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(2006) Actions Traitements : les dérives se multiplient...

Mise en ligne : 10 septembre 2006

Texte de l'article :

Pénalisation de la transmission du VIH : les dérives se multiplient...
lundi 1er mai 2006, par B. TESSIER

Sory, âgé de 31 ans, séropositif, a été mis en cause par son ex-femme A. qui a porté plainte pour “violences volontaires, harcèlement”, et enfin une troisième fois pour “empoisonnement”.

Interpellé sur son lieu de travail, mis en garde à vue, perquisitionné à son domicile, il est mis en examen pour “violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente”.

Placé en détention provisoire le 19 novembre 2004, il restera quatre mois en prison.

Cette situation est exemplaire car elle montre les conséquences et les limites de la pénalisation de la transmission du VIH, mais aussi pour la première fois l’utilisation de la détention provisoire dans ce contexte...

L’histoire d’un couple séropositif...

Sory, d’origine africaine, arrive en France en 2000 et travaille comme maçon avec un CDI. Deux ans plus tard, il a une relation avec une jeune femme française. En février 2004 ils font des tests sanguins dans le cadre d’une grossesse d’A. et d’examens prénuptiaux. Tous deux sont dépistés séropositifs ! Ils se marient en juin 2004 et une petite fille naît ; séronégative, elle a aujourd’hui dix-huit mois. Selon l’enquête, le dernier test montrant une séronégativité de la mère remonte à 2001, soit un an avant la rencontre avec son futur mari.

En mars 2005, le couple divorce à l’amiable, et la mère a la garde de l’enfant. Des conflits autour de cette séparation seraient à l’origine des trois plaintes successives de Mme A, qui aurait appris entre temps l’existence de Mme V, “maîtresse” de Sory dans le dossier d’inculpation, alors que celui-ci maintient que cette relation a eu lieu avant son mariage. Selon les éléments de l’enquête, Mme V. ne serait, elle, pas contaminée. Lors du séjour de Sory en prison, son ex-épouse dépose une demande de visite.

Après la plainte : une enquête “musclée” sans résultat probant.

Aucun élément de l’enquête n’a permis de déterminer lequel des deux a contaminé l’autre, puisqu’ils ont découvert ensemble leur séropositivité. Nous ne sommes donc pas dans le cas d’une transmission volontaire du VIH, ou d’une contamination consciente.

Le juge a motivé le placement en détention provisoire par le fait que l’accusé, Sory, pourrait contaminer d’autres personnes ! Pendant l’enquête, on a été jusqu’à utiliser son répertoire téléphonique pour appeler toutes les personnes de sexe féminin qu’il connaissait afin de leur expliquer les faits reprochés, et ainsi divulguer son état de santé.

À ce jour, aucune autre personne (y compris Mme V., une ancienne relation) n’a été identifiée comme contaminée...

Sory est en situation régulière en France, travaille dans une grande entreprise avec un CDI, a un domicile fixe ; il n’a jamais eu le moindre problème avec la police ni aucune condamnation. Il voit régulièrement sa fille dont la mère a la garde. Enfin ses liens avec son ex-femme ne semblent pas totalement coupés, puisqu’il déclare avoir passé la nuit avec elle la veille de son inculpation sur plainte de celle-ci...

Inculpation maintenue et détention avec une interruption du traitement.

Sory est donc mis en examen pour violences volontaires, ayant entraîné une infirmité permanente, alors qu’aucune victime n’a pu être identifiée. En particulier, il est impossible de déterminer lequel des deux époux a contaminé l’autre puisqu’ils ignoraient tous les deux leur état jusqu’à l’examen sanguin.

Des rejets successifs de ses demandes de mise en liberté lui font subir quatre mois de prison. Outre les conditions déplorables de détention, Sory, ne sachant pas lire ni écrire, n’a pu que se contenter de prévenir les gardiens de son besoin de renouvellement de traitement, sans pouvoir faire une demande écrite au service médical. Résultat : un mois et demi sans prendre ses antirétroviraux, et une nette détérioration de son bilan immuno-virologique !

Aujourd’hui, Sory est libéré sous contrôle judiciaire ; il a vu maintenir en appel le motif de sa mise en examen qu’il conteste, et cette décision est aujourd’hui l’objet d’un pourvoi en cassation.

Humainement, ce parcours d’épreuves l’a brisé. Il a en outre a perdu son travail et son logement. En encadré, vous trouverez son témoignage exprimant sa colère et sa souffrance.

Toutes les personnes séropositives sont concernées...

Cette situation est exemplaire à plus d’un titre et concerne toutes les personnes séropositives. Elle illustre également bien les craintes, partagées par tous les acteurs de prévention, d’une pénalisation de la contamination par le VIH.

Dans ce cas précis, les deux conjoints avaient appris ensemble leur séropositivité, et ils avaient dû partager ce vécu ; jusqu’au jour où la “plainte pour empoisonnement” de l’un d’eux est venue bousculer une co responsabilité de fait, sur fond de conflit conjugal...

La montée de ces procédures (il y en a d’autres en cours...), qui pénalisent des rapports entre personnes consentantes (par opposition à des rapports forcés), risque de renforcer la stigmatisation des séropositifs, et les contraindre au non-dit et à l’isolement...

On perçoit à quel point la machine judiciaire s’emballe, sans prendre en compte la complexité des situations (dans ce cas précis les ex-époux maintiennent des contacts après leur divorce, y compris la veille de l’inculpation !) avec pour motivation essentielle le désir de punir et de faire un exemple. Ainsi l’enquête policière se concentre sur le répertoire téléphonique de l’inculpé... Mais la demande de visite de l’ex-épouse (bien qu’elle ait porté plainte) à son ex-mari en prison ne semble pas une opportunité pour les juges de se questionner sur les aspects passionnels éventuels de cette relation. Au contraire, l’incarcération de Sory se prolonge.

Actions Traitements renouvelle fermement [1] son opposition à de telles dérives judiciaires et demande la levée de l’inculpation de Sory.

L’association confirme son attachement à la co-responsabilité de partenaires consentants, pour que les personnes concernées continuent de pouvoir “dire” leur séropositivité, sans crainte des discriminations et rejets qui aujourd’hui perdurent.

Source : Actions Traitements

Notes:

[1] Cf. article d’InfoTraitements n°135 d’avril 2005 “Prévention et séropositivité”