« QUELLE INDÉPENDANCE DES SOINS EN MILIEU CARCÉRAL ? »
Session ST1 convention nationale
Participants :
Marc Dixneuf,
Atiqa Chajai,
Marc Bessin,
Dr Denis Lacoste,
Rosine Réat,
Armand Totouom
MAROC : « L’IMPÉRATIF DE SANTÉ EST SOUVENT SACRIFIÉ À L’IMPÉRATIF DE SÉCURITÉ »
Membre du conseil national de l’Association de lutte contre le sida (ALCS) à Casablanca, Atiqa Chajai, qui a contribué à la définition du programme de lutte contre le VIH-sida au Maroc, décrit la situation sanitaire dans les prisons surencombrées de son pays. Elle déplore notamment le rattachement des médecins au ministère de la Justice.
« Au Maroc, les médecins exerçant en prison sont rattachés au ministère de la Justice et, en particulier, à la Direction de l’Administration pénitentiaire et de la réinsertion, ou DAPR. Ils s’inscrivent donc davantage dans le registre de la surveillance que s’ils avaient une hiérarchie médicale. L’impératif de santé est souvent sacrifié à l’impératif de sécurité.
On compte, dans le pays, 75 médecins pour 58 établissements pénitentiaires, auxquels s’ajoutent 130 infirmiers, dont les deux tiers sont des surveillants formés aux soins. Les prisons marocaines enferment 55 000 à 60 000 détenus et, chaque année, ce sont 80 000 personnes qui sont incarcérées. Le taux d’encombrement se révèle donc extrême : il peut atteindre 300 %. Des cellules de 10 places sont occupées par 30 à 40 personnes ! On voit dès lors les limites de toute prise en charge.
Le sida est apparu au Maroc en 1986 et les premières actions de sensibilisation entreprises par la DAPR ont eu lieu au début des années 1990. En 1995, les médecins des centres pénitentiaires ont notamment été formés à la prise en charge des séropositifs, en partenariat avec les médecins de santé et l’ALCS. Des actions de prévention ont ensuite ponctuellement été organisées. La prise en charge se fait dans les CHU de Casablanca et de Rabat ainsi que, depuis la décentralisation, dans les centres régionaux de prise en charge de l’infection. Aujourd’hui, conscient des manques en matière de prévention comme de prise en charge du VIH, le ministère de la Justice 56 session ST1 convention nationale élabore un programme de lutte contre le sida. Chez les détenus, le taux de prévalence était estimé à 0,6 % en 2005, soit cinq fois le taux enregistré en milieu libre. Toutefois, le nombre de détenus diagnostiqués séropositifs en 2005 n’était que de 14, faute d’un accès réel au dépistage. La plupart sont analphabètes et ne connaissent pas cette possibilité. Néanmoins, le lendemain du premier Sidaction marocain, des détenus ont demandé un dépistage. Reste cependant un problème de confidentialité, car si une personne se révèle séropositive, cela se sait.
L’impossibilité de choisir son médecin nuit à l’instauration d’une relation de confiance. En outre, les détenus se méfient de ce professionnel qu’ils pensent plus soucieux de les punir ou les dénoncer que de les soigner. On observe ainsi des cas d’IST traitées par automédication dans le seul but de ne pas voir ce soignant. Le rattachement du médecin au directeur de la prison ne favorise d’ailleurs pas la confidentialité. En effet, quand une personne doit se rendre à l’hôpital pour se faire soigner - la prise en charge y est gratuite -, le directeur demande souvent le motif de la sortie pour signer le bon. Il conviendrait, à mon sens, d’assurer une formation régulière et approfondie des personnels pénitentiaires sur le sida et les questions éthiques.
La DAPR est aujourd’hui très impliquée concernant le VIHsida, et des stratégies de réduction d’impact existent. Concernant les préservatifs, il n’y a pas de réticences véritables si ce n’est que l’homosexualité étant illégale au Maroc, la DAPR refuse de les déposer elle-même. Des actions d’éducation par les pairs existent aussi. Des détenus ont ainsi été formés pour transmettre de l’information sur le VIH et les IST, faire de la prévention. En fait, le problème essentiel dépasse le cadre de la lutte contre le sida. C’est notamment celui du surencombrement des prisons, et de ce que cela engendre. »