Les liens qui unissent la santé et les droits de l’Homme, et l’importance du rapport entre ces notions, commencent à peine à être soulignés. Alors que l’Organisation Mondiale de la Santé publie un premier ouvrage [1] touchant à la question, il paraît nécessaire de s’arrêter désormais sur les voies possibles d’amélioration de la situation sanitaire des établissements pénitentiaires, et donc sur les possibilités d’améliorer l’effectivité des droits de l’Homme en détention, ces deux voies d’évolution apparaissant intimement liées.
Le constat relevé de la situation du soin en détention impose que des actions soient menées, non seulement au niveau des mentalités et des représentations, mais aussi, avant tout et tant dans ce but même que parce qu’il y a toujours urgence en matière sanitaire, de façon très concrète - sachant que ces évolutions sanitaires, pour être effectives, doivent s’inscrire dans un cadre général de réforme et de modernisation du monde carcéral, et donc finalement de notre politique pénale dans son ensemble.
Et l’on constate que nombre de ces évolutions, proposées par ceux-là même qui soulignent et dénoncent les écueils actuels, ont fait l’objet des plus récentes communications politiques (section 1).
Dans le même temps, d’autres propositions, pourtant souvent issues d’exemples étrangers dont la viabilité n’est pas discutée, ne paraissent pour l’heure pas politiquement envisageables en France, mais n’en méritent pas moins attention compte tenu de notre enjeu et des prescriptions supérieures pertinentes (section 2).
Section 1 Des améliorations annoncées
En France, plusieurs chantiers ont récemment été engagés, par la Chancellerie comme par l’administration de la Santé. Si une large partie des fruits issus de cette réflexion, tendant à une amélioration globale du système carcéral français en conformité avec les recommandations internationales comme nationales, est pour l’heure remise à des jours meilleurs (A), certaines décisions concrètes ont néanmoins été prises, dont il reste désormais à voir la mise en œuvre (B).
A Le projet de loi sur la peine et le service public pénitentiaire
Conscient de l’interaction des problématiques, et largement incité par les plus récentes décisions européennes (et notamment la résolution du Parlement européen du 17 décembre 1998 et la recommandation du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe du 30 septembre 1999), le Ministère de la Justice a, pendant plus d’une année, travaillé en collaboration avec de nombreux partenaires, professionnels investis dans les politiques pénale et pénitentiaire ou membres concernés de la société civile, à l’élaboration d’une vaste réforme de la peine et de la réalité carcérale.
Concourants d’une loi relative à la présomption d’innocence limitative de la détention provisoire (et qui n’avait pas encore alors été remise en cause par la loi dites « Sécurité Quotidienne » de novembre 2001) [2], ces travaux du Comité d’Orientation Stratégique (COS), ont abouti à l’élaboration d’un projet de loi « sur la pleine et le service public pénitentiaire », qui appelle attention malgré son avenir en l’état incertain. Au gré de mesures touchant tant au « sens de la peine » qu’au contrôle des établissements pénitentiaires, ce texte avait en effet pour objectif d’harmoniser la situation des personnes incarcérées, et de la mettre en conformité avec les principes fondamentaux, qu’ils soient constitutionnels, européens ou universels.
Rappelant de façon liminaire que la privation de liberté doit rester « l’ultime recours », le projet envisageait de modifier l’application des peines, en créant de nouvelles peines ou de nouveaux aménagements : une « suspension de peine pour cause médicale grave » était ainsi (ré)affirmée, de même qu’un « dispositif analogue à la libération conditionnelle pour les condamnés dont l’état de santé est irréversiblement incompatible avec la détention ». Pour superfétatoires qu’elles puissent paraître (le Code de procédure pénale prévoyant déjà un tel dispositif), ces mesures ont été reprises, on y reviendra, dans un texte législatif récent.
Visant ensuite un service public pénitentiaire soumis à ses obligations déontologiques propres, au premier rang desquels figurait le « respect des droits de l’Homme » [3], le texte engageait une réorganisation de la détention et une légalisation du régime disciplinaire des personnes détenues, en même temps qu’il engageait une reconnaissance des « droits fondamentaux de la personne détenue - et notamment du droit au respect de l’intégrité physique et de la dignité, ainsi que du principe d’égalité.
L’objectif avoué du texte était donc de mettre la situation des personnes détenues en harmonie avec les prescriptions des textes supranationaux et de l’ordonnancement interne. Bien que dénuée de toute disposition contraignante et visiblement redondante, cette légalisation des droits des personnes incarcérées permettait toutefois l’espoir d’une meilleure effectivité, « l’administration pénitentiaire (ayant...) tendance à ne considérer comme applicables que les lois spécifiquement destinées à régir l’institution pénitentiaire » [4]. Cette caractéristique s’illustre notamment quant au droit à la santé, puisque, alors qu’il rappelait les obligations constitutionnelles et européennes pertinentes, le projet de loi se bornait à renvoyer au dispositif de 1994, qu’il n’envisageait d’approfondir u’à l’égard des personnes handicapées.
