PARTIE 2 : L’évolution de la prise en charge psychiatrique des détenus : De punir ou/et soigner à punir pour soigner.
L’utilité d’un dispositif de soins psychiatriques en prison ne fait aucun doute. D’un dispositif originel basé sur un cloisonnement absolu entre le soin et la peine, nous sommes passés en France, face à la réalité des problèmes sanitaire « extérieurs », à un dispositif basé sur une logique de soins en prison (I). Ce dispositif est actuellement en pleine transition afin de répondre aux carences, ce qui pose la question de la nécessité d’une réforme de la procédure pénale, non pas seulement une amélioration du dispositif existant. (II)
I. La prise en charge psychiatrique des détenus : un dispositif varié à l’efficacité relative
La proportion élevée de détenus atteints de troubles mentaux en prison et les problèmes qu’ils posent ou qu’ils poseront, ainsi que les nécessités éthiques imposent un dispositif adapté de soins psychiatriques, tant pour les malades déclarés responsables de leurs actes que pour les délinquants devenus (au moins) psychiquement vulnérable du fait de la détention. A problème complexe, réponse complexe. L’histoire nous montre les tâtonnements effectués dans la recherche d’un dispositif efficace d’orientation pénale et de prise en charge (A). Le résultat est un dispositif basé sur une coopération entre les institutions psychiatrique et carcérales (B). Pour autant, celui ci n’est pas exempt de dysfonctionnement (C).
A- Orientation pénale et offre de soins en prison : rappel historique.
1. Orientation pénale pour les personnes souffrant de troubles mentaux.
A divers moments de la procédure judiciaire, le prévenu, l’accusé (nous utiliserons le terme de prévenu) souffrant de troubles mentaux plus ou moins grave est susceptible d’être orienté vers une structure de soins.
Cette orientation se caractérise par l’absence de compétence quasi-absolu du juge pour adapter son jugement ou son absence de jugement à la pathologie rencontrée, si pathologie il y a.
Il est d’abord question de savoir si le prévenu peut être accessible à une sanction. C’est ce que prévoit l’article 122-1 du code pénal qui envisage deux cas de figure : la responsabilité pénale et l’irresponsabilité pénale.
Si le prévenu est déclaré irresponsable au sens de l’alinéa 1, un non lieu est
prononcé (soit au cours de l’instruction, soit au cours du procès) et la procédure judiciaire s’arrête. Il n’y a pas de jugement. L’autorité administrative (le préfet) peut alors prononcer une mesure d’hospitalisation d’office au sens de l’article L3213-1 du code de la santé publique. Cet article permet l’internement « des personnes dont les troubles mentaux nécessitent des soins et compromettent la sûreté des personnes ou portent atteinte, de façon grave, à l’ordre public ».
La personne dépend ensuite de l’établissement de santé habilité s’agissant de sa prise en charge. Il pourra s’agir d’un hôpital psychiatrique ou d’une unité pour malades difficiles. Le code de procédure pénale française n’octroie aucun pourvoir au juge s’agissant des irresponsables. Ceux ci sont simplement ré-injectés dans la société, au préfet de prendre les mesures opportunes s’il juge nécessaire de le faire.
Si le prévenu est déclaré responsable, il encourt les mêmes peines qu’un autre même si il fait l’objet d’une responsabilité atténuée au sens de 122-1 alinéa 2. A ce stade, une injonction de soins peut être prononcée pour les délinquants sexuels. Le détenu sera incité au cours de sa détention à se faire traiter. Il peut refuser mais cela sera considéré comme un manque d’effort de réinsertion dont le juge d’application des peines peut tenir compte dans ses décisions de réduction de peine supplémentaire. En revanche, lors de la sortie, il devra s’y soumettre puisque l’injonction de soins est une des mesures du suivi socio-judiciaire dont le non respect est sanctionné par une peine d’enfermement.
Hormis pour les délinquants sexuels, la juridiction n’a pas plus de pouvoir et ne peut contraindre à des soins en détention, ni à un régime spécifique de détention.
Le condamné pourra être orienté vers divers dispositifs de soins une fois en détention si son état le nécessite. La prise en charge peut se faire en prison ou en établissement de santé. Celle ci peut être sous forme ambulatoire ou sous forme d’une hospitalisation.
Il y a deux critères à prendre en compte pour la prise en charge : le consentement aux soins, propre aux personnels médicaux, et la compatibilité avec la détention propre aux personnels pénitentiaires.
