Les suicides en prison ne peuvent que continuer
La série noire continue, la soi-disant série noire des suicides en prison... même si les médias préfèrent nous abreuver des péripéties de l’affrontement pour le titre de premier secrétaire du parti social-libéral. Lamentable spectacle, qui fait diversion : les administrés peuvent en oublier les effets de la crise et la prochaine récession, ou le mouvement actuel de défense du service public d’enseignement... Pour permettre à cette bataille de chiffonnières de trouver une fin quelque peu honorable, qu’il leur soit suggéré de se partager le pouvoir. Une direction bicéphale, voilà qui constituerait un premier pas vers une direction collégiale, en attendant bien sûr la démocratie directe...
Revenons à des choses plus sérieuses. Le 20 novembre, à la maison d’arrêt de Coutances, un homme de 26 ans s’est pendu au mitard. C’est la centième mort cette année, selon l’Observatoire des suicides dans les prisons françaises mis en place par l’association Ban public sur le site prison.eu.org. Un suicide ou mort suspecte tous les trois jours et demi en prison, sept fois plus qu’à l’extérieur. Mais, est-il précisé, « nous savons que ces chiffres ne reflètent pas la réalité », notamment parce qu’ils ne prennent pas en compte les personnes incarcérées qui décèdent à l’extérieur, à l’hôpital par exemple.
Donc la série noire continue, à un détail près : ce n’est pas une série, contrairement au discours habituel des médias - oui, encore - quand ils daignent en parler. C’est une constante, étroitement liée au fonctionnement du système pénitentiaire et judiciaire. Les chiffres le prouvent : 123 suicides en 2002, 120 en 2003, 115 en 2004, 122 en 2005, 96 en 2006, 97 en 2007.
Une mission de réflexion sur les suicides en prison avait été confiée en 2003 au psychiatre Jean-Louis Terra. Voici ce que nous en disions à l’époque : « Pour les suicidés, pas de commission d’enquête... mais une simple mission de réflexion créée en janvier 2003. Qu’en attendre de bon ? Les dés sont pipés car la mission, confiée à un psychiatre, va d’emblée considérer les choses sous l’angle de la maladie mentale. Mais le problème n’est pas fondamentalement psychiatrique, comme tentent de nous le faire croire certaines déclarations [1]. Il est provoqué par des traitements inhumains, méritant pleinement le nom de torture : traumatisme de l’incarcération, longues peines, transferts incessants, placements en quartier d’isolement, mises au mitard, refus de parloir, rejet de libération conditionnelle... etc, etc.
Première embrouille : oser qualifier de psychopathologie le désespoir et les comportements qu’il induit. Seconde embrouille : faire porter tout le poids de cette souffrance extrême, de ce désespoir, à l’individu en niant la responsabilité de l’Administration Pénitentiaire, du système répressif dans son ensemble et de la société. » [2]
Ces propos sont encore plus d’actualité, car l’accroissement, ces dernières années, du nombre de prisonniers souffrant de troubles psychiques ne peut que renforcer la tentative de faire de la question des suicides en prison une affaire médicale. Après la mission de réflexion, les suicides continuent. Et sans l’abrutissement par les médicaments psychotropes, entre autres, leur nombre serait bien supérieur...
On peut fortement douter que la création des UHSA (Unités hospitalières spécialement aménagées), qui n’auront jamais qu’un nombre de places limité face à l’inflation carcérale, puisse mettre fin au « sursuicide » pénitentiaire. Mais au-delà de cette donnée matérielle, il importe surtout de s’interroger sur la tentation de transformer la prison en une prison psychiatrique... Maints éléments peuvent nous donner à penser que cette transformation est en cours, mue par les impératifs d’une politique de plus en plus sécuritaire et par les nécessités du maintien de l’ordre dans un enfermement de plus en plus destructeur...
Quant à parler de soins dans un tel contexte, cela relève du discours cache-misère et de l’alibi. Comme le déclare le psychiatre Evry Archer, « en prison, on ne peut pas soigner les gens ».
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25 novembre 2008 - Jean-Luc Guilhem
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