Une stratégie de prévention des risques infectieux dans le domaine du VIH a été développée dès 1985.
Elle a bénéficié par la suite des progrès intervenus dans le domaine de la recherche épidémiologique et dans celui de la prévention. Les circulaires du 3 novembre 1987, du 17 mai 1989 et du 5 décembre 1996 [1] ont complété le dispositif de lutte contre le VIH en milieu pénitentiaire.
Ce milieu a également intégré la prévention du VHB en s’appuyant sur le protocole de juillet 1997 [2].
Celui-ci donne des recommandations en matière de dépistage des personnes détenues. Il demande qu’une information individuelle sur le VHB soit donnée aux détenus au cours de l’examen médical systématique d’entrée, ou bien lors d’un entretien spécifique de prévention des maladies transmissibles.
Eu égard à la prévalence élevée de ce virus au sein de la population pénale, il demande que des prélèvements sérologiques soient effectués préalablement à la vaccination. En effet, la réalisation de ces tests permet d’identifier les personnes ne nécessitant pas de vaccination puisqu’ayant déjà eu une hépatite B. Elle permet également de repérer les personnes porteuses d’une infection récente ou chronique pour laquelle des examens complémentaires sont nécessaires dans le cadre de la prise en charge habituelle des soins. Ces prélèvements, comme la vaccination elle-même, doivent recevoir le consentement du détenu.
En ce qui concerne le VHC, l’attention des équipes médicales a été attirée sur les risques de contamination par ce virus par la circulaire DGS/DH du 21 mai 1999. Compte tenu de la présence importante d’usagers de drogues parmi la population carcérale, il leur est rappelé que la prévention et la réduction des risques liés à ce virus doivent être “impérativement pris en compte par des conseils individuels, des actions d’éducation pour la santé et par la mise à dispositions d’outils adéquats”.
La stratégie de prévention des risques viraux repose sur :
• la sensibilisation des personnels pénitentiaires et sanitaires ainsi que des personnes détenues sur les risques viraux,
• le dépistage des virus,
• la mise en place d’outils de prévention.
Cette partie se propose d’apprécier la mise en oeuvre des orientations retenues en matière de prévention, à l’appui des études menées dans le cadre de la mission, ainsi que des données recueillies au cours des nombreux entretiens menés.
Ainsi, après une description de ces mesures, le présent rapport s’efforce de répondre aux questions suivantes :
• ces mesures sont-elles connues tant des personnels que des personnes détenues ?
• sont-elles mises en place et dans quelles conditions ?
• permettent-elles d’atteindre les objectifs qui leur sont fixés ?
Répondre à l’ensemble de ces questions s’avère indispensable pour faire un bilan de la mise en oeuvre des mesures de prévention en milieu
carcéral.
I. Les orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral
I.1. Les actions de sensibilisation sur les risques infectieux
La nécessité de sensibiliser les personnels travaillant en milieu pénitentiaire ainsi que les personnes détenues sur les risques infectieux a été soulignée dès la circulaire du 7 septembre 1985. La mise à disposition d’informations objectives sur les virus, leur mode de transmission, les pratiques à risques doit aider les personnes qui y ont accès à s’approprier des gestes de prévention. Elle doit contribuer à la dédramatisation des peurs qui entourent ces virus, en particulier le VIH. Cette orientation est toujours d’actualité. Elle concerne également les hépatites
virales.
I.1.1. Sensibiliser les détenus
Mise à disposition de documents d’information
Cette information passe par la mise à disposition de documents d’informations sur le VIH, le VHC et le VHB. Ces documents doivent notamment leur être systématiquement remis à l’entrée en détention. En outre, les personnes en permission de sortir ou libérées doivent se voir remettre une information particulière sur le VIH, notamment par la remise systématique d’un préservatif comme outil de sensibilisation sur les risques de relations sexuelles non protégées [3].
Mise en place d’actions d’éducation pour la santé
La sensibilisation des personnes détenues se fait également à travers les actions de prévention.
Certaines de ces actions se déroulent dans le cadre d’un programme d’éducation pour la santé en vertu de l’article R.711-14 du Code de la santé publique et peuvent être réalisées par les détenus eux-mêmes afin qu’ils soient impliqués dans la prévention.
Comme le rappelle la circulaire santé-justice du 8 décembre 1994, il s’agit de “mettre en place un projet global associant les personnes détenues, les professionnels sanitaires et sociaux et les personnels pénitentiaires afin que chacun se sente concerné et s’implique dans le cadre d’une véritable promotion de la santé en milieu pénitentiaire”.
Les actions d’éducation pour la santé sont coordonnées par l’établissement public de santé ou par le service médical du programme 13 000. À ce titre, l’UCSA ou le service médical des établissements à gestion déléguée, élabore un programme annuel ou pluri-annuel, en accord avec l’établissement pénitentiaire, la direction régionale des services pénitentiaires et les partenaires locaux, qu’il s’agisse des préfectures (DRASS et DDASS), du conseil général, des organismes d’assurance maladie, ou d’autres collectivités et associations concernées par ce programme.
Bon nombre d’actions d’éducation pour la santé menées en milieu carcéral ont pour objet la prévention des maladies infectieuses et portent sur un ou plusieurs modes de transmission. Certaines de ces actions sont ponctuelles et se déroulent sur un thème précis (le VIH/sida, l’hépatite B, l’hépatite C, l’hygiène, les conduites addictives, la toxicomanie...), selon des modalités variant de la séance d’information au groupe de parole, souvent accompagnées de brochures d’information.
Ces actions peuvent également faire l’objet d’un travail de plus longue haleine, impliquant les personnes incarcérées volontaires dans une démarche de réflexion et d’appropriation des outils d’information et de prévention. Ainsi, la rédaction de brochures, l’élaboration d’une affiche, le mon-tage d’une exposition d’information, d’un documentaire à diffusion interne, ou d’une pièce de théâtre, par les détenus euxmêmes, constituent parfois le support d’actions d’éducation pour la santé portant sur du long terme et permettant l’intégration et la transmission de messages de prévention de réduction des risques.
Afin de créer une véritable dynamique dans le domaine de l’éducation pour la santé, un guide méthodologique à destination des établissements a été conçu en 1998 sous l’égide des ministères de la Santé et de la Justice. Suite à un appel à candidature DAP/DGS, dix sites pilotes volontaires ont été retenus pour réaliser, en s’appuyant sur ce guide méthodologique, des programmes d’éducation pour la santé, par le biais de formations actions. Cette initiative a rencontré un vif succès puisque près de soixante projets ont été déposés lors de l’appel à candidature.
I.1.2. Former les personnels
Des actions de formation participent à la sensibilisation des personnels. Elle doivent contribuer à l’évolution des perceptions et des comportements des personnels, permettre aux personnels de santé, socio-éducatifs, de surveillance et de direction, de pouvoir faire face à des situations auxquelles ils ne sont toujours pas préparés.
Ainsi, comme le précise la circulaire du 5 décembre 1996, ces formations doivent permettre aux personnels :
• d’accroître leur rôle dans la prévention auprès des détenus et dans le soutien auprès des personnes atteintes,
• d’améliorer le soutien, la tolérance et la solidarité envers les personnes atteintes par le VIH,
• de favoriser la prise en charge globale de ces personnes et de promouvoir les politiquesd’information, de prévention, de conseil personnalisé et de dépistage volontaire du VIH,
• de préparer à la sortie, dans une optique de continuité des soins et de réinsertion sociale.
