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(2009) Prisons : Posez enfin les bonnes questions !

Mise en ligne : 20 avril 2009

Texte de l'article :

Prisons : Posez enfin les bonnes questions !
Quand les parlementaires, les citoyens et les élites tombent dans le piège du politiquement correct et s’en contentent, par paresse intellectuelle.

Par Hervé BOMPARD-EIDELMAN

Vous voulez de la sécurité ? On va vous donnez de la répression, parce que répression égale sécurité. Vous voulez des prisons ? Elles symbolisent la répression et la sécurité, on va vous en donner. D’ailleurs, la preuve que ça marche, c’est qu’elles sont pleines à craquer, ou plutôt pleines à mourir et à exploser. Vous voulez qu’elles ne coûtent pas trop cher à l’Etat ? On va les donner à construire et à gérer au privé. Vous êtes convaincus que, plus on enverra souvent les personnes en prison et plus on les y laissera longtemps, plus la société sera sûre, et plus vous serez tranquille ? Est-ce que ça fonctionne ? En vérité, non, et vous le savez bien. Mais vous voulez avoir l’illusion que ça fonctionne, et c’est ça le plus important, c’est le but recherché, vous faire que ça fonctionne. Mieux, faire en sorte que ce soit vous qui en redemandiez.

Quant à savoir combien ça coûte, deux chiffres et une information suffiront. Une cellule coûte 100.000 euros à construire, avec toute l’infrastructure autour. De quoi construire un pavillon pour une famille mal logée ou sans logis. Mais vous avez choisi la sécurité, alors il faut faire un choix. C’est prisons ou logements pour les mal logés. On construit en ce moment 16.000 places de prisons, c’est-à-dire 16.000 pavillons pour familles mal logées ou sans logis.
Une personne incarcérée coûte 30.000 euros chaque année à nos impôts, en comptant tous les frais (hébergement, extractions, transferts, entretien des locaux, loyer, maintenance, chauffage, eau, EDF, etc.). Et encore, les frais de santé et de soins ne sont pas inclus, qui dépendent du Ministère de la Santé. Bref, une personne incarcérée coûte en moyenne un pavillon et trois ans de SMIC chaque année. Il y a actuellement en France environ 59.200 pavillons et 67.000 fois trois ans de SMIC chaque année dans les prisons, sans parler, encore une fois, de la santé ni de la réinsertion. Lorsque quelqu’un sort et qu’il a tout perdu, ce sont les associations, des organismes comme la CAF, le Bureau de l’aide sociale qui vont payer, verser des aides, alors que cette personne avait peut-être quelque chose, un emploi, un peu d’argent, un logement avant d’entrer en prison. Donc, c’est encore vous qui payez avec votre argent. Et quand les copains d’un jeune qu’on a mis en prison cassent tout dans le quartier, les voitures, les écoles, les abris-bus, etc., c’est encore vous qui payez. La prison est décidément un sport de riches… Vous qui adorez la prison pour les autres, avez-vous pensé à cela si, un jour, par malheur, cela vous arrivait ? Car vous avec dû comprendre qu’avec une telle politique fondée sur le fric et la répression, personne n’est à l’abri, ça peut arriver à tout le monde, donc à vous. Il n’y a pas de produit d’assurance pour ne pas y aller. Dommage, n’est-ce pas ? Mais comme on dit ici : la prison, c’est dur les douze premières années, et, à la fin de ta peine, tu fais les six derniers mois sur une jambe.

