Metz, 28 août 2006
Pascale Braun
78, rue du XXème Corps américain
57 000 Metz
Michel Alick
Président du tribunal de l’application des peines
6 bis, rue du Maréchal Foch
65013 Tarbes Cedex 09
Monsieur,
Abdelhamid Hakkar m’envoie pour information le jugement portant rejet d’une requête en libération conditionnelle. Trois pages dûment argumentées, 80 lignes d’arguments bien sentis qui résonnent comme un nouveau tour de clé sur des portes fermées depuis 22 ans.
Peu vous chaut sans doute de renvoyer au désespoir un homme qui pour la première fois demandait à la justice une forme de clémence. Nul ne vous demanderait de comptes si ce désespoir venait à prendre des dimensions tragiques - du moment qu’aucun drame ne dépasse les murs d’enceinte. Peut-être prendrez-vous néanmoins le temps de lire les quelques réflexions que votre jugement m’inspire en tant que simple témoin extérieur de « l’ affaire Hakkar » depuis plus de 15 ans.
« Si le processus judiciaire, singulier, ayant abouti à la condamnation définitive de Hakkar Abdelhamid n’a pas favorisé les conditions d’une réalisation d’efforts sérieux de réadaptation durant ces 22 années d’incarcération », indiquez-vous en guise d’introduction. Singulier processus en effet, et belle ellipse qui résume à elle seule 22 années dont le droit n’est pas sorti grandi. Vous évoquez à charge les multiples incidents provoqués par un homme que la cour d’assises d’Auxerre a condamné en première instance à la réclusion à perpétuité en son absence et sans avocat. Vous citez, en les justifiant, des années d’isolement dépassant largement les durées au-delà desquelles la convention de Genève assimile ces pratiques à de la torture. Vous n’omettez pas de signaler les quatre tentatives d’évasion commises par un homme incarcéré sur la base d’un faux rédigé par l’un de vos pairs. Deux de ces tentatives ont été commises avec armes, rappelez-vous. Or, Abdelhamid Hakkar ne s’est jamais livré à aucune brutalité lorsqu’il était en situation de le faire. En revanche, au moins une de ces tentatives, à Fresnes, s’est soldée par un acharnement tortionnaire de la part des agents de l’administration pénitentiaire. Singulier parcours, en effet.
Ce parcours vous semble démontrer la persistance du caractère violent, impulsif et déterminé de la personnalité d’Abdelhamid Hakkar. Quel lavage de cerveau eût-il fallu pour qu’un tel traitement le rendît doux, réfléchi, et pourquoi pas, pusillanime ? D’un rapport d’expertise qui concluait pourtant à la possibilité d’une réadaptation sociale, vous extrayez le terme de « personnalité pathologique de nature paranoïaque ». Sans doute estimez-vous que ces pathologies supposées ne doivent rien à la prison, que vous parez même de vertus thérapeutiques puisqu’il vous semble utile de prolonger 22 ans de détention.
Sans doute avez-vous refait minutieusement l’enquête pour conclure à l’évidence de faits remontant à 22 ans et contestés en permanence au cours de trois procès d’assises. Mais cette enquête ne vous incombait pas. Vous deviez statuer, non pas sur l’innocence ou la culpabilité d’Abdelhamid Hakkar, mais sur ses efforts de réinsertion sociale - efforts que vous balayez d’un bel effet de manche.
Hébergé par sa sœur, embauché par une association de réinsertion ? Que l’on vous laisse rire ! Or, le certificat d’hébergement que vous a présenté Abdelhamid Hakkar démontre qu’il garde depuis 22 ans le soutien d’une famille fidèle et solidaire - une chance rare qu’il eût convenu de saluer et d’encourager. Enfin, quelle promesse d’embauche peut-elle sembler fiable aux yeux d’un tribunal ? Imagine-t-on qu’un employeur autre qu’une association de réinsertion puisse s’engager à recruter un homme exclu du monde du travail depuis 22 ans ?
Votre jugement étonne enfin par ce qui n’y figure pas. Le « singulier parcours » d’Abdelhamid Hakkar l’a totalement éloigné de l’univers du gangstérisme dans lequel il s’inscrivait lors de son arrestation. Le risque de récidive paraît exclu - fait si rare en la matière que vous préférez ne pas le mentionner.
L’affaire Hakkar attend depuis 22 ans une justice sereine et souveraine, tirant la conclusion de ses propres erreurs et s’abstenant d’ajouter l’acharnement à la sanction. Eludant maints scandales judiciaires et pénitentiaires, n’entrouvrant aucune porte, ne témoignant d’aucun courage, votre jugement s’écarte résolument de cette voie et s’inscrit ô combien dans la continuité d’un « singulier parcours » qui s’éternise.
Avec mes sincères salutations
Pascale Braun