Presque mort !!!
Une nuit banale. Presque, comme presque mort. Le réveil est brutal, car il fait très mal. J’ai la poitrine broyée, comme aspirée en elle-même. Des ruisseaux de sueur coulent tout le long de mon corps. Je me lève, comme pris d’une envie pressante de vivre, de vie, d’air. Je m’assieds sur le bord du lit, seul, tout seul, vraiment tout seul. « Que m’arrive-t-il ? » suis-je entrain de me demander, la peur au ventre. J’essaie de reprendre le fil du temps. De l’air, il me faut de l’air. Je regarde la fenêtre comme une porte de secours, comme une bouée dans la mer. Je respire à plein poumon, la sueur s’efface petit à petit, mais cette douleur dans la poitrine, omniprésente. J’essaie de penser à autre chose, mais, en fait, je pense mal, négatif. Je me remémorre la Tuberculose que j’ai eu en 2000. « Non, pas encore ça, c’est bon, j’ai déjà donné » me dis-je comme, mais vraimentt comme, pour me rassurer. Je pense à changer de tee-shirt, d’aérer et sécher mon lit qui est trempé.
Je me concentre sur cette douleur dans la poitrine comme, mais vraiment comme, pour la faire disparaître. Les minutes passent, passent et passent encore, il faut que je m’endorme pour ne plus avoir mal. Je glisse donc dans les draps. Demain matin, j’ai parloir à 10hn avec Charlotte, alors il faut que je me repose pour être en forme.
7h15. Le surveillant ouvre la porte de la cellule pour faire l’appel. « Bonjour, la promenade est au premier tour (7h45-9h) » me dit-il. Je réponds « Bonjour » encore à moitié endormi. Mais très vite, je me rends compte que cette douleur dans la poitrine n’a pas disparu. Tout juste, elle s’est un peu estompée. Je bois mon cfé au lait en me remettant au lit, car je ne me sens pas bien du tout. Une nouvelle fois, je me concentre sur ma douleur à le poitrine, pour la faire disparaître. Mais elle n’en a cure, elle reste là, bien présente, comme pour me dire quelque chose, m’informer d’un danger imminent. Je finis mon café et j’essaie de me reposer un peu.
8h45. Je dois me lever, car je dois aller à l’infirmerie (UCSA) pour l’injection d’un de mes médicaments antirétroviraux quotidien, le Fuzéon.
9h00. Le surveillant vien me cherche pour y aller. Dès mon arrivée, l’infirmière me fait une injection de Fuzéon. Pendant ce temps, je lui explique ce qui m’est arrivé dans la nuit et je lui parle de cette douleur dans la poitrine qui, non seulement ne me quitte plus, mais devient de plus en plus forte.
Heureuse initiative. L’infirmière ne se pose pas de question, elle me fait tout de suite un électrocardiogramme. Je ne suis pas du genre à me plaindre, elle me prend don au sérieux. Je lui dis que j’ai parloir à 10h et que l’on vient me chercher en cellule à 9h30. Comme il est déjà 9h20, je lui dis qu’en ce qui concerne les résultats, je reviendrais après le parloir pour voir le médecin. En je pars, inconscient de ce qui est entrain de se passer en moi. A peine arrivé en cellule, me voilà reparti pour aller au parloir. J’ai tout juste le temps de poser un sac de papier contenant le nécessaire pour l’injection de Fuzéon que je me fais moi-même le soir en cellule. Etant donné qu’à cette heure, l’UCSA est fermée, j’ai eu l’autorisation de l’Administration pénitentiaire de posséder du matériel d’injection en cellule pour raison médicale.
9h30. Je descends au rez-de-chaussée pour aller au parloir. Je suis le seul du bâtiment à y aller à cette heure, je repars donc tout de suite, accompagné par un surveillant. Arrivé au parloir, on nous fait attendre dans un couloir, le temps que les familles rentrent et s’installent.