Heureusement, quelques bonnes âmes, après avoir voté les lois qui ont conduit les prisons dans l’état où elles se trouvent, avec peu à peu un mort par jour depuis janvier 2009, des violences contre les personnels qui se multiplient, des salaires de misère pour seulement 25% des détenus qui ont un travail ou une formation alors que tout devient payant en prison et que les prix sont prohibitifs (environ 30 % plus cher que chez Carrefour, qui n’est déjà pas bon marché d’après mes amis), des travailleurs sociaux totalement débordés, brefs, ces bonnes âmes ont décidé qu’on ne pouvait quand même pas revenir à Cayenne ni à l’Ile de Ré, que la dignité et l’humanité étaient un devoir républicain à l’égard des Personnels, des intervenants, des personnes incarcérées et de leurs familles qui sont, c’est vrai, on l’avait presque oublié, des êtres humains. Alors, on va faire des prisons plus humaines et plus belles. « En oualà une idée qu’elle est bonne », comme dirait Coluche. On dirait un slogan publicitaire : « pour des prisons plus belles et plus humaines, donnez ». Seulement dès que c’est plus beau et plus humain, c’est forcément plus cher, messieurs-dames. Et pour le moment, je n’ai toujours pas trouvé le moyen de placer le mot prévention, ni le mot politique, donc l’expression « politique de prévention ». Quand on parle fric et répression, c’est difficile de parler humanisme, encadrement, éducation, culture, politesse. Forcément ça parle moins, ça fait « tafiole » dans l’idéologie sécuritaire…

Est-ce vraiment le problème de faire des prisons plus humaines et plus belles ? Evidemment qu’un confort minimum est nécessaire, et que la prison doit rester un service public géré par des coopératives et non pas par des entreprises privées qui font des bénéfices pour leurs actionnaires sur le dos des Personnels, des personnes incarcérées et des familles, de vos impôts. Les vraies questions sont : à quoi sert une prison ? Combien de places faut-il au maximum ? Est-il utile d’emprisonner autant et aussi longtemps ? Quel est le plus important : emprisonner en entassant et détruire, fabriquer de la violence et de la pathologie qui ressortira, ou réparer, réinsérer et donner une deuxième chance dans de bonnes conditions ? A ces questions, personne ne sait quoi répondre, même pas les magistrats, juges et procureurs, même pas la Gauche, à part du politiquement correcte du genre « il faut bien protéger la société », en sa cachant la figure avec la main en écartant les doigts pour regarder sur le visage de l’autre l’effet que produit son cynisme et sa parfaite hypocrisie, rodés depuis tant d’années.

Je rappelle pour ceux qui ne suivraient pas que ce n’est pas l’administration pénitentiaire qui incarcère et libère, ce sont les magistrats. Or on ne parle que de l’administration pénitentiaire qui serait la seule responsable de toutes les horreurs et de toutes les souffrances que les personnes endurent en prison, de tous les morts. Elle serait la seule responsable du naufrage de la justice et de la surpopulation, des suicides, de la maladie, et donc de la délinquance puisqu’on incarcère de plus en plus, et tant qu’on y est, de la crise dans les cités. Quand le thermomètre ne vous dit pas ce que voulez savoir, cassez le thermomètre, c’est forcément de sa faute. Je n’ai jamais dit que quelques abrutis ne jouaient pas de temps en temps les garde-chiourmes. Mais, là encore, rappelons-nous que quand le Sage montre la lune avec son doigt, l’imbécile regarde le doigt. Les imbéciles ne sont quand même pas si nombreux que ça et si le système fonctionnait normalement, c’est-à-dire pas en surchauffe comme actuellement, tout irait mieux : les imbéciles seraient plus vite sanctionnés et surtout ils auraient beaucoup moins d’occasion de jouer les « Rambo » des prisons. Le problème, c’est qu’il manque 3.000 surveillants et 2.000 travailleurs sociaux et des centaines de milliers d’euros pour donner du travail ou une formation à tout le monde, et assurer un suivi après la sortie.

