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(2005) "Prison" ne rime pas avec "bonne nutrition"

Mise en ligne : 21 juillet 2005

Dernière modification : 18 mars 2007

Texte de l'article :

J’ai été incarcéré à la Maison d’arrêt (M.A.) de la Santé, il y a maintenant un mois et demi.

Chaque détenu, lors de sa mise sous écrou, voit un médecin dans les 24 heures. Quand je l’ai rencontré, je lui ai dit que j’étais séropositif depuis 1985, en traitement depuis 1990 sous différentes thérapies (mono, bi, tri, quadri, etc.) et qu’actuellement j’étais sous quadrithérapie. J’ai annoncé que j’avais aussi le VHC [1] et que je suivais un traitement de substitution par le Subutex 8mg depuis 1996. Il me prend la tension, rien d’anormal, il me demande de me peser, je fais 79 kgs.

Est-ce que j’ai mes médicaments ou la liste avec moi ? J’ai la chance d’avoir les deux. Même celle pour le Subutex. Je lui dis que je suis suivi à l’hôpital Cochin par le docteur Silberman depuis plusieurs années. Dans mon malheur, j’ai de la chance, mon médecin consulte à la M.A. de la Santé, car c’est l’hôpital Cochin qui y est rattaché. Donc, je dois le reconnaître, je suis suivi, médicalement, correctement.

Mais en détention, c’est tout autre chose. Quand on voit l’état de la prison, on peut se demander objectivement comment on peut y emprisonner des personnes. Une commission sénatoriale y était passé dans le cadre d’une enquête après le livre du Docteur Véronique Vasseur dénonçant les conditions de détention des détenus inhumaines, mais pas grand-chose n’a changée en ce qui concerne l’insalubrité de la prison et particulièrement des cellules.

La prison de la Santé est divisée en deux quartiers : le quartier haut comporte les blocs A, B, C et D. Les détenus y sont à au moins 3 par cellules dans à peine 9m². Récemment, il était question de libérer des chambres de bonnes de 9m² pour les étudiants et notre cher gouvernement a dit qu’il était inhumain de faire vivre une personne dans si peu d’espace. Par contre, nous les prisonniers, ça ne leur pose pas de problème d’y faire vivre 3 détenus, parfois même 4.

Il y a le quartier bas où se trouve la première, deuxième et troisième division. La première et la deuxième division s’y trouvent les détenus classiques et dans la troisième, les VIP [2]. Là, dans les divisions, les détenus sont seul en cellule, mais l’espace est vraiment très restreint. Je me suis amusé à mesurer avec une règle de 20 cm, elle fait dont en longueur 3,40m et en largeur 1,85m. Si on ôte l’espace du lit, du lavabo, et des toilettes, vous ne pouvez même pas vous déplacer dans la largeur. En longueur, vous ne faites que 3 pas et demi. Tout y est vieux, fendu ou cassé en ce qui concerne les toilettes, le lavabo et le placard. Les murs, même en été, sont si humides qu’on ne peut y coller du scotch. La seule parade, c’est de coller ses photos avec du dentifrice. C’est malin un taulard.

Mais, revenons en à la véritable raison de mon témoignage, la nutrition. Le matin, nous est donné du café (imbuvable), du lait, un sucre et un carré de beurre. Faut donc penser et / ou pouvoir se garder, la veille, un bout de pain. Il est 7h15. A 11h00, on vous donne un pain pour la journée et le dessert du repas de midi (un fruit, un yaourt ou un gâteau sec...). 11h30 / 11h 45, la portion est d’environ 80 à 90 g (je me suis aussi amusé à peser avec des morceaux de sucre comme référence), viande ou poisson (le poisson retourne souvent à sa source, c’est-à-dire dans l’eau des chiottes, tellement il est immangeable), des tomates ou de la salade verte (mais selon où vous êtes situé et par quelle cellule, l’auxiliaire (le détenu qui sert les repas) commence sa distribution, une fois sur deux, quand il arrive vers les dix dernières cellules (ce qui est mon cas), il n’y en a plus tellement les cuisines en donnent peu. Pour faire court, le dîner qui est distribué à 17h45 / 18h00, c’est pareil que le midi pour les rations, mais en plus dégueulasse. Cela doit être du à une coutume. Celle que le soir, le repas ne doit pas être trop lourd.

Je lisais dans une revue ASUD journal n°27, qui nous fallait absorber environ 2000 à 2200 calories par jour. Plus encore (10% environ) quand on était séropositif au VIH [3]. Je doute fort qu’avec ce que l’on vous donne à manger et la façon dont c’est cuisiné, qu’on arrive à peine à la moitié.
Il paraît qu’une commission sénatoriale est passée par là ? Ca a changé quoi question nutrition ? Rien.

A moins d’avoir de l’argent pour vous acheter de quoi mieux manger, il ne vous reste plus qu’à vous avaler du Rénutryl [4], si votre médecin veut bien vous en prescrire.

On n’a peut-être pas le droit d’être libre, mais on a le droit d’être traité comme des êtres humains quoi qu’on ait fait.

Didier ROBERT

Notes:

[1] VHC Virus de l’Hépatite C

[2] VIP Very Important Person

[3] VIH Virus de l’Immunodéficience Humaine

[4] Rénutryl complément alimentaire