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Date : 9-10-2004

22 L’accueil carcéral des enfants mineurs sur le sol français

Mise en ligne : 23 décembre 2004

Texte de l'article :

N’est-il pas choquant que des enfants mineurs, en fuite de pays comme la Sierra Leone ou le Nigeria, qui arrivent dans des états psychologiques catastrophiques soient jugés majeurs et donc menteurs, après un simple examen radiologique (dont on verra plus loin la fiabilité), passé parfois dans des conditions où le moins que l’on puisse dire, c’est que les droits des enfants ne sont pas respectés. En tant que médecin, j’ai toujours été très surpris qu’il soit possible à un radiologue de donner un résultat à un non-médecin sans la marge de variation normale (il n’est pas possible de dater au jour près, mais il serait logique de dire 18 ans plus ou moins 18 mois). Si vous donnez à un magistrat un résultat du type 18 ans, comment pouvez-vous espérer que ce magistrat sache qu’il faut appliquer un intervalle d’erreur ?

Choqué par ces « injustices », je me suis renseigné et j’ai appris que certains de ces enfants martyrisés, dont la « minorité » n’était pas reconnue, se retrouvaient incarcérés à Fleury-Mérogis pour trois mois, suite à un jugement pour infraction sur la législation des étrangers. Une fois cette peine purgée, ils se retrouvent libres avec une interdiction du territoire français et une mesure de reconduite à la frontière. Et cette « infraction » est uniquement basée sur l’examen de l’âge osseux.

Or, un article paru dans la revue Médecine légale hospitalière décrit les différentes méthodes utilisées pour déterminer l’âge d’une personne à partir d’une radiographie. Elles s’appuient sur la comparaison de clichés à ceux standardisés à partir de l’observation d’un grand nombre d’individus supposés bien portants d’une population donnée à un temps donné. La méthode de Greulich et Pyle a été établie à partir de l’étude d’une population américaine d’origine caucasienne et de niveau socio-économique élevé, dans les années 1930 et au début des années 1940 ; celle de Tanner-White-house, à partir d’une population anglaise et écossaise de classe moyenne dans les années 1950 et au début des années 1960. Les auteurs de l’article indiquent que, pour les jeunes d’origine étrangère « la détermination de l’âge osseux doit être extrêmement prudente » car « la radiographie du patient n’est jamais comparée à sa population de référence, ce qui constitue une source d’erreur dans l’interprétation des clichés ». Ils précisent par ailleurs que « des études récentes montrent que la maturation osseuse des enfants et des adolescents s’effectue plus rapidement que par le passé », que « les phénomènes pubertaires interfèrent par eux-mêmes avec la maturation osseuse » et que « à l’adolescence, en particulier dans les deux ans précédant le pic de croissance staturale, l’âge osseux progresse plus rapidement que l’âge chronologique ». Ils concluent en indiquant que « contrairement à l’attente de certains magistrats ou officiers de police judiciaire, l’âge chronologique du sujet ne pourra être donné que sous la forme d’une fourchette d’estimation et non sous celle d’un âge précis » .

Ces enfants se retrouvent niés en tant que demandeurs d’asile, niés dans leur identité, et n’ont souvent à répondre que « cela faisait dix-sept ans que mes parents me disaient que j’avais tel âge ». Certains essaient bien évidemment de « tricher », mais la quasi-totalité de ceux que j’ai reçus étaient à l’évidence mineurs. Il suffisait d’un peu d’attention, d’un peu d’humanité pour se rendre compte qu’ils étaient encore des enfants ou des adolescents. Ces jeunes se présentent totalement désemparés, abattus, sans espoir. Ils éprouvent un sentiment d’abandon et expriment une perte de confiance dans toutes les institutions qu’ils sont amenés à rencontrer. Leur angoisse est majorée par un sentiment de perplexité et d’incompréhension. Il n’est pas rare qu’ils se retrouvent considérés comme plus âgés que leurs aînés et finissent par renoncer à évoquer leur histoire de peur de ne pas être crus. Leur univers s’effondre avec leurs repères lorsqu’ils voient réfuter ce qui constitue pour eux une preuve de leur identité. Un jeune ne disait-il pas, avec une grande naïveté, qu’il ne pouvait pas avoir plus de 18 ans puisque sa grande sœur n’en avait que 17.

De toutes façons, l’univers carcéral n’est certainement pas la prise en charge la plus adaptée à apporter à ce type de détresse majeure. Actuellement, je suis, en tant que médecin, un jeune Sierra Léonais que le passage à Fleury-Mérogis a complètement déstabilisé. Il a l’impression de toujours vivre « en cellule », dort dans le couloir du foyer où il habite pour ne pas être en cellule. Il survit dans la frayeur quotidienne de retourner en prison, n’ayant pas compris le pourquoi de cette « sanction ». Il ne peut faire la différence entre l’arbitraire vécu dans son pays et cet État de droit qui l’emprisonne pour une raison qu’il ne peut comprendre. Actuellement, il est évident qu’il est beaucoup plus traumatisé par ce séjour en prison auquel il fait référence des dizaines de fois par jour que par les événements dramatiques qu’il a vécus dans son pays et qu’il faudra bien affronter une fois qu’il aura « digéré » la prison. Et tout cela à 15 ou 16 ans !

Est-ce digne d’un pays comme la France ? N’y a-t-il pas quelque chose à faire ? Si vous avez une réponse positive, n’hésitez pas à me contacter.

Docteur Pierre DUTERTE, Directeur du centre de soins de l’Avre (Association de victimes de la répression et de l’exil) 125, rue d’Avron, 75020 Paris
www.avre.org

Votre lettre soulève un problème essentiel. En 1999, officiellement, 602 mineurs isolés, la plupart originaires de pays en guerre (32 Sri-Lankais, 41 Soudanais, 51 Congolais de la RDC, 60 Rwandais, 290 Sierra-Leonais), ont été mis en zone d’attente dans des ports ou aéroports, au lieu de bénéficier de la protection prévue dans la Convention internationale des droits de l’enfants ratifiée par la France. D’autres ont été déclarés majeurs, sur la base des pseudo-expertises médicales dont vous parlez. Contre ce scandale, la LDH et de nombreuses associations se sont mobilisées. Une conférence de presse, le 5 juillet 2000, au siège de la LDH, d’un collectif d’associations (AMJF, CIMADE, CNAEMO, COFRADE, GISTI, LDH, MRAP, Syndicat de la magistrature, SNPES-PJJ, La voix de l’enfant), a réussi à faire échec à un projet gouvernemental qui aurait aggravé la situation en abaissant l’âge de la majorité de ces mineurs isolés à 16 ans, pour faciliter leur expulsion, d’autant plus que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a pris également, le 21 septembre, position dans le même sens. Le collectif demande l’admission temporaire immédiate des mineurs isolés. Sur la question des pseudo-expertises dont vous parlez, lors de l’entrevue qu’ont eue le 1er septembre ses représentants avec le cabinet de la garde des sceaux, ceux-ci leur ont assuré que cette pratique allait cesser.

H & L