SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009 Annexe au procès-verbal de la séance du 22 octobre 2008 PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête sur les carences du dispositif français d’évaluation des risques suicidaires en prison, PRÉSENTÉE Par Mmes Alima BOUMEDIENE-THIERY, Marie-Christine BLANDIN, Dominique VOYNET, MM. Jacques MULLER et Jean DESESSARD, Sénateurs (Renvoyée à la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d’une commission spéciale dans les conditions prévues par le Règlement.) EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, Un détenu s’est pendu vendredi 17 octobre 2008 dans sa cellule de la maison d’arrêt d’Ensisheim (Haut-Rhin). Un autre détenu a mis fin à ses jours mercredi 22 octobre 2008 dans sa cellule de la maison d’arrêt de Loos. Devant la recrudescence des suicides de détenus depuis le début de l’année, une réflexion doit être menée concernant l’évaluation du risque suicidaire dans les prisons françaises, et la prise en charge psychologique des détenus se trouvant dans cette situation. Les chiffres sont édifiants : selon l’Observatoire international des prisons, on assiste à une augmentation brutale de 27 % des suicides décomptés au premier semestre 2008 par rapport à la même période de 2007 dans les prisons françaises. La loi pénitentiaire, qui sera examinée en janvier 2009 par la Haute assemblée, ne fournit aucune garantie concernant la prévention des suicides en prison. Elle n’aborde pas la question centrale de la protection du droit à la vie des personnes privées de liberté ni ne prévoit de dispositifs spécifiques concernant la prise en charge des détenus présentant des risques suicidaires. Pourtant, une réflexion doit être menée dans ce champ. Il incombe au Parlement de faire toute la lumière sur les dispositifs et grilles d’évaluation existant en matière de prévention du suicide en prison. Le 16 octobre 2008, la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, pour n’avoir pas « protégé le droit à la vie » d’un détenu psychotique qui s’était pendu dans sa cellule en 2000. La France est ainsi sommée de revoir son système d’évaluation et de prévention des suicides en prison, sous la surveillance étroite des institutions du Conseil de l’Europe. Cette décision constitue une invitation à remettre en cause le système actuel de prévention des suicides en prison, au profit d’un système plus efficace, et mieux à même de répondre aux problèmes que connaissent aujourd’hui nos prisons. Le phénomène spécifique des suicides des mineurs détenus doit également faire l’objet d’une attention particulière. Depuis décembre 2004, la Commission nationale consultative des droits de l’homme demande qu’« une étude comparative soit réalisée pour mesurer précisément les spécificités du phénomène de suicide des mineurs détenus ». Une telle étude n’a jamais été menée, ou si c’est le cas, n’a jamais été publiée. Pourtant, elle serait utile à mieux appréhender le phénomène du suicide de cette catégorie de personnes particulièrement vulnérables. De manière générale, une certaine opacité règne en matière de statistique relatifs au suicide en prison : les rapports annuels de la commission centrale de suivi des actes suicidaires en milieu carcéral ne sont à ce jour pas accessibles au public, ni aux parlementaires. Ainsi, le Sénat s’honorerait de conduire lui même une enquête parlementaire qui pourrait déboucher le cas échéant sur la formulation de recommandations à l’attention du Gouvernement, dans la perspective de la création, à l’initiative de Mme Rachida DATI, ministre de la Justice, garde des Sceaux, d’un groupe de travail chargé de mener une réflexion sur les conditions de travail des personnels pénitentiaires et les violences en détention. Associant les parlementaires à une matière qui relève du pouvoir réglementaire, cette commission d’enquête permettrait de faire la lumière sur les outils nécessaires à une meilleure appréhension du suicide en prison et ferait la lumière sur les carences du dispositif existant. Partant, elle contribuerait à redéfinir un modèle de prise en charge des détenus présentant un risque suicidaire et contribuerait à éradiquer le suicide en prison. Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante. PROPOSITION DE RÉSOLUTION Article unique En application de l’article 11 du règlement du Sénat, et de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission d’enquête de vingt et un membres chargée : 1° de déterminer les circonstances exactes ayant conduit au suicide de 91 détenus depuis le 1er janvier 2008 ; 2° d’évaluer la qualité des dispositifs existant en prison pour l’évaluation des risques suicidaires des détenus ; 3° d’évaluer les conséquences des conditions de travail des personnels pénitentiaires sur la prévention des suicides en prison ; 4° d’évaluer précisément les spécificités du phénomène de suicide des mineurs détenus ; 5° d’évaluer le dispositif existant concernant l’accès aux soins et le suivi psychologique des personnes fragiles.