Elles doivent permettre aux personnels sanitaires d’accroître leur rôle dans la prévention auprès des personnes détenues et dans le soutien auprès des personnes atteintes. Trois types de formation leur sont proposées :
- formation à l’organisation des actions de prévention visant à développer les connaissances relatives à l’infection par le VIH et à faire acquérir une méthodologie permettant d’organiser des actions de prévention adaptées pour les personnes détenues et des programmes d’éducation pour la santé,
- formation au conseil personnalisé de prévention afin d’encourager les personnels médicaux et paramédicaux à intégrer, dans une démarche globale d’éducation pour la santé, la prestation de conseil personnalisé et de dépistage et de garantir une cohérence entre les messages d’informations et de prévention délivrés par les différents personnels médicaux,
- formation en matière de prise en charge médicale, psychologique et sociale. Il s’agit d’améliorer le suivi médical et psychologique des personnes atteintes. Son but est d’aider les personnels sanitaires à gérer, dans leur pratique quotidienne, les situations liées à l’infection par le VIH, d’apporter un soutien aux personnes atteintes et de préparer leur sortie.
Les établissements pénitentiaires peuvent s’appuyer sur des outils méthodologiques établis par les administrations centrales concernées. Ainsi, un outil pédagogique dans le domaine de la formation des personnels pénitentiaires a été élaboré sous forme de classeur et diffusé en 1997 auprès des responsables de formation. Il précise les orientations, les conditions de mise en oeuvre, les méthodes pédagogiques et d’évaluation des actions de formation sur le thème des maladies transmissibles.
I.2. Les mesures de dépistage des virus en détention
Le dépistage des virus fait partie intégrante du dispositif de prévention mis en oeuvre en milieu carcéral. Comme à l’extérieur, son objectif est d’informer les personnes sur les virus et leurs modes de transmission et de les responsabiliser en leur laissant la décision de recourir ou non au dépistage afin de favoriser l’adoption de comportements de prévention individuels pour réduire les risques de contamination. Il doit également permettre aux personnes séropositives l’accès à une prise en charge précoce, tant psychosociale que médicale.
Le dépistage du virus du sida a été mis en place en milieu pénitentiaire depuis 1985. L’intervention d’équipes de consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) a été prévue par la circulaire de la DGS du 29 janvier 1993 [4]. Ce texte précise que les dépistages doivent résulter d’une démarche volontaire de la personne. Tant la proposition du test que la remise de ses résultats, qu’ils soient positifs ou négatifs, se font dans le cadre d’une consultation d’information-conseil personnalisée. Ces principes sont repris par la circulaire du 5 décembre 1996 qui souligne qu’un dépistage est systématiquement proposé aux personnes détenues à l’entrée en détention dans le cadre “d’un conseil personnalisé de prévention de l’infection par le VIH”.
Ce dispositif a permis également le dépistage du VHC au moment de l’émergence du virus.
Néanmoins, le nombre de personnes contaminées dans la population générale (évalué à 600 000 personnes) ainsi que les progrès obtenus dans le domaine de la prise en charge thérapeutique de ce virus ont justifié l’élaboration d’orientations spécifiques en matière de dépistage et de prise en charge de ce virus. La circulaire DGS/DH du 21 mai 1999 [5] appelle l’attention des services de santé et recommande que le dépistage soit proposé à toute personne présentant des facteurs de risques. En milieu pénitentiaire, elle prévoit que ce dépistage doit être proposé lors de la consultation médicale d’entrée.
Dans un souci de protection du détenu et de confidentialité des informations individuelles relatives aux résultats du dépistage le concernant, il est rappelé, au même titre qu’en milieu libre, que le dépistage ne peut être effectué à titre obligatoire.
Les résultats du test de dépistage doivent être communiqués oralement au détenu.
Le médecin de l’UCSA renouvelle, si besoin est, les conseils de dépistage lors des autres consultations.
Il prescrit un test de dépistage, soit à la demande de l’intéressé lui-même, soit avec l’accord de l’intéressé en raison de critères médicaux tels que symptômes, facteurs de risques...
I.3. Les mesures prophylactiques
La prévention des virus suppose le respect des règles d’hygiène générales et particulières dans l’accomplissement d’actes professionnels et l’accès à une prise en charge thérapeutique quand il y a eu une exposition à un risque de transmission.
I.3.1. Les mesures d’hygiène
Deux documents sur la prévention des risques professionnels ont été élaborés à l’intention des personnels pénitentiaires à l’initiative de la direction de l’administration pénitentiaire. Prenant la forme de fiches thématiques intégrées dans un classeur, le premier est destiné spécifiquement aux responsables des services pour les sensibiliser sur les risques. Le second document, sous forme de livret, est quant à lui destiné à l’ensemble des agents de l’administration pénitentiaire. Ils constituent des sources d’information sur les virus, les risques de transmission liés au contexte carcéral et font des recommandations sur les gestes d’hygiène à respecter, les mesures de prévention et les conduites à tenir en cas d’exposition.
Les mesures d’hygiène générales consistent à se laver les mains et à manipuler avec soin les objets tranchants. Elles consistent également, pour les personnels, à appliquer des mesures préventives quand leur intervention est susceptible de les exposer à un contact au sang. La circulaire du 5 décembre 1996 porte ainsi l’attention des personnels pénitentiaires sur la nécessité de “disposer de gants à usage unique pour les interventions sur des accidents avec exposition au sang”. L’administration pénitentiaire met ainsi à la disposition des personnels des gants de différents types qu’ils doivent utiliser en fonction des situations professionnelles rencontrées (fouille à corps, fouille de cellule, intervention auprès d’une personne qui saigne...)
I.3.2. L’accès aux traitements post-exposition
Les personnels ainsi que les personnes détenues ayant été exposés à un risque de transmission du VIH, par voie sanguine ou sexuelle, doivent pouvoir accéder à un traitement antirétroviral. Le dispositif mis en place pour l’accueil et la prise en charge des personnes en relevant doit pouvoir répondre à des situations d’urgence. Il doit permettre une intervention dans les heures qui suivent l’exposition, une évaluation par un médecin référent du risque de contamination et, si le risque est documenté, l’accès aux traitements antirétroviraux. Le dispositif doit enfin permettre le suivi des personnes pour évaluer leur observance au traitement.
Pour les personnels
La procédure applicable aux personnels pénitentiaires est fixée par la circulaire du ministère de la Justice du 15 juillet 1997. Elle fait intervenir le service des urgences de l’hôpital le plus proche pour l’évaluation du risque, dans les plus brefs délais après l’exposition. L’établissement hospitalier est également compétent pour la prescription d’une thérapie dans les quatre heures qui suivent l’exposition si le risque est documenté, ainsi que pour la pratique d’examens sérologiques visant à rechercher des anticorps sept jours après l’exposition, puis trois à six mois après.
Pour les personnes détenues
L’organisation du dispositif pour les personnes détenues est laissé à l’initiative locale. La circulaire DGS/DH/DRT n° 98 - 228 du 9 avril 1998 prévoit que l’identification des procédures applicables fait l’objet d’une concertation locale faisant intervenir les directions départementales des Affaires sanitaires et sociales, les CISIH ainsi que les médecins intervenant
en milieu pénitentiaire.
I.4. La mise en place d’outils de prévention des risques sexuels
La mise à disposition de préservatifs a été mise en oeuvre en détention depuis 1989. La circulaire du 5 décembre 1996 est venue renforcer ce dispositif en élargissant les lieux de mise à disposition et en privilégiant le libre accès des détenus au préservatif.
