douche sont recouverts d’une épaisseur de crasse gluante, jamais nettoyée. Je me lave avec des tongs et, à la fin, je me passe les pieds à l’eau de javel dès que je suis de retour en cellule. Il faut voir la flotte à quel point elle est calcaire. Cela me dessèche complètement la peau. Parfois, j’en arrive à refuser la douche plutôt que de la prendre dans des conditions trop dégueulasses.
Rubrique « insalubrité ».
Dans certaines cellules, en tirant la chasse après avoir été aux toilettes, tu as une chance sur deux d’inonder ta cellule de ta propre merde. Comment expliquer ça sans être traité de menteur, comment expliquer que les rats remontent par les conduites d’évacuation des eaux des toilettes pour venir manger dans les cellules ce que tu as laissé par terre. Une nuit, j’ai été réveillé par la visite impromptue d’un rat que j’entendais grignoter. En demandant à d’autres détenus, j’ai appris que cela arrivait régulièrement. C’est un fait, tu partages aussi ta cellule avec des souris.
Petit bonus.
En 10 ans, les choses ont changé à la Santé. Je demande d’aller à la Bibliothèque. Elle est gérée par une dame âgée, bénévolement. Je suis un peu surpris de la voir car à mon époque lointaine de taulard, cela n’existait pas. On passait à ta cellule avec un chariot de livres et tu devais choisir parmi ce qu’il y avait, pas grand-chose. Là, je me retrouve dans une bibliothèque presque digne de ce nom.
Fouille à la Santé.
Une tentative d’évasion a eu lieu. Un matin, à 7h30, on nous a tous parqué en promenade, jusqu’à près de 13 heures. Quand j’ai regagné ma cellule, j’ai eu un choc. Tout était entassé sur le lit et au sol. On nous a bien fait comprendre que l’administration pénitentiaire était en colère contre nous et nous l’a fait savoir. Sinon pourquoi tout jeter au sol ? Et encore, il paraît qu’il y eu pire que moi. Cette fouille n’avait aucun sens. Pour preuve, rien n’a été découvert. J’ai passé ma journée à tout ranger, à nettoyer. On a du mal à l’imaginer de l’extérieur, mais une telle fouille fait de sacrés dégâts psychologiques.
Le temps qui passe.
Le temps te paraît tellement figé ici, en prison, que je ne m’étais presque pas rendu compte que le mois d’août était bientôt fini. Arrive les période de pluies et de froid qui sont redoutables derrière les barreaux. L’été, c’est la chaleur qui t’étouffe et en hiver c’est le froid qui veut ta peau. L’automne et l’hiver, pour une personne séropositive ou au stade SIDA, c’est risque de crève, risque d’angine, risque de bronchite. Et avec l’humidité qui règne ici, tu as peu de chance de passer au travers. L’année dernière, paraît-il qu’il n’y a pas eu de chauffage de tout l’hiver. Comme en plus, les blousons sont interdits, ta seule chance est d’avoir beaucoup de pull-overs pour résister au froid.
Violence carcérale.
Un soir, deux mecs de la même cellule se sont engueulés à cause de la télévision. L’un voulait la regarder, l’autre voulait l’éteindre. Dans la nuit, alors que celui qui voulait regarder la télévision dormait, le second lui a sauté dessus et l’a lacéré de coups de couteau à la gorge. Résultat : il a trois grandes coupures et une trentaine de points de sutures. Heureusement, les couteaux que l’on nous donne ne coupe pas bien, sinon, c’était la carotide qui était touché. L’agresseur a pris 45 jours de mitard et une nouvelle affaire en plus.
Didier