Ainsi, par la légalisation du droit des détenus à la santé et à la solidarité nationale, de même que par la réaffirmation des droits essentiels de l’Homme en matière sanitaire - et donc par la réglementation, à défaut de leur interdiction, de certaines contraintes (les entraves par exemple) - le projet de loi, en mettant fin au foisonnement des textes confus et « d’une qualité discutable » [5] censés actuellement réglementer le monde carcéral, ouvrait quelques espoirs de voir la situation pénitentiaire dans son ensemble profondément réformée, et soumise à un contrôle extérieur effectif.
Le texte envisagé ouvrait en effet au final à la création d’un corps de contrôle des prisons, dirigé par un « contrôleur général » en charge de vérifier, sur le modèle du Comité européen de prévention de la torture, que les conditions de la détention française soient « conformes à la dignité, à l’égalité et à la légalité ».
Appelée de leurs vœux par les normes internationales comme par l’ensemble des observateurs (et notamment le Comité européen de prévention et la Commission dite Canivet préalablement créée aux fins de réflexion sur l’amélioration du contrôle extérieur des lieux de détention), l’instauration d’une telle autorité de contrôle externe ouvrait l’espoir d’une garantie de recours, et donc d’effectivité des droits pour les détenus.
Toutefois, ce projet de loi [6], certes novateur en tant qu’il posait une volonté de réforme globale et approfondie des réalités pénales et carcérales, n’a plus fait l’objet depuis sa publication d’une quelconque discussion, qu’elle soit parlementaire ou gouvernementales, alors que certaines de ses propositions, spécifiquement sanitaires, ont été reprises dans d’autres mesures législatives et réglementaires.
B Les mesures les plus récentes et le Programme d’action 2002/2005
Au vu des réalités politiques du moment et des nécessités relevées, certaines décisions récentes ont concerné la condition carcérale, notamment prise dans sa dimension sanitaire, à défaut d’une réforme globale devenue inenvisageable au vu de l’actualité politique interne et internationale.
Essentiellement relatives à la question de la prise en charge des addictions, ces mesures ont également abordé la question du handicap lourd et de la fin de vie, par un élargissement des possibilités d’aménagement des peines (1).
Ces décisions s’inscrivent en fait dans une volonté d’amélioration de la prévention et de la prise en charge sanitaire des personnes détenues, illustrée, en réaction aux récents rapports susvisés, par le programme triennal d’action rendu public en avril 2002 (2).
1 La toxicomanie et la fin de vie
a/ S’agissant de la prise en charge des addictions, et malgré l’apparente contradiction de la mission sanitaire et de la politique pénale en la matière, une démarche volontaire est engagée depuis plusieurs années en milieu libre. Le monde carcéral jouit d’une évolution comparable depuis le milieu des années 1980, sous l’égide des SMPR. La réforme de 1994 et les dernières mesures engagées tendent à prouver une volonté de développement large du dispositif ainsi mis en place.
Les Antennes toxicomanes des SMPR, devenus des Centres de Soins Spécialisés pour Toxicomanies (CSST) par le décret du 29 Juin 1992, assurent comme à l’extérieur la prise en charge médico-psychologique, sociale et éducative des personnes victimes d’addiction, dans une optique d’aide à la (ré)insertion. Toutefois, dix ans plus tard, on ne compte que 16 CSST en milieu fermé, la plupart dans les grandes maisons d’arrêt pourvues de SMPR, les autres établissements devant recourir aux possibilités extérieures (parfois des CSST en milieu ouvert, mais le plus souvent les dispositifs associatifs locaux).
On note malgré tout, depuis 1996 et la mise en œuvre des programmes de substitution, un accroissement des moyens et la multiplication des intervenants spécialisés non médicaux, permettant peu à peu une amélioration de la coordination et du travail en réseau.
Dans le même sens, la mise en œuvre de « conventions départementales ‘objectifs » et la compétence reconnue de la Mission Interministérielle de Lutte contre les Drogues et la Toxicomanie (MILDT), ainsi d’autres part que l’élaboration conséquente et toujours en cours d’un Cahier des charges en la matière, permet d’envisager une amélioration rapide du système.
Est notamment visé l’accès des personnes toxicomanes aux traitements de substitution, certes en hausse croissante (60% des prises en charge relevées en 1999 [7]), mais encore imparfait. De fait, si l’accent a d’abord été mis sur les traitements par Subutex (par une autorisation de mise sur le marché en 1996, permettant sa prescription par un médecin généraliste hors CSST), l’optique est depuis lors à l’élargissement et à l’amélioration de cette prise en charge : la circulaire du 3 avril 1996 a d’abord posé, au-delà de cette possibilité d’initiation d’un traitement par Subutex, la possibilité de poursuivre une prise en charge à la méthadone ; puis le décret du 5 décembre 1996 en a autorisé la primo prescription par les CSST, qu’il soit en milieu ouvert ou fermé. Enfin, et alors que la note interministérielle du 9 août 2001 [8] a relancé les travaux en réseau aux fins d’amélioration de la prise en charge, la circulaire du 3à janvier 2002 [9] a parachevé l’évolution, en autorisant l’initiation des traitements à la méthadone par tout praticien, y compris hors CSST.
Ces évolutions, plus conformes à la politique de santé publique qu’à l’optique pénale répressive, ne peuvent qu’être saluées, la généralisation des traitements par méthadones, bien que plus lourds, semblant nécessaire non seulement car leurs effets paraissent plus satisfaisants (patient calme et responsabilisé, qui bénéficie d’un accompagnement psychologique) mais aussi parce qu’il évitent nombre des écueils apparus avec le Subutex (surdosage, trafic...).
