" En prison, mon mari compte sur vos lettres "
Son époux, Bernardo Arévalo Padrón, filleul de Pèlerin et fondateur d’une agence de presse à Cuba, est en prison depuis trois ans. Libertad Acosta Diáz raconte leur quotidien. Article publié le 19 janvier 2001
D’abord, son prénom : Libertad (en français, « Liberté »). Puis son sourire rayonnant. Deux défis tranquilles au gouvernement cubain. Elle a 40 ans, son mari Bernardo en a 35. Le 29 novembre dernier, ils ont fêté leur huitième anniversaire de mariage. Séparés. Séparés parce que Bernardo a payé cher ses « défis » au pouvoir.
Accusé d’avoir outragé Fidel Castro , président de la République de Cuba - qui fête le 21 janvier son centième anniversaire -, il est en prison depuis trois ans. Et pour trois ans encore.
En épousant cet employé des chemins de fer qui a fondé une agence de presse, la jeune ingénieur en transports se doutait-elle de la vie bouleversée qui l’attendait ? Du fond de son rocking-chair, la blonde Cubaine, au visage éclairé par de grands yeux noirs, esquisse d’abord un sourire : « J’ai été un peu surprise, mais quand j’avais 6 ans, mon père a lui aussi passé trois ans en prison, alors... » Libertad imprime à son fauteuil un rythme posé. Comme le sont les propos qui peignent son quotidien poignant. Une fillette s’approche : c’est Mavi, 9 ans, nièce de Libertad, fille de sa sœur décédée. Une vraie complicité unit ces deux-là, qui vivent ici ensemble, sous le toit des Acosta Diáz, les parents de Libertad.
Même la visite du prêtre lui est interdite.
« Tous les quatre, nous sommes surveillés en permanence », glisse la jeune femme. Cette tension de chaque instant, tout visiteur en a conscience. Les consignes pour arriver jusqu’à la maisonnette sont claires : éviter de se faire remarquer. A peine la porte refermée d’une main experte, la maîtresse de maison clôt à demi les stores métalliques.
A Aguada de Pasajeros , à une centaine de kilomètres de la capitale, La Havane, tout le monde connaît l’histoire de Bernardo Arévalo Padrón. Très concerné par les droits de l’homme, il a fondé en octobre 1996 une agence de presse, Linea Sur Press (Ligne sud presse), tout en continuant à travailler dans les chemins de fer.
Son objectif : renseigner les journalistes sur les violations des droits de l’homme . Arrêté en novembre 1997, il laisse derrière lui plusieurs membres de l’agence qui, aujourd’hui, vivent avec la peur au ventre. Si certaines connaissances ont coupé les ponts avec l’épouse du prisonnier, il arrive que, dans les rues du village, des personnes qu’elle ne connaît pas lui demandent des nouvelles de Bernardo. « Cela m’aide ! » lance-t-elle sobrement.
De l’aide, elle en reçoit aussi de la paroisse . Il faut dire que le couple est un pilier de la communauté chrétienne locale. Lui était très engagé dans un groupe de préparation au mariage, elle est catéchiste, membre de la chorale, et suit des cours pour devenir animatrice en pastorale.
Dans sa cellule, Bernardo a une Bible . Au début, il recevait la visite d’un prêtre une fois tous les deux mois. Aujourd’hui, cette faveur lui a été supprimée. Mais l’emprisonnement de Bernardo n’a pas changé les habitudes de prière du couple : « La nuit, nous prions ensemble. Chacun de notre côté. » Et quand ils se retrouvent, lors des visites de Libertad - une fois toutes les trois semaines pour une matinée, et une fois par mois pour une « visite matrimoniale » d’une nuit -, ils prient aussi.
Un prisonnier qui refuse de faire du zèle
La prison de San Marco , où Bernardo est incarcéré, est à une cinquantaine de kilomètres d’Aguada. Rejoindre son mari est pour ce petit bout de femme un parcours du combattant : auto-stop, car, et, lors des fréquentes pénuries d’essence, marche à pied. Soit plusieurs heures, plus une bonne heure de fouilles. Pour, au final, deux heures de parloir.
En ce moment, Bernardo va plutôt bien . Bien sûr, le grand gaillard subit toujours des vexations de la part des gardiens. « Il n’aime pas qu’on l’oblige à quoi que ce soit », explique sa femme. Il refuse de faire du zèle lors des travaux dits « volontaires », comme le ramassage des ordures.
Après avoir vécu un an et demi dans la prison de haute sécurité d’Ariza , puis dans le « camp de travail n° 16 », il est aujourd’hui incarcéré à la prison San Marco, annexe « infirmerie » d’Ariza. Les journées passées à couper la canne à sucre avec des machettes mal aiguisées ont eu raison du dos fragile de Bernardo.
Libertad s’avoue soulagée de cette pause forcée . Toujours mieux que de risquer un passage à tabac, comme en avril 1998, à la prison d’Ariza, où deux agents de sécurité ont blessé Bernardo à la tête. Toujours mieux que la promiscuité, dans le camp de travail, avec des prisonniers de droit commun extrêmement dangereux.
Son moral est soutenu par les lettres
Si Libertad juge le moral de son mari satisfaisant , elle sait qu’il a besoin de soutien. Parrainé par Pèlerin, grâce à l’association Reporter sans frontières, il reçoit des lettres envoyées par les lecteurs. Servent-elles à quelque chose ? Du tac au tac, Libertad répond : « Et comment ! Il lui arrive trop souvent de penser qu’il est oublié. Quand il ouvre tout ce courrier, il se rend compte qu’il n’en est rien. »
De plus, depuis novembre dernier, l’espoir d’une libération conditionnelle se profile : à la moitié de la peine, le gouvernement libère parfois les détenus. Parfois... A ce jour, l’avocat de Bernardo n’a cependant aucune nouvelle. La seule chose à faire, la courageuse épouse le sait, c’est « esperar ». En espagnol, un même mot pour « attendre » et « espérer ».
De notre envoyée spéciale à Cuba, Alix Gasparta
Source : Le Pelerin