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(2006) Atelier de Marionnettes (juillet-octobre)

Mise en ligne : 8 juin 2008

Texte de l'article :

30/07/2006 Maison d’Arrêt de Sequedin c’est demain

C’est demain qu’on commence notre intervention à la Maison d’arrêt de Sequedin.

Dans le Gymnase du Batiment Socio Educatif, derrière les miradors, on donnera deux représentations de "Les Aventures de Germain Lenain". a partir de là, jusque septembre, on y reviendra tous les lundis pour animer deux ateliers de manipulation....

Oui, c’est demain qu’on commence notre aventure dans la Maison d’Arrêt de Sequedin.....

31 juillet 2006 Maison d’arrêt de Sequedin, c’était aujourd’hui....

Arrivés vers dix heures à la Maison d’arrêt, nous avons commencé notre montage environ une heure plus tard... Dans l’après midi deux représentations ; la première, celle de 13h30 était destinée aux deux batiments hommes confondus.... Environ quarante spectateurs dans la salle. Représentation sérieuse et très silencieuse en terme de répondant ; seule la soufflerie hurlait sa désaprobation... Après la représentation, comme à Loos il y aquelques semaines de cela, les conversations étaient chaleureuses....

A 15 h30, deuxième représentation pour les femmes... Une vingtaine de spectatrices dans la salle. La soufflerie s’était tue grâce à la dilligence d’un surveillant. Sans lui je ne sais pas si j’aurais pu tenir le rythme... Effrénée, rigolote, grivoise, la représentation était touchante... Les conversations qui la suivirent étaient comme les précédentes chaleureuses....

Ah, le théâtre de marionnettes en prison....

Démontage et chargement dans la foulée, puis déchargement, je re (commence très tôt demain matin, trop tôt pour remettre à demain ce déchargement, je suis sur les genoux... Dorothée itou....

Je regrette de ne pas avoir après des moments comme ceux là d’autres traces de ce passage que ces mots... quelques images, quelques photos, rien que la mémoire.

Alors pour me venger du sort, je mets en ligne une photographie de "Les Aventures de Germain Lenain" extraite de la représentation du samedi 29 juillet à Wingles. C’est juste avant le baiser entre Le Sorcier de Derrière la montagne et La Sorcière Farfelue, ce " baiser ..." "le plus long de l’histoire de la marionnette" dont le reccord chaque fois constaté par le publique est chaque fois battu....

07/08/2006 Les marionnettes à Sequedin

Voilà, ça a commencé à La Maison d’Arrêt de Sequedin. Lundi dernier c’était la représentation mais là, c’est différent, les ateliers, c’est plus intime, plus de choses sont échangées avec les inscrits.

Pour commencer, je dois dire que le rapport à cet établissement est complétement différent de celui de Loos. Tout est plus éloigné, plus séparé, on se sent plus petit, je me sens observé, tout est plus électrique, caméra et coursive, grillage et écran de contrôle...

Qui, derrière l’écran impose à sa main d’ouvrir la grille derrière laquelle j’attend après avoir appuyé sur le bouton "appel" ? Qui ? Est-ce lui ? Est-ce lui ? Attendre, ne pas s’impatienter, attendre pour enfin profiter de l’échange autour de la marionnnette.

8h30 quartier femme. Problème de liste, des noms en gras, d’autres pas, finalement il y aura seulement 6 participantes à cette première séance. Sur les 8 places disponibles, c’est plutôt bien...

La séance démarre par une présentation de l’atelier, mes motivations et les objectifs que je propose au groupe d’atteindre. Ensuite vient le temps de la présentation de chacune. Morceau de vie, étrange poème qui défile, mots violents et situations absurdes. De 25 ans environ à la cinquantaine, des êtres humains exclues qui là, pendant 2h30 retrouveront une liberté de parole et de rire...

Nous avons continué la séance par quelques bases simples de manipulation. La bouche et son articulation, le phasage parole-mouvement... Nous avons fini par des improvisations, d’abord soliste puis en duo.

