VIH en prison : la nouvelle qui tue
Vous rappelez-vous du regard discriminant et de peur que l’on portrait vis-à-vis des personnes atteintes du VIH au début des années 1980 ? Certains trouvaient cela scandaleux. Et bien, en 2006, c’est exactement ce même regard que l’on porte sur les personnes détenues touchées par ce virus et personne ne s’en formalise pour autant. On pourrait se poser la question si, quelque part, une autorité quelconque ne s’est pas autoriser à penser « à quoi bon, ce ne sont que des prisonniers, il y a d’autres priorités ». Surtout quand on a connaissance de l’état du parc pénitentiaire et des conditions de détentions des personnes qui s’y trouvent incarcérées.
Au regard de la grande mobilisation qui a eu lieu, dans notre société, depuis le début de l’épidémie du virus du VIH pour l’enrayer, on ne peut décidément pas imaginer qu’à l’intérieur des prisons il n’en a pas été de même, bien au contraire. Quelques prisons ont bien reçu la visite d’associations comme AIDES, mais sur les plus de 180 établissements pénitenciers, combien sont concernés ? Excepté quelques maisons d’arrêts de grandes villes (Fresnes, Marseille-les Baumettes et Paris-La Santé), ces associations restent absolument absentes de ces lieux faute d’un manque de volonté évidente de la part de l’administration pénitentiaire.
Je me nomme Didier Robert. Je suis incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé depuis juin 2005. Je suis touché par la maladie depuis plus de 23 ans et sous multithérapie (15 ans que j’absorbe chaque jour tout un tas de médicaments plus nocifs les uns que les autres). Je n’ai jamais rencontré de problème pour avoir accès aux médicaments dont j’avais besoin. Depuis des années, je suis en échec thérapeutique et pour me constituer un traitement qui fonctionne cela reste un vrai casse-tête pour mon médecin, mais même si cela a pris plus de temps qu’à l’extérieur, j’y ai tout de même eu accès. Le problème avec le VIH en prison se situe ailleurs. La prise en charge d’un détenu atteint par cette maladie ne se limite pas à simplement lui donner ces médicaments. Que je vous raconte un peu mon histoire et ce qui m’amène à vous la raconter. Parce que de vous à moi, je suis en colère.
1987. Prison de Liancourt (60 - Oise). Je suis incarcéré depuis 2 ans et demi, peut-être même 3 ans. En prison, la notion du temps se perd très vite. Un matin, je me réveille couvert de boutons sur le corps. Ils me démangent terriblement et me font un mal de chien. Je demande à aller à l’infirmerie (à cette époque les UCSA [1] n’existent pas) pour voir un médecin. Très vite, il me diagnostique un Zona et me pratique une prise de sang pour en avoir confirmation.
15 jours plus tard, je suis convoqué chez le médecin pour le résultat. Et là, mauvaise surprise, sans même prendre le temps de me demander où en était mon Zona, le médecin m’annonce que j’ai le VIH. Sur le coup, je ne comprends pas très bien ce qu’il me dit. JE passe d’un probable Zona et l’annonce d’une séropositivité au virus VIH. La nouvelle est brutale, abasourdissant. JE cherche, par réflexe, à savoir quand j’ai bien pu être contaminé et comment, par voie sexuelle ou par une seringue (car j’étais toxicomane). Le médecin me dit qu’il ne faut pas que je m’en fasse et la consultation s’arrête là. Je remonte en cellule sans plus de détails, comme si on m’avait annoncé une appendicite. Je suis perdu dans mes pensées, un flot de questions sans réponses me submerge. J’ai bien un Zona, mais en ce qui me concerne le virus du VIH, je repars sans aucune information quelle qu’elle soit. La seule chose dont je prends réellement conscience, c’est que je vais bientôt mourir.
2006. Maison d’arrêt de la Santé (75 - Paris). Un matin, je dois à aller à l’UCSA pour une consultation avec mon médecin. Je dois patienter dans la salle d’attente, car il n’est pas encore arrivé. Nos ne sommes que deux à attendre. Je m’assieds et je m’aperçois que l’autre personne n’est pas dans son assiette. Il semble pleurer. Je lui demande ce qu’il a, car je sais que dans ces moments-là, c’est bien de parler. Il me dit simplement qu’il vient de recevoir depuis quelques jours une mauvaise nouvelle. Comme nous attendons tous les deux de voir le même docteur, je comprends très vite ce qu’est « la mauvaise nouvelle ». Et je sais aussi qu’il ne m’en parlera pas, car en prison, on ne parle pas de ces choses là. Alors c’est moi qui me confis à lui. Qui sait, peut-être que ça va l’aider à me parler s’il en a vraiment besoin. Je lui dis que je vais voir mon médecin, car je viens de débuter un nouveau traitement pour le VIH. Dès cet instant, je vois tout d’un coup que je l’intéresse. Il ne lui en faut pas plus pour qu’il se mette à me parler. Il me dit qu’il vient d’apprendre sa séropositivité au VIH, qu’il vient de débuter un traitement et qu’il ressent énormément d’effets secondaires. Je sais que l’on n’a pas beaucoup de temps pour parler, alors je lui demande de quelle manière et à quel moment il prend ses médicaments. Je me rends compte qu’il ne les prend pas de la meilleure des façons, alors je lui explique très vite. Mais déjà, un surveillant crie mon nom pour que j’aille voir mon médecin. Je lui dis « au revoir » et je lui souhaite beaucoup de courage pour la suite.
En 20 ans, on peut constater qu’en prison, certaines choses n’ont pas changé. Certes, on ne pratique plus de test VIH sans en informer la personne auparavant, mais les personnes se trouvent toujours aussi seul après l’annonce d’une telle mauvaise nouvelle : l’annonce d’une séropositivité au VIH.
La situation du SIDA en prison se résume à l’aspect médical. On nous donne des médicaments, alors de quoi se plaindre ? On a besoin d’en parler ? On nous répond qu’il y a le SMPR [2] et les psychologues. Seulement, beaucoup de psychologues ou de psychiatres n’y connaissent pas grand-chose en matière de SIDA, notamment en ce qui concerne les médicaments et les effets secondaires. Et quelles réponses apporter pour y remédier ? Certaines informations sont nécessaires quand on doit prendre un traitement, surtout avec toutes ces thérapies et ces médicaments aussi nocifs les uns que les autres. Les médecins apportent leurs réponses, mais elles ne sont pas suffisantes. Aucune autre source d’information n’est disponible comme à l’extérieur où l’on peut appeler Sida Info Service quand on rencontre un problème avec notre traitement ou pour toutes autres questions comme les effets secondaires.
Après quelques années d’absence, AIDES est revenu à la Santé pour y tenir des réunions d’informations et pour y visiter les personnes touchées par la maladie. Heureusement, car on se sentait vraiment bien seul. Mais l’association revient à peine qu’elle rencontre déjà des difficultés pour organiser ces réunions d’informations, et les visites individuelles sont limitées.
Je me sentirais mal à l’aise si je terminais ainsi mon témoignage, car tout de même, les médecins et les infirmières de l’UCSA font vraiment tout leur possible et réussissent, malgré les difficultés, à faire du bon boulot. Mais le problème, encore une fois, n’est pas là, le problème est sur ce qui ne se fait pas, comme de l’autre côté du mur.
Didier ROBERT, détenu