Lorsqu’un détenu nécessitant des soins est consentant et que son état est compatible avec la détention, il peut bénéficier de soins ambulatoires dispensés par le SMPR [1]. Si nécessaire et si l’établissement pénitentiaire le permet, il pourra être hospitalisé au sein de ce SMPR. Si une hospitalisation interne n’est pas possible, le détenu peut être hospitalisé dans l’hôpital psychiatrique du secteur le temps de son traitement, comme tout autre malade.
Si le détenu ne consent pas aux soins, il n’aura pas de prise en charge. Ni soins ambulatoires, ni hospitalisation, sauf dans le cadre de la procédure d’hospitalisation d’office, l’article D.398 du CPP permettant une telle procédure pour les détenus dont l’état est incompatible avec le maintien en détention.
2. Hôpital psychiatrique et prison : du cloisonnement à la coopération.
L’histoire des rapports entre justice et santé, que ce soit au niveau de procès pénal ou au niveau de la gestion des détenus, est marqué par une intégration croissante du savoir psychiatrique.
Avec les lois de 1810 et 1835 [2], l’offre de soins psychiatriques aux détenus était inexistante puisque inutile. Cette dichotomie marquait le point de départ d’une séparation radicale entre peine et soins, entre maladie et délinquants et il fallut attendre 1905 pour une réaction législative. Cependant, la prise de conscience intervint beaucoup plus tôt au sein des aliénistes du 19ème siècle. Il en est ainsi de Ballarger en 1844 et sa « note sur la fréquence de la folie chez les prisonniers », de Lelut en 1843, du rapport Pactet et Colin de 1876 ou celui de Constant en 1874. Dès l’époque, des chiffres inquiétants apparaissent. Lelut considère que la population des malades est 7 à 8 fois plus élevée en prison. Paul Sérieux avance le nombre de 3% de psychotiques en 1903 [3].
En 1860, la société médico-psychologique développa la nécessité d’une prise en charge spécifique « des aliénés dangereux » et « criminels dangereux ». Ainsi, chacune des deux institutions présentait son dispositif de prise en charge de sa propre clientèle. D’un coté sera crée un quartier de sûreté à Villejuif, précurseur des futures unités pour malades difficiles (UMD) pour malades dangereux, et de l’autre, des établissements pénitentiaires accueillant des détenus malades et dangereux comme l’illustre l’ouverture du quartier pour aliénés criminels de Gaillon de 1876 à 1906.
C’est à cette époque qu’apparaît la circulaire Chaumié censé permettre aux magistrats d’adapter la peine et son quantum à ceux bénéficiant d’une responsabilité atténuée. Le choix est celui de la responsabilisation en l’existence d’une once de discernement au moment des faits. Dans cette optique, c’est à la justice de gérer ces personnes, d’abord par la pratique des magistrats qui peuvent en théorie réduire la durée des peines, ensuite par l’administration pénitentiaire qui doit proposer une régime carcéral adapté. C’est ainsi que vont pouvoir se succéder diverses initiatives afin de proposer des soins en prison, tout en entretenant une forte ambiguïté sur ce qu’est un traitement adapté.
L’établissement de Château- Thierry est à ce titre exemplaire. Il regroupe les « détenus en cours de peine signalés pour des troubles du comportement, du caractère, avec ou sans manifestations psychopatiques, détenus qui se sont montrés réfractaires à la vie en communauté et au traitement proposé ». L’institution pénitentiaire se dote ainsi d’un établissement spécifique non pas aux malades mentaux mais à tout détenus « réfractaires ». Difficile d’envisager la spécificité d’un régime de détention quant celui ci est prévu pour deux publics différents, sauf à considérer qu’au delà de leurs quelconques pathologies, ils sont avant tout nuisibles au bon fonctionnement d’une prison, ce qui est clairement l’orientation choisie en l’espèce.
Il faut attendre 1927 pour que des actions significatives soient entreprises. Une consultation psychiatrique pour les entrants est ainsi mise en place à la centrale de Loos-les-Lilles aux fins de dépistage des troubles mentaux. On peut y voir les prémisses d’actions préventives et non pas consécutives à un trouble du comportement en détention. En 1936, des services d’examens psychiatrique sont crées à Fresnes, la Santé et la petite Roquette.
La méthode change. La priorité reste toujours le bon fonctionnement de la prison, mais pour des raisons d’efficacité, il est décidé de prévenir autant que possible, et de traiter sur place.
