Etre malade en prison, être séropositif au VIH [1] et au VHC [2].
J’avais découvert ma séropositivité en prison en 1987, mais c’est la première fois que je vis ma maladie avec quadrithérapie derrière les barreaux. C’est l’enfer. Dehors, j’avais déjà des neuropathies, mais même si parfois j’avais mal aux muscles, je ne ressentais pas les crampes et les douleurs grâce à une activité professionnelle et sportive. Ici, c’est continuellement et quotidiennement. J’ai vu le médecin de garde au moment de mon incarcération et depuis plus rien. Aucune analyse sanguine pour connaître ma situation virologique. J’ai prévenu que je faisais souvent (enfin pas trop tout de même, mais régulièrement) des crises d’hypoglycémie, je n’ai aucune nouvelle.
Le traitement VIH que je prends devrait être mis au frais, pourtant malgré la chaleur de l’été, on me les donne pour 7 jours. Tout est fait pour que je balance tout à la poubelle parce qu’en plus j’ai le moral à zéro.
La santé, ça peut aller. Sauf l’alimentation, c’est vraiment immangeable. Pour compenser, je mange beaucoup de pain avec ce que je peux. Je n’arrête pas de vomir et d’avoir des crampes dans les mains et maintenant, dans les pieds et les jambes.
Si j’ai découvert ma séropositivité en prison en 1987 et pris mon premier traitement à l’Azt, DDI et/ou DDC en 1991, ici à la Santé, c’est la première fois que je vis ma maladie en phase SIDA avec une quadrithérapie. Difficile de croire qu’un traitement puisse être efficace dans les conditions de détention aussi insalubre qu’à la Santé.
En arrivant, j’ai été placé d’une cellule de trois, j’ai donc été obligé de me cacher des autres détenus pour prendre mes médicaments, le matin et le soir. Je m’invente donc une maladie. Je suis diabétique avec un problème rénal. De plus, je n’ai rien à manger, ce qui est indispensable pour limiter les effets secondaires (surtout les nausées et les brûlures d’estomac). Pour les douleurs musculaires, je me masse, mais ce n’est pas évident. J’essaie de boire au maximum, mais l’eau du robinet est dégueulasse et tellement calcaire. Et je suis gentil. Elle a un goût de brûlé ou un truc de ce genre.
Les associations pour les personnes touchées par le VIH sont totalement absentes en prison. Les visiteurs de AIDES ne viennent plus comme entre 1991 et 1995. Et pourtant, elle en aurait des choses à faire. Surtout pour la prévention. Les détenus se prêtent leur coupe-ongles, se liment les ongles avec la même lime. Je dois me protéger et prévenir tout risque pour les autres tout en gardant le secret absolu. Je dois prendre mes médicaments sans éveiller les soupçons de mes co-détenus et en même temps cacher ma brosse à dents, mon coupe-ongles et mes rasoirs, sources possibles de contamination.
Le jour de la douche, j’en profite pour me raser et par précaution, je jette mon rasoir, en prenant soin de le casser, à la poubelle. Je me cache pour me servir de mon coupe-ongles car je crains qu’on me l’empreinte. Refuser de prêter un coupe-ongles n’est pas acceptable en prison face à l’indigence qui rend la solidarité entre co-détenus obligatoire. Tout simplement, je n’ai pas envie de contaminer quelqu’un, ni de me sur contaminer ou de m’infecter avec je ne sais quel microbe. Je n’ai qu’une vingtaine de CD4.
Si je le pouvais, je ferai des campagnes d’affichage, des ateliers pour prévenir les risques du VIH et du VHC. Mais comment faire ? A qui demander ? Et avec quels moyens ? C’est insupportable de rester à rien faire quand on sait qu’une seule personne, sans le savoir d’ailleurs, peut en contaminer des dizaines d’autres.