Ces préservatifs doivent répondre aux normes réglementaires et être accompagnés de lubrifiant et d’un mode d’emploi. Leur mise à disposition se fait également au moment de la sortie de détention pour les permissionnaires et les libérés. Il est par ailleurs précisé que les détenus peuvent les conserver sur eux ou dans la cellule.
L’administration pénitentiaire supporte le coût de ce dispositif.
La mise à disposition de préservatifs en prison a fait l’objet dans le cadre du réseau européen, en 1995, d’une étude de G. Schaller. Il en ressort que sur les trente-deux prisons européennes visitées, vingt-quatre avaient mis en place ce dispositif, mais selon des modalités de mise à disposition différentes : en détention pour vingt-deux d’entre elles, en semi-liberté pour seize d’entre elles, pendant les visites conjugales pour quatorze et à la libération pour dix-sept [6].
I.5. Les outils de réduction des risques liés au sang
I.5.1. Le sevrage et les traitements de substitution
La volonté de développer une politique de prise en charge des usagers de drogues incarcérés s’est manifestée dès 1986 avec la création des premières antennes toxicomanie rattachées aux services médico-psychologiques régionaux. La circulaire du 3 novembre 1987 précise les modalités de fonctionnement de ces antennes. Il existe aujourd’hui seize centres spécialisés de soins aux toxicomanes implantés en milieu pénitentiaire (ex-antennes toxicomanies), répartis sur le territoire national. Le dispositif a ainsi pour objectif d’apporter une réponse globale aux problèmes psychologiques, médicaux et sociaux rencontrés par les usagers de drogues. Il doit faire le lien avec le milieu libre en vue de la préparation à la sortie. Des modules de préparation à la sortie spécifiques (unités pour sortants) existent également dans sept établissements pénitentiaires.
Le sevrage et/ou l’accès aux traitements de substitution à la méthadone et au Subutex®, dans le cadre d’un accompagnement sanitaire et social, participe à l’amélioration de la situation somatique et psychologique des personnes incarcérées dépendantes. En favorisant la gestion par le détenu de sa dépendance, ce dispositif conduit en principe à la réduction, voire à la suppression de toute pratique à risques liée à la consommation de drogues en prison.
Ainsi, la circulaire du 5 décembre 1996 recommande que la personne toxicomane ayant initié en milieu libre un traitement de substitution puisse continuer à en bénéficier en détention au titre de la continuité des soins. Elle précise également “qu’une primo-prescription de méthadone pourra désormais être initiée, en cours de détention, pour des toxicomanes présentant une pharmacodépendance avérée aux opiacés, dans le cadre d’un processus de soins et d’insertion sociale dont les modalités et les conditions auront été définies avec attention”. Cette primo-prescription doit toutefois émaner d’un médecin travaillant dans une “antenne” ou d’un centre extérieur habilité à intervenir en milieu carcéral.
I.5.2. L’eau de Javel comme outil de réduction des risques infectieux
Afin de prendre en compte, en milieu libre, les pratiques de partage et de réutilisation du matériel d’injection qui concernent encore un nombre appréciable d’usagers de drogues (13 % des usagers ont partagé leur seringue au cours de leur dernière injection), la direction générale de la santé recommande, sur la base des recherches menées par l’INSERM [7], l’utilisation de l’eau de Javel en tant qu’outil de réduction des risques.
En effet, quand elle est utilisée dans des conditions précises, l’eau de Javel permet de réduire efficacement les risques de contamination virale. Mais ce produit ne les éliminant pas entièrement, la DGS souligne qu’il doit être utilisé en dernier recours et en l’absence de tout accès à du matériel d’injection stérile.
En milieu carcéral, la direction générale de la santé et la direction de l’administration pénitentiaire ont privilégié, en l’absence d’accès à du matériel stérile d’injection, une grande accessibilité à l’eau de Javel qui peut en cas de besoin être utilisée à des fins de décontamination des seringues, mais également du matériel de tatouage et de piercing. La circulaire santé-justice du 5 décembre 1996 relative à la lutte contre le VIH en milieu pénitentiaire prévoit que ce produit doit être distribué gratuitement et systématiquement aux personnes détenues et doit être inscrit parmi les produits cantinables. Cependant, le rôle de l’eau de Javel comme outil de réduction des risques liés à la pratique d’injection n’est pas spécifié dans ce texte, mais dans une note de la DGS aux directeurs départementaux des affaires sanitaires et sociales [8] (annexe 13). Ce courrier leur demande de sensibiliser les responsables des services médicaux des établissements pénitentiaires sur la faculté d’utiliser ce produit comme outil de réduction des risques liés à l’injection ainsi qu’au tatouage et au piercing.
Après avoir rappelé que la consommation de drogues était probable même si elle ne pouvait être objectivement quantifiée, cette note précise que ce produit peut être utilisé comme outil de prévention efficace dans le cas d’une réutilisation ou d’un partage de matériel d’injection par les personnes détenues poursuivant un usage de drogues par voie intraveineuse. Les modalités d’utilisation de ce produit pour la désinfection de seringues usagées sont précisées en annexe de ce courrier (annexe 14).
La direction de l’administration pénitentiaire a également transmis ce courrier pour information aux directions régionales des services pénitentiaires, au moment de la mise en oeuvre de la mesure, en précisant qu’il s’agit d’une mesure d’hygiène générale qui vise en particulier la prévention des maladies transmissibles telles que le VIH et les hépatites virales. Elle a attiré l’attention de ses services sur la nécessité d’accompagner la mise en oeuvre de cette mesure par des actions de formation des personnels (en lien avec les services de santé compétents, médecins de prévention notamment) et par des actions d’information des personnes détenues (en sollicitant le concours des services médicaux intervenant en milieu pénitentiaire et en recourant à divers supports, plaquettes d’information, canal vidéo interne, actions d’éducation pour la santé....).
La France a ainsi opté pour un programme peu répandu au sein des autres pays. En effet, sur les trente-deux pays recensés au sein de la revue de littérature de l’InVS dans le cadre de la mission, seulement neuf ont mis en oeuvre une telle action.
Les motifs invoqués pour expliquer le manque d’attrait de cette mesure par les pays qui ne l’ont pas retenue sont le risque que l’eau de Javel soit employée comme “arme” par les détenus à l’encontre des surveillants, contre autrui ou contre le détenu lui-même. Il est à noter qu’aucune publication ne mentionne d’incidents de ce type [9].
La circulaire du 5 décembre 1996 prévoit la distribution à titre gratuit aux détenus de flacons d’eau de Javel de 120 ml à 12° chlorométrique. À ce niveau de concentration, le produit n’est pas toxique, même en cas de projection sur la peau ou dans les yeux, et ne présente pas de différence significative d’efficacité avec de l’eau de Javel à 24°. Cette mise à disposition d’un flacon se fait par l’administration pénitentiaire sous forme d’une distribution systématique à l’entrée, gratuite et renouvelée tous les quinze jours. Ce produit figure également sur la liste des produits cantinables.
II. Un bilan mitigé sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux en milieu carcéral
Le bilan sur la mise en place des orientations relatives à la prévention des risques infectieux a été réalisé à partir de diverses études et du suivi des actions réalisé au niveau national. Si certaines données sont locales, la mission s’est néanmoins efforcée de croiser les données disponibles et a pu cerner les points forts ainsi que les limites de la plupart de ces actions.