C’est après la guerre que le sanitaire va prendre la place qui lui était due en prison. La réforme Amor s’accompagna d’une attention particulière à ceux considérés comme anormaux mentaux « qui doi[vent] retenir notre attention non seulement parce qu’il est juste de leur donner les soins que réclame leur état mais parce que de toute évidence, ils sont à la sortie de prison un facteur de récidive ». C’est l’affirmation de l’utilité de la psychiatrie comme outil de réforme morale [4]. Et pour cela, la réforme prévoit que dans chaque établissements devra fonctionner un service médicopsychologique.
La priorité devient la prévention de la récidive par le soin. Vingt quatre annexes psychiatriques étaient programmées, 14 virent le jour puis fermèrent pour la plupart faute de moyens. Le personnel médical y était vacataire et dépendait de l’administration pénitentiaire, celle ci gérant donc ses détenus, ses malades et son personnel soignant. Puis à l’initiative de Paul Hivert, directeur de la prison de la Santé, un centre médico psychologique régional (CMPR) expérimental voit le jour aux fins de dépistages des pathologies psychiatriques des entrants. En 1967, une circulaire du 30 juillet envisage d’étendre les CMPR et d’en porter le nombre à 17 tout en envisageant la possibilité que ceux ci soient gérés par les hôpitaux de proximité, en fait, en relation avec eux simplement. La circulaire de 1967 fut crée sans concertations avec le ministère de la santé et les personnels médicaux restaient sous autorité du chef d’établissement. Ainsi « l’administration fait cavalier seul » [5].
C’est en 1977 que la coopération intervient à l’initiative de Simone Weil qui par une circulaire interministérielle confie les CMPR au champs sanitaire. Désormais, on ne parle plus de psychiatrie en prison mais de secteurs de psychiatrie en prison gérés par les hôpitaux psychiatriques. C’est le début d’actions coopératives entre santé et pénitentiaire.
En 1986, les CMPR deviennent les SMPR (secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire) et seront implantés dans l’ensemble en maison d’arrêt où la demande est la plus forte avec pour mission la prévention et le soin. Les SMPR font encore partie du dispositif actuel de prise en charge psychiatrique.
Depuis 1994, l’implication du secteur hospitalier est plus forte encore puisqu’une loi du 18 Janvier confie aux hôpitaux de proximité les actions de santé à mener dans les établissements. Le statut des personnels soignant évolue et ceux qui relevaient de l’administration pénitentiaire ont la possibilité d’être intégrés aux établissements de santé et de rejoindre ainsi la fonction publique hospitalière. Chaque établissement pénitentiaire établi avec l’hôpital du secteur un protocole fixant les modalités d’intervention les modalités des interventions hospitalières tant en médecine somatique qu’en médecine psychiatrique. Cette réaction législative fait suite aux travaux de la commission Chodorge qui faisait un constat nuancé de l’efficacité du dispositif de soins existants et constatait que l’administration pénitentiaire était incapable de faire face seule à la prise en charge sanitaire des détenus eu égard aux problèmes que cela soulevait (notamment avec le développement du SIDA) et au nombre croissant de détenus touchés par des affections mentales.
De punir ou soigner, le débat a évolué pour passer à punir et soigner. Le dispositif que nous allons étudier est basé sur un partenariat entre administration pénitentiaire et hôpital psychiatrique. Ce partenariat est présent dès les premières phases d’une procédure judiciaire, en cours d’instruction, jusqu’à l’exécution de la peine d’enfermement.
B- Un dispositif progressif et varié de prise en charge psychiatrique.
Grâce à un partenariat entre hôpital et prison, les détenus peuvent accéder à divers lieux et types de soins. L’accès est fonction de la gravité de sa situation mentale et se fait soit en milieu pénitentiaire, soit en milieu hospitalier, tant pour les prévenus que pour les condamnés.
1. Les soins psychiatriques en milieu pénitentiaire.
Les prestation de soins en prison reposent sur 3 objectifs : une action de prévention et d’accueil des détenus entrants, une offre de soins ambulatoires et à temps partiel et une possibilité d’hospitalisation.
Les prestations de prévention et d’accueil pour entrants : tous les arrivant bénéficient dès les premiers jours de leur arrivée d’un entretient d’accueil avec l’équipe psychiatrique intervenant dans l’établissement. Ces entretiens permettent d’abord de faire découvrir au détenu les prestation de soins psychiatriques offertes et susciter une future demande de soins de sa part. Ces entretiens sont également l’occasion de repérer leurs troubles psychiques et le cas échéant de proposer des soins adaptés, de détecter les conduites abusives d’alcool, drogue ou médicaments. C’est enfin l’occasion de détecter les risques suicidaires, problème majeur en prison.
