Discours de Monsieur Pascal CLEMENT,
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Proposition de loi relative au traitement de la récidive
des infractions pénales
Assemblée Nationale - Mercredi 12 octobre 2005
Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les députés.
Vous examinez aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi de loi relative au traitement de la récidive que vous avez adoptée en décembre 2004 et qui a été adoptée en février 2005 par le Sénat.
L’importance de ce texte n’échappe à personne, dans la mesure où la lutte contre la récidive, spécialement pour les crimes les plus graves, constitue une mission essentielle de l’institution judiciaire.
Nous en sommes tous ici conscients, il s’agit d’un sujet douloureux et complexe, notre objectif à tous est de protéger la société contre des criminels.
Cette question présente évidemment à mes yeux une particulière importance. Dans mes précédentes fonctions de président de votre commission des lois j’ai été à l’origine de la création de la mission d’information sur le traitement de la récidive et de l’élaboration de cette proposition de loi. J’ai la responsabilité de la suivre aujourd’hui, au nom du Gouvernement, en tant que garde des sceaux
Si vous le permettez, je voudrais examiner successivement l’état du texte qui résulte des premières lectures à l’Assemblée et au Sénat. Je souhaite rappeler les dispositions ayant fait l’objet d’un accord entre les deux chambres (I), puis les améliorations qui devront résulter, sur des points divers, de cette deuxième lecture du fait notamment des amendements de votre commission et de ceux du Gouvernement, dont la plupart ont été adoptés par votre commission en juillet dernier (II), et, enfin, les principales innovations qu’apporte cette proposition de loi en matière de surveillance des condamnés après leur libération, et notamment des dispositions concernant le placement sous surveillance électronique mobile (III).
I. Principales dispositions de la proposition de loi sur lesquelles l’Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord
Sur de nombreux points, des dispositions de nature à améliorer le traitement de la récidive ont été adoptées, en tout ou partie, en des termes conformes par les deux chambres, et il convient de s’en féliciter.
Je pense tout d’abord à l’extension des délits assimilés au regard de la récidive : traite des êtres humains et proxénétisme, violences et délits avec la circonstance aggravante de violences.
Cela signifie notamment qu’une personne condamnée pour vol avec violences qui commet ensuite des violences volontaires sera considérée comme récidiviste, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Je pense également à la limitation du nombre des sursis avec mise à l’épreuve pouvant être accordés à un récidiviste.
Ainsi, un récidiviste ayant déjà bénéficié d’un sursis avec mise à l’épreuve ne pourra à nouveau bénéficier de cette mesure qu’une seule fois. S’il s’agit de faits de violences, il ne pourra pas avoir droit à nouveau au SME.
Je me félicite aussi de la possibilité donnée au tribunal de relever d’office l’état de récidive, à condition que le prévenu puisse, en présence de son avocat, s’expliquer sur cette circonstance aggravante. Actuellement, si le parquet n’a pas viser la récidive dans l’acte de poursuite, il est en pratique impossible d’en tenir compte lors de l’audience.
Il convient enfin de citer les diverses améliorations concernant le suivi socio-judiciaire, qui ont déjà fait l’objet d’un vote conforme.
Un accord est ainsi intervenu sur :
- la reconnaissance du rôle des psychologues,
- l’extension du suivi socio-judiciaire à d’autres infractions, comme les tortures et actes de barbarie,
- la consécration législative des traitements chimiques inhibant la libido, qui sont actuellement insuffisamment employés faute d’être expressément autorisés par la loi.
Cette deuxième lecture est toutefois l’occasion de renforcer la lutte contre la récidive en améliorant le texte sur de nombreux autres points.
II. Principales améliorations devant résulter de la deuxième lecture.
Votre commission des lois, dont il convient de souligner l’excellence du travail, notamment celui de son rapporteur Gérard Léonard et de son Président Philippe HOUILLON a, sur la proposition de ce dernier et d’autres membres de votre commission, adopté un certain nombre d’amendements qui reçoivent dans leur principe l’accord du Gouvernement. Ces amendements soit reprennent des dispositions qui figuraient dans le texte initial, soit complètent utilement celui-ci.
Je pense notamment aux amendements relatifs aux peines ou à leur prononcé, prévoyant :
- L’obligation de décerner un mandat de dépôt à l’audience pour les récidivistes violents, sauf décision motivée de la juridiction.
- La diminution du crédit de réduction de peine pour les récidivistes
- L’inscription dans le code pénal des objectifs de la peine, et notamment celui de prévenir la récidive ou la réitération, ainsi que la consécration du principe selon lequel il est tenu compte des précédentes condamnations pour apprécier la sévérité de la sanction.
- La possibilité d’augmenter la durée des emprisonnements assortis d’un sursis avec mise à l’épreuve, ainsi que de la durée de l’épreuve, lorsqu’il s’agit d’un récidiviste.
J’ai moi-même déposé plusieurs amendements, adoptés par votre Commission des lois, afin de renforcer l’efficacité et la cohérence de la lutte contre la récidive.
