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Déroulement de la journée d’une avocate en pénal

(2006) Barreau de Lyon : journal d’une avocate au pénal - jour 2

Mise en ligne : 15 décembre 2006

Texte de l'article :

Barreau de Lyon : journal d’une avocate au pénal - jour 2 
 
Comme si vous y étiez... le journal d’une avocate. Voici la suite.

Le 24 septembre, tu parles d’une journée, c’est autre chose, d’abord j’ai fini de cuver les bières de la veille, je passe le matin à peine remise, en commission de titre de séjour et obtiens miraculeusement que soit prolongée l’autorisation provisoire de séjour de cette Ghanéenne pour qu’elle finisse ces études parce qu’à deux on séduit ces 6 vieux derrière leurs bureaux qui nous attendaient au tournant et qu’on a eu en virevoltant.

Linsee est passée me voir au Cabinet comme ça, pour fumer une cigarette parce que je l’avais croisée dans le métro et lui avait proposé. Linsee c’est encore une rencontre il y a 3 ans, elle ne supporte plus personne et surtout plus son ancien avocat ni son éducatrice, ni les foyers, ni le juge des enfants, mais elle n’en a pas fini avec les vols. La rage au ventre, elle écume avec ses copines la rue Saint Férréol, et elles entrent dans les magasins, terrorisent les vendeuses pour prendre du parfum ou une fringue et n’hésitent pas à frapper n’importe qui pour s’échapper, et les insultes et les menaces pleuvent, elles s’en foutent, elles brûlent, elles ont entre 14 et 18 ans, des gamines intelligentes, des gamines furieuses. Et il y a de quoi.

Quand je rencontre Linsee, elle est déférée devant le Juge pour partir en détention provisoire, elle dit qu’elle s’en fout, qu’elle en a rien à foutre et elle pleure tout doucement sans sanglots. Son père est arrivé en France vers 20 ans d’Alger, sa grand-mère l’a rejoint et le domine en tout ; il est limité, travaille dans un centre pour handicapé et ne comprend rien. La grand-mère décide qu’il faut le marier et la mère d’Linsee débarque du pays, soumise, étrangère. 3 gosses, Linsee l’aînée. Et la grand-mère mène son monde avec violence et mépris pour la femme de son fils. Les services sociaux s’en mêlent parce que le plus jeune a subi des violences lourdes, vraiment lourdes et c’est la mère d’Linsee qui écope de 3 ans de prison même si tout le monde se doute que c’est pas elle, que c’est l’autre, elle, la marâtre. Linsee a 12 ans alors, et attend sa mère emprisonnée comme elle peut.

A la sortie de prison, sa mère disparaît immédiatement, personne ne sait où, on pense qu’elle est repartie en Algérie, on pense que peut-être elle a choisit la taule pour pouvoir filer après.

A compter de là Linsee est partie elle aussi, dans les fugues, les vols, les violences, les foyers où on la place pour éviter que sa grand-mère ne lui rase la tête chaque fois qu’elle se fait ramener de fugue. Je me souviens d’un jour où on comparaît devant le Juge des Enfants pour une énième mise en examen : Linsee est déjà détenue pour autre cause par décision du même juge, à la maison d’arrêt des femmes, sans quartiers mineurs (ça n’existe pas). Elle demande au juge si elle peut s’installer dans la même cellule qu’une jeune majeure qui l’a prise sous son aile en promenade. Le Juge refuse mais lui dit qu’elles peuvent toujours se voir au réfectoire... Linsee et moi interloquées, on le regarde, on ne comprend même pas ce qu’il dit. Il explique, oui au réfectoire, à la cantine quoi. Alors, on se marre et on lui apprend que ça n’existe pas les réfectoires dans les prisons françaises. Il demande mais comment tu fais pour manger, tu te prépares toi-même à manger ? on tombe des nues et de lui expliquer le système des plateaux, qu’Linsee mange seule évidemment en cellule comme les autres...

Cet épisode et d’autres, une vraie rencontre et à 18 ans tout juste Linsee a arrêté ses conneries, elle est maintenant dans un studio foyer, elle se forme en restauration, elle est calmée. Et ce mardi donc, elle passe me voir comme ça et on discute. Je lui dis pour le Maroc que je suis partie marcher là bas et que je rêve de l’Algérie. Elle me raconte elle aussi son projet, cet été descendre à Alger pour voir si elle peut pas retrouver sa mère qui aurait été aperçue là bas. Je ne suis pas sûre qu’elle y soit déjà allée dans son pays d’origine. Et là, je lui propose de descendre avec elle, et on se marre à cette idée, qui fera peut-être son chemin.

Source : Rebellyon