On peut ainsi à terme espérer une multiplication des prises en charges, mais aussi d’emblée une amélioration de celles-ci, par un changement progressif des mentalités agrémenté d’une meilleure coordination des compétences. Cependant, en matière de désintoxication, il est établi que la prise en charge en milieu pénitentiaire est toujours hasardeuse, puisque le plus souvent offerte à des personnes qui effectuent des courtes peines et qui, si elles sont disponibles lors de leur écrou, ne seront plus à même de poursuivre leur traitement au terme de leurs quelques mois d’enfermement, le retour à la liberté état synonyme de retour à la précarité sociale, à la recherche d’argent...
Sans s’arrêter en l’état à ces considérations touchant à la politique pénale, il est signifiant que divers blocages à un exercice uniforme et satisfaisant de cette politique de soins existent encore. Le rapport IGAS/IGSJ de juin 2001 relève ainsi que nombre d’UCSA ou de SMPR refusent encore de pratiquer la substitution - refus aux conséquences graves en détention, puisque la personne incarcérée ne peut choisir son médecin. On note ainsi encore des interruptions de traitements ou des refus de soins, et ce en fonction du lieu d’incarcération [10].
A cela s’ajoutent les contraintes carcérales (difficultés d’un accompagnement personnalisé et de suivi, notamment après un changement d’affectation), les risques prégnants de trafic des produits (que la méthadone, différemment prescrite et conditionnée, devrait enrayer), ainsi que les difficultés de poursuivre des prises en charge après une libération, du fait des carences des structures de relais extérieures.
Si elle semble donc avoir pris un nouveau pas, la politique de réduction des risques infectieux en matière de stupéfiants reste encore limitée, et tous les efforts en cours se doivent d’être poursuivis à défaut d’une refonte des politiques, notamment pénale, relative aux stupéfiants - et sur laquelle nous reviendrons, étant entendu qu’il reste incohérent d’incarcérer un toxicomane pour trois mois pour usage ou détention et de lui proposer, en prison, un traitement de substitution qu’il ne pourra mener à terme lors de sa sortie d’écrou car aucun dispositif, non seulement sanitaire, mais aussi socio-économique et éducatif, n’aura été à même de le prendre en charge et de lui permettre une réinsertion tant professionnelle, personnelle que sociale, et donc sanitaire.
b/ D’autre part, et s’agissant des mesures les plus récentes, la loi 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a, comme on a déjà pu le voir, (ré)affirmé les « droits de la personne » en matière sanitaire, et posé la possibilité d’une suspension de peine pour les « condamnés dont il est établi qu’ils sont atteints d’un pathologique engageant le pronostic vital ou que leur état de santé est durablement incompatible avec le maintien en détention ».
On peut sourire d’une telle réaffirmation d’une possibilité déjà existante - article 720-1 du Code de procédure pénale que la loi nouvelle entend préciser par un nouvel article 720-1-1. Tout reste à voir désormais quant à la mise en œuvre de ce nouveau texte, dont on peut craindre une application restrictive, à l’image de la pratique antérieure : les grâces, suspension de peine et autres libérations conditionnelles pour raison médicale grave n’ont jamais été utilisées de manière effrénée par les magistrats ou juridictions concernées [11]...
Le texte de mars 2002 apparaît donc redondant, bien que l’on puisse saluer la réaffirmation d’une éthique médicale, du droit à la dignité de la personne malade, de l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé, du respect de la vie privée et du secret des informations médicales... Ces principes étaient toutefois censés s’appliquer en France depuis un demi-siècle, et l’on s’inquiète d’en constater une nouvelle inscription, qui résonne finalement comme un aveu d’impuissance - réaffirmer les principes à défaut d’en assurer l’application...
Là encore, la réaffirmation des règles essentielles par un texte de loi pourrait laisser espérer leur plus grande effectivité, mais, à défaut d’une loi pénitentiaire qui vise spécifiquement le monde carcéral, et qui « permette d’appréhender globalement les problématiques de la détention, sans quoi les espoirs légitimes de ces dernières années rejoindront le cortège des illusions perdues » [12], ces récentes mesures réglementaires et législatives apparaissent bien limitées en pratique, et dénuées de tout audace, voire même teintées d’hypocrisie - travers qui se retrouvent dans les communications politiques relatives aux « plans d’action » sanitaires.
2 Le programme national d’action 2002/2005
Au-delà de ces réglementations, les ministères de la Justice et de la Santé rendaient public, en avril 2002, un programme triennal d’actions « pour l’amélioration de la prévention et de la prise en charge sanitaire des personnes détenues ».
Directement issu du rapport IGAS/IGSJ et des conclusions de la Mission Santé/Justice, dont il reprend nombre de recommandations, ce texte définit 10 axes principaux d’action, allant de l’hygiène et des conditions de vie à la prise en charge du vieillissement de la population carcérale.
Si des réserves peuvent aujourd’hui être formulées sur la mise en œuvre politique de ce programme, on peut néanmoins retenir certaines des mesures ainsi avancées qui nous intéressent particulièrement dans le champ de la présente étude.