J’ai enfin vu « mon » médecin. Que j’explique le « mon ». Je suis suivi à l’hôpital Cochin depuis 1995 et par le même docteur depuis au moins 8 ans. C’est justement l’hôpital Cochin qui est rattaché à la prison de la Santé pour les questions médicales et mon médecin personnel y fait deux permanences par semaine. Je l’ai donc vu et c’est maintenant lui qui va me suivre ici aussi. Je peux dire que j’ai une opportunité et une chance incroyable.
J’ai tant de chose à dire que j’ai peur d’oublier avec la mémoire, quelque peu en carafe, que j’ai. Je descends de mon lit pour prendre un verre d’eau, quand j’arrive au lavabo, je ne sais plus ce que je venais y faire. Enfin ! Ca se paie la quarantaine, la maladie et tout le reste.
Avec mon premier mandat, j’ai acheté de la confiture de fraise pour me faire des tartines et faciliter la prise de mes médicaments. Je vais demander si mon médecin peut me donner du Renutryl, un complément alimentaire. Je me suis pesé, je fais 71 kg alors que j’en faisais 79 avant de tomber. J’ai perdu 7 kg en l’espace de 19 jours. J’essaye de manger même si l’appétit me manque, mais l’alimentation est vraiment trop immangeable. Il y a même des jours où lorsqu’on arrive à la cellule que j’occupe, il ne reste pratiquement plus rien à manger. Régulièrement, je n’ai ni entrée, ni dessert. Tu parles d’un repas complet. Deux merguez et des tomates en guise de légumes ou des « lasagnes » (qui n’a de lasagne que le nom) accompagnées d’une banane... Normalement dans un repas équilibré, il y a entrée, plat (viande/poisson et légumes), dessert. Mais le gars qui sert le repas, « l’auxiliaire », n’en a pas assez pour toutes les cellules. Et c’est comme ça un jour sur deux. Parce que l’on commence la distribution du repas les jours pairs par un côté, les jours impairs par l’autre.
A 17h30, en prison, la journée est finie. Reste à affronter la soirée et la nuit. C’est au moment où je veux me coucher et dormir que je rencontre mes démons. Mon horloge biologique est restée sur l’horaire d’un homme libre.
Heureusement, je vois un psychologue chaque semaine pour en parler. Et puis, il y a cette maladie silencieuse que l’on appelle le SIDA et qui me ronge les CD4 et la santé en silence, sournoisement, en tueur impitoyable.
Les médicaments, je les prends, mais à des heures régulières, cela reste compliqué. Il faudrait que les repas soient distribués à des heures de repas et non pas en fonction des horaires administratifs. Le café est servi à 7h15-7h30, le déjeuner à 11h45 et le dîner à 17h45. Qui mange à ces heures ? Personne. Et comme ma situation pour le moment ne me permet pas de manger plus tard, je me contente de prendre mes médicaments avec du pain et de la confiture. Manger permet d’éviter les nausées et les diarrhées. Sinon c’est l’enfer dans toute sa splendeur.
Depuis mon incarcération, c’est une vraie galère : fatigue, fourmillements, crampes, nausées, diarrhées, manque d’appétit sont devenus mon quotidien. Pour dormir, je prends un somnifère. Si je me mets à prendre un médicament pour ceci ou pour cela, en plus de ma quadrithérapie, je vais m’avaler des cachets toute la journée. J’ai encore perdu 2 kg, soit 9 kg en 30 jours.
A propos de nutrition, on devrait absorber au total 1800 à 2000 calories par jour, 10% en plus pour les personnes séropositives aux VIH et VHC. Ici, les repas sont extrêmement légers.
Un exemple : pour dîner, aucune entrée pour commencer, des salsifis à l’eau, une petite part de poisson et un kiwi. A midi, une tomate coupée en quatre, des pâtes mélangées à du blanc de poulet coupé en cube (je n’ai eu que trois cubes) et une portion de fromage gruyère. J’ai du mal à croire que les 2200 calories soient là !