II.1. Des actions d’éducation pour la santé en voie de développement
Depuis de nombreuses années, les établissements pénitentiaires se sont appuyés sur la journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre, ainsi que sur les actions d’éducation pour la santé pour mobiliser les personnes détenues sur les risques infectieux.
Ainsi, les bilans réalisés sur la journée mondiale de lutte contre le sida montrent que les initiatives engagées suscitent de la part de la population pénale un intérêt qui se manifeste par sa participation à l’élaboration de pièces de théâtre, d’oeuvres artistiques ou au travers de forums et de débats... [10]
Le suivi des actions d’éducation pour la santé tend à établir que, depuis 1997, elles ont évolué dans une optique de plus grande efficacité. Elles intègrent mieux la démarche partenariale, mobilisent de plus en plus de services sanitaires et pénitentiaires en lien avec des relais extérieurs tels que les DDASS, les CRES et les CODESS. Un nombre croissant d’établissements pénitentiaires ont ainsi enclenché la démarche, les services pénitentiaires d’insertion et de probation investissant progressivement cette mission. Les formations-actions ont permis aux personnels pénitentiaires et sanitaires d’acquérir une méthodologie d’aide à l’élaboration de projets. Cela a créé des occasions de travailler en partenariat entre les deux institutions et a favorisé l’émergence d’un intérêt commun autour de la promotion de la santé.
En 1998, le bilan fait apparaître que la journée du 1er décembre garde un caractère symbolique, mais que la sensibilisation à la lutte contre le sida tend à s’intégrer au fonctionnement quotidien des établissements pénitentiaires et à s’inscrire davantage dans la durée avec le développement de véritables actions de formation et d’éducation à la santé. Sur certains sites ont été mis en place des comités de pilotage locaux auxquels participent personnels sanitaires et pénitentiaires, mais également intervenants extérieurs, ce qui est significatif d’un véritable souci d’articulation et de coordination entre les différents professionnels.
En outre, les contenus des actions ont évolué pour mieux tenir compte des besoins et du contexte local. Alors que les programmes étaient souvent conçus “en termes de techniques didactiques, prescriptifs, sans références scientifiques, ou bien en termes généraux, réflexifs, sans références à des réalisations [11]”, ils sont désormais élaborés à partir de l’expression des besoins des publics.
II.2. Des actions de formation des personnels pénitentiaires insuffisamment
fréquentes et qui agissent partiellement sur les représentations
II.2.1. La fréquence
La participation aux actions de formation varie en fonction de la nature de ces dernières ainsi que de la catégorie professionnelle des personnels.
L’évaluation réalisée par le CODESS de Rennes [12] sur les besoins en formation des personnels pénitentiaires de la région Grand-Ouest révèle que les personnels ont participé, de 1993 à 1997, en premier lieu aux formations continues ayant trait à des thèmes globaux plutôt qu’à des formations ciblées sur les maladies transmissibles. Le personnel d’insertion et de probation ainsi que le personnel enseignant sont ceux qui participent le plus à ces formations (respectivement 76 % et 80 %). A contrario, les personnels fréquentant le moins ces actions sont les surveillants (43 %), le personnel administratif (53 %) et le personnel technique (54 %).
Il existe également une variation en fonction du type d’établissements. Les centres de détention et les centres pénitentiaires sont ceux qui ont le plus de participants. On constate une moindre participation des personnels des maisons d’arrêt. Cela peut s’expliquer par la charge professionnelle à laquelle ils sont confrontés et par le turnover important au sein des maisons d’arrêt qui ne leur permet pas de trouver des moments de disponibilité dans l’emploi du temps qui leur est aménagé. Cela a été corroboré lors des déplacements de la mission. Les personnels interrogés considéraient que les formations sont insuffisantes en nombre et, pour certains d’entre eux, difficiles à suivre.
L’étude du CODESS de Rennes signale également que les personnels participent beaucoup moins aux formations ciblées exclusivement sur les maladies transmissibles. Ils sont en effet seulement 9 % à en avoir suivi une, avec ici aussi une représentation plus importante des personnels d’insertion et de probation.
Ce manque d’attrait peut s’expliquer par le moindre intérêt manifesté par la population générale à l’égard du virus du sida depuis notamment l’apparition des multithérapies ou par un manque d’actions de formation programmées en direction des personnels pénitentiaires. A. Chantraine et
A.-M. Palicot expliquent également le manque d’intérêt des surveillants à l’égard de ces formations par le fait qu’elles ont trait à l’aide et à la prévention, c’est-à-dire à des missions pour lesquelles les surveillants considèrent ne pas devoir intervenir directement. En ce qui concerne la formation sida, celle-ci peut être pensée comme stigmatisante par ces personnels et renvoyer à des problématiques qu’ils peuvent considérer comme contradictoires avec leur mission, car ayant trait à la toxicomanie ou à l’homosexualité.
En ce qui concerne tout particulièrement les formations portant sur les maladies transmissibles, les personnels de surveillance d’un établissement, rencontrés par la mission, ont déclaré qu’aucune n’avait été faite depuis plusieurs années. La moitié des directeurs interrogés par l’ORS PACA (14/23) les estiment également insuffisantes alors que l’autre moitié les considèrent comme suffisantes [13].
II.2.2. L’impact
L’enquête de D. Lhuilier nous permet de constater que les formations sur le VIH ont contribué à l’enrichissement des connaissances des personnels et à l’évolution de leurs comportements. Ces formations, qui “ont duré deux à trois jours” sur les thèmes relatifs à “la source de contamination, l’évolution de la maladie, la signification du taux T4, les maladies opportunistes [14]”, ont permis aux surveillants d’avoir des connaissances sur le VIH. Elles ont permis de parler du sida avec des collègues et d’exprimer les craintes jusqu’alors non formulées.
Elles ont eu un impact sur les peurs à l’égard des modes de transmission et ont contribué à améliorer les relations de certains surveillants avec les détenus en discutant par exemple avec eux du sida. Elles permettent ainsi de rassurer les personnes sur les risques de transmission. Ainsi, pour D. Lhuilier :
“Les surveillants ont tous acquis des connaissances objectives sur les modes de contamination et sur les techniques de prévention, connaissances dont ils sont assez généralement capables de restituer
l’essentiel. Presque sans exception, ils restreignent leur perception du risque aux situations de contact direct avec le sang d’un porteur du virus du sida [15]”.
Toutefois, le travail positif opéré par ces formations demeure superficiel dans la mesure où les peurs, même si elles sont tues ou minimisées au départ, ressortent au fil des entretiens des personnels avec les chercheurs. En fait, les actions de formation ne peuvent occulter les représentations que les personnels ont du détenu et peuvent ainsi voir leur efficacité réduite. Pour les personnels de surveillance, le détenu est considéré comme le principal vecteur de maladie. L’exercice de la profession constitue un risque de contamination de maladies graves pour 91 % des surveillants et 83 % des surveillantes [16].
L’idée, selon laquelle les détenus sont les principaux agents de contamination, soit pour les détenus soit pour les surveillant(e)s, est forte.
Ces peurs portent également sur les risques de transmission qui peuvent être exagérés voire infondés. À titre d’exemple, 49 % des personnels rencontrés par A. Chantraine et A.-M. Palicot [17] ont estimé que le bouche-à-bouche en réanimation représentait un facteur de risques. L’ensemble du dispositif risque alors d’être considéré comme incomplet.