Le programme renvoie tout d’abord, pour ce qui est des conditions de détention, à la compétence de l’administration pénitentiaire, et rappelle les objectifs d’encellulement individuel et de respect de l’intimité. Il vise ainsi le programme de rénovation, dit 4.000, récemment engagé, tout en ouvrant à la question de l’hygiène alimentaire et de l’hygiène personnelle, qui nécessitent en outre des actions d’éducation fortes. Les autorités sanitaires souhaitent en tout état de cause un réinvestissement du contrôle DDASS en la matière - dont on peut au passage s’étonner qu’il n’ait pas fonctionné jusqu’alors, les enquêtes des médecins inspecteurs de santé publique, par exemple, n’étant diligentées qu’en cas de plaintes relevées, et non de façon systématique et préventive.
S’agissant ensuite de la prise en charge préventive et somatique des pathologies infectieuses, ce texte, limité, ne fait que renvoyer aux mesures existantes, en réaffirmant l’enjeu et en postulant de leur mise en œuvre effective et de leur élargissement.
Ainsi en est-il des préservatifs, dont le texte propose une mise à disposition plus large, hors UCSA - sans pour autant que la proposition de mise en place de distributeur de produits d’hygiène, comprenant préservatifs masculins et féminins, ne soit précisément retenue, ni que la possibilité de mettre ces produits en cantine ne soit envisagée...
C’est d’ailleurs plus globalement l’ensemble de la question sexuelle qui est ici passée sous silence, visée dans le seul prisme judéo-chrétien du « lien familial ». On ne peut certes que se féliciter de la volonté ainsi affichée de création généralisée d’unités de vie familiale, mais il est notamment regrettable que la question des parloirs intimes pourtant avancées par la Mission Santé/Justice ne soit pas reprise, pas plus que n’est envisagée l’idée d’une reconnaissance de la sexualité des personnes incarcérées. Celle-ci passe par une parole ouverte, qui ne concerne pas que le traitement des délinquants sexuels, mais la sexualité plus globalement entendue, permettant non seulement information et éducation à la santé, mais aussi un travail, notamment auprès des détenus les plus jeunes, sur les rapports de violence liés à la domination (discrimination de catégories stigmatisées : travestis, homosexuels, « pointeurs »...) ou à l’indigence (commerce du corps) qui s’exercent fréquemment en détention.
De même, en matière de dépistage, le Programme ne fait que renvoyer, sans en reprendre le détail ni en tirer les enseignements, au dispositif actuel. Ainsi n’envisage-t-il pas d’institutionnaliser une seconde visite médicale obligatoire pour les entrants qui auraient refusé les dépistages, dans un délai rapproché de la date d’écrou, ni de mettre en place une visite médicale de sortie de détention, dont les effets seraient pourtant fondamentaux en terme de suivi des prises en charge.
Le texte met en revanche l’accent sur les traitements post-exposition, sans toutefois avoir pris l’ampleur des difficultés que rencontrent ces outils, dues comme on l’a vu tant au poids des mentalités qu’aux contradictions des législations et réglementations. C’est donc une bonne chose de vouloir développer ces traitements, mais des mesures semblent nécessaires en aval pour qu’ils soient concrètement réalisables.
Pour ce qui est des risques de transmission par voie sanguine (injection, tatouage ou piercing), le Programme préconise un renforcement de l’information entourant l’utilisation de l’eau de Javel... Autant dire donc qu’il envisage aucune amélioration réelle de la situation actuelle, postulant une amélioration des prises en charge somatique et psychologique mais ne soulignant pas l’impasse dans laquelle elles se trouvent du fait de la dualité des réglementations, et renvoyant l’hypothèse d’une politique de réduction des risques par mise à disposition de matériels stériles d’injection à un groupe de travail dont le moins que l’on puisse dire est que son avenir semble incertain [13].
Le texte réaffirme en outre la nécessité de poursuite des traitements, à l’entrée comme lors des transferts et surtout lors de la libération, ce qui passe, souligne-t-il, par une information et une éducation thérapeutique renforcées, donc une responsabilisation et une implication du malade, ainsi que par une aide effective des services médicaux et des intervenants sociaux. Ce rappel est heureux mais semble de pure forme, aucune mesure précise n’en découlant qui vise à renforcer les moyens matériels et humains mis à disposition de ces services (on compte actuellement un travailleur social pour 100 détenus), à l’intérieur des prisons comme au niveau des structures pouvant assurer la continuité des prises en charge à l’extérieur, ou encore à améliorer la politique sociale et l’exercice de la solidarité nationale (maintien de l’Allocation Adulte Handicapé dans son intégralité, création d’un revenu minimal afin de lutter contre l’indigence carcéral, extension de la couverture sociale lors de la levée d’écrou pour les détenus étrangers (qui se la voient retirer alors que les ressortissants français en bénéficient un an après la date de libération)...).
Le Programme souligne certes que, de façon générale, les UCSA doivent être renforcées, et les liens qui les unissent aux hôpitaux multipliés, par une amélioration de la qualité et de l’accessibilité de l’offre de soins. Cependant, il ne prévoit aucune mesure chiffrée, alors que la question, qui touche aussi aux escortes et gardes statiques, passe ici par une concertation interministérielle, mais doit en tout état de cause voir un renforcement de l’implication des établissements hospitaliers - et ce notamment dans l’attente de la mise en œuvre effective des UHSIR.