Croyez-vous que cela dérange les magistrats ? Savez-vous à quoi un magistrat consacre les deux tiers de son temps ? Pensez-vous que les magistrats viennent souvent dans les prisons, en détention, pour voir leur œuvre ? On dit que le juge est indépendant. Mais est-il indépendant de son idéologie ? De sa carrière ? On dit que les procureurs de la République dépendent de la Chancellerie, donc du garde des sceaux. Mais en dépendent-ils vraiment lorsqu’ils n’appliquent pas les consignes données par la Chancellerie ? Distribuer des années de prison dix heures par jour, incarcérer en quantité industrielle, maintenir en prison le plus longtemps possible, ne pas réinsérer, rien de plus simple : une signature en bas d’un document suffit, les modifications sont des copier-coller, et on passe à autre chose, au suivant… pas d’état d’âme, pas le temps et, surtout, pas l’envie… pas politiquement correct. Pourquoi mettre en danger sa carrière pour des gens qui se foutent de vous au mieux, qui vous méprisent ou qui vous hait au pire ? Faire ce qu’on croit être « son boulot », ne pas prendre de risque, éviter de penser son métier. Et surtout ne pas opposer de résistance à la société, ne pas résister à la pression des citoyens et tant pis pour la justice. Il y a trente six façons d’interpréter un texte, en particulier de refuser une permission de sortir, des remises de peine ou un aménagement de peine. Aucune faute professionnelle possible, on ne juge pas un juge, ou si rarement et si doucement, ni un procureur. A la différence de son nom, le droit n’est pas droit, il est élastique, adaptable à ce qui arrange les magistrats pour ne prendre aucun risque et peu importe les personnes, finalement. Une carrière, ça se ménage, il s’agirait pas de se faire mal voir, de se déconsidérer aux yeux de la hiérarchie toute puissante du quai Branly et de la place Vendôme, merde alors, et puis quoi encore ?

Depuis quelques années, les prisons sont donc devenues des camps de prisonniers administrés par le procureur de la République et le juge de l’application des peines. Leur hantise, dans l’ordre : la bavure, la mutation, le blocage de carrière. L’un parce qu’il aura accepté de laisser sortir une personne qui récidivera, l’autre parce qu’il ne peut pas s’opposer sans cesse au procureur qui dit : « si vous le libérez, je vous préviens, je fais appel ». Le juge ne peut pas se permettre d’avoir des rangées d’appels dans son dossier de carrière. Au moment de l’examen de son évolution de carrière par le CSM [1], on lui demanderait immédiatement : « Vous êtes un juge laxiste avec tous ces appels du procureur dans votre dossier ? ». Quoi répondre ? « Non, je fais mon métier ». Peu crédible. Donc, on ne prend pas de risque, pour ce que ça rapporte, on suit l’air du temps, on se conforme aux volontés du pouvoir et du peuple gavé de propagande sécuritaire. Vous avez dit « indépendant » ?

C’est ainsi que, peu à peu, l’administration pénitentiaire a perdu ses prérogatives, son pouvoir et son autorité en matière d’incarcération et de libération des personnes, reléguée au rôle de simple gardienne des prisonniers, alors que l’insertion est son métier principal et celui qu’elle sait faire le mieux. L’administration connaît parfaitement ses pensionnaires. Elle sait faire la différence entre une personne agressive et une personne violente, par exemple. Elle connaît les mille et une misères humaines, les exigences cabossées, les histoires de vie les plus folles, les plus douloureuses, les plus misérables. Elle connaît la nature humaine dans sa profondeur et dans sa complexité appliquée au quotidien. Elle sait aussi la valeur d’une personne, celle qui s’accroche, celle qui fait des efforts, celle qui veut sincèrement recommencer un autre chapitre de sa vie, celle qui veut sincèrement s’amender. Seule l’administration pénitentiaire est capable de savoir ce qu’il convient de faire telle ou telle personne : ne pas incarcérée, la libérer, quel type de suivi mettre en place, etc. A la différence de la justice, l’administration pénitentiaire n’est pas aveugle. Son premier métier, c’est d’être humaine et bienveillante, ferme et juste. Sa première raison d’être, c’est de ne pas juger. La mémoire de l’administration pénitentiaire, c’est une sorte de paternalisme ferme et bienveillant à l’égard des personnes incarcérées et des sortants de prison, une confiance mutuelle qui, lorsqu’elle s’installe entre les deux parties, permet au détenu de se dire qu’il existe et qu’il est reconnu dans sa dignité d’homme.

