CONTROLEUR GENERAL DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTE
Compte rendu - Sénat - Séance du 31 juillet 2007
Intervention générale
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, il aura donc fallu attendre sept ans et une session extraordinaire du Parlement en plein coeur de l’été pour voir enfin apparaître l’institution d’un contrôleur général des lieux de privation de liberté, que les membres de mon groupe et moi-même appelions de nos voeux depuis si longtemps.
Permettez-moi de rappeler très brièvement - M. le rapporteur l’a déjà fait dans le détail - le cheminement de cette idée, qui n’est pas nouvelle, de créer un contrôleur extérieur, cantonné initialement aux seuls établissements pénitentiaires.
Cette idée a vraiment émergé en 2000, à un moment où la question pénitentiaire était sur le devant la scène et où plusieurs rapports importants étaient publiés, mettant en évidence à la fois les conditions indignes de détention en France et la nécessité d’améliorer le contrôle extérieur des établissements pénitentiaires. Je pense ici en particulier au fameux rapport Canivet ainsi qu’aux deux rapports d’enquête parlementaire sur les prisons publiés respectivement par le Sénat et par l’Assemblée nationale.
Dans la continuité des travaux du Sénat, nos collègues Hyest et Cabanel ont déposé une proposition de loi relative aux conditions de détention dans les établissements pénitentiaires et au contrôle général des prisons. Malheureusement, et cela a été dit, ce texte n’a jamais été inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et est donc resté lettre morte.
Les sénateurs du groupe CRC - singulièrement par la voix de mon amie Nicole Borvo Cohen-Seat - n’ont pas manqué une occasion de déposer, sous forme d’amendements, une proposition visant à créer ce contrôleur général, hélas ! sans succès.
Nous sommes donc bien évidemment favorables au principe d’instaurer un contrôleur général dans tous les lieux de privation de liberté, conformément à l’engagement pris par la France le 16 septembre 2005 auprès des Nations unies de créer un mécanisme national de prévention des traitements inhumains et dégradants.
Toutefois, concernant les modalités de sa mise en oeuvre, nous avons certaines critiques à formuler sur le dispositif tel qu’il a été retenu par le Gouvernement, et nous présenterons par conséquent des amendements afin d’améliorer ce texte et de le rendre plus efficace.
Car le dispositif qui nous est proposé aujourd’hui est un texte a minima. En effet, il est en deçà des propositions issues du rapport Canivet, en deçà de la proposition de loi de nos collègues Hyest et Cabanel adoptée au Sénat en 2001, en deçà du protocole facultatif de 2002 signé par la France en 2005, en deçà de certains dispositifs mis en place chez nos voisins européens - je pense ici plus particulièrement à la Grande-Bretagne -, ou encore en deçà du système en place s’agissant du Médiateur de la République.
De nombreuses organisations - associations et organisations syndicales - ont également fait connaître publiquement leurs critiques à l’égard du dispositif retenu.
Pour être effectif, le contrôle des lieux privatifs de liberté doit répondre à certains critères qui sont actuellement absents du présent texte.
Il faut en effet que cette structure de contrôle soit une autorité indépendante et incontestable. Pour ce faire, il faut tout d’abord qu’elle soit impartiale, et indépendante tant sur le plan politique que sur le plan financier.
Les modalités de sa nomination doivent être transparentes et doivent garantir son indépendance, gage de la légitimité de son action. Ce n’est pas ce que prévoit votre texte, qui évoque une nomination par décret simple. Nous proposons donc que le contrôleur soit nommé par décret du Président de la République après avis des commissions compétentes du Parlement. Nous considérons que le Parlement doit pouvoir émettre un avis sur cette nomination, comme c’est d’ailleurs le cas dans d’autres pays.
Cela est d’autant plus indispensable qu’aucun critère de compétences, de qualification ou encore d’expérience professionnelle n’est précisé dans votre texte alors même que le protocole fait expressément référence aux « compétences et aux connaissances professionnelles ».
Je voudrais insister ici sur le fait que la première personnalité à être nommée dès l’entrée en vigueur de la loi pour exercer les fonctions de contrôleur général sera regardée en France, mais également à l’échelle internationale. Elle va donner le ton quant au rôle et à la place de cette instance de prévention des traitements inhumains en termes d’utilité, de crédibilité, d’efficacité et, bien sûr, d’indépendance.
Cela étant dit, afin de garantir le bon fonctionnement de cette nouvelle autorité de contrôle, il faut lui allouer une dotation en moyens - humains, financiers et matériels - à la hauteur des missions qu’elle devra accomplir, et ce en toute indépendance.
Or le texte n’apporte aucune garantie à ce sujet. Nous considérons, pour notre part, qu’il est indispensable que cette autorité ait un budget propre lui permettant de recruter le personnel nécessaire et de disposer de locaux, conformément à l’article 5 des « principes de Paris » régissant le statut des institutions nationales pour la promotion et la protection des droits de l’homme. Nous proposons en conséquence de préciser que ses crédits seront inscrits au budget général de l’État, au sein du programme « Coordination du travail gouvernemental ».
De plus, compte tenu de la multiplicité des lieux concernés par les visites du contrôleur - plus de 5 000 -, il est tout aussi nécessaire de lui garantir la possibilité d’un recrutement de contrôleurs et de collaborateurs suffisamment nombreux et spécialisés selon le type de lieux à contrôler.