Rien n’est prévu non plus pour les structures extérieures, et il ne peut être relevé que le sort des étrangers malades et sous le coup d’une mesure d’expulsion n’est pas non plus abordé, alors même que leur pathologie est censée engager des conséquences administratives à même de leur assurer une prise en charge lors de leur sortie de détention.
Aussi, et bien qu’inscrit dans le cadre d’un échéancier [14] ce texte, dénué de toute forme contraignante, apparaît bien limité.
Il est notamment regrettable que le Programme ne s’arrête pas plus en détail sur la priorité que doivent constituer les actions de prévention et d’éducation à la santé. Il convient en effet, au principal, que la politique d’éducation à la santé soit reprise globalement. Si la prise en charge thérapeutique est en effet dans son ensemble acceptable, elle restera inefficace à terme si elle ne s’inscrit pas dans une démarche sanitaire largement entendue, qui concerne l’éducation comme la prévention.
La multiplicité des intervenants - censée dépassée depuis la loi du 4 mars 2002 qui a créé l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé - le manque de volonté et de courage politique, et donc le manque corrélatif de moyens, en ont longtemps été les limites reconnues. Des actions fortes, claires, objectives et régulières, qui dépassent le seul schéma d’un débat le 1er décembre de chaque année, doivent être organisées au bénéfice des personnes détenues comme à celui des personnels (et notamment des plus anciens) ; répétées et adaptées aux spécificités des « groupes sensibles » que peuvent représenter les femmes, les jeunes détenus et ceux de nationalité étrangère notamment. La formation des soignants eux-mêmes est particulièrement concernée, les cursus médicaux n’inscrivant encore que trop peu la dimension éducative et préventive au profit du seul aspect somatique [15].
Les récents rapports ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, qui ont fait de la prévention et de l’éducation à la santé la priorité des politiques à venir. Ces voies d’action semblent à même de résoudre peu à peu nombre des blocages relevés, qui touchent à la symbolique et aux représentations des acteurs concernés - détenus, personnel pénitentiaires comme personnels soignants. C’est par de tels efforts, qui passent tant par des mesures d’information et de formation que par la reconnaissance concrète et officielle des faits sexuel et toxicomaniaque en détention, qu’évolueront les mentalités, et donc à terme l’effectivité des principes d’égalité et de non discrimination. Ainsi la situation aura-t-elle ses chances d’évoluer, puisque de ces limites dépendent aussi celles touchant à la prise en charge somatique.
Ce document de programmation triennal s’avère ainsi décevant, d’autant plus que les conclusions des missions d’expertise elles-mêmes apparaissent plus détaillées et plus novatrices que l’échéancier issu du Programme. Au-delà par exemple d’une réitération de la proposition de test de dépistage au bout d’un mois d’écrou, la mission Santé/Justice envisageait également l’instauration d’une consultation de dépistage et de prévention annuelle, ainsi que d’une visite médicale de sortie (permettant notamment des prescriptions et un relais effectif, si besoin est, vers un centre de soins extérieur). Elle envisageait également la mise en œuvre d’une campagne de vaccination contre le VHB, la mise en place effective de brochures d’information et d’action d’information et de formation concrètes, tant au niveau des personnels qu’à celui des détenus, et intéressant les risques de contamination par voie sexuelle comme ceux par voie sanguine.
Certaines des voies envisagées par le Programme sont censées être déjà en cours de mise en œuvre, notamment par la modification du « guide méthodologique ». D’autres évolutions, dont certaines étaient inscrites en creux dans le Projet de loi pénitentiaire, aujourd’hui largement hypothéqué, ont malgré tout trouvé un écho qui se veut concret, que ce soit par de nouvelles réglementations interministérielles ou par un texte législatif.
Il faut probablement se féliciter de ce qui apparaît comme une prise de conscience forte, semblant vouloir envisager les problématiques de manière large afin de permettre à la réforme engagée en 1994 de finalement aboutir.
Toutefois, et s’agissant de la prévention du Sida, des hépatites et la réduction des risques d’infections, les actions ainsi envisagées paraissent encore timides, qui se bornent à rappeler l’existant sans tirer les leçons des constats pourtant établis, et restent en tout état de cause largement en de ça de nombreuses propositions, plus globales, telles celles avancées par le Projet de loi pénitentiaire ou les recommandations européennes.
Diverses améliorations sont ainsi encore attendues et espérées pour que la situation carcérale française, en dépassant ces seuls minimas, se rende peu à peu conforme aux règles fondamentales.
Section 2 Des évolutions envisageables
D’autres possibilités d’évolution de notre monde carcéral, mais plus généralement de notre politique pénale, peuvent être envisagées. Elles auraient évidemment des effets en matière sanitaire, soit qu’elles y soient directement liées, soit que leurs conséquences influeraient à terme sur le fait médical.
Ces évolutions passent par le désengorgement des établissements (B) autant que par l’amélioration des missions sanitaires, et s’appuient alors bien souvent sur des exemples étrangers (A).
A Améliorer les mission sanitaires
a/ L’enjeu est ici surtout une amélioration des missions préventive et d’éducation à la santé, visant non seulement une effectivité plus grande de la mission de soin, mais surtout une évolution des mentalités et des représentations - qui, si elle est nécessaire dans la société en général, est fondamentale en milieu fermé.