L’après-midi au batiment B (Les hommes), ils n’étaient que 2.... Problème de liste ? j’appelerai le SPIP dans la semaine pour vérifier que cela ne sera pas le cas la semaine prochaine... Après un temps de présentation nous avons d’abord, comme le matin, travaillé sur les bases de mouvements et après Une série d’improvisation, nous avons décidé de nourrir la reflexion sur la marionnette outil de satire sociale par la lecture de 2 textes "Polichinel Precepteur" de DURANTY et "Le bourricot" de GRIPARI...

Le théâtre de marionnette est sans moral. La séance s’est terminé sur la morale humaine et l’absence de morale de la justice humaine. S. et L. devraient à nouveau être là lundi prochain, noyau d’un groupe à construire....

Je sors de cette journée erreinté, fatigué. Cette Maison d’arrêt est très bruyante, ses souffleries de renouvellement d’air vous poursuivent partout, même à l’extérieur... J’écrirais plus tard, peut-être, sur cette nouvelle éxpérience qu’il me faut du temps pour digérer....

18/08/2006 MA Sequedin, de la solidarité à l’indifférence

Lundi 14 août, Maison d’arrêt de Sequedin... Après avoir passé 3 portes « blindées », 5 grilles et un portique de sécurité, le tout sous « l’œil » des caméras, me voilà enfin à la section femmes de la maison d’arrêt ! Oups ! la surveillante a oublié que le lundi matin, les marionnettes prenaient place... On m’invite donc à patienter le temps du retour de promenade. On m’ouvre la salle d’activité. Et puis, on part à la recherche de la liste des inscrites à l’atelier... Quelques minutes plus tard, un surveillant paraît et me demande si je connais le nom des détenues inscrites à l’activité : il ne retrouve plus sa liste ! Je lui donne ce qu’il demande et quelques longues minutes plus tard, je vois enfin arriver le groupe ! Elles sont 6, une septième souhaite s’inscrire, elle y sera autorisée à partir de la prochaine séance !? Ca y’est, nous voilà entre femmes, enfermées dans la salle d’activité ! On ouvre la séance par la lecture de Polichinelle précepteur de Duranty suivi du Bourricot de Gripari. Les rires se font entendre, elles s’amusent, chouette ! Inspirées par les textes lus, marionnettes gainées, les improvisations se suivent et se précisent... Le groupe est dynamique, motivée par cette expérience... Même si la manipulation est encore maladroite (ce qui est naturel ) les idées fusent, l’envie est belle et les femmes aussi... Au centre de toutes leurs improvisations, la relation homme/femme a pris place : le couple et l’amour, le couple et la misère, le couple et l’éducation des enfants, le couple et la trahison... Est ce le fait que je sois moi même une femme qui les amènent à évoquer l’intime ? D’abord par le biais de la marionnette puis de manière plus directe, elles évoqueront sans tabou l’enfermement du corps, l’enfermement du désir... Privée d’amour... C’est aussi cela la détention.
Ce groupe de femmes me touche. Elles sont toutes différentes les unes des autres et pourtant elles sont là, ensemble. Il y a beaucoup de solidartié, en tout cas, c’est ce que je ressens. 11h. La porte s’ouvre, la séance est finie... Je repars et repasse portes, grilles, portique...

14H15, je suis de retour. Portes, portiques, grilles, caméras... et me voilà à la section B chez les hommes. Un atelier marionnettes ?? On discute, on cherche l’information, on cherche la liste... Ah, voilà un surveillant qui sait de quoi il s’agit mais qui n’a pas de liste... Je lui donne le nom des 2 participants de la semaine dernière et l’informe qu’une nouvelle liste avec le nom des 8 personnes inscrites a dû être éditée par le SPIP. On me demande de patienter le temps du retour de promenade... Je découvre que chaque détenu passe à la fouille au corps avant son retour en cellule... Cela me mets mal à l’aise... 14H45 : Un premier participant arrive (la séance est censée débuter à 14H30 !). On me dit que le second va être amené dans quelques minutes et que la nouvelle liste n’ayant pas été éditée, je n’aurais pas de nouveaux inscrits pour aujourd’hui ! Un surveillant fait de l’humour que je ne comprends pas mais qui ressemble à de la moquerie envers le détenu présent à mes côtés... Je propose à L. de commencer sur un exercice individuel en attendant que S. arrive. Au final, S. n’arrivera jamais... N’ayant qu’un seul participant, j’adapte le contenu de la séance et en réduis la durée... 16H15, on arrête. Je discute un moment avec L., lui explique que nous ne pourrons continuer dans ces conditions... Je suis en colère car je sais qu’il y avait au moins une trentaine de détenus pré-inscrits à l’atelier... Je ne sais toujours pas à ce jour si le problème de liste est réglé... Je ne sais d’ailleurs pas où se situe exactement le problème. ...