Une offre de soins ambulatoire et à temps partiel : les soins proposés en prison sont à l’image de ceux proposés à la population libre. Ils peuvent bénéficier de consultations, de prescriptions médicamenteuses, d’entretiens individuels ou de groupe. Diverses activités thérapeutiques sont proposées comme l’aide à la restauration de l’image de soi, à la prise de confiance, à l’autonomie, particulièrement adaptées à la population pénale. Ces activités peuvent avoir pour « but de rechercher et de potentialiser les capacités socio-professionnelles des patients » [6], la réinsertion par le travail étant devenue la norme en matière de prévention de la récidive. Plus largement ce sont des activités de mise en situation orientées sur la relation du patient à autrui. Des entretiens familiaux ou des psychothérapies familiales peuvent également être réalisés, le droit au maintient des liens familiaux étant l’un des plus importants qualitativement et quantitativement pour les détenus.
Les soins thérapeutiques ou médicamenteux sont dispensés par le SMPR, structure de référence en établissement pénitentiaire s’agissant de la santé mentale. Il est le lieu d’accueil pour les détenus du secteur dont il relève. Les SMPR sont au nombre de 26 pour un total de 188 établissements pénitentiaire, composés au minimum d’un psychiatre et d’une équipe pluridisciplinaire.
Une équipe SMPR peut intervenir dans un autre établissement pénitentiaire du secteur en constituant une antenne SMPR. La prise en charge y est alors uniquement ambulatoire et à temps partiel. S’ il n’y a ni SMPR ni antenne SMPR, l’unité de consultation et de soins ambulatoires (UCSA) chargée des soins somatiques se chargera des soins de santé mentale dans la limite de ses moyens.
Les missions du SMPR sont définies par l’arrêté du 14 décembre 1986 comme suit :
1. Mettre en oeuvre toute action de prévention, de diagnostic et de soins
médico-psychologiques régionaux au bénéfice de l’ensemble de la population incarcérée dans l’établissement où il est implanté.
2. Prodiguer les traitements psychiatriques intensifs et appropriés à tout détenu qui le nécessite, à l’exception des patients présentant des troubles
mentaux incompatibles avec leur maintien en détention (art. D398 CPP).
3. Préparer le cas échéant, un suivi après l’incarcération en coordination avec les équipes de secteur de psychiatrie générale.
4. Assurer une mission de lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie.
5. Coordonner les prestations de santé mentale du secteur de psychiatrie en milieu pénitentiaire, etc.
Les soins en milieu pénitentiaire peuvent également impliquer une hospitalisation.
Celle ci est possible dans les établissements pénitentiaires dotés d’un SMPR et permettant une prise en charge à temps complet. Les détenus hospitalisés sont alors transférés au sein d’une aile de détention leur étant réservé et obéissant à un régime sécuritaire de type maison d’arrêt, soit des contraintes carcérales plus fortes pour ceux venant d’un centre de détention. Les surveillants affectés à ces unités le sont sur la base du volontariat et bénéficient d’une formation adéquate à ce type de public. Les détenus évoluent alors le plus souvent en vase clos, n’étant pas mélangés dans la mesure du possible aux autres détenus, notamment pour les promenades où une cour spécifique leur est attribuée. Le personnel soignant s’y rend tous les jours pour faire un bilan de la situation, notamment sur ce qui a pu se passer durant la nuit (le personnel médical étant présent de jour uniquement) et pour y dispenser les soins.
2. Les soins aux détenus en milieu hospitalier.
Les soins proposés en milieu fermé peuvent ne pas être suffisants, notamment face au faible nombre de SMPR par rapport au nombre d’établissements. Les détenus peuvent donc accéder en certains cas au secteur de psychiatrie générale et être hospitalisés en établissement habilité, hôpital psychiatrique ou en unité pour malades difficiles (UMD).
Les établissements de santé reçoivent les détenus lorsque ceux ci présentent un état mental tel que le maintien en détention n’est pas approprié (art. D398 CPP). Au titre de l’article L.3213-1 du CSP, ils peuvent être hospitalisés d’office par arrêté préfectoral. L’hôpital devra alors le gérer comme tout malade et lui dispenser les soins appropriés. Cela étant fait, le détenu repart en détention.
