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3 Conclusion

Mise en ligne : 16 juin 2007

Texte de l'article :

Conclusion

S’agissant des personnes détenues, schématiquement, nous pouvons distinguer deux niveaux d’incidences des UVF : sur les relations et sur les individus. Comme tout schéma, celuici n’échappe pas à une certaine simplification. Toutefois, il nous permet de proposer une synthèse de phénomènes qui sont complexes et difficiles à distinguer les uns des autres car en constante interaction. "Sur les relations", un impact du dispositif concerne la qualité des échanges.
L’espace, le temps et surtout le principe d’intimité des UVF permettent aux visiteurs et aux visités de partager des moments, des gestes de la vie quotidienne, de se mouvoir librement, de prendre le temps de parler, de s’expliquer, de se taire, d’aborder des sujets privés, plus profonds et personnels.
Ces modalités d’échanges désormais possibles entraînent une plus grande exposition de la réalité : les mots se libèrent, la parole reprend du sens, l’autre est incarné, l’imaginaire et l’idéalisation peuvent être repoussés. Les êtres en présence les uns des autres sont amenés à reconsidérer leur relation pour ce qu’elle est réellement. Ce retour possible de la réalité de soi, de l’autre, de la relation, a des conséquences pouvant donner lieu à des ruptures, des crises, des consolidations, des reprises. Mais quelle que soit l’issue observée dans les différentes situations rencontrées pendant l’expérimentation, elle se fonde sur une prise de conscience partagée de la réalité et une possibilité d’action de l’individu sur sa vie. Ce que l’individu est en capacité d’exercer et de mettre en place aux UVF a donc des incidences "sur la relation" mais également sur l’individu.
La personne détenue peut se réinscrire dans une symbolique sociale, affective et identitaire différente de la symbolique et des interactions intramuros.
Elle a accès à une variété de statuts de la vie ordinaire (homme, femme, conjoint, parent, etc.) dont elle peut, dans le contexte spatiotemporel et intime des UVF, tenir les rôles. Les personnes détenues se sentent d’autant plus légitimes dans leurs nouveaux statuts qu’elles regagnent une part d’initiative et de responsabilisation dans et par les UVF (organisation et prise en charge financière de l’UVF).
Les divers éléments analysés tout au long de ce dossier - modifications de contexte spatio-temporel et d’interaction, reprise de tâches, gestes, attitudes et comportements ordinaires, accession à des statuts variés, reprise de rôles, responsabilisation - peuvent catalyser un processus de (re)formation d’une identité positive et une revalorisation de l’image de soi. Autant d’éléments qui peuvent influer sur la redéfinition de la personne détenue dans son mode de rapport à elle-même et aux autres, mais qui influent également sur son parcours carcéral. Le retour en détention donne lieu à la mise en place de mécanismes de protection de la part des détenus pour leur permettre d’en affronter la réalité.
Certains vont « remonter à la surface par pallier » [1], s’isolant quelques heures ou quelques jours de leur co-détenus avant de reprendre le cours ordinaire de leur détention. D’autres, au contraire, vont préférer une remontée brutale et tenter de ne pas se laisser envahir par la nostalgie du temps passé aux UVF. Quelle que soit leur stratégie, tous reconnaissent que l’UVF marque un temps différent dans leur parcours carcéral. L’expérimentation montre que ce nouveau balisage reste subordonné au temps d’incarcération qu’il reste à faire.
Pour le détenu qui est en phase de pré-libération ou qui entrevoit une perspective de sortie à court ou moyen terme, l’UVF est investie comme une "préparation à la sortie". Elle est sur bien des points comparée et comparable à la permission de sortir, mais elle intervient à un autre temps du parcours carcéral et dans une autre temporalité. Les UVF arrivent plus tôt dans le parcours carcéral du détenu et elles installent une reprise progressive et encadrée de contact avec la réalité humaine, relationnelle et matérielle. En ce sens, l’UVF prépare à la sortie et fait naître chez le détenu l’envie de programmer son avenir, d’accéder à la notion de projet mais selon un principe de réalité.
Pour le détenu qui n’a pas de perspective de sortie à court ou moyen terme, l’UVF trouve également une pertinence par les effets qu’elle produit. Elle n’est pas investie comme une préparation à la sortie puisque le retour au monde libre est trop éloigné, mais elle réduit considérablement certains effets désocialisants et déstructurants de l’incarcération. Par ailleurs, elle fixe des repères temporels chez "les longues peines" qui en manquent tant et les rend accessibles, de ce fait, à la notion de projet dans la gestion de leur peine.
Au regard de ce qu’elles induisent chez les personnes détenues en terme de gestion de leur détention, de repositionnement, de travail sur la réalité, de responsabilisation, de restructuration identitaire, les UVF dépassent le seul cadre des "liens" et constituent véritablement un outil pédagogique de la peine.
L’ensemble des incidences observées sur les personnes détenues, leur champ relationnel et leur parcours carcéral, ne tient pas uniquement à la structure elle-même. Il est fortement déterminé par l’intervention des personnels pénitentiaires et leur appropriation du dispositif. Les personnels de surveillance comme les travailleurs sociaux n’envisagent pas seulement les UVF comme un outil pour travailler au maintien des liens familiaux des détenus. Ils les définissent effectivement également comme une modalité de prise en charge, d’accompagnement, de connaissance et de construction de projet pour le détenu. Dans un lien de cause à effet, cette appropriation leur permet de trouver une identité professionnelle et un positionnement professionnel plus clairs et plus cohérents par rapport à leurs missions.
Ces incidences majeures sur les pratiques, les positionnements et les identités professionnelles, associées à celles observées sur le parcours carcéral et intime du détenu [2], ont conduit l’administration pénitentiaire à étendre ce dispositif à quatre établissement supplémentaires. En septembre 2006, les centres pénitentiaires de Meaux-Choconin- Neufmontiers, d’Avignon-le-Pontet, de Toulon la Farlède et de Liancourt ont ainsi ouvert leurs UVF dans les quartiers Centre de détention. Cette extension aux centres de détention nous paraît d’autant plus pertinente que l’expérimentation dans les maisons centrales, a révélé aussi l’efficience du dispositif pour la préparation à la sortie des personnes détenues. Toutefois, il est important de signaler que ces incidences dont il est question, sont inextricablement liées au contexte de mise en ouvre et à la structure des UVF tels qu’ils existent à Rennes et Saint Martin de Ré. Aussi, transformer ou amputer l’un de ces éléments ne pourra conduire qu’à une modification des effets produits par les UVF.
Enfin, nous souhaitons rappeler que pour positif que le bilan puisse être, notamment en matière de préparation à la sortie, il ne doit pas conduire à une interprétation trop simple qui substituerait, à terme, les UVF aux permissions de sortir ou aux aménagements de peine. Cette vigilance est nécessaire puisque les UVF, qu’elles soient regardées sous l’angle du respect des droits des détenus, de l’amélioration des conditions de détention ou d’une plus-value des moyens et des modalités de préparation à la sortie, n’occultent pas cependant la question, toujours prégnante, de l’allongement des peines, de la réalité des périodes de sûreté et de l’absence de perspectives de sortie pour les condamnés à perpétuité.

Notes:

[1] 52 Nous empruntons cette expression à A.M. Marchetti, op. cit. pp. 415-431

[2] 53 Confrontation à la réalité, à l’épreuve de la connaissance de soi, responsabilisation, décentrage de soi et prise en considération de l’autre, restructuration identitaire