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La Réclusion Criminelle à Perpétuité

(2006) La réclusion criminelle à perpétuité : Quel sens à une telle peine ?

Mise en ligne : 4 février 2007

Texte de l'article :

La réclusion criminelle à perpétuité : Quel sens à une telle peine ?
Par Marie-Paule Maugis,
secrétaire générale adjointe

Rendre la justice consiste à rechercher un équilibre entre l’acte commis et la peine et à prononcer la sanction en garantissant son exécution. La justice n’est pas la vengeance ; un crime ne peut être sanctionné par un autre crime. Les peines prononcées révèlent les valeurs fondamentales de la société, dont celle-ci : « Nul ne sera soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » (déclaration universelle des droits de l’homme). De fait, par la loi promulguée le 9 octobre 1981, la peine de mort était abolie en France ; l’expression « peine de mort » a été remplacée dans le code pénal par les expressions « réclusion criminelle à perpétuité » ou « détention criminelle à perpétuité », selon la nature du crime concerné (ces peines existaient déjà dans le code pénal). Il est essentiel de rester vigilant à ce sujet : le 8 avril 2004, des députés déposaient une proposition de loi tendant à rétablir la peine de mort. Cette proposition n’a pas conduit au vote d’une loi, et c’est donc la réclusion criminelle à perpétuité qui reste la peine la plus lourde, en France, aujourd’hui. La sanction a un sens à condition d’ouvrir une perspective de réintégration dans la société. La réclusion criminelle à perpétuité est présentée, par certains, comme une protection pour la société, considérant le risque de récidive comme très probable ; ceci revient à condamner la personne non pas pour les crimes commis mais pour les crimes qu’elle pourrait commettre. En outre, elle postule que la personne ne peut évoluer. Celle-ci, entendant qu’elle est condamnée à la réclusion à perpétuité, comprend que la société la rejette définitivement.

En 30 ans (de 1975 à 2005), le nombre de personnes exécutant une peine à temps de plus de 5 ans a été multiplié par 4,6 (passant de 3 001 à 13 841) ; le nombre de personnes exécutant une peine perpétuelle a été multiplié par 2,9 (passant de 185 à 539) [1]. Ces fortes augmentations résultent, d’une part, du prononcé plus fréquent de ces peines et, d’autre part, de la forte diminution des libérations conditionnelles sur la même période. Le durcissement global des peines s’est amorcé avant 1981 et n’est donc pas imputable à l’abolition de la peine de mort. Ces peines de plus en plus longues et de moins en moins aménagées n’ont pas d’effet positif du point de vue du traitement de la récidive. Comment apprendre à un homme, à vivre libre, en respectant la loi, alors qu’il passe de nombreuses années, enfermé, dans un univers où la loi du plus fort et l’arbitraire sont la règle ? Ces peines n’ont, par ailleurs, aucun effet dissuasif : pour beaucoup de criminologues, une personne, sur le point de commettre un acte criminel, ne s’arrête pas, par peur de la sanction. Dès 1976, le comité des ministres du conseil de l’Europe recommandait aux états membres l’examen de la possibilité de libération conditionnelle, pour toute personne condamnée, à partir de 8 à 14 ans de peine exécutée. La peine doit avoir un sens ; quel sens peut-elle avoir si elle suppose de passer 20 ans, 30 ans de sa vie, emprisonné(e) ? Pour Anne-Marie Marchetti, sociologue, au-delà d’un certain nombre d’années d’incarcération (ce nombre variant considérablement selon les personnes), le temps passé en prison n’est plus un temps de possible reconstruction. Nous, visiteurs de prison, constatons régulièrement les effets délétères de la prison, notamment quand nous rendons visite, en établissement pour peine, à des personnes qui ont passé de longues années entre les murs et souvent plus de temps à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il y a forcément du découragement, de la révolte, lorsque, pour la énième année consécutive, la demande de libération conditionnelle a été rejetée. Que dire de la rupture quasi inéluctable des liens familiaux et amicaux, après de trop nombreuses années de relations sans cesse distendues ? Bien sûr, il y a le courrier, le téléphone, les parloirs ; mais, qu’écrire exactement dans une lettre dont on sait qu’elle peut être lue par l’administration ? Que se dire lors de parloirs surveillés ou de conversations téléphoniques écoutées ? Que se dire lorsque le temps est compté ? Il faut du temps pour que la rencontre soit autre chose qu’un simple échange d’informations. Il résulte de cet ensemble de pratiques un appauvrissement des relations. Quant aux unités expérimentales de vie familiale, certes elles sont un progrès ; néanmoins, des personnes incarcérées hésitent à inviter un parent, un(e) conjoint(e), un enfant à vivre ce temps avec elles dans l’enceinte même de la prison. En outre, pour certain(e)s, l’octroi de cette possibilité est perçu comme l’attribution d’une récompense en réponse à un bon comportement. Comme si maintenir les relations avec ses proches devait se mériter. Enfin, que dire de ce communiqué daté du 16 janvier 2006, signé par 10 personnes incarcérées au CP de Clairvaux qui réclament, pour elles-mêmes, plutôt qu’une « mort lente programmée » le rétablissement de la peine de mort, tant leur peine de réclusion criminelle à perpétuité est insupportable ? Elles qui se nomment « emmurés vivants », « enterrés vifs » écrivent : « Après de telles durées de prison, tout rescapé ne peut que sortir au mieux sénile et totalement brisé » ; « ne nous reste-t-il pas mieux à trouver plus rapidement dans la mort notre liberté ? ».Parmi les pays d’Europe, la Croatie, la Norvège, le Portugal, la Slovénie et l’Espagne ont une législation qui ne prévoit pas de peine de prison à vie. En Islande, la législation prévoit la réclusion à perpétuité, mais une telle peine n’a pas été prononcée depuis 1940. Quant aux autres pays, l’application de cette peine varie considérablement selon l’accès effectif à une libération conditionnelle ou non, et ce, après un nombre d’années moyen également très variable d’un pays à l’autre. Au niveau européen, une peine privative de liberté d’une durée de 5 ans est considérée comme une longue peine, y compris si elle est aménagée.L’ANVP s’est prononcée, aux côtés de l’ensemble des organisations du Collectif octobre 2001, contre la peine dite perpétuelle car celle-ci nie toute possibilité d’évolution de la personne sans résoudre la question de la récidive ; elle postule sa mort sociale.

Source Jéricho 192, Avril 2006, ANVP

Notes:

[1] Coefficients calculés, pour l’année 2005, à partir des données du ministère de la Justice et, pour l’année 1975, à partir des données présentées par Pierre-Victor Tournier dans son mémoire « La prison à la lumière du nombre », 1996