Tout d’un coup, un surveillant hurle mon nom. Je lève la main. Il arrive vers moi et me dit que je dois aller de toute urgence à l’UCSA, voir le médecin. J’explique que je vais avoir parloir dans peu de temps, que j’ai prévenu que j’y retournerai juste après. Le surveillant insiste. Le médecin veut absolument me voir tout de suite, il a quelque chose à me dire d’urgent et de très, très important. « Que se passe-t-il ? » suis-je entrain de me demander pour qu’il me fasse venir en urgence. J’hésite, car je ne veux vraiment pas louper mon parloir avec mon amie Charlotte. Elle se décarcasse pour moi, je lui dois d’être là. Et j’ai besoin de la voir, de lui parler, besoin de son soutien, de son écoute, de son amitié. Mais il y a comme une petite voix qui me dit d’y aller. J’y vais donc, tout de même à contrecœur. Je marche vite pour aller à l’UCSA, car si ce n’est pas important, je préfère le parloir. Cela ne se discute même pas ni pour moi, ni avec personne.
9h40. 20 minutes avant le parloir. J’arrive à l’UCSA. A peine arrivé, on me fait rentrer dans une salle de soin. Il y a plein de monde, toutes (enfin, presques toutes) les infirmières sont là, dont le médecin de garde. Tout le monde me toise avec un drôle de regard dans les yeux. On me prévient que l’on a quelque chose d’important à me dire. On me dit de m’asseoir, non, plutôt de m’allonger. Moi, je n’ai qu’une idée en tête, mon parloir. Mais tout d’un coup, devant cet attroupement d’infirmières, ces regards d’attention à mon égard, je me sens devenir inquiet. « Qu’est-ce qu’il se passe ? » je demande. « Parce que je ne voudrais pas louper mon parloir. » Le médecin me regarde et me dit que je ne pourrai pas aller au parloir, que je ne suis pas en état. Il m’explique que je suis entrain de faire un infractus. Je le regarde, l’air de ne pas comprendre. Mais je comprends très bien. LA douleur dans la poitrine, l’électrocardiogramme rélaisé par l’infirmière me fait réaliser que quelque chose de grave est entrain e se passer dans mon corps. A partir de ce moment là, je me mets à paniquer et je perds toute notion de la réalité. J’entends dire qu’il faut appeler le SAMU et les pompiers de toute urgence.
Cette fois, c’est sûr, je vais louper le parloir. C’est ma dernière pensée consciente. Je retrouve un peu mes esprits à l’hôpital Cochin. Je suis sur la table d’opération. Au-dessus de ma tête, il y a quatre téléviseurs sur lesquels je vois mon cœur battre et les artères qui l’irriguent. On me parle pour me rassuer, on m’explique ce qu’on est entrain de me faire et, par la même occasion, ce que j’ai. Mais la peur d’entrendre la vérité, sans doute, m’empêche de tout comprendre. En fait, je ne comprends rien. Je n’ai qu’une idée en tête : J’ai loupé mon parloir et Charlotte va s’inquiéter. Je finis par m’endormir, mais, à chaque fois, on me réveille. Comme si l’on ne voulait pas me foutre la paix une bonne fois pour toute. Une affreuse pensée me vient en tête : et si je me laissais aller ? Peut-être est-ce maintenant que je devrais baisser les bras ?
Dans la chambre d’hôpital. Du brancard, je passe au lit. Je me retrouve seul. Enfin, presque, car deux flics sont en charge de me garder devant la porte de la chambre. J’essaie de comprendre ce qu’il vient de m’arriver. En gros, j’ai failli y passer à cause d’un infarctus. Un médecin rentre dans la chambre. Il m’apparaît comme le moment de vérité, je crois. « Bonjour, monsieur, je suis l’interne. Vous avez été victime (moi, victime ?) d’un infarctus du myocarde. Vous aviez deux artères coronaires de bouchées : une à 90%, l’autre à 50%. C’est vraiment une chance que vous vous en soyez sortie. » Et il ne croit pas si bien dire. Des crises cardiaques en prison, j’en ai vu plus d’une et, malheureusement, je ne sais que trop bien comment cela se termine. J’ai eu une chance énorme. Et je peux dire merci à l’infirmière de l’UCSA, Margo, qui a eu le réflexe, tout de suite, de me faire un électrocardiogramme. C’est ce geste, ce réflexe qui m’a, en vérité, sauvé la vie.
Alors « merci », « merci » et encore mille fois « merci ». Car franchement, crever en taule, il y a quand même mieux comme fin.
Didier Robert, détenu à la M.A. de la Santé, à Paris