S’agissant précisément des lieux à contrôler, nous estimons que le champ de compétences dudit contrôleur doit être précisément défini et concerner tous les lieux de détention : tous les établissements pénitentiaires, y compris les centres de semi-liberté et pour peines aménagées, les établissements pénitentiaires pour mineurs, ou EPM, les centres éducatifs fermés, ou CEF, les secteurs psychiatriques des centres hospitaliers, les locaux de garde à vue, les locaux d’arrêt des armées, les centres de rétention administrative, les locaux de rétention administrative dont la création ou la suppression fluctuent en fonction des besoins du moment et, enfin, les zones d’attente.
L’article 6, dans sa rédaction actuelle, précise que les visites concernent le « territoire de la République ». Le contrôleur ne pourra donc pas intervenir, par exemple, dans les cas de privation de liberté par des forces militaires ou des forces de police françaises à l’étranger. J’y reviendrai lorsque je m’exprimerai sur l’article 6, puisque, en application de l’article 40 de la Constitution, l’amendement que j’avais déposé sur ce sujet a été déclaré irrecevable.
Nous proposons par ailleurs d’étendre le champ de compétences du contrôleur - actuellement limité au contrôle des conditions de prise en charge des personnes privées de liberté - à l’état, à l’organisation et au fonctionnement de ces lieux ainsi qu’aux conditions de vie des personnes détenues. Il faudrait également que le contrôleur puisse aider à révéler certaines conditions de travail des personnels, en particulier dans les prisons.
Enfin, il va sans dire que les prérogatives du contrôleur doivent être claires : cette future autorité doit disposer de réels pouvoirs en matière de visites, d’auditions et d’investigations.
Le contrôleur doit avoir un accès total aux dossiers, à tous les lieux de détention, ainsi qu’à tous les équipements et installations les composant. Il doit pouvoir procéder à des visites régulières, mais aussi, et surtout, à des visites inopinées. Ainsi, les visites sans préavis ne doivent pas être limitées aux seuls cas où « des circonstances particulières l’exigent ». Nous proposerons donc de réécrire l’article 6 du projet de loi, article qui, en l’état actuel, ne nous convient pas et ne répond pas aux exigences posées par le protocole.
Le contrôleur doit également disposer de pouvoirs d’injonction à l’encontre des autorités publiques responsables de lieux de privation de liberté, ce que le texte ne prévoit pas.
Nous proposons que le ministre et l’administration compétente soient tenus de rendre compte au contrôleur général, dans un délai fixé par ce dernier, de la suite donnée à ses observations et ses recommandations, qui doivent être, selon nous, rendues systématiquement publiques, tout comme ses avis, ses propositions, ses rapports de visite, etc.
Il est également indispensable à nos yeux de prévoir que, en cas d’inexécution d’une décision de justice passée en force de chose jugée, le contrôleur ait la possibilité d’enjoindre à l’autorité mise en cause de se conformer à ladite décision dans un délai fixé par lui.
Enfin, il faut regretter qu’aucune articulation ne soit prévue entre le contrôleur et les instances internationales, notamment avec le sous-comité de la prévention. Nous avons déposé un amendement en ce sens.
À l’occasion de la discussion des articles, nous reviendrons plus en détail sur les propositions non exhaustives que je viens d’évoquer et que nous avons reprises sous forme d’amendements. Il va sans dire que notre vote final sur l’ensemble du texte dépendra du sort réservé à ces derniers. Si le texte devait rester en l’état, ou se trouver modifié à la marge, nous nous abstiendrons.
Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel intervient ce projet de loi, lequel, de surcroît, ne sera adopté définitivement que cet automne, l’Assemblée nationale n’en étant pas saisie au cours de la présente session extraordinaire.
Ce texte intervient, en effet, alors que, cela a été dit, la situation des prisons françaises est catastrophique : surpopulation carcérale, allongement de la durée des peines, absence de grâce présidentielle - même si cette dernière n’est pas « la » solution aux problèmes que connaissent nos prisons -, multiplication des gardes à vue pour faire du chiffre... Sans parler de la situation dans le secteur psychiatrique, à mettre en perspective avec une éventuelle réforme de l’internement d’office, ou encore de la situation dans les centres de rétention ou les zones d’attente, avec l’augmentation du nombre d’étrangers retenus administrativement du fait des objectifs fixés par le Gouvernement en matière d’expulsions du territoire.
Aussi, compte tenu de la faiblesse des prérogatives de ce contrôleur, de la faiblesse des moyens humains et matériels dont il disposera, de son champ de compétences aux contours très mal définis, je crains fort que ce texte, en l’état, ne serve finalement que de caution au Gouvernement pour continuer, voire amplifier, sa politique sécuritaire.
Le présent projet de loi apparaît donc clairement comme le pendant de la politique répressive du Gouvernement, qui veut, avec l’instauration de ce contrôleur sans réels pouvoirs, se donner bonne conscience. C’est, oserai-je dire, le côté « charitable » du Gouvernement. On peut toujours multiplier les contrôles extérieurs ; cela permet d’éviter de se poser des questions de fond, comme la modification de l’échelle des sanctions pénales.
Ce n’est évidemment pas la future loi pénitentiaire que vous avez annoncée, madame le garde des sceaux, qui, selon nous, inversera la tendance.
Telles sont, mes chers collègues, les remarques que je tenais à formuler sur ce texte visant à instituer un contrôleur général des lieux de privation de liberté. Il s’agit d’une belle idée. Ce texte pourrait, en effet, constituer une réelle avancée en termes de protection des droits fondamentaux de la personne humaine, digne d’un pays comme la France, laquelle est en principe en pointe sur ces questions. Mais si le texte reste en l’état, je crains qu’il ne se révèle in fine décevant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur plusieurs travées du groupe socialiste.)