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(2005) Fouille à corps d’une mère de détenus

Mise en ligne : 15 septembre 2005

Dernière modification : 21 juillet 2007

Texte de l'article :

Chers amis, chères amies,

Je viens réactualiser avec cette lettre ce que j’ai dit sur les ondes de L’ENVOLEE vendredi dernier pour ceux qui étaient absents des deux côtés du micro en cette fin août.
Je me suis rendue le 23 juillet dernier à la prison de Luynes (Aix-en-Provence) visiter mon fils Christophe Khider transféré depuis trois semaines environ de la prison de Lyon après celles de Strasbourg et Grasse.
Avant d’entamer mon récit, je vous plante le décor sans aucun misérabilisme ni victimisation de l’histoire, ok ?
Pour commencer, j’habite Saint-Maurice, soit la région parisienne, je perçois 300 euros par mois, et c’est ici que commence la torture, morale dans un premier temps, puis physique dans un second temps, lorsque les kilomètres absorbent mon peu d’énergie et surtout celle de ma fille.
Nous sommes toutes deux malades du SIDA et invalides puisque je lui ai transmis le virus en 1981 à sa naissance ; ce qui en fait l’enfant la plus âgée née d’une contamination mère-enfant d’après les hôpitaux et les assos (Aides, Dessine-Moi Un Mouton, Act-Up etc.).
Heureusement, ma fille n’était pas présente lors de ce dernier parloir du 23 juillet qui s’est déroulé dans des conditions similaires à celles dénoncées par les télés du monde entier à propos d’Abou-Graïb, tristement célèbre. Je prends mon train gare de Lyon pour Marseille (plus de 100 euros). Je dors sur place pour être à l’heure le lendemain. Je prends le car pour Aix, ce qui me coûte avec la nuitée et les repas encore une centaine d’euros.
Je n’ai pas dormi de la nuit, trop de tensions m’habitent à l’idée de voir Christophe que je n’ai pas vu depuis trois mois pour cause de finances anorexiques.
J’en ai des accès de larmes, relayés par des rires nerveux.
Arrivée à Aix, une jeune femme envoyée par mon fils vient me chercher. Heureusement : la taule est à des kilomètres au milieu de nulle part et, je n’ai pratiquement plus un euro.
Nous arrivons un peu en avance, je prends un café dans la machine prévue à cet effet, qui me garde ma pièce, mauvais présage ?
Une fois dans la place, le cortège des familles dont je fais partie est bloqué entre la porte d’entrée et la porte d’accès au parloir, sous un soleil agressif.
Je propose à une vieille femme affublée de béquilles de s’appuyer sur moi, puis je demande alentour si l’attente est aussi longue à chaque parloir, soit environ trois quarts d’heure.
On me répond que non et, à ce moment-là, deux matons (nom des surveillants qui outrepassent leurs droits, les sadiques, les impolis) arrivent sur moi en me demandant de les suivre sous le regard interloqué des familles présentes.
Je rentre avec les deux matons par une porte qui semble conduire à des bureaux d’après ce que j’en aperçois. Deux flics m’attendent et me disent qu’ils vont procéder à la fouille de mon sac de linge, ainsi qu’à une fouille corporelle sur ma personne.
Je suis obligée de me plier à leur volonté si je veux voir mon fils. Je ne suis pourtant accusée de rien !
Je n’ai qu’un pantalon très léger, un marcel et une paire de tongs vu que dehors il fait plus de 35°, ce qui laisse deviner, vu la finesse des tissus, que je ne possède rien de dangereux. En outre, un portique détecteur de métaux est obligatoire avant tout accès au parloir.
Mais le plus grave est que mon fils a une mesure hygiaphone depuis presqu’un an, ce qui interdit tout contact physique avec moi ou quelqu’un d’autre lui rendant visite. Je ne comprends pas le but de cette fouille.
Je reste dans cette entrée où je suis arrivée et dont la surveillante ferme la porte après avoir enfilé des gants. Je me plie donc à cette horrible mise en scène, et quand je demande à la matonne de me rendre mes tongs, à cause de ce sol froid et sale, elle refuse. Tout y passe, mes oreilles, ma bouche que je dois ouvrir, mes cheveux qu’elle tripatouille avec ses gants, sous mes pieds, sous mes bras avec en prime un demi-tour à effectuer sur moi-même, toujours à poil. Je n’ai rien sur moi.
Je me sens sale et humiliée, et ma première image est celle de cette Américaine en Irak (Abou-Graïb) en train de se délecter de la nudité des détenus dont elle a la garde...
Ma deuxième image est celle de ma fille, qui aurait été terrorisée par ce genre de procédé, n’ayant jamais été confrontée à la justiço- poliço- matonnerie.
Enfin si tout cela n’est pas de la pure torture au nom du tout-sécuritaire (normal cet alibi, vu que nous, contrairement
à l’Irak, ne sommes pas en guerre) je ne vois pas comment nommer ce genre d’exactions ?
Tout cela dure un temps incroyablement long, mais je finis par arriver à la cabine du parloir, tout au bout du couloir.
Mon cœur bat la chamade, il me semble vouloir sortir de ma cage thoracique tant je suis contente de voir mon fils, à défaut de le serrer dans mes bras, sur mon cœur.
Christophe entre enfin de l’autre côté de cette énorme vitre, percée en sa partie inférieure de trois ou quatre tout petits trous.
L’émotion est à découper à la tronçonneuse.
Nous nous parlons mais nous ne nous entendons pas comme au zoo devant la cage des grands fauves...
Nous perdons la moitié ou plus de cette petite heure de parloir à nous faire répéter nos phrases.