Ce mouvement passe par une ré-affirmation du principe d’égalité, et donc de non-discrimination, tant vis-à-vis de la personne malade - toxicomane, séropositive, hépatique, sidéenne - que vis-à-vis des faits sexuel ou toxicomane en eux-mêmes ; et nécessite évidemment des évolutions matérielles. Il concerne donc en premier lieu la pénalisation (effective et symbolique) des comportements discriminatoires, en milieu libre comme en détention, qu’ils visent l’orientation sexuelle ou la maladie. En outre, et au-delà de la reconnaissance d’un droit à la sexualité en détention, il convient en conséquence que soit adaptée la réalité carcérale, par une mise à disposition élargie des moyens de prévention de la contamination par voie sexuelle, ainsi que par l’élargissement des Unités de vie familiale et la création de parloirs intimes.
Au-delà, des actions régulières d’information et d’éducation à la santé relatives aux infections sexuellement transmissibles en général doivent être menées ; et l’accent doit être mis sur les groupes dits vulnérables. Il est par exemple à tout le moins étonnant que les autorités centrales renvoient aux seuls dispositifs locaux la charge de diffuser des brochures d’information générales [16] - dont on ne peut que constater tant la rareté que l’inadéquation [17]. S’il est évident qu’une « individualisation » des supports d’information est à terme nécessaire ( à la population spécifique de tel ou tel établissement), il n’en reste pas moins que la maladie est partout la même, et que les modes de transmission et les moyens de s’en protéger ne varient pas non plus d’une région à une autre. Aussi, il aurait sans mal pu être imaginé qu’une diffusion en masse d’une information minimale relative aux maladies sexuellement transmissibles et aux hépatites notamment soir engagée au niveau national, dans plusieurs langues et de la façon la plus vulgarisée possible, renvoyant évidemment aux relais locaux pour des actions de suivi personnalisées. Le schéma actuel, qui repose sur les seules actions locales, fait craindre en effet de large disparité des moyens d’information, en raison par exemple de la diversité des intervenants locaux, de leur volonté et de leurs moyens ; et révèle donc une prévention largement limitée.
b/ S’agissant de la question des toxicomanies, et au-delà des mesures d’information et d’éducation, on constate les limites de l’utilisation de l’eau de Javel, le plus souvent prise comme détergent, ou mal utilisée aux fins d’une décontamination des matériels dont certains médecins eux-mêmes réfutent la réalité. Pourquoi donc ne pas faire tomber cette hypocrisie, qui reconnaît sans le dire la pratique toxicomaniaque par injection en détention mais refuse dans le même temps de l’inscrire dans le seul champ pathologique, donc sanitaire, à l’image de ce qui peut se faire en milieu libre ? Pourtant, sortir de la seule optique pénale ou disciplinaire permettrait d’envisager une évolution tant des pratiques que des mentalités, et améliorant au final les prises en charge thérapeutiques.
Bien que la mission Santé/Justice l’éclipse au vu justement de cette contradiction des textes, l’issue passe certainement par une reformulation du problème, en des termes uniquement sanitaires ainsi qu’ont pu le faire - avec succès - certains de nos voisins européens. Ce n’est de fait que lorsque sera temporisée la notion d’infraction que la question de l’usage de drogue en prison trouvera ses réponses, qui passent certes par une prise en charge thérapeutique de substitution quand elle est possible, mais aussi par un discours éclairé sur le sujet, permettant information (quant à l’injection par voie nasale par exemple, que d’aucuns considèrent sûre alors que des cas de contamination ont pu être relevés) et mise à disposition d’outils de prévention - disons le, de matériels stériles d’injection.
Il est en effet établi que de nombreux UDVI incarcérés poursuivent d’une manière ou d’une autre leur addiction en milieu carcéral : la reconnaissance objective de cette réalité permettrait sa prise en charge adéquate en termes de réduction des risques d’infection. C’est ce qu’a fait l’Espagne (mais aussi la Suisse ou l’Allemagne) à compter de 1997, consciente de ce que la distribution d’eau de javel (introduite en 1988) et les programmes de substitution, y compris à la méthadone (généralisés depuis 1993) ne suffisaient pas en eux-mêmes à parer l’évolution des virus.
L’expérience espagnole a été précitée par une décision de justice [18] qui a retenu la corrélation entre VIH/VHC - usage de drogues et réalité pénitentiaire ? Rappelant que l’OMS oblige les Etats à développer dans un tel contexte une politique de prévention, la juridiction a renvoyé la charge de cette prévention en matière carcérale à l’administration pénitentiaire locale. Ce système est évalué aujourd’hui à une charge financière de 18.000 euro par an, étant précisé que la prise en charge médicamenteuse d’une personne atteinte du VIH s’élève quant à elle à 120.000 euros par an. Il correspond d’autre part aux dispositifs existant en milieu ouvert, et respecte donc le principe d’égalité.
Initiée en pilote dans quelques établissements, l’expérience va ainsi être aujourd’hui généralisée à l’ensemble du parc carcéral espagnol, De fait, les résultats qui en sont ressortis ont prouvé la diminution de l’usage partagé des matériels et la baisse corrélative des séroprévalences ; alors qu’il est en parallèle constaté un e stagnation du nombre d’UDVI et l’absence d’un quelconque accident sécuritaire, pas plus qu’un quelconque conflit ui en soit la conséquence. Au contraire, il semble acquis que ce dispositif a permis un changement de mentalité et une meilleure compréhension mutuelle des acteurs, évidemment favorables à l’action sanitaire [19].
Aussi paraît-il évident que le renvoi de la question de la réduction des risques sanguins de transmission par la mise à disposition de matériels stériles d’injection (mais aussi de tatouage ou de piercing), par de récentes communications officielles, à un groupe de réflexion - dont on s’interroge sur la viabilité politique - est pour le moins regrettable, ce dispositif ayant fait ses preuves tant somatiques que préventives.
De fait, au-delà de la seule « shooteuse » ainsi mise à disposition d’un toxicomane « en manque », ce système renverse la dialectique française du toxicomane délinquant, pour l’inscrire dans un champ somatique - en même temps qu’il met fin à la schizophrénie du dispositif mis en œuvre en milieu ouvert et rend au principe d’égalité son effectivité.
Bouleversant ainsi les mentalités, et accompagné d’une réelle prise en charge préventive et éducative, non discriminatoire et non stigmatisante - notamment par un « travail des pairs » comme il existe aussi au Canada [20] - ce dispositif apparaît comme une voie réelle d’amélioration possible de la situation sanitaire, tant en détention qu’en milieu ouvert. S’il pose certes de nouvelles interrogations (faudra-t-il alors encadrer les injections ou même contrôler la qualité des produits ?), ce système permet un meilleur relais avec les structures extérieures compétentes, ainsi d’autre part qu’une évolution corrélative des mentalités et donc des réalités sociales et judiciaires à l’endroit des UDVI.
Ainsi le Docteur Garcia Villanueva précisait-il que le Code pénal espagnol avait ouvert la voie, en parallèle, à la multiplication des alternatives à l’emprisonnement pour les toxicomanes, axant les décisions vers un champ sanitaire plutôt que carcéral - une telle évolution renvoie évidemment à la politique pénale dans son ensemble, et redonne, on y reviendra, à la politique de santé publique tout son sens.
c/ L’amélioration des missions sanitaires, qui repose pour beaucoup sur de telles évolutions des représentations et des mentalités, passe aussi par des mesures très concrètes visant notamment à multiplier les personnels soignants présent en détention, ainsi que par un meilleur respect du secret médical.
Elle concerne donc l’accès des détenus au service de soins (abolition du surveillant intermédiaire par exemple par la généralisation des « boîtes aux lettres médicales » relevées par les seuls personnels soignants), l’amélioration générale des conditions de détention (est alors question, au-delà de la seule rénovation, l’urgence d’un désengorgement des établissements pénitentiaires, à même de permettre intimité, salubrité et hygiène), de même que l’amélioration du soin somatique en lui-même. Il convient en particulier sur ce dernier point que soit facilité l’accès aux multithérapies et aux essais cliniques, de même que l’accès aux programmes de substitution, par méthadone notamment, ou encore aux consultations spécialisées en milieu hospitalier ainsi qu’aux hospitalisations en elles-mêmes, notamment en matière hépatique...
A noter, quant au secret médical, que la mise en œuvre d’une information encadrée des données médicales, actuellement en cours sous la surveillance de la Commission Nationale Informatique et Liberté, devrait permettre, dans l’hypothèse d’une hospitalisation notamment, de mieux assurer le respect du secret médical, l’escorte n’ayant ainsi plus à manipuler le dossier médical du détenu hospitalisé.
Se pose à nouveau dans toute son acuité la question déjà abordée de l’extraction pour raison médicale. Le schéma d’hospitalisation interrégional actuellement en cours de création (redéploiement et rationalisation des compétences sanitaires), et les travaux attendus auprès des effectifs sécuritaires concernés (clarification des compétences et augmentation des personnels pénitentiaires, policiers et de gendarmerie), laissent espérer une rationalisation effective des compétences, et donc une amélioration d’un système défaillant, et pour le moins non conforme aux principes d’égalité et de droit à la santé.
En tout état de cause, et au vu des précédents développements, il est acquis que ces efforts aux fins d’amélioration de la mission sanitaire en prison peuvent, pour être réellement performants, que passer par une amélioration de la condition carcérale en elle-même, donc par une refonte du parc pénitentiaire qui nécessite évidemment un ajustement de la politique pénale à ces objectifs.
B Désengorger les établissements pénitentiaires
Lutter contre la subvention pour améliorer les prises en charges pénitentiaires, qu’elles soient éducatives ou sanitaires, c’est en effet, nécessairement, s’intéresser à la politique pénale.
Le nombre des incarcérations a connu une inflation galopante en début d’année 2002 (à l’instar de l’augmentation de près de 8.000 personnes enregistrée pour les six premiers mois de l’année, qui fait suite à une baisse continue du nombre de détenus depuis 1996), en lien direct avec l’actualité politique (inter)nationale.
Il est ainsi peut être utile de rappeler - à la lumière de l’inadaptation et de la saturation précitées de notre parc pénitentiaire, et des violations avérées qu’elles représentent à l’endroit des règles et principes fondamentaux - l’importance capitale que revêtent la présomption d’innocence et le caractère en théorie exceptionnel de la détention préventive.