Il s’agit ainsi des amendements concernant :
- La prise en compte pour la récidive des condamnations étrangères prononcées dans les Etats de l’Union européenne.
- L’obligation d’une expertise tous les 6 mois des condamnés ayant bénéficié d’une suspension de peine pour raisons médicales en matière criminelle.
- L’augmentation du délai d’épreuve de la libération conditionnelle pour les récidivistes condamnés à 30 ans de réclusion criminelle ou à la réclusion à perpétuité.
- La possibilité pour l’avocat de la partie civile d’intervenir devant le tribunal de l’application des peines, notamment en cas de demande de libération conditionnelle.
- L’extension des dispositions relative au fichier des auteurs d’infractions sexuelles aux auteurs de tortures, ou aux auteurs de meurtre ou assassinat commis en récidive ; cette extension devant renforcer l’efficacité de ce fichier, qui fonctionne depuis le mois de juin dernier.
- La consécration législative des fichiers d’analyse criminelle utilisés par la police judiciaire pour identifier les criminels en série.
Je reviendrai bien sûr de façon détaillée sur ces différents amendements lors de leur examen. J’en viens maintenant aux dispositions les plus novatrices de la proposition de loi.
III. Dispositions concernant le placement sous surveillance électronique mobile et la surveillance des condamnés après leur libération.
Le placement sous surveillance électronique permettra de localiser un condamné à sa sortie de prison.
A la différence du bracelet électronique actuel, le bracelet électronique mobile n’interdira pas au condamné de se déplacer. Mais il alertera les autorités si la personne se rend dans un endroit qui lui est interdit, et, si un crime est commis quelque part, il permettra de savoir si la personne se trouvait sur les lieux.
C’est donc dans son principe un instrument de lutte contre la récidive, dont l’efficacité a été soulignée par les différents experts que la Commission des Lois a pu rencontrer.
Vous savez que certaines dispositions adoptées par l’Assemblée nationale en première lecture, n’ont pas été retenues par le Sénat. Il n’a accepté le bracelet électronique mobile que comme une modalité de la libération conditionnelle.
Mon prédécesseur Dominique Perben avait confié à Monsieur Georges Fenech une mission de réflexion sur cette question délicate.
Les conclusions de son rapport, très riche et très complet, et dont je veux ici souligner la grande qualité, ont en partie inspiré votre rapporteur et votre commission.
Il est désormais proposé que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une mesure de sûreté prononçable dans le cadre d’un suivi socio judiciaire. Cette solution me paraît tout à fait pertinente et doit être approuvée, de même que les modalités pratiques d’octroi ou de mise en œuvre du bracelet électronique mobile.
En particulier, la mesure de placement sous surveillance électronique ne pourra être ordonnée que si la personne a été condamnée à au moins cinq ans d’emprisonnement et si sa dangerosité a été constatée par une expertise.
De même, la surveillance électronique ne pourra durer que trois ans en matière délictuelle, et cinq ans matière criminelle, renouvelable une fois, la durée et le renouvellement de la mesure étant décidés par le juge de l’application des peines, après expertise et avis d’une commission pluridisciplinaire.
Enfin, le placement sous surveillance électronique mobile pourra également être ordonné dans le cadre d’une libération conditionnelle, comme le prévoyait le Sénat.
La proposition la plus importante de votre commission étant l’inscription de la surveillance électronique mobile dans le cadre du suivi socio-judiciaire, il me semble ici nécessaire de revenir sur cette mesure.
Celle-ci constitue actuellement un des outils juridiques les plus adaptés pour lutter contre la récidive en matière d’infractions sexuelles ou d’infractions qui supposent que leurs auteurs présentent des troubles de la personnalité susceptibles de faire l’objet d’un traitement médical. C’est d’ailleurs pour cela que je propose d’étendre le suivi socio-judiciaire aux auteurs d’incendies volontaires.
J’en profite pour rendre hommage à mes deux prédécesseurs qui sont à l’origine de cette mesure, Jacques Toubon, qui avait déposé en 1997 un projet de loi instituant l’ancêtre de cette mesure, le suivi médico-social, et Elisabeth Guigou, qui a repris, précisé et mené à bien cette réforme dans sa loi du 17 juin 1998.
Vous savez toutefois que depuis sa création, le suivi socio-judiciaire se heurte à des difficultés d’application.
C’est pourquoi la proposition de loi permet aux médecins coordinateurs de désigner des psychologues, et non plus seulement des psychiatres, pour suivre les condamnés.
C’est également la raison pour laquelle un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis en place depuis 18 mois au ministère de la justice. Après avoir procédé à une évaluation de la situation, ce groupe est en train d’achever un guide méthodologique qui sera diffusé au début de l’année 2006 afin de servir de support à la formation, au niveau régional, de l’ensemble des acteurs du dispositif, magistrats, médecins, fonctionnaires de l’administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.
J’ai par ailleurs saisi le 28 septembre dernier mon collègue Xavier BERTRAND pour lui demander de renforcer le nombre de médecins coordonnateurs en revalorisant les indemnités qui leur sont dues et en augmentant de 15 à 30 le nombre de dossiers qu’ils sont habilités à suivre.