II.3. Des mesures de dépistage et de vaccination qui peuvent être renforcées
La population détenue s’est fréquemment fait dépister pour un ou plusieurs virus. En effet, selon l’enquête santé-entrants de 1997, les entrants sont environ 50 % à déclarer avoir effectué l’un des tests de dépistage (VIH, VHC ou VHB). Les usagers de drogues par voie intraveineuse se caractérisent par un taux de dépistage particulièrement élevé. Ils sont seulement 17 % à n’avoir fait l’objet d’aucun test de dépistage avant l’entrée en prison.
Ces données ne doivent pas masquer les besoins de cette population dans ce domaine.
La comparaison des données recueillies en milieu libre et en détention démontre que les UDVI incarcérés ont moins fréquemment réalisé un dépistage que les UDVI interrogés en milieu libre.
Il reste une moitié des entrants (49,6 %) qui déclarent n’avoir jamais fait de test de leur vie et près de la moitié des entrants déclarent ne pas avoir effectué de test de dépistage du virus du sida. L’ORS PACA évalue à 63 % le nombre de détenus n’ayant pas eu de test de dépistage du virus de l’hépatite C à un moment de leur vie [18]. En outre, 53 % des détenus interrogés ont déclaré ne pas avoir été vaccinés contre le VHB et, parmi les 41 % des détenus qui affirment avoir été vaccinés avant l’incarcération, 13 % n’ont pas reçu toutes les injections nécessaires à l’efficacité de la vaccination.
Certains détenus ayant effectué un test n’ont jamais pris connaissance de ses résultats. En effet, 11 % des détenus interrogés par l’ORS PACA (majoritairement non-usagers de drogues) déclarent ne pas avoir pris connaissance du résultat du dernier test. Les détenus usagers de drogues se démarquent là aussi de ce résultat, car ils sont seulement 3 % à être dans cette situation.
Par ailleurs, les tests salivaires effectués dans le cadre de l’enquête de l’ORS PACA démontrent qu’un nombre important des personnes identifiées par les tests comme séropositives ignoraient leur statut. Sur les vingt-trois personnes séropositives au VIH d’après le test, six (26 %) d’entre elles ne connaissaient pas leur sérologie. Sur les soixante dix-neuf personnes séropositives au VHC d’après le test, trente et une personnes (39 %) ne connaissaient pas leur sérologie. En outre, un certain nombre ont une connaissance erronée de leur statut sérologique. Pour le VIH, huit détenus sur vingt-huit se déclarant séropositifs sont en réalité séronégatifs,
soit 29 % des cas. Une personne (4 %) se croyant séronégative est en réalité contaminée. Pour le VHC, 18 % des personnes se croyant séropositives sont séronégatives et dix personnes (4 %) se croyant séronégatives sont en fait infectées.
Cette méconnaissance peut être dommageable en termes de prise en charge sanitaire et de comportements individuels, la certitude d’être séronégatif pouvant entraîner un relâchement des gestes de prévention vis-à-vis des autres. La personne se croyant à tort séropositive peut, quant à elle, être psychologiquement déstabilisée.
La prison constitue néanmoins un lieu important pour l’accès aux dépistages du VIH et du VHC. Pour ce dernier, l’enquête de l’ORS PACA indique que 69 % des tests au VHC ont eu lieu en détention [19].
La réalisation des tests en prison se fait majoritairement dans le cadre de l’entrée en détention. Ainsi, 68 % des médecins (17/25) déclarent qu’ils sont réalisés dans la première semaine de détention. Le reste du temps, ils interviennent dans les quatre premières semaines de détention [20].
Toutefois, le moment de l’incarcération ne paraît pas toujours propice pour la délivrance des informations sur le dépistage à des détenus psychologiquement fragilisés par l’épreuve de l’interpellation et/ou de la mise sous écrou et, par voie de conséquence, peu réceptifs. Il ressort des témoignages de personnes détenues qu’elles ont pu ne pas saisir la différence entre les divers dépistages proposés par les personnels soignants. De ce fait, elles n’intègrent pas forcément les résultats de ces dépistages. De plus, il semble exister une confusion dans l’esprit de certains sur le dépistage des maladies vénériennes et le dépistage du VIH et des hépatites.
En ce qui concerne la vaccination du VHB, les conseils médicaux donnés aux personnes détenues ne semblent pas toujours porter leurs fruits. En effet, 69 % des détenus rencontrés par l’ORS PACA accepteraient de bénéficier d’une vaccination si on le leur proposait, alors que les médecins ont indiqué qu’elle leur était proposée mais qu’ils ne l’acceptaient pas. Ce résultat peut mettre en lumière les limites des conseils médicaux dès l’entrée en détention en matière de prévention de ce virus.
Très peu de renseignements sur les modalités de mise en oeuvre sont parvenus à la mission. Un témoignage recueilli dans le cadre d’une étude fait toutefois état d’un dépistage à l’insu d’un détenu usager de drogues. Celui-ci déclare en effet avoir pris connaissance de sa séropositivité à l’hépatite C par l’assistante sociale du SMPR [21].
Les détenus rencontrés par l’équipe de RESSCOM regrettent la faiblesse des actions d’accompagnement au moment de la découverte d’une séropositivité, cette carence amplifiant alors la gravité de ce moment. Ils ont “l’impression de ne pas pouvoir s’exprimer ou même communiquer autour de ces examens. La faiblesse des informations et du soutien quand il y a ‘révélation’ d’une sérologie positive renforce la dimension de l’épreuve [22]”.
En conclusion, même si les orientations en matière de dépistage semblent appliquées, ces différents éléments tendent à démontrer que des progrès peuvent encore être réalisés sur ce point.
II.4. Des traitements post-exposition pas toujours identifiés
Les informations récoltées par la mission sur le dispositif post-exposition appliqué aux personnels ne sont pas suffisantes pour dresser un bilan exhaustif sur l’effectivité et l’efficacité de cette mesure. Ce dispositif est néanmoins pris en compte dans l’organisation sanitaire des établissements pénitentiaires. Les quelques services sanitaires confrontés à un risque post-exposition encouru par un membre du personnel ont pu l’appliquer. Les personnels sanitaires, rencontrés par les membres de la mission, ont également affirmé qu’ils étaient prêts à répondre en cas de besoin.
En fait, les rencontres sur sites avec le personnel ont mis en évidence que l’efficacité de cette procédure était altérée par la faible connaissance que les personnels en avaient. Ainsi, les personnels de surveillance, principalement concernés par les risques d’exposition, ont connaissance de l’existence d’une telle procédure mais en méconnaissent ses modalités. Aussi, le risque qu’ils n’aient pas intégré la notion d’urgence d’une telle mesure, en particulier pour l’application des premiers gestes de prévention, ne doit pas être écarté.
En ce qui concerne les personnes détenues, les procédures sont identifiées pour chaque établissement par le responsable médical en collaboration avec la DDASS et le CISIH géographiquement compétents. Le groupe de travail n’a pu expertiser les dispositifs retenus par l’ensemble des établissements.
Toutefois, les responsables médicaux auditionnés par la mission ont témoigné de leur capacité à appliquer la procédure en cas de besoin. Quoi qu’il en soit, il apparaît que les traitements postexposition sont très peu mis en oeuvre à l’égard des personnes détenues. Les quelques cas que peuvent rencontrer les services sanitaires de la prison impliquent des détenus à la suite de bagarres identifiées par les surveillants. Ce constat peut également résulter de la faible sensibilisation des détenus sur ce dispositif. À cet égard, il convient de signaler que l’information des détenus sur ce dispositif ne suffit pas forcément à les inciter à y recourir. En effet, les risques en question étant liés à des actes répréhensibles par l’administration pénitentiaire (telle l’injection de drogues), ou bien pouvant les exposer à des représailles de la part des autres détenus (relations sexuelles avec violence), ou les stigmatiser auprès du personnel médical, les détenus exposés à un risque peuvent être amenés à ne pas vouloir accéder au dispositif post-exposition.