Les unités hospitalières psychiatriques peuvent être inadaptées à certaines pathologies, eu égard à la dangerosité du malade. Ils sont alors transférés en UMD au titre de l’hospitalisation d’office.« Ils doivent présenter pour autrui un danger tel qu’ils nécessitent des protocoles thérapeutiques intensifs adaptés et des mesures de sûreté particulières, cet état de dangerosité psychiatrique majeure certaine ou imminente étant incompatible avec leur maintien dans une unité d’hospitalisation habilitée à accueillir des malades mentaux hospitalisés sans leur consentement » [7]. Les UMD ont à leur charge la double mission sanitaire et sécuritaire. Elles sont au nombre de quatre en France (Cadillac, Montfavet, Villejuif, Sarreguemines).
La prise en charge psychiatrique des détenus est à l’heure actuelle en pleine transition. En effet, la loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 prévoit dans son article 48 la création d’unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) [8]. Ces unités auront un impact sur l’orientation de l’offre de soins en prison et sur leur prise en charge lors d’hospitalisations.
C- L’efficacité relative du dispositif de soins
1. Une offre de soins insuffisante et inégalement répartie en prison.
A priori, les moyens consacrés à la psychiatrie en prison sont suffisants. Toutes proportions gardées, il y a 28 fois plus de personnel médical en milieu pénitentiaire que dans les secteurs de psychiatrie générale. Mais la demande est beaucoup plus forte, 10 fois supérieure à celle de la population générale. L’étude de Septembre 2005 sur la prise en charge de la santé mentale des détenus effectuée par la DRESS rapporte que vu le nombre de patients pris en charge en détention, les moyens en personnels mobilisés par les SMPR apparaissent inférieurs à ceux observés en psychiatrie générale. Comparé à la population générale, le dispositif de soins pour détenus est insuffisant et donc inégalitaire.
Il est également inégalitaire d’un établissement pénitentiaire à un autre. Seul 1 établissement pénitentiaire sur 7 dispose d’un SMPR, les autres disposant soit d’annexes SMPR, soit de secteurs de psychiatrie générale. Or la prise en charge sanitaire dans un établissement doté en SMPR diffère sensiblement avec celle d’un établissement n’en disposant pas. Un SMPR propose comme nous l’avons vu précédemment une prise en charge ambulatoire ou temps partiel voir une hospitalisation. Les soins incluent des prescriptions médicamenteuses et des activités et ateliers thérapeutiques principalement, ces derniers étant essentiels dans un suivi psychiatrique ou psychologique. Or la même étude de la DRESS montre que seuls 30% des secteurs de psychiatrie générale mènent des activités de groupe au sein des établissements. Plus largement, les SMPR, proposant leur prise en charge à tous détenus de leur secteur, n’allouent que 3% de leur temps (séances ou journées de prise en charge ambulatoire ou à temps partiel) aux détenus relevant d’un autre établissement pénitentiaire que celui dans lequel le SMPR est implanté. Cela s’explique en partie par les nombreux transferts requis et qui restent peu fréquents. C’est donc une prise en charge à double vitesse, pour ne pas dire triple, entre les établissements dotés en équipes SMPR (SMPR ou annexes SMPR) et ceux dépendant du secteur de psychiatrie générale.
De plus, dans les établissements dotés en SMPR, la demande de soins est 3 fois supérieure à ceux non dotés. Cela peut s’expliquer de plusieurs manières. La demande est plus forte car la population le nécessite, en effet, la quasi totalité des SMPR se situe en maison d’arrêt, lieu d’incarcération où le caractère pathogène est plus à même de se manifester. La demande est également plus forte du fait d’une plus grande facilité d’accès. Enfin, la demande est plus forte du fait de l’instrumentalisation par les détenus dont peuvent être victimes les personnels soignants. En effet, nombre de détenus sont dépendants à diverses substances psycho-actives et en sont très demandeurs. Les trafics internes alimentent cette demande. Cette importante charge de travail peut entraver le suivi des détenus relevant d’un autre établissement.
La mission des SMPR est également d’assurer un suivi post-pénal. Il ne concerne que peu de détenus( 4% de ceux suivis plus d’une fois en SMPR [9]) et pour ceux là, il reste limité. Il s’organise à l’extérieur via les centres médico- psychologiques (CMP) qui mettent à disposition un local pour les consultations. Mais il s’agit plus d’une continuité du suivi par les équipes carcérales qu’un réel passage de relais à l’équipe de secteur. Quand bien même les équipes pénitentiaires le voudraient, elles ne pourraient suivre indéfiniment le détenu à sa sortie, notamment les pathologies chroniques. Il est nécessaire que cette population fragile et fragilisée soit captée par un dispositif de soins spécifique une fois à l’extérieur et non pas qu’elle soit simplement réinjectée dans le circuit sanitaire commun, circuit qui peine à réaliser de réel suivis.
