Cette fois, pour la première fois, nous osions tous y croire. Après 26 ans de prison, après 11 ans sans incident en détention, après cinq ans de vérifications diverses, après un parcours du combattant de tests, séjours d’observation, évaluations psychiatriques, après un dernier coup de vice que l’on voulait bien croire technique - une sombre histoire de possibilités de port de bracelet, après avoir cherché en vain ce qui pourrait une nouvelle fois contrarier la sortie d’Abdelhamid Hakkar, nous nous avouions oser y croire.
Vingt ans d’affaire Hakkar n’avaient donc pas entamé notre candeur. L’invraisemblable rat crevé sorti du chapeau nous tombe sur la tête. Cette fois, une histoire de papier*. Les juges continuent la partie. La prochaine fois – car il faudra bien qu’il y ait une prochaine fois - , ils l’arrêteront à la porte de la prison pour défaut de carnet de vaccination.
La justice française a la vengeance tenace. Qu’importe le quart de siècle passé en prison, qu’importe l’absence attestée – fait exceptionnel dans une affaire de grand banditisme, de tout risque de récidive, qu’importe la décence qui devrait empêcher que l’on torture ainsi un homme. Abdelhamid Hakkar est coupable de l’imprescriptible crime de lèse-magistrat.
Au début de la procédure, la cour d’assises de l’Yonne – des disparues du même nom -, sûre d’avoir tout pouvoir sur un Arabe tueur de flic, a imprudemment commis un faux.
Voyant le détenu s’engouffrer dans la brèche, elle a organisé un procès inique au terme duquel il fut condamné à perpétuité en deux heures, sans être ni présent, ni représenté. Outrecuidance suprême, Abdelhamid Hakkar porta l’affaire devant la Cour européenne de justice, qui condamna l’Etat français. Le reste n’est qu’une longue histoire de vengeance, quinze ans de corrida judiciaire où les juges, à cinquante contre un du haut leur fauteuil, envoient des banderilles à un homme seul en cellule.
L’homme encaisse chaque flèche. L’atroce déception, la colère dévastatrice, l’espoir qui s’éloigne d’embrasser sa mère dans son lit avant qu’elle ne meure, de jouer enfin avec des enfants aimés, de retrouver la chaleur de la vie, l’accablement. Le désespoir est mortifère. Il y a danger. C’est des juges et non pas du détenu qu’émanent les menaces de mort.
Les magistrats inventent des couloirs de la mort à la française. Le supplice n’est pas ici la peur de la mort, mais la poursuite de la non-vie. Le parcours est ponctué de sentences – fais tes preuves, fais les encore, tourne dans ta roue. Nous avons ta vie entre nos mains et nous ne la relâcherons pas.
C’est l’insondable cruauté de la peine sans fin que met en lumière l’affaire Hakkar. Des milliers condamnés à des peines insensées posent la question de cette nouvelle peine de mort. Les magistrats sont mal tombés en prenant Abdelhamid pour cobaye. Des décennies de déni de justice l’on transformé en combattant acharné du droit. Il symbolise désormais l’acharnement judiciaire. A trop cogner sur le pot de terre, le pot de fer se cabosse et se ridiculise.
Pascale Braun
* Lire également à propos de cette décision :
> Du jamais vu
> Intégralité de l’arrêt du 4 novembre 2010
> Le dossier Hakkar