Et puis, il faut que je raconte ma visite chez le dermatologue pour un gros bouton que j’ai au doigt de la main droite. Il pratique une biopsie, car elle soupçonne un Kaposi. Plus tard, les résultats disent que c’est en fait « la maladie de Bowen » une autre sorte de cancer de la peau (je l’apprendrai plusieurs semaines après grâce à une amie qui a fait des recherches pour moi). Lors de la consultation, il m’a brûlé des débuts de verrues à la bouche. Je ne sais pas où j’ai chopé cela.
J’ai aussi été extrait à l’hôpital Cochin pour faire un scanner. Une escorte de surveillants de prison est venue me chercher. Je suis arrivé à l’hôpital les bras menottés dans le dos et les pieds entravés. J’ai du passé devant tout le monde comme ça. Humiliant. Pour le scanner, on devait m’injecter un produit. Comme je n’ai plus de veine, cela a été une vraie galère. J’ai les bras et les mains pleines de bleus. On m’a retiré les menottes aux poignets mais pas les entraves aux pieds, même pour le scanner. Cela m’a rappelé cette femme prisonnière qui a dû accoucher attachée à la table de travail. J’ai fait remarqué que cela craignait un peu comme procédé, mais on m’a tout simplement pas répondu. Je voyais le médecin à qui cette situation ne plaisait pas trop, mais ça n’a rien changé. Pendant le scanner, l’injection se faisait petit à petit et me faisait un mal de chien. J’ai eu un moment de panique, mais comme on m’avait dit qu’il ne fallait pas bougé la tête, j’ai encaissé. Seulement, au moment de me lever, j’étais paralysé. J’avais peur de tomber dans les pommes. Puis soudain, je me suis mis à avoir mal à la tête. Un médecin est venu à mon aide et me rassurer. Je suis, là, vraiment en colère. Même mort, on serait capable de t’attacher, des fois que le cadavre aurait envie de se mettre en cavale. Et puis, on m’a ramené à la prison. Mais entre la visite chez le dermatologue que j’avais vu le matin et l’hôpital l’après-midi, j’ai mal partout. Je ne peux même pas manger tellement j’ai les lèvres en feu à cause des verrues que l’on m’a brûlé à l’azote et j’ai envie de gerber. Et la biopsie à la main me fait un mal de chien.
Chaque jour, on me change le pansement à la main. J’en ai profité pour me peser et j’ai encore perdu 2 kg cette semaine. Pourtant j’essaye de manger au maximum.
Le jour de la livraison de mes premières cantines arrive enfin. Le surveillant de l’étage m’envoie les chercher au magasin du rez-de-chaussée. J’ai commandé des denrées alimentaires pour améliorer les repas et prendre mes médicaments dans de meilleures conditions.
Quelques jours plus tard, je vois mon médecin qui me dit que les résultats du scanner n’ont rien révélé, mais en ce qui concernait les résultats sanguins, ce n’était pas bon du tout. Il faut que je change de traitement. Je suis résistant à presque tous les médicaments anti-VIH, alors ça devient un casse tête pour mon médecin de trouver une combinaison de molécules qui soit efficace. Dire que dehors, de mon SIDA, « je ne m’en faisais vraiment pas une maladie ». En prison, c’est vraiment problématique. Je subis tous les effets secondaires que j’arrivais à palier dehors... Enfin, il ne faut pas baisser les bras. Mais sincèrement, il y a des jours où je me dis « à quoi bon se bourrer le mou sur une espérance de vie plus longue » ? Quel prix dois-je payer pour gagner quelques années ? Je dois avouer que j’appréhende de devoir prendre un nouveau traitement. Je connais trop bien les difficultés que tu rencontres quand tu en débutes un nouveau. Et là, je suis en prison. Ca me fait flipper parce que les effets secondaires peuvent être parfois très violents et très durs à vivre. Quand tu as des vomissements avec des crises d’étouffements, c’est la panique qui t’envahit. Et ici, je ne peux rien faire pour lutter contre les effets secondaires. En ce moment, je déguste au niveau des jambes. Surtout le soir. Je me fais des parties de jambes en l’air (non pas celle là) en me mettant les jambes contre le mur. Ca fait redescendre le sang, donc la pression est moins forte. Je donnerai n’importe quoi pour avoir droit à un massage des fois.