II.5. Le préservatif : un outil de réduction des risques dont la mise en oeuvre souffre de lacunes
II.5.1. Une mise en oeuvre insuffisante de cet outil
La mesure consistant à mettre des préservatifs à disposition des détenus, durant la détention et dans le cadre de leur sortie en tant que permissionnaires ou libérés, est mise en oeuvre dans la grande majorité des établissements. Sur les vingt-cinq établissements interrogés par l’ORS PACA [23], vingt-trois déclarent l’avoir implantée. En outre, les personnels rencontrés dans le cadre de la mission ont déclaré que cette mesure était effective dans leur établissement.
Cependant, cette mesure n’est pas toujours perçue comme pertinente dans certaines prisons pour femmes.
Les unités médicales restent les lieux où les préservatifs sont très majoritairement accessibles : 92 % des établissements contactés par l’ORS PACA ont déclaré que cette mesure était en place au niveau de ces services.
La possibilité offerte par la circulaire du 5 décembre 1996 de permettre d’autres lieux d’accès a été peu suivie d’effet. En effet, selon l’ORS PACA seulement 16 % des établissements proposent d’autres modalités de mise à disposition (via les associations, par cantine...)
Les détenus ont insuffisamment connaissance de ce dispositif. D’après l’étude menée par l’ORS PACA, 34 % des détenus croient qu’il n’y a pas de préservatifs en prison.
En outre, alors que la circulaire du 5 décembre 1996 prévoit un libre accès au préservatif, donc sans avoir à le demander [5ORS PACA. Réduction des risques de l’infection à VIH et des hépatites en milieu carcéral : prévalence des pratiques à risques et analyse des contraintes et de la faisabilité des programmes de réduction des risques en milieu carcéral. Rapport final 1998]], 29 % des détenus déclarent que son obtention se fait à la demande auprès des médecins ou de l’infirmerie. En fait, à peine 27 % des détenus savent qu’ils sont disponibles à l’infirmerie sans avoir à le demander. Il est difficile d’analyser cette donnée en l’absence de toute autre information.
Soit elle reflète l’expérience vécue en prison par certains détenus interrogés, soit elle souligne le caractère lacunaire des informations dont ils disposent à l’égard de sa mise à disposition.
Les modalités de mise à disposition retenues par les services peuvent avoir pour effet d’en réduire leurportée. La crainte d’être vu au sein d’un service peut inciter le détenu à ne pas y recourir, comme l’ont confirmé certains personnels rencontrés. En outre, les membres de la mission ont pu constater, au cours de la visite d’un service médical, que très peu de préservatifs avaient été mis à disposition, ce qui pouvait dissuader les détenus d’en prendre.
II.5.2. Une insuffisance qui met en exergue la question de la sexualité en prison
Le bilan réalisé révèle la difficulté à aborder, au sein de la détention, le thème de la sexualité.
Une question difficile à vivre pour les détenus
Le contexte carcéral fragilise l’identité virile des détenus. “Si posséder un femme renforce l’altérité désirée en éloignant le spectre de l’identité (avoir une femme pour ne pas être une femme), l’absence de femmes comme la situation de dominé peuvent entretenir la peur de ne plus être un homme. Si être un homme signifie ne pas être docile, dépendant, soumis, ne pas avoir de relations trop intimes avec des hommes, ne pas être impuissant avec les femmes... comment être assuré d’être un homme en prison [24] ?”
Ce risque de ne plus savoir ou de ne plus pouvoir va engendrer chez les personnes détenues des pratiques en vue de se réassurer dans leur identité : masturbation, mais également relations furtives, voire violences sexuelles.
Il engendre également des réactions d’homophobie.
Celle-ci manifeste, selon D. Lhuilier, la crainte de l’homme viril de voir s’exprimer des pulsions jusque-là refoulées : “L’homophobie, traduite par la peur du contact homosexuel et par la stigmatisation de ceux qui sont reconnus comme homosexuels, peut être interprétée comme la manifestation d’une peur secrète de ses propres désirs que la promiscuité et l’absence d’intimité en prison peuvent réveiller. Elle apparaît alors comme la formation réactionnelle à l’attirance sexuelle pour un autre homme. Elle a partie liée aussi avec la nécessité d’entretenir ‘le masque de la virilité’ dans un contexte où ce qui supporte le sentiment d’identité masculine fait défaut [25].”
À cette crainte, s’ajoute la peur du regard des autres.
D’après un témoignage recueilli par RESSCOM : “Je n’aurais pas osé en prendre (préservatif à l’infirmerie), ça c’est sûr... Encore un mec, s’il est seul en cellule, peut-être, on sait que c’est pas pour faire avec un autre, ceux qui prennent, c’est pour autre chose, mais quand tu es à deux, non, moi j’ai honte par rapport à ce qu’on pense, si quelqu’un me voit, ce qu’on va dire, les surveillants ou les autres qui vont rigoler [26]...”
Entre nécessité de réaffirmer sa virilité et crainte de voir resurgir des pulsions refoulées, les détenus sont confrontés à une situation très déstabilisante. Le silence et les non-dits qui entourent ces pratiques, en particulier les viols, peuvent alors s’expliquer par le besoin d’enfouir les expériences particulièrement traumatisantes afin de protéger l’image qu’ils ont d’eux-mêmes.
Les relations sexuelles entre femmes, qu’elles soient consenties ou contraintes, se posent dans des termes différents des relations entre hommes. Les relations consenties sont mieux admises que pour les hommes, car elles sont perçues comme une recherche d’affection et de sentiment. Elles n’en demeurent pas moins problématiques pour les risques de contamination qu’elles représentent. Ces derniers, bien moins importants que les relations avec pénétration vaginale ou anale, demeurent en effet présents.
Une question difficilement vécue par les surveillants
La question de la sexualité en détention est également difficilement vécue par les personnels de surveillance qui peuvent être témoins de ces relations.
Les valeurs dont ils sont dépositaires et qui s’expriment de manière antagonistes ici, alimentent leur malaise. Pris entre le devoir de faire respecter les règlements en matière de relations sexuelles et le besoin de respecter la plus stricte intimité que représente la sexualité des personnes détenues, même si celle-ci se traduit par des relations homosexuelles qu’ils peuvent réprouver, ils estiment alors faire le “sale boulot”, accomplir des tâches “contre nature”.
Cette contradiction contribue à la dévalorisation de leur propre image (ils sont “les matons/mateurs”, ceux qui violent l’intimité de la personne). Elle fragilise momentanément leurs repères vis-à-vis du détenu. Ce sentiment est particulièrement violent au moment des parloirs, le surveillant étant en effet “confronté à ce qu’il perçoit être des exigences contradictoires : reconnaître l’exigence de l’application du règlement (...) et rester silencieux sur l’homosexualité, reconnaître le droit à l’intimité de la personne incarcérée dans ces moments privilégiés [27]”.
Ce sentiment est également manifeste lors des fouilles après les parloirs : “C’est à l’occasion de ces tâches (parloirs) que le malaise du surveillant est à son comble, dans des situations où le statut du détenu s’estompe, où sa commune humanité ne peut plus être (ou plus difficilement) déniée. Face à un corps dénudé au moment des opérations de fouilles systématiques à l’issue des temps de visite au parloir, face à un homme qui rencontre sa compagne, ses enfants... la relation de viol contenue dans l’omniprésence du regard, de la surveillance est une violence faite à la personne incarcérée [28].”