A-t-on conscience qu’en transformant les Personnels de l’administration pénitentiaire en garde-chiourmes dans des camps de prisonniers, on en fait des sortes de reclus de la société au même titre que ceux qu’ils sont chargés de garder, des citoyens qu’on tolère mais dont on a un peu honte parce qu’ils sont humains avec les monstres, les bandits et les criminels dangereux qu’ils gardent, un peu comme le bourreau à l’époque où on coupait encore les têtes, où on écartelait en place publique ?

Seulement aujourd’hui, du fait des besoins sécuritaires et répressifs de l’idéologie dominante, les procureurs et les juges se sont emparés des prisons et ont réduit les Personnels, les cadre et même les chefs d’établissement de l’administration pénitentiaire à l’état de serviteurs de leur mission sécuritaire et répressive tout en exigeant d’eux le silence sur leurs méthodes. De très nombreux détenus et avocats sont témoins qu’au cours des Commissions pour statuer sur un aménagement de peine, par exemple, ce que dit le chef d’établissement ou son représentant n’est plus écouté lorsqu’il émet un avis favorable, un peu comme le vieux sage dans un village africain qui parle sur son tonneau et que personne n’écoute mais qui fait parti du décor. Le chef d’établissement est là parce que le code de procédure pénale l’exige, rien d’autre. Inutile de préciser le rôle de l’avocat, qui ressemble à celui du chef d’établissement dans ce jeu d’ombres, et qui est présent pour les mêmes raisons.

Evidemment, tout ce que je raconte là n’est pas très politiquement correct. Mais que l’on m’explique pourquoi, alors, la France se trouve derrière la Lettonie en nombre de libérations conditionnelles accordées chaque année ? Les prisonniers français seraient-ils les pires de toute l’Europe, puisque nous partageons la dernière place avec la Moldavie ? On va les mater, je vous dis, ayez confiance dans la politique de répression et de prisons remplies. On va les briser et en faire des agneaux, vous verrez. C’est sûr, ça, comme théorie ?

On pourra donc voter toutes les lois pénitentiaires qu’on voudra, forcément modernes, forcément la plus formidable depuis des décennies pour repeindre les murs en bleue, rien ne changera tant qu’on ne rendra pas à l’administration pénitentiaire ses prérogatives, son pouvoir et son autorité perdus en matière d’incarcération d’une personne ou la diriger vers un établissement spécialisé, et de libération d’une personne et dans quelles conditions. L’administration et ses « filières », ses prolongations dans la société comme les SPIP [2], les associations d’insertion, les collectivités, les chambres consulaires, les autres ministères, les établissements de soin, etc., sont seules capables de garantir une bonne réinsertion et donc la sécurité publique, grâce à ces réseaux. C’est donc ces réseaux, aujourd’hui totalement désorganisés et sans moyens qu’il faut reconstruire. C’est là qu’il faut mettre les moyens en personnels, en matériels et en argent, c’est-à-dire dans l’accompagnement des personnes, qui débutent en prison. C’est de la responsabilité d’une société. Une société qui a le droit de sanctionner des infractions a aussi le devoir absolu de réintégrer les personnes condamnées qui ont payé leur dette, et non pas simplement purgé leur peine passivement. Il ne s’agit pas de simplement purger une peine, il s’agit de permettre à une personne qui a commis une infraction de préparer une nouvelle vie dans la société, d’accéder à une nouvelle chance, dans la dignité, de s’amender. C’est cela, la fierté d’une société, certainement pas d’entasser des personnes dans ses prisons et de les regarder mourir, tomber malade, devenir dangereuses ou folles. L’administration pénitentiaire sait cela depuis sa création, c’est inhérent à son histoire, à sa raison d’exister. L’administration pénitentiaire ne fait pas de politique, elle gère de la sanction, de la réparation, du soin, du suivi et de l’accompagnement. Elle gère des êtres humains, chacun avec son histoire de vie, ses talents et ses faiblesses, ses pathologies et ses regrets, ses souffrances et ses douleurs, ses démons et sa complexité.