J’ai envie de hurler, c’est trop douloureux et trop frustrant. Je lui raconte la fouille et, sans me laisser terminer il appelle le bricard (le surveillant-chef) responsable.
Christophe lui dit très calmement (trop ?) que c’est inadmissible et abusif, etc. L’autre repousse la porte, panique, en lui disant qu’ils verront ça après le parloir.
Christophe me dit de déposer une plainte, ce que j’ai fait. Mais à ce moment, celui du départ, je vois débouler de son côté les ERIS, brigade de matons, sortes de « torturator » ès-matraque. Il y en a deux sur la demi-douzaine qui ne peuvent s’empêcher de me narguer au passage, devant la vitre.
Je suis morte d’angoisse en quittant la prison, et je ne peux revoir Christophe que le surlendemain.
Les flics, quant à eux, m’ont tapé un procès-verbal avec comme seule indication, suspicion de tentative d’évasion (intox).
La jeune femme m’invite chez elle à dormir pour ces deux nuits qui me séparent de mon fils, je n’ai pas d’autre solution vu que je n’ai plus d’argent.
C’eût été trop simple qu’ils me filassent un rendez-vous le lendemain, la prison dans cet esprit étant faite pour briser...
Toujours sous un soleil écrasant, je me présente de nouveau à la prison de Luynes. Nous sommes le vendredi 25 juillet. J’ai de nouveau le cœur au bord des lèvres, l’émotion me submerge à nouveau. Deux matons viennent à nouveau me chercher, l’histoire se répète : flics, fouille.
Cette fois-ci la matonne (identique à ses pairs masculins : surveillante mauvaise, non-avenante, sournoise, méchante) qui est avec les flics attend un ordre des deux pandores.
A peine conduite au milieu des bureaux, je me retrouve de nouveau nue devant des boîtes aux lettres, avec cette horrible femme qui semble en vouloir à toutes les autres de sa vie de naze et de sa laideur intérieure qu’elle porte sur son visage.
« - Puis-je avoir mon pantalon et mes sous-vêtements que vous avez fouillés ?
- Non, ouvrez la bouche, montrez-moi vos oreilles, vos cheveux, etc. Ecartez vos doigts, enlevez vos bagues, » et le pire reste à venir, quand elle me touche pour que je lève les bras en me disant d’écarter les jambes et de tousser.
Elle cherche à m’humilier et elle y réussit avec mention.
Je bous à l’intérieur, tel le roseau je plie mais ne romps pas ! Quand nous rejoignons Derrick et son pote, déçus semble-t-il que je n’aie rien encore une fois, ils sont très désagréables.
Christophe est excédé, mais je lui dis que ce n’est pas grave. Lui me rétorque que si, ça l’est, et que comme ils n’arrivent pas à le briser psychologiquement malgré les moyens déployés ils s’en prennent à son talon d’Achille : sa famille. Courageux, non ?
Je me demande à ce moment précis comment des êtres humains peuvent faire subir à d’autres autant de méchanceté, autant de brimades et d’humiliations en tous genres.
A peine sortie de la prison que mon téléphone sonne. C’est pour mon fils Cyril qui est encore au mitard, avec encore cette rumeur persistante que la pénitentiaire veut le faire craquer ou pire le tuer semble-t-il. C’est dingue ! J’en peux plus. Déjà qu’entre début novembre et février il a fait trois mois de mitard pleins, sans un jour dehors alors que la loi prévoit 45 jours maximum dans des cas graves. La pénitentiaire en fait un peu trop à mon avis, aidée en ce sens par la justice.
L’année dernière, mon fils Cyril a été envoyé à Rouen, alors que sa femme venait d’accoucher d’un grand prématuré, une petite fille de 960 grammes.
Si ce n’est pas de la torture que cette façon de « privilégier » les liens familiaux : obliger un bébé à prendre des risques considérables pour sa santé en voyageant dans un environnement contaminant (train, bus, métro etc.). Comment cela s’appelle-t-il ?
En outre, entre novembre et février dernier, Cyril n’est pas sorti un seul jour du mitard de Rouen et, actuellement, il fait la navette entre le bâtiment D5 et le mitard.
Que se passe-t-il à Fleury qui justifie ces allers-retours ? Va-ton aller jusqu’à le tuer comme le bruit court dans d’autres prisons ainsi qu’on me l’a rapporté ?
Je suis à la torture, ma fille, sa femme et le bébé aussi. La pénitentiaire annule nos parloirs sans nous prévenir, bien sûr, ce serait trop simple et moins efficace psychologiquement !
Je dis assez ! Si personne n’intervient, demain ce seront vos sœurs, vos femmes, vos mères et toute la famille qui se verront mettre nues.
« Mais nous n’avons rien à voir avec la justice » diront certains. Faux ! L’affaire d’Outreau et ses experts ès-conneries nous rappellent que personne n’est à l’abri d’être incarcéré pour rien.
En outre, si nous ne disons rien, nous nous faisons complices d’un système de torture sophistiqué sous couvert d’une sécurité maximum. En termes de responsabilités, si un drame survient, personne ne pourra dire « je ne savais pas, jamais je n’aurais imaginé », etc.
Voilà chers amis, chères amies, le quotidien d’une famille qui a pris une peine de torture incompressible et incompréhensible.
Je vous remercie de diffuser cette lettre aux plus nombreux et je vous embrasse du fond du cœur.
Faites paraître ce qui vous paraît utile dans tout cela en y laissant un peu d’âme et rien de misérabiliste.

Fraternellement.

CATHERINE, LE 02 SEPTEMBRE 2004.
Publiée dans l’Envolée n° 12- 63, rue de Saint-Mandé 93100 Montreuil