La mise à disposition de préservatifs en détention soulève l’ensemble de cette problématique difficile à gérer tant pour les détenus que par les surveillants. Celle-ci peut expliquer les résultats obtenus sur l’efficience de cette mesure. Ainsi, les protestations qui ont pu être formulées de la part des détenus devant les projets de distribution de préservatifs, témoignent d’une résistance à reconnaître les pratiques sexuelles des personnes incarcérées et la place de la sexualité en prison.
D. Lhuilier avance comme explication : “L’hypothèse d’une communauté de dénégations unissant détenus et surveillants, les uns comme les autres, pour des raisons différentes, entretenant le silence sur la sexualité carcérale : la misère sexuelle imposée, l’expérience ou le spectacle d’un manque douloureux générant honte et culpabilité [29] (...)”
Cette mesure, qui a des répercussions sur l’image même du détenu et sur le rapport qu’il entretient avec les autres détenus, met également en exergue ce qui peut être considéré par les détenus comme l’ambiguïté de la position tenue par les surveillants et, d’une façon générale, par l’administration pénitentiaire, à l’égard de la sexualité en prison. À ce titre, le préservatif est considéré par des anciens détenus rencontrés par RESSCOM comme “un leurre”, une “stratégie ambigüe permettant à l’administration de se donner ‘bonne conscience’ face à un problème qui dérange [30].” Ce sentiment est d’autant plus mal ressenti lorsqu’il s’agit de relations sexuelles avec violences. L’absence de protection de la part de l’institution discrédite le rôle des surveillants. Lorsqu’un personnel est impliqué dans une affaire par complicité passive ou active, l’institution perd alors toute crédibilité.
Si cette mesure est largement présente dans les établissements pénitentiaires, les insuffisances en terme d’information sur sa mise à disposition ainsi que les modalités de mise à disposition en limitent sa portée. La question de la sexualité en prison, que cet outil soulève, peut en outre conduire à son rejet par les détenus. Or, les risques encourus en détention militent pour l’amélioration de l’accès au préservatif, ce qui suppose que la question de la sexualité en prison soit prise en compte.
II.6. Des outils de réduction des risques sanguins insuffisants
II.6.1. Un dispositif de prise en charge de la toxicomanie déficient
Des traitements de substitution peu mis en oeuvre
Les données de l’enquête santé-entrants de 1997 [31] font apparaître que 7 % des entrants déclarent être sous traitements de substitution (0,6 % par la méthadone et 6,3 % par le Subutex® [32]). En ce qui concerne les usagers de drogues actifs au moment de l’incarcération, il ressort de l’étude menée par l’ORS PACA qu’ils sont 11 % à déclarer un traitement à la méthadone et 34 % un traitement par Subutex®. Ces études ne distinguent pas les usagers substitués au Subutex® dans le cadre d’un protocole de ceux substitués hors protocole.
La circulaire du 5 décembre 1996 demande aux responsables sanitaires de donner la possibilité aux détenus usagers de drogues, soit de continuer leur traitement de substitution quand il a été initié en milieu libre, soit d’en initier un en détention.
Cette directive est peu suivie. L’enquête DGS-DH de mars 1998 constate que de nombreuses interruptions de traitement interviennent dans les huit premières semaines de l’incarcération (22 % pour le Subutex® et 13 % pour la méthadone).
L’étude menée par l’ORS PACA confirme ces interruptions.
Les chiffres sont néanmoins nettement plus élevés : 73 % des détenus sous méthadone et 60 % des détenus sous Subutex® déclarent que leur traitement a été interrompu [33].
En fait, seulement 2 % de détenus suivent un traitement de substitution en milieu carcéral (0,3% sous méthadone et 1,7 % sous Subutex® [34]). Cette proportion est particulièrement faible si l’on se réfère au nombre d’usagers d’opiacés incarcérés, évalués à 15 % de la population pénale. Plusieurs pistes sont avancées dans l’étude de 1998 pour expliquer cette situation : dispensation quotidienne de traitements lourde pour les équipes soignantes et le personnel pénitentiaire, mais également pour les personnes détenues ; risques de trafics “redoutés par l’administration pénitentiaire” (les risques de trafics mais également de violences entre détenus autour de ces traitements notamment) ; “relations difficiles avec les autres détenus qui n’ont pas accès à cette substitution” ; enfin, décision de certaines personnes toxicomanes de se sevrer en détention [35].
L’accès à ces traitements se caractérise par des disparités régionales. La proportion de personnes détenues sous traitement de substitution varie entre 0 % et 14 % en fonction des établissements et de 0 % à 3,5 % selon les régions [36]. “La poursuite, plus encore l’initiation de traitements de substitution connaît une grande disparité, en France à l’heure actuelle, d’un établissement à un autre. Il semble que les services de santé prennent chacun des positions indépendamment de ce qui se pratique ailleurs, et définissent leurs propres règles par rapport aux droits des usagers [37].” Il se caractérise également par des disparités selon la nature des établissements. La population carcérale sous substitution est de 2,2 % à 2,3 % pour les maisons d’arrêt selon qu’elles disposent ou non d’un CSST ; elle est de 1,1 % pour les établissements en gestion déléguée alors que le taux d’entrants sous substitution est identique à celui des maisons d’arrêt. Les détenus incarcérés dans les établissements pour peine sont 0,5 % à bénéficier d’un traitement [38].
La dispensation de traitements de substitution en détention se fait généralement au titre de la poursuite des traitements et rarement au titre d’une initiation quand bien même la circulaire de 1996 rappelle cette possibilité. Ainsi, l’initiation à la méthadone ne concerne que 19 % des traitements en prison. Elle représente 17 % des traitements en ce qui concerne le Subutex® [39].
D’après RESSCOM, certains services médicaux poursuivent les traitements uniquement pour ceux qui disposent de leur ordonnance au moment de leur incarcération. Les services médicaux, qui acceptent la poursuite des traitements de substitution, peuvent également remettre en question les protocoles fixés en milieu libre.
Ainsi, RESSCOM relève que même lorsque le service médical de l’établissement a pour politique la poursuite des traitements initiés au dehors, les doses ne sont pas systématiquement reconduites et des divergences existent dans les positions des prescripteurs [40].
Il est également signalé que certains de ces services ont pour politique de privilégier de façon exclusive un traitement et non les deux à la fois. À cet égard, certains médecins justifient leur refus de délivrer des traitements au Subutex® du fait de l’éventuel trafic occasionné.
Il convient de signaler toutefois que, quand elle a lieu, la prescription d’un traitement fait l’objet de la recherche presque systématique d’un contact avec le médecin référent au début de l’incarcération. Les relais à la sortie sont également prévus [41].
Le sevrage n’a pas toujours les conséquences escomptées
Le sevrage est la réponse dominante apportée par les services de santé en matière de prise en charge de la toxicomanie. Or, les méthodes de sevrage ne sont pas toujours adaptées aux produits qui circulent en milieu libre et à la consommation simultanée de plusieurs produits. Par ailleurs, les traitements utilisés dans le cadre du sevrage font l’objet de critiques de la part des usagers rencontrés par RESSCOM pour les effets secondaires, physiques et psychologiques, que peuvent provoquer ces traitements.
RESSCOM fait état de témoignages de détenus ayant accepté au départ un protocole de sevrage et l’ayant ensuite abandonné compte tenu des effets qu’il induisait [42].