L’amélioration des conditions de mise en œuvre du suivi socio-judiciaire qui résultera ainsi de l’action du Gouvernement renforcera la cohérence des modifications législatives opérées par la présente proposition de loi.
J’en viens maintenant à la nouvelle mesure que je souhaite proposer dans le cadre de ce texte, la surveillance judiciaire.
Je crois qu’il existe un consensus sur l’objectif à atteindre : il est nécessaire de permettre un contrôle, après leur libération, des personnes condamnées pour des crimes particulièrement atroces et qui présentent toujours un fort risque de récidive. Or la libération conditionnelle est par nature inenvisageable en l’espèce et le suivi socio-judiciaire n’a souvent pas été prononcé, notamment lorsque les faits ont été commis avant 1998.
Ce contrôle après la sortie de prison doit, le cas échéant, pouvoir consister en un placement sous surveillance électronique mobile, mais également comporter d’autres obligations, comme celles de suivre un traitement médical ou de ne pas fréquenter certains lieux.
Ce contrôle doit pouvoir s’appliquer à des personnes condamnées avant l’entrée en vigueur de la proposition de loi, dans la mesure où il respecte les exigences constitutionnelles.
Pour atteindre cet objectif, votre commission des lois a proposé en juillet dernier une solution similaire à ce qui avait été adopté en première lecture par l’Assemblée nationale.
Cette solution donne au juge de l’application des peines la possibilité de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique des personnes condamnées pour des faits commis avant la nouvelle loi. Cette proposition n’était valable, constitutionnellement, que parce qu’il s’agissait d’une mesure de sûreté, et non d’une peine, comme l’ont reconnu d’éminents juristes.
Mais soucieux de lever tout doute constitutionnel, j’ai voulu présenter un dispositif plus complet qui insère le bracelet électronique dans une mesure globale de surveillance judiciaire.
Je propose ainsi de créer une nouvelle modalité d’application d’une peine déjà prononcée, permettant de surveiller un condamné à sa sortie de prison et pour une durée égale aux réductions de peine dont il aura bénéficié.
Le juge de l’application des peines pourra, exprès expertise médicale et aux seules fins de prévenir la récidive, ordonner le placement sous surveillance judiciaire d’une personne condamnée à dix ans ou plus d’emprisonnement qui s’apprête à sortir de prison.
Cette mesure de surveillance ne pourra être ordonnée que pour une durée égale aux réductions de peines dont le condamné aura bénéficié. Outre le bracelet électronique, les obligations imposées aux condamnées pourront consister en l’obligation de se soigner ou l’interdiction de fréquenter certains lieux.
En cas de non respect de ces obligations, le juge pourra ordonner le retrait des réductions de peine, ce qui conduira à l’incarcération de la personne suivie.
Il est alors clairement constitutionnel de prévoir l’application immédiate du placement sous surveillance judiciaire aux condamnations en cours d’exécution, dans la mesure où il ne s’agit pas d’une peine, mais d’une modalité d’application d’une peine, et parce que les obligations imposées au condamné ne présenteront pas un caractère de sanction, mais sont uniquement destinées à prévenir la récidive. Le placement sous surveillance électronique mobile n’excédant la durée initiale de la condamnation, il ne pourra donc pas être assimilé à une peine supplémentaire.
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Comme vous le voyez, cette deuxième lecture sera l’occasion d’approfondir un débat particulièrement riche, qui met en évidence l’utilité de la complémentarité des initiatives parlementaires et gouvernementales pour régler des questions de société dont l’importance est considérable.
Certes, la loi, aussi perfectionnée qu’elle puisse être, et les acteurs de l’institution judiciaire, aussi motivés et compétents qu’ils soient, ne pourront jamais empêcher toute récidive.
Mais il est de notre responsabilité de faire le maximum, dans les limites d’un Etat de droit soucieux de respecter la dignité de la personne et les libertés individuelles, pour réduire autant que possible ce risque de récidive, spécialement lorsqu’il s’agit de crimes causant des dommages irréparables.
Nous devons cela aux justiciables, nous devons cela aux victimes, dont la défense des intérêts doit rester un des soucis constant du législateur et du Gouvernement.
Cela suppose que la justice fasse preuve à l’égard des récidivistes de la fermeté nécessaire, et qu’à l’égard des primo-délinquants - comme de ceux qui ont déjà récidivé - elle mette en place, dès lors qu’un risque de récidive est avéré, les mesures de surveillance et de contrôle appropriées après la libération des personnes, en utilisant pleinement les progrès de la science, tant au plan médical qu’au plan technique.
C’est très précisément ce qu’a fait la loi du 17 juin 1998 avec le suivi socio-judiciaire et l’injonction de soin.
C’est très précisément ce que poursuit la présente proposition de loi, avec notamment le placement sous surveillance électronique mobile, et, comme je le propose maintenant, le placement sous surveillance judiciaire.
Je vous demande donc, avec conviction et fermeté, d’adopter ce texte avec les amendements de votre commission des lois et ceux déposés par le Gouvernement.