Le droit en prison : bafoué et négligé
Dans une note publiée par ses soins en mars 2007, « News d’urgence », l’association « Droits d’urgence » (créée en 1999, elle coordonne la commission technique d’acccès aux droits des personnes incarcérées) se gargarise d’avoir réussi à faire inscrire sur les listes électorales du 14ème arrondissement de Paris une trentaine de personnes de la maison d’arrêt de la Santé, afin qu’elles puissent participer à la prochaine élection présidentielle. Ces inscriptions ont pu aboutir « grâce à la collaboration étroite entreprise avec le SPIP de Paris [1] » nous explique-t-on dans cette note [2].
Je dois avouer qu’en lisant cette note, je suis resté « sur le cul » (pardonnez-moi cette expression familière, mais il n’y en a point d’autre qui puisse exprimer mon étonnement). Je suis incarcéré à la maison d’arrêt de la Santé depuis le 5 juin 2005. J’avais pu exercer, pour la première fois, mon droit de vote lors du référendum pour la constitution européenne. Fier d’avoir participé, en homme libre, à mon devoir de citoyen, je m’étais fait un point d’honneur d’exercer, à nouveau, ce droit de citoyen, malheureusement cette fois en homme incarcéré, pour l’élection présidentielle de 2007.
Dans les premiers mois de 2006 et étant informé des démarches à entreprendre pour m’inscrire sur les listes électorales, j’ai écrit au SPIP pour leur demander un certificat de présence à la maison d’arrêt et une photocopie de mon passeport, afin de m’inscrire sur les listes électorales dans l’arrondissement de mon lieu d’habitation. Après avoir bien pris le temps pour me répondre, on m’explique que ce n’est pas à ce service qu’il fallait que je fasse ma demande, mais auprès du greffe, ce que je fais sans perdre de temps. J’écris au greffe, en prenant soin de leur expliquer que je souhaitais m’inscrire sur les listes électorales de mon lieu d’habitation, pour leur demander de me fournir un certificat de présence et la photocopie de mon passeport. Plusieurs jours plus tard, voire plusieurs semaines, on me répond que pour m’inscrire sur les listes électorales, je dois passer par le SPIP. Pas de réponse en ce qui concerne le certificat de présence. Certainement le greffe s’est-il simplement arrêté à ma demande d’inscription sur les listes électorales sans très bien comprendre ma demande. Je n’en suis pas à ma première incarcération, j’ai donc appris à connaître le fonctionnement de l’administration pénitentiaire, et d’avoir conscience que l’on me fait tourner en rond (pour des raisons qui m’échappent), je garde donc mon sang froid. J’écris à nouveau au SPIP et on me renvoie encore au greffe. Cette mascarade dure des mois sans que ma demande n’aboutisse pour autant. Je décide donc de m’y prendre autrement. J’écris au surveillant chef, responsable du bâtiment où je me trouve, en demandant à le voir et je lui explique et ma demande et mes difficultés pour l’entreprendre. Compréhensible, il me fait rédiger, sur place, une demande de cdertificat de présence pour la transmettre au greffe en main propre. Mais pour la photocopie de mon passeport, je dois impérativement en faire la demande auprès du SPIP. Sympa, il m’informe également que n’ayant pas droit d’avoir de photocopie de papier d’identité en ma possession, je dois leur fournir une enveloppe-timbrée avec l’adresse de la personne à qui je souhaite l’envoyer. M’y prenant ainsi, enfin, je réussis à obtenir ce que je souhaite.
Quelques jours plus tard, « après son retour de vacances » me précise la travailleuse sociale en charge de mon dossier, elle envoie la photocopie de mon passeport et, de mon côté, j’envoie également le certificat de présence que j’ai reçu plus de 15 jours plus tard. Mais peu importe, j’ai réussie à obtenir, non sans mal, les papiers dont j’avais besoin pour m’inscrire sur les listes électorales, nous sommes déjà en octobre 2006.
Mais, dans ma démarche citoyenne, mes problèmes ne s’arrêtent pas là. C’est mon amie, Charlotte, qui s’est proposée d’aller m’inscrire à la Mairie d’arrondissement de mon lieu d’habitation à Paris. Elle envoie donc l’ensemble des papiers demandés (courrier de demande d’inscription sur les listes électorales, photocopie de mon passeport et justificatif de domicile). Et là, que lui dit-on ? Mon passeport n’est plus valable depuis quelques mois. Nous sommes déjà début décembre, c’est la catastrophe ! De savoir que je ne vais pas pouvoir voter à la prochaine élection présidentielle me rend malade. Et je suis sacrément énervé. Mais Charlotte est une femme perspicace, elle tente le coup, en espérant que le certificat de présence qui émane de la maison d’arrêt de la Santé (une administration et quelle administration !) prouve bien mon identité et ma nationalité. Elle renvoit donc ma demande par la poste, avec la lettre de refus de la Mairie et le certificat de présence. Au 25 mars 2007, je n’ai toujours pas reçu ma carte d’électeur. Mais ce qui est surtout à observer dans ma démarche, c’est qu’à aucun moment le SPIP ne m’a orienté sur l’association « Droits d’urgence ». Autre chose à relever : comment font les personnes détenues qui sont incarcérées depuis des années et dont les papiers d’identité sont périmés pour exercer leur droit de citoyen ?
Alors on peut se vanter, dans un communiqué, que l’on a inscrit une trentaine de personnes sur les listes électorales pour faire croire qu’en prison nos droits sont respectés, mais dans la réalité du monde carcéral, c’est tout autre chose. Et il est à noter que la maison d’arrêt de la Santé contient environ près de 800 personnes détenues. SI le SPIP avait eu une réelle volonté de faire valoir nos droits de citoyen, certainement qu’il y aurait eu plus de personnes inscrites parce que, tout simplement, toutes celles que je croise parlent entre elles de la prochaine élection présidentielle. Contrairement à ce que certaines personnes pourraient penser, ça nous intéresse ! Le comble de l’histoire, c’est que des affiches ont été mises sur les panneaux d’information pour expliquer comment voter. Mais après le 31 décembre (date limite d’inscription sur les listes électorales) ! On se ficherait de nous, on ne s’y prendrait pas autrement.
Une dernière chose : les travailleurs sociaux du SPIP, en prison, nous n’avons pratiquement aucune chance de les rencontrer. On les rencontre lors de l’incarcération et, par la suite, toutes nos demandes se font par courrier. Dans ces conditions, c’est difficle de communiquer.
Didier Robert, détenu à la M.A. de la Santé, à Paris.