Si ces lacunes ne sont pas spécifiques au milieu carcéral, elles sont néanmoins plus difficiles à gérer qu’en milieu libre, eu égard à l’absence d’alternative.
Des insuffisances qui contribuent à l’amplification des risques
La situation décrite précédemment témoigne de l’inadéquation de certaines réponses apportées par les services médicaux en matière de prise en charge de la dépendance. Bien qu’elle soit la conséquence de l’évolution des pratiques de consommation en milieu libre, cette situation est mise sur le compte, par les détenus concernés, de l’incompréhension des institutions à l’égard de leurs difficultés et contribue à susciter de leur part de la défiance à l’égard du dispositif de prise en charge de la dépendance.
Associée à l’incapacité de certains détenus usagers de drogues à gérer leur dépendance au sein de la détention, cette situation peut favoriser la poursuite de consommation de drogues en prison. Ils peuvent alors être amenés à s’ancrer dans un mode de vie et une consommation précaires déjà connus en milieu libre, amplifiant ainsi la prise de risque, notamment l’injection, au détriment des gestes de prévention.
L’ORS PACA fait un lien entre l’interruption des traitements de substitution et l’injection en détention. Il ressort de son étude que 30 % des usagers qui avaient des pratiques d’injection durant les quatre semaines précédant l’incarcération et dont le traitement de méthadone a été interrompu au moment de l’incarcération se sont injecté en prison. Ce lien concerne également les traitements au Subutex®. En effet, 52 % des usagers qui pratiquaient l’injection durant les quatre semaines précédant l’incarcération et qui ont eu leur traitement au Subutex® interrompu au moment de leur incarcération se sont injecté en prison.
L’ORS PACA observe que les personnes détenues UDI qui étaient sous méthadone avant d’entrer en prison ont 5,6 fois plus de risques de s’injecter de la drogue en prison que les UDI qui n’étaient pas sous méthadone avant l’incarcération. “Les personnes détenues sous substitution par Subutex® avant d’entrer en prison ont 2,5 fois plus de risques de s’injecter de la drogue au cours de l’incarcération que les autres détenus UDI.”
L’ORS PACA conclut en ces termes : “Il semble donc que la population d’UDI actifs bénéficiant d’un traitement de substitution avant l’incarcération soit particulièrement à risque de s’injecter des drogues durant l’incarcération. L’interruption des traitements de substitution semble donc être préjudiciable pour ces détenus [43].”
La fragilité psychologique dans laquelle ils peuvent se retrouver peut les conduire à une hiérarchisation des priorités qui se fait au détriment des gestes de prévention. RESSCOM conclut ainsi : “La très grande précarité des conditions de vie modifie, déplace le rapport aux risques, et le sens même de cette préoccupation pour les usagers. Il nous paraît en résulter une évolution majeure dans le sens d’une amplification des risques de contamination (VIH, VHC) et des consommations dangereuses.” Et poursuit : “Malgré l’intégration des consignes préventives sur le plan de la compréhension et de la sensibilité (au moins pour le sida), les usagers précarisés semblent subir les aléas de leur mode de vie au point de ne plus tenir les conditions d’une bonne protection [44].”
II.6.2. L’eau de Javel principalement utilisée pour son aspect hygiénique
Un suivi de la mise en oeuvre de cette mesure a été réalisé, sur une période de six mois, par les directions régionales des services pénitentiaires. Il ressort de ce suivi que l’aspect hygiénique de la mesure a été bien perçu par les personnels et les personnes détenues et bien intégré dans la vie quotidienne.
Peu de difficultés et peu d’accidents ont été soulevés. En outre, l’accessibilité de ce produit parmi les produits cantinables est favorisée par les prix modérés fixés par la plupart des établissements : 80 % des établissements enquêtés par la direction de l’Administration pénitentiaire ont fixé un prix inférieur ou égal à celui prévu dans la circulaire DAP du 5 novembre 1997 (1,75 franc).
Toutefois, 11 % des établissements ont retenu un prix supérieur à celui de la circulaire au risque de limiter l’accès des détenus à l’eau de Javel cantinée.
En plus de son volet hygiénique, ce produit est utilisé par certains détenus pour désinfecter leur matériel d’injection. D’après l’ORS PACA, sur les 97 personnes qui ont été UDI actifs quatre semaines avant l’incarcération, (28 %) déclarent s’être injecté en prison les quatre dernières semaines de l’incarcération.
Parmi les personnes concernées, 59 % (16/27) ont indiqué qu’elles avaient utilisé de l’eau de Javel pour nettoyer leur matériel. La fréquence d’utilisation de ce produit varie en fonction du nombre d’injections faites. Ainsi, 75 % (6/8) l’utilisent quand ils ont fait 1 à 5 injections. Ils sont en revanche moins nombreux à l’utiliser quand ils ont pratiqué de six à 50 injections (2/8 soit 25 %). Cette donnée s’inverse quand le nombre d’injections est supérieur à 50 ; les détenus injecteurs sont alors 67 % (6/9) à utiliser l’eau de Javel pour nettoyer le matériel [45].
Il est difficile d’apporter des éléments d’explication à ces variations. Ainsi, les personnes déclarant avoir désinfecté leur matériel avec ce produit peuvent avoir appliqué un geste de prévention acquis en milieu libre, notamment par le biais des actions de réduction des risques. L’étude ayant été menée à un moment où la mesure se mettait en place, ces données méritent d’être complétées par des études ultérieures sur ce sujet.
Pour que l’eau de Javel soit efficace pour la désinfection du matériel d’injection, elle doit être utilisée dans des conditions strictes et selon un protocole précis. Aucune information sur la connaissance de ce protocole par les personnes détenues s’injectant en prison et sur la diffusion de ce protocole par les services médicaux n’a été recueillie par la mission.
La connaissance de ce protocole est indispensable pour son efficacité en terme de réduction des risques infectieux dans un contexte marqué par
l’absence d’autres alternatives en matière de réduction des risques liés au partage du matériel.
Elle revêt également toute sa pertinence au regard du risque que représente aujourd’hui la contamination des personnes, en particulier des usagers de drogues, par le VHC, par ailleurs moins sensibilisés à ce virus et à ses conséquences pathologiques qu’au virus du sida.
L’utilisation de ce produit concerne également le tatouage et le piercing. Or, les mesures d’hygiène évoquées par les personnes rencontrées dans le
cadre de l’enquête de RESSCOM sont succinctes puisqu’elles consistent avant tout à brûler l’aiguille au briquet et quelques fois à changer l’aiguille [46].
Il est indispensable de répondre aux défaillances qui caractérisent actuellement les mesures de prévention des risques de transmission par voie sanguine, en particulier ceux liés aux injections de drogues. L’intérêt de l’eau de Javel comme désinfectant a été souligné précédemment. Ce produit est efficace, rappelons-le, pour réduire les risques de transmission virale, à la condition que le protocole d’utilisation établi à cet effet soit bien suivi. D’où l’importance de la diffusion du protocole. En outre, les traitements de substitution doivent mieux être pris en charge en détention. Outre le fait qu’ils peuvent aider les usagers de drogues à sortir de leur dépendance, ils sont un moyen de rentrer en contact en détention, même avec des personnes qui ont été exclues en milieu libre de tout dispositif sanitaire et social. En contribuant à l’équilibre des personnes détenues usagers de drogues, ils peuvent également les aider à éviter les pratiques à risques qu’induisent leurs consommations.