Le plan santé mentale 2005-2008 mis en place par le ministère de la santé ne prévoit rien de particulier à un suivi post-pénal. Il se borne à mettre en avant la nécessité de réunions régulières des commissions de coordination regroupant les responsables pénitentiaires et sanitaires dans chaque établissements pénitentiaires.
Enfin, si ce n’est pas forcément un facteur de dysfonctionnement, la qualité des relations entre personnels soignants et de surveillance est, comme dans toute activité nécessitant coopération, importante. Il s’agit ici de deux corps de métier amenés à travailler ensemble mais dont les missions divergent radicalement. La relation dépend bien sur des hommes et femmes qui composent les équipes. Elle est bien souvent cordiale, mais guère plus et des tensions peuvent apparaître entre personnels notamment lorsqu’il s’agit d’aborder le sujet du secret médical. Il est absolu pour l’équipe pénitentiaire, et ne devrait être que relatif de l’avis des surveillants, ceci pour éviter tant que faire se peut de s’exposer à des détenus potentiellement violent. Une incompréhension peut s’installer et durer.
2. Les difficiles conditions d’hospitalisation en hôpital psychiatrique.
L’hospitalisation sans consentement des personnes détenues dans les secteurs de psychiatrie générale est rendue difficile par l’inadaptation du service public hospitalier à gérer des détenus.
Il y a d’abord une inadéquation entre les besoins et l’offre, surtout d’une région administrative à une autre où la démographie de psychiatres peut varier considérablement. L’administration pénitentiaire doit d’abord faire face à la politique de sectorisation psychiatrique et le mouvement de désinstitutionnalisation. Moins de places, moins de personnels et des institutions « qui mettent en avant leur ouverture pour justifier leur réticence à l’accueil des détenus car ils ne sont pas équipés » [10]. L’hôpital est ouvert et doit donc adapter son mode de fonctionnement à la présence de détenus au sein de son service pour prévenir les risques d’évasions, d’autant que ces détenus ne sont pas surveillés par des personnels de police ou de gendarmerie contrairement aux détenus hospitalisés pour des soins somatiques (art. D398 CPP).
Les personnels médicaux doivent concilier une mission de soins et une mission de surveillance, mission qui n’est plus la leur depuis plusieurs décennies. Ils doivent en outre faire face au sentiment de dangerosité criminologique qu’inspirent ces personnes.
Cette dualité de missions a une conséquence sur les soins dispensés aux détenus. Le temps d’hospitalisation annuel est plus court en moyenne pour la population pénale (23 jours) que pour la population générale (45 jours) [11]. La qualité des soins s’en ressent, surtout si la motivation des personnels soignants est affectée par la qualité de délinquant de ces personnes. L’hospitalisation en hôpital psychiatrique se borne alors à jouer le rôle de soupape, gérant une crise aiguë de courte durée, jusqu’à la prochaine fois...
Parallèlement, en 10 ans, les hospitalisations sans consentement des personnes détenues ont été multipliées par 15 [12].
Il est donc d’actualité de se pencher sur ce problème qui s’amplifie. La mise en place des futures UHSA [13] est une réponse.
L’hospitalisation en UMD est également problématique. Au nombre de 4, leur nombre est limité, et le nombre de lits est actuellement en diminution. Les UMD n’étant pas réservées aux détenus, ceux-ci ne sont pas prioritaires pour y être affectés. Ils doivent d’abord être hospitalisés en hôpital psychiatrique pendant plusieurs semaines ou plusieurs mois avant d’être admis en UMD, « ce qui majore les risques d’évasions ou d’agressions » [14].
Dans sa tendance à responsabiliser les malades mentaux, la France a mis en place un dispositif dual, permettant d’offrir des soins en prison. Elle a d’abord refusé de choisir entre le soin et la peine puis a décidé de conjuguer les deux en soignant au cours de la peine. La conséquence en est un dispositif hésitant entre prison et hôpital, dont les témoins en sont les incessants transferts, sorte de partie de ping pong où le but est de déclarer l’autre compétent face à sa propre incompétence. Pour y remédier, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a décidé de changer d’orientation en créant une structure intermédiaire entre prison et hôpital et doter ainsi la justice d’un dispositif de soins adéquat.