La liste des 8 détenus inscrits-sélectionnés sera t-elle enfin éditée pour la 3ème séance ce lundi 2& ? 

25/08/2006 De belles caractéristiques vocales

Lundi 21 Août, maison d’arrêt de Sequedin. Pour la première fois, j’ai droit à l’ouverture de sac à l’entrée. A la vue des marionnettes, les surveillants sourient... Badge en poche, je peux y aller. Portiques, grilles, portes, caméras... Sur le chemin, je croise un petit groupe de surveillant des ERIS, revenant vraissemblablement d’une intervention "musclée" à la section hommes. Je suis, comme chaque fois, quelques peu destabilisée par leur équipement ! Je poursuis ma route, et arrive chez les femmes.

Il me faudra patienter 15 minutes pour avoir le groupe au complet, encore un problème de liste ! Deux nouvelles détenues intègrent le groupe qui est à présent composé de 7 femmes. Je fais un point rapide avec la surveillante afin de ne plus avoir de souci de liste les prochaines fois et enfin on démarre. Je leur fait part de l’article paru dans Nord Eclair sur l’atelier mené à Loos et leur en donne à chacune une photocopie. Bien qu’elles ne soient pas directement concernées, elles sont toutes fières de cet article ! Je leur ai aussi apporté à chacune un T-Shirt "Nos Quartiers d’Eté". Elles sont surprises ! La réception de cadeaux est plutôt chose rare dans cet environnement... Elles sourient...

Il est temps de se mettre au boulot ! Je fais une rapide présentation de l’atelier aux nouvelles venues et sollicite deux volontaires pour une impro afin qu’elles aient un premier aperçu. A nouveau, c’est la relation homme/femme qui est au coeur de la scène jouée ! Un petit plus par rapport à la semaine dernière : elles y ajoutent une note d’humour ! On travaillera ensuite sur des exercices collectifs abordant technique de manipulation et recherche vocale. De belles caractéristiques vocales commencent à apparaître et la tenue des marionnettes se précisent, ça avance... La séance se poursuivra avec des impros dirigées au cours desquelles je ne proposerais volontairement pas la relation de couple . Je veux les amener à découvrir d’autres relations entre les personnages ! L’heure tourne... Je leur propose de terminer la séance avec les monologues croisées sur le thème de l’enfermement. Aucune ne se lancera cette fois-ci mais autour de la table, un débat s’ouvre... Elles ont visiblement beaucoup à dire, tellement à dire qu’elles ne savent par où commencer... Elles craignent que le monologue improvisé parte dans tous les sens, ne soit pas strucuturé donc peu compréhensible pour les autres. On s’accorde à dire qu’il faut passer par l’écrit. Si la règle du jeu est respecté, lundi 28 chacune aura fait une tentative d’écriture. Ces écrits devraient être la base de travail des dernières séances... A suivre...

Chez les hommes, le problème de liste n’ayant pas été réglé, la séance n’a pas eu lieu. Une réunion est prévue lundi 28 à ce sujet... A suivre...

30/08/2006 Emotions féminines à Sequedin...

J’ai longtemps hésité sur le choix des mots pour titrer ce billet. Trouble, inquiétude, fatigue, agacement, tristesse, angoisse, énervement, colère, excitation, incertitude,... C’est emplies d’émotions diverses et majoritairement négatives que les femmes sont arrivées hier pour la séance de travail.