Une vraie loi pénitentiaire sera celle qui rendra son honneur et sa dignité à l’administration pénitentiaire et à ses personnels, qui lui rendra ses prérogatives, son pouvoir et son autorité et surtout les moyens d’accomplir cette mission absolument fondamentale pour les personnes et pour la société. Une loi qui fera qu’elle sera rélégitimée, écoutée du juge et respectée de la justice et des personnes incarcérées et sortantes de prison, de la société dans les choix et les décisions qu’elle préconisera.

C’est aussi une nécessité impérieuse et urgente, pour une raison simple. Si on continue comme ça à faire jouer à l’administration un simple rôle de garder de prisonniers et à la châtrer de ses prérogatives, de son autorité et de son pouvoir, sous l’autorité du patron-procureur du camp, beaucoup de détenus notamment parmi les jeunes vont finir par s’apercevoir de cela, vont en prendre conscience et le peu d’autorité qui reste à l’administration va disparaître pour finir en confrontations violentes pures et simples. Si les détenus savent que l’administration ne peut rien pour eux, alors cela deviendra dangereux tant pour les personnels que pour les magistrats. A trop vouloir jouer la répression, elle se retourne contre ses auteurs à un moment ou à un autre. Ce genre de prise de conscience vient lentement mais se diffuse très rapidement dans les prisons. Enormément de détenus vivent des frustrations terribles dont sont responsables les seuls magistrats, refus de remises en liberté, d’une permission de sortir, d’un aménagement de peine, des remises de peine. Et l’administration pénitentiaire, impuissante alors qu’elle avait donné un avis favorable pour telle ou telle personne, ne fait que passer derrière avec la pelle et le balai pour ramasser la colère, la violence, le suicide, la pathologie, la rage et les larmes qui se diffusent dans le reste de la population carcérale parce qu’une décision négative crée des angoisses chez les autres détenus : « et mois, ils vont me faire quoi ? » Le détenu fait une connerie, s’en prend aux surveillants pour passer sa rage, sa frustration, il est sanctionné, il passe au prétoire, alors que l’origine du problème n’est pas traité. Combien de temps encore les magistrats seront protégés par l’administration ? Combien de temps l’administration pourra-t-elle encore protéger les personnes incarcérées des magistrats ? Dès que les personnes incarcérées commenceront à prendre conscience et à s’organiser, le pire est à redouter…

Il n’existe qu’une seule façon de traiter le problème pénitentiaire et carcéral : il faut donner à l’administration les moyens de ses missions, de s’entourer des meilleurs spécialistes, de donner les meilleures formations à ses personnels, d’organiser les réseaux partenaires et surtout de lui rendre ses responsabilités, son autorité, ses prérogatives. Pourquoi l’administration pénitentiaire ne ferait-elle pas ce qu’il y a de mieux pour la société, pour les personnes incarcérées et sortantes de prison, pour le pays ? Autrement dit, pourquoi ne pas lui faire tout simplement confiance, pourquoi ne pas avoir tout simplement confiance dans ce qu’elle dit, dans ce qu’elle préconise ?