Depuis quelques temps, j’ai de plus en plus souvent des maux de tête. J’en fais part à l’infirmière qui me dépose en cellule chaque semaine mes médicaments. Elle m’a posé quelques questions et m’a inscrit pour l’ophtalmologue. D’après elle, mes maux de tête sont dus à la fatigue de mes yeux. Le problème, c’est qu’une fois que l’on te prescrit une paire de lunettes, tu attends 3 ou 4 mois avant de les avoir. Sauf si tu les fais faire dehors. Je n’ai vraiment pas de pot avec ma santé. Je ne suis pas encore sur un brancard mais à ce rythme là, il va vraiment falloir que je fasse attention.
Le 7 août, je me suis pesé. Je n’ai pas maigri, mais je n’arrive toujours pas à reprendre du poids. Pas la peine d’expliquer pourquoi. L’ennuie en prison, c’est que tout prend du temps, les rendez-vous avec les médecins, les analyses, les résultats. Les explications ? Certains médecins ne prennent même pas le temps de vous les donner.
Un matin, en rentrant d’un parloir, je croise un gars, d’environ 35 ans, d’une maigreur incroyable, qui passait juste devant moi. Le garçon était tellement maigre, avait l’air tellement mal qu’il marchait le long des murs pour s’y tenir. Personne ne l’aidait à marcher. Et ce n’était pas du cinéma. Cela se voit quand une personne arrive au bout, n’en peut plus. Tout le monde le regardait avec ce regard de pitié, ou de pestiféré. J’avais passé la grille, je ne pouvais plus lui demander s’il voulait de l’aide. C’était une vision d’horreur. Ce gars a sa place à l’hôpital, pas en prison. Pourquoi lui fait-on subir cela ? Ce que j’ai vu là est un scandale.
A l’hôpital, les prisonnier(e)s ne sont pas toujours respecté(e)s. J’ai eu une consultation à Cochin, l’hôpital dont dépend la Santé. Menottes et entraves, je suis allé faire un examen pour ma circulation sanguine, une échographie. Je suis tombé sur un médecin qui ne m’a pas même adressé la parole une seule fois. Même pas pour me dire « bonjour ». Sa seule phrase « retirer chaussures, chaussettes et pantalons, puis allongez vous là ». Il devait sûrement être impressionné par les menottes, les entraves et les quatre gardes du corps avec gilet par balles (l’escorte de surveillants habituelle). Ou alors, pensait-il peut-être qu’à l’égard d’un détenu, les principes de politesse étaient strictement interdits ? J’ironise ! Je suis parti de l’hôpital comme je suis venu : sous le regard de tout le monde, qui se demandait quel « grand crime » j’avais bien pu commettre. Le lendemain, nouvelle extraction médicale, même escorte. Là, le médecin, après une demi heure à dévoiler mon dossier médical devant l’escorte (et le secret médical alors ?), me demande de lui présenter ma main où est située ma lésion cancéreuse. Je lui signale que je ne peux pas car je suis menotté dans le dos. Le médecin n’avait même pas remarqué que j’étais menotté et entravé. Il ne demande pas qu’on me retire les menottent et vient se placer dans mon dos pour regarder ma main. Au retour, l’escorte m’a dit qu’eux aussi avaient été choqués de l’attitude du médecin.
Ne jamais lâcher, se décourager. Je m’accroche, je me bats. Le comble pour une personne touchée par le SIDA, c’est de rester positif. Humour...
Didier