Constatant en effet non seulement la timidité du programme de rénovation engagé, mais au surplus les récentes annonces de nouvelles construction d’établissements, solliciter un respect effectif de la présomption d’innocence et un recours limité à la détention provisoire, c’est tout simplement réaffirmer les règles supérieures censées présider la politique pénale en général, ainsi qu’y invitent malgré tout, on l’a vu, non seulement les experts internes, mais aussi les autorités européennes dans le cadre notamment des Recommandations du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe R(80)11 concernant la détention provisoire et R(99)22 du 30 septembre 1999 concernant le surpeuplement des prisons et l’inflation carcérale.
Ce dernier texte résonne de façon particulière au vu du contexte politique français de cette année 2002, qui, après une loi Sécurité Quotidienne peut amène, et qui a fortement limité les garanties de respect de la présomption d’innocence, voit le retour affiché d’une politique du « tout répressif » à l’égard des mineurs comme de divers groupe particulièrement précaires et vulnérables de notre société.
Dans le même temps, en effet, l’autorité européenne subordonne « la gestion efficace de la population carcérale (...) à certaines circonstances telles que la situation globale de la criminalité, les priorités en matière de lutte contre la criminalité, l’éventail des peines prévues par les textes législatifs, la sévérité des peines prononcées, la fréquence du recours aux sanctions et mesures appliquées dans la communauté, l’usage de la détention provisoire, l’efficience et l’efficacité des organes de la justice pénale, et, en particulier, l’attitude du public vis-à-vis de la criminalité et de sa répression ». Elle souligne ainsi que les mesures destinées à lutter contre le surpeuplement « devraient s’inscrire dans une politique pénale cohérente et rationnelle axée sur la prévention du crime (...) l’individualisation des sanctions (...) et la réintégration des délinquants », ce qui requière « l’appui des responsable politiques et administratifs, des juges, des procureurs et du grand public, ainsi qu’une information équilibrée sur les fonctions de la sanction, sur l’efficacité relative des sanctions et mesures privatives et non privatives de liberté et sur la réalité des prisons ».
Aussi, lutter contre « l’inflation carcérale » pour améliorer les prises en charges pénitentiaires, c’est rappeler que l’emprisonnement doit rester « l’ultime recours », et donc mettre en œuvre un « ensemble approprié de sanction et de mesures (...) graduées en terme de sévérité ».
C’est également envisager la fixation d’une « capacité maximale » des établissements pénitentiaires - un numerus clausus qui permette une prise en charge globale et satisfaisante, par la limitation du nombre d’incarcérations à ce qu’il est concrètement possible de prendre en charge. Une telle réforme aurait aussi pour effet de résorber une inégalité de traitement existant entre les personnes détenus en France, puisque celles incarcérées dans l’un des établissements dits 13000 bénéficient d’un système de ce type, au détriment des autres [21].
Une telle politique réductionniste passe ainsi, en premier lieu, par l’exemple de « l’opportunité de décriminaliser certains types de délits, ou de les requalifier de façon à éviter qu’ils n’appellent des peins privatives de liberté » souligne le Conseil de l’Europe, à l’image là encore de certains exemples étrangers (Pays Bas ou Finlande).
Au vu de la situation française, on pense tant à la situation des mineurs, qui relève plus d’une nécessité éducative que seulement privative de liberté, qu’à celle des personnes psychotiques, pour lesquelles une prise en charge purement psychiatrique semble plus adaptée. Mais c’est aussi ici le débat relatif à la dépénalisation de certaines infractions qui s’impose, telles celles à la législation sur les étrangers ou à celle sur les stupéfiants.
S’agissant des étrangers, dont le taux d’incarcération pour seule infraction à la législation administrative a cru de 33à % entre 1984 et 1996, il semble acquis que leur incarcération ne « correspond pas (...) aux missions qui devraient être assignées à la prison « [22]. Au-delà d’une réforme nécessaire quant à la question de la double peine (fondamentale, on l’a dit, pour les étrangers détenus pour une infraction pénale, et atteins d’une pathologie lourde non susceptible d’être prise en charge de façon satisfaisante dans leur pays d’origine), le problème de l’incarcération des « étrangers en situation administrative irrégulière doit être remis en cause, leur détention, sans objet réel, n’étant source que d’un accroissements inutile de la population pénale, et restant donc tant inefficace que contre-productif.
De même, l’incarcération des personnes toxicomanes pour usage ou détention de stupéfiant doit être repensée, étant observé que « ... la grande majorité des toxicomanes n’a pas sa place en prison » [23]. Alors qu’il semble évident qu’une obligation de soin est plus opportune qu’une incarcération, l’utilisation des sanctions alternatives à l’emprisonnement à l’encontre de ces personnes, plus malades que délinquantes, paraît être une possibilité d’évolution à explorer, qui ne laisse pas non plus sans réponse le potentiel trouble ainsi commis à l’ordre, et surtout à la santé publique.
Au-delà, une remise en cause de la législation répressive relative aux stupéfiants peut même être envisagée, ainsi que le préconise le CNS dans son dernier rapport [24]. « Le maintien d’une politique hésitant entre soins et répression, largement imputable à l’état de la législation française sur les stupéfiants et aux préjugés à l’encontre des usagers de