Tout ça pour lancer une proposition mal élevée, dont nous espérons qu’elle sera largement relayée et dont beaucoup s’empareront. Nous proposons de poser les bonnes questions aux personnes incarcérées et aux avocats. Mesdames et Messieurs les parlementaires, les journalistes, les chroniqueurs, les ministres, les associations, voici pour vous aider dans votre passionnante enquête neuf parmi les vraies questions à poser à toute personne incarcérée, sortante de prison, sortie de prison ou à un avocat :
1. Avez-vous eu normalement vos RPS [3] ?
2. Avez-vous eu facilement des permissions de sortir ? Combien et au bout de combien de temps et de quelles durées ?
3. Avez-vous eu un aménagement de peine ? A combien de temps de votre sortie [4] ?
4. Si vous l’avez refusé, pourquoi ?
5. Est-ce que le juge de l’application des peines a toujours tenu parole avec vous ?
6. Diriez-vous que vous avez été traité avec dignité par le juge ?
7. Diriez-vous que le procureur a eu tendance à exercer des pressions sur le juge au cours de la Commission, ou qu’ils sont d’accord entre eux, ou que le juge est resté neutre dans sa décision finale, après la Commission ?
8. Diriez-vous que l’avocat et le chef d’établissement servent à quelque chose au cours de la Commission ? En quoi vous ont-ils aidés ? Ont-ils été écoutés ?
9. Un de vos proches est décédé pendant son incarcération, avez-vous eu le droit d’aller le voir une dernière fois ?

La principale préoccupation, parfaitement légitime, d’un détenu, c’est de sortir. Il mettra donc tout en œuvre pour y parvenir, qui à y laisser sa dignité. Les exemples sont tellement nombreux. Mais pour certains, c’est trop, certains magistrats poussent le bouchon un peu trop loin. Chacun ses limites. On peut affirmer que les personnes incarcérées ne sont pas ménagées par certains juges qui ne prennent pas conscience qu’ils dépassent les limites du supportable pour certaines personnes. Nous prétendons que beaucoup de suicides sont le fait des décisions de ces juges que les personnes incarcérées, par accumulation successives, finissent par ne plus supporter et craquer, en plus des conditions de détention terribles. Mais, là encore, l’administration n’y peut rien puisqu’elle n’a pas de prérogative ni de pouvoir à ce niveau. Elle assiste impuissante à tous ces traitements inhumain et dégradants sans pouvoir intervenir.

Il est indispensable que les juges écoutent les responsables de l’administration pénitentiaire et mieux, prennent conseil auprès d’eux avant de prendre toute décision. C’est ce qu’il faut inscrire dans la loi. Il en va de la vie, ou de la survie, d’une personne, il en va de sa réinsertion, de sa dignité et de la sécurité de la société. Si ça craque, tout le monde sera emporté car ce ne sera pas une simple crise financière qu’on peut stopper à coup de milliards. Ce sera une crise de société, et vu l’état actuel de la société, il y a un risque pour que cela se transforme même en guerre de société. Il ne suffira pas de millions et de promesses de lendemains meilleurs pour réparer les frustrations et les humiliations subies par des êtres humains. Attention de ne pas dépasser la dose prescrite.

Tant que cette question ne sera pas réglée, ne vous endormez pas, braves gens. Si vous connaissez, dans votre entourage, quelqu’un qui travaille dans une prison, qui est député ou sénateur, posez-lui la question, demandez-lui si ce que je vous ai raconté est vrai. En réalité, c’est encore pire que ce que je viens de vous raconter.
 

Notes:

[1] CSM : Conseil Supérieur de la Magistrature, qui est chargé de la gestion des carrières des juges

[2] SPIP : Services Pénitentiaires d’Insertion et de Probation, composés des travailleurs sociaux chargés de suivre les personnes à l’intérieur des établissements et durant leur libération conditionnelle.

[3] RPS : Remises de Peine Supplémentaires, accordées chaque année à raison de deux mois maximum pour les récidivistes et de trois mois pour les condamnés primaires. Il n’existe pas de règles pour les accorder, c’est à la discrétion du juge qui fait ce qu’il veut, comme il veut.

[4] Sachant qu’un aménagement de peine est possible à partir de mi-peine pour un condamné primaire et à deux tiers peine pour un récidiviste