Dès mon arrivée à la section femmes, j’ai senti l’atmosphère tendue. Il m’aura fallu patienter 40 minutes pour que les surveillantes aillent chercher les participantes. Après avoir récolté 3 « elles arrivent » en réponse à mon impatience grandissante, on me demande si j’ai la liste !! Je la leur montre dans leur le bureau accrochée sur le panneau d’affichage, à la même place que la semaine dernière !! Les femmes sont enfin appelées. J’apprend que S. ne pourra plus suivre l’atelier pour cause de classement au travail (en buanderie). Cela m’ennuie, S. est l’une des meneuses du groupe. Cela m’étonne aussi ; en effet, S. semblait très motivée par cette activité. 09H15, M. arrive la première, les autres suivent... 

Toutes s’étonnent de l’absence de S. La discussion avec les femmes m’apprendra que S. a accepté le travail sous réserve de pouvoir poursuivre l’atelier et que cela lui a été accordé !! Je retourne voir la surveillante, la réponse est : « elle a droit a 4 demi-journée par mois pour raison médical et parloir, pas pour les marionnettes. » . De retour en salle d’activité, les discussions vont bon train, la tension se ressent. Il y a eu 2 tentatives de suicides au cours du week-end, 2 jeunes filles d’une vingtaine d’année. Cela en perturbe plus d’une. Et puis, il y a C. et V. qui passe en jugement ; l’une mercredi, l’autre jeudi. Elles sont toutes deux angoissées. Et puis pour chacune il y a l’incompréhension face au climat qui règne actuellement en détention : la surveillance est de plus en plus sécuritaire, les fouilles au corps et de cellules sont de plus en plus régulières. Elles en ont assez, elles se sentent humiliées un peu plus chaque jour.

Il est 09H30, une surveillante pousse la porte, appelle M. sans plus de respect pour l’activité en cours que pour la détenue appelée. 09H40, M. est de retour, les larmes au bord des yeux, elle vient de subir une fouille au corps. La raison invoquée : elle a été vue hier, discutant avec une détenue soupçonnée de trafic. Je suis perplexe... 

Perdue dans ces mauvaises ondes, l’une d’elle pourtant vivait la joie de la liberté bientôt retrouvée. E. sort mercredi et la première chose qu’elle me dit c’est : « je suis désolée mais je ne vais pas pouvoir tenir mon engagement. Je ne finirais pas l’exploration marionnettique avec le groupe. Je suis libérée, je sors mercredi ! » Moi, je suis plutôt heureuse pour elle et l’invite, si elle le souhaite à prendre contact avec nous dehors... Et puisque c’est sa dernière séance, je lui propose d’entrer en jeu... Marionnette gainée, seule dans le castelet, E. nous fera part de son regard sur son temps passé en détention. C’est avec une étonnante douceur qu’elle évoquera la violence de l’expérience. Son témoignage sera aussi bercé de joies et de douleurs, la joie de quelques rencontres humaines et la douleur de la séparation familiale... En ajoutant à son discours diverses notes d’humour, E. nous offre un très beau moment d’humanité marionnettique !! Son monologue génère beaucoup de réactions de la part des autres femmes. Nous décidons donc de le reprendre en y intégrant un second personnage, qui, au côté du premier, se fera l’écho de paroles fortes... C’est C. qui manipulera au côté de E. Le résultat est satisfaisant, je leur propose de le reprendre en modifiant la technique de manipulation sur le modèle de ce qui a été fait dernièrement à Loos (en prêtant notre seconde main au personnage). Si E. se lâche et se laisse aller à l’exercice avec aisance, C. de son côté reste lointaine, l’esprit préoccupé...

10H00, la porte s’ouvre, une surveillante nous amène S. !! Nous interrompons l’exercice le temps de l’accueillir. S. a effectivement obtenu l’accord de prendre ses lundis matins pour l’atelier marionnettes. L’information n’a pas circulé entre les différents membres du personnel. Depuis 08H00, ce matin elle rappelle à sa surveillante d’étage qu’elle ne va pas à la buanderie mais qu’elle va en activité à partir de 08H30. A l’heure dite, cette dernière refuse de lui ouvrir et lui dit de patienter qu’elle va se renseigner ! 09H59, elle lui ouvre la porte en disant : « Il fallait le dire que c’était pour les marionnettes... » ! No comment ! Encore cette fois, je me rends compte du peu d’intérêt pour l’activité que nous proposons par certains des surveillants ; je trouve ça regrettable....

Cet événement suffit pour ré-ouvrir le débat sur ce sentiment qu’elles ont toutes d’être prises pour des idiotes. Elles se posent la question de l’abus de pouvoir, elles estiment anormal de ne pas avoir accès au règlement intérieur de l’établissement, elles sourient (jaunes) face au non respect du code du travail au sein de l’établissement... Après un long moment de discussion, on reprendra le travail sur le principe du duo marionnettique : le témoin et son écho. A la différence de E. qui portait un regard global sur la détention, toutes les autres témoigneront d’un événement particulier survenu récemment. L’exercice sera utilisé comme exutoire pour la majorité d’entre elles et la haine et la colère en seront les dénominateurs communs...

A plusieurs reprises aussi des larmes coulent en ce lundi 28 août 2006 à la section femmes de la maison d’arrêt de Sequedin... La séance se termine, nous nous retrouvons lundi, dans des conditions un peu moins dures ; je l’espère en tout cas...

05/09/2006 Quand les marionnettes s’attaquent au système judiciaire façon série TV

Hier, à mon grand soulagement, l’ambiance générale de la Maison d’Arrêt de Sequedin semblait bien moins tendue que la semaine dernière...

Après avoir fait face à un « surveillant dragueur » à l’entrée, je passe portes, portiques, grilles, caméras (je ne m’y ferais jamais !) et arrive dans le sas où je récupère une alarme. Là, je dois à nouveau faire face à deux surveillants qui veulent « rigoler » avec moi... Après m’avoir demandé mon prénom et entendu la réponse, j’ai droit à une réaction équivalente à celle qu’avait des enfants de 7 ans à l’époque où j’animais des ateliers en centres de loisirs : « Dorothée ! Comme la chanteuse ! » et chantonnant : « Hou, la menteuse, elle est amoureuse... ». Ensuite, ils me demandent si je ne préfère pas rester avec eux pour leur faire un spectacle, plutôt que d’aller en détention... Face à mon refus, ils me donnent enfin une alarme et m’ouvrent la porte... Je peux enfin prendre le chemin de la détention ...

Arrivée en section femmes, une surprise m’attend ! Dans le bureau des surveillantes, la liste est prête ! A peine les ais-je saluée que déjà une surveillante appelle ses collègues d’étages afin de faire descendre les femmes concernées par l’atelier ! Cinq minutes après le groupe est au complet, la séance est ouverte ! Wahou ! Je suis enchantée... E et C étant sorties, le groupe est à présent composé de 5 femmes. V est toujours là, pas parce qu’elle a été condamnée mais parce que son jugement n’a pas pu avoir lieu, son avocat ne s’étant pas présenté !! J’hallucine !! Je n’en reviens pas !! A ce jour, elle n’avait toujours pas eu de nouvelles de lui ! Pas d’excuses, pas d’explications, rien !! La voilà à présent dans l’inconnue et dans l’attente... Elle essaie tant bien que mal de garder le moral...

Avant de gainer les marionnettes, on prend le temps d’une discussion sur l’avancée du travail. Elles sont toutes ravies d’apprendre que nous avons eu l’accord d’ajouter des séances et que l’exploration se poursuit donc jusqu’au 2 octobre. On s’accorde sur la forme et on précise les contenus qui seront travaillés au cours des prochaines séances. Elles font le choix de deux types de travail : un pour adultes et un second à destination du jeune public. Elles sont certes femmes mais elles sont aussi toutes mamans. Elles ont donc envie de faire quelque chose pour leurs enfants, de leur raconter une histoire à distance et par le biais des marionnettes, de leur dire ce qu’elles ont envie qu’ils sachent... Le fait d’évoquer leurs enfants génère beaucoup d’émotions, évidemment... L’une d’elle craquera, cela en agacera une autre... Elles sont à fleur de peau... Je propose une pause cigarettes le temps que chacune reprenne ses esprits... On reprendra le travail sur la forme pour adultes. Elles veulent donner leur regard sur le système judiciaire en parodiant différentes séries télévisées. On y consacrera le reste de la séance, entre temps d’improvisation et temps d’écriture. De bonnes pistes de travail apparaissent et l’humour et la dérision ne sont pas en restes ! Les idées fusent et les femmes s’amusent, je préfère les voir comme ça ! On ne voit pas l’heure tourner... Une surveillante viendra nous prévenir qu’il est 11H30 ! Oups !! Elles quittent la salle en me disant qu’elles vont continuer à y réfléchir pendant la semaine et à écrire leurs idées... Elles ont le sourire aux lèvres, c’est déjà ça de gagné. Je quitte la détention. Je passe le sas sans m’attarder ! A l’entrée, le surveillant me propose un rendez-vous ! Je refuse gentiment ! Je lui demande de vérifier si nos autorisations d’accès ont été renouvelées, ce n’est pas le cas ! Il faut donc qu’on s’en occupe avant lundi prochain... La porte s’ouvre, le surveillant me regarde sortir en me disant son espoir de me revoir ! J’avance vers la voiture sans me retourner, je suis émotionnellement épuisée...

12/09/2006 Manipulation judiciaire ou justice manipulée ?..

Lundi 11 septembre, le seul souci rencontré pour entrer à la MA de Sequedin fût lié à mes chaussures ! En effet, celles-ci faisaient sonner le sas de sécurité !! Résultat, j’ai du passer le sas pieds nus ! Pour le reste aucun souci. Je crois même que je ne suis jamais arrivée aussi vite en détention ! Arrivée en section femmes, je suis accueillie par une toute nouvelle surveillante. Elle semble jeune, elle est souriante, agréable, efficace et quelques minutes plus tard, les filles me confirmeront sa gentillesse... Chouette, un souffle nouveau dans cet envirronnement si oppressant !

Elles ne sont plus que 4 à suivre l’atelier. Il y a celles qui sont sorties et il y a A. qui, suite au conflit qu’elle a eu avec S. la semaine dernière, ne souhaite plus venir ! J’en suis navrée mais je ne peux rien y faire... c’est cet envirronement qui exacerbe les sentiments... On prend le temps d’en discuter et puis au boulot ! La parodie de série télévisée ne leur convient finalement pas, elles décident donc de s’orienter vers la forme du reportage... Le travail avance bien, chacune trouve sa place et les personnages se précisent de plus en plus : personnalité, caractéristiques vocales, regard sur le monde de la justice et de l’injustice... Le "scénario" se divise en 5 séquences. En fin de séance, nous en avions "calé" 3, celles qui posent les personnages et la thématique abordée. Je suis impatiente de les retrouver et de poursuivre cette recherche marionnettique judiciaire !

Au cours de cette aventure, nous avons aussi pris le temps d’échanger autour de textes de théâtre abordant la prison en générale et la femme en prison en particulier. Je leur ai donc donné à chacune un exemplaire de "Le sas" de Michel Azama, monologue d’une détenue qui vit sa dernière nuit avant sa libération. Elles devraient le lire au cours de la semaine afin que nous puissions en parler lundi prochain. Je suis curieuse de connaître leur point de vue, à elles, sur ce texte qui, à moi, me semble juste... Ce lundi, je leur ai également amené plusieurs documents et affiches sur notre compagnie comme elles me l’avaient demandé. Elles ont reçu ces éléments comme s’il s’agissait d’ un cadeau exceptionnel ! Ce petit rien qui les rend heureuse me rend heureuse aussi... Lorsque la séance fût terminée, elles sont reparties vers leurs cellules, le sourire aux lèvres, emplies de ce moment agréable passé ensemble... J’espère que ce sourire ne les aura pas quitté trop vite...

Il y a des semaines où toute notion du temps se perd... Résultat : une semaine de décallage entre la séance du 11 et la mise en ligne de l’article correspondant (pourtant écrit entre le 12 et le 14) ! L’article attaché à la séance du 18 septembre devrait suivre rapidement...

02/10/2006 Refus d’accès pour dernière séance

Je reviendrais dans quelques jours sur les séances précédentes non relatées mais pour le moment, voici le récit de ma triste matinée du lundi 2 octobre qui devait être ma dernière séance chez les femmes.

Comme chaque lundi matin depuis début août, je prends la route en cette matinée du 02 octobre en direction de la maison d’arrêt de Sequedin. Dans 20 minutes je serais arrivée, j’entrerais et j’irais en détention pour mener la dernière séance de cette exploration marionnettique en section femmes.

Mais, en ce 02 octobre, je dois faire face à un imprévu : des travaux routiers ! Me voilà dans l’obligation de suivre la déviation ce qui me mène sur une route inconnue et très très embouteillée. Si les voitures n’avancent pas, l’heure quant à elle avance trop vite, je m’inquiète, m’énerve mais je persévère préférant arriver en retard plutôt que de faire demi-tour ! Bref, après moultes déviations et autres péripéties, j’arrive enfin à la maison d’arrêt. Il est 09H12 !

A ce moment précis, je n’espère que 2 choses : arriver le plus vite en détention sans rencontrer d’obstacles et que mon retard ne remette pas en question la séance d’aujourd’hui.

Oui mais voilà, je n’étais pas au bout de mes peines. A l’entrée, une nouvelle surprise m’attendait, bien pire qu’un souci routier : un refus d’accès en détention avec la caméra ! Face à mon étonnement et mes protestations (la caméra entre depuis le 18 septembre sans aucun problème), le surveillant passe un appel qui lui confirme ma non-autorisation d’entrer avec la caméra ! Je suis sidérée par ce que j’entends, j’ai du mal à y croire. Le surveillant me propose de laisser la caméra dans un casier et d’y aller sans. Impossible pour moi d’accepter cela ! Et puis ça n’a pas de sens !

Depuis le 18 septembre, on fait des prises de vue, la majorité des plans ont été faits, cette dernière séance devait être consacrée à filmer quelques séquences complémentaires et surtout l’ensemble des raccords entre les éléments filmés ! Fabrice et moi avions passé une partie du week-end à préparer le contenu précis de cette séance... C’est inadmissible... Face à ce refus d’accès, je ne pouvais que me retirer même si je pensais à elles de l’autre côté du mur... Je vous avoue ici que de retour à la voiture mes nerfs ont lachés ! Cris et larmes de colère ont envahi l’habitacle de la 406 ! Je ne trouve pas les mots justes pour exprimer pleinement ma colère et ma désolation.

Au moment où j’écris ces lignes, il est 15H37 et si le calme semble avoir repris place sur mon visage, le sang bouillonne dans mes veines et mes pensées s’entrechoquent dans ma tête... Je pense à elles dedans, pas informées de la situation en tout cas pas encore ( un courier est en chemin). Là, maintenant, après coup, je me dis que une fois calmée j’aurais du revenir sur mes pas et aller en section femmes (sans caméra) pour leur expliquer et aussi leur dire au revoir...

Je regrette fortement que cette expérience ait une fin si violente...

11/10/2006 Le temps passe

Le temps passe, les jours de la Cie les Mille et une Vies avec. Depuis quelques temps, fini à la Maison d’Arrêt de Loos, retour au batiment B à la Maison d’Arrêt de Sequedin. Grâce à Jérome, un groupe s’est constitué et changeant, arrivera à maturité lundi prochain. Nous commencerons à filmer les marionnettes en actions.

Après, lorsque au bâtiment B, de la Maison d’Arrêt de Sequedin, cela sera fini, que ces explorations seront arrivées à leur terme, je me demande ce qui se passera. Est-ce que j’arriverai à proposer la suite, d’autres actions....J’en doutais hier, aujourd’hui, je doute de mes doutes d’hier....

Comment dire les sentiments qui m’habitent. Ils sont assez proches du regard que porte sur la prison mon fils de 7 ans. Lorsqu’à la fin de certaines séances, il venait me chercher devant les portes bleues de Loos ou de Sequedin, sans mot, je sentais dans ses yeux une appréhension, un regard effaré sur ce monde du dedans, du derrière les barreaux.... Pour moi, adulte, je ressens ce même effroi, cette même incompréhension de ces murs hauts que l’humanité a construit ; de cette incapacité que la société a de comprendre, de soutenir, de former, d’aider ses fils qui déraillent, sortent des clous, se trompent de voie...

Mais, la société c’est moi, la société me représente, traduit mes peurs, mes envies et, je ne peux la regarder comme si elle m’était étrangere. Il me faut tenter de la faire avancer, travailler avec elle pour qu’elle me ressemble plus et si certains de ses territoires m’effraient c’est bien ceux là alors que je dois comprendre et travailler à m’en rapprocher et à les changer. Un artiste peut-il simplement divertir ? L’art est-il utile ? Avec mon petit Théâtre de marionnette itinérant, je veux croire qu’art et société ne sont pas separés, que l’art travaille sur elle, la societé, autant qu’elle travaille sur lui. Et, dans les prisons ou les quartiers sur les sènes ou dans les marchés nous nous devons, artistes du quotidien, de participer à la (re)construction d’une société meilleure dans laquelle prévaut une certaine idée de l’homme et dans laquelle la relation humaine, grandit dans la confiance ; un société qui choisit d’inclur plutôt qu’éloigner, aide plutôt qu’abat...

16/10/2006 C’est fini....

Les mots, ces mots que je pensais être une ouverture, un moyen de faire avancer, un moyen de mettre à découvert l’action ont été mal perçus.

Pour atteindre les objectifs que nous nous étions fixés, artistiques et humains, pour valoriser le travail des détenus, la collaboration avec nos partenaires, nous avons tenu ce journal. Avec nos mots nous avons relatés ce que nous ressentions, au plus près de l’action, essayant de ne pas laisser au temps le temps d’effacer nos souvenirs. Avec nos mots, nous avons dit, dans ce blog comment nous ressentions notre participation à cette aventure.

Notre volonté n’était pas de blesser, de nuire, de faire mal, mais bien au contraire de construire, en décrivant dans l’effort de l’écriture immédiate, nos sentiments.

Au bâtiment B. à la Maison d’arrêt de Sequedin, grâce au soutien de la surveillance, du SPIP, de la Maison d’arrêt ça avait repris et plutôt bien que mal, le groupe se constituait séance après séance....

Mais voilà, ces mots, mes mots, ceux de Dorothée aussi, ont été entendu comme critique et empêchent aujourd’hui une suite, une fin, là où nous pensions qu’ils nous permettaient de continuer, d’avancer au grand jour dans notre action en prison, comme nous le faisons à l’extérieur aussi, nous donnant à voir, donnant à entendre à ceux qui le veulent comment nous abordons notre métier d’artistes....

Et aujourd’hui lundi, dans le bureau du quartier de Lille-Sud, au fond de la rue de l’arbrisseau, devant l’écran, je me demande comment un mot, même maladroit, peut être entendu comme une agression. Je considère le mot comme un élément de construction, comme une main tendue à l’autre et non comme une agression.

Mais peut-être vivons nous une époque dans laquelle la peur a pris le pas sur la confiance et l’échange et que cela, je ne veux pas l’entendre.

De manière brutale donc, l’action à la Maison d’Arrêt de Sequedin s’arrête et je le regrette..... Et si mes mots, si nos mots, ont blessés, je veux le répéter ici, je le regrette, car ils n’étaient pas là pour ça.

Source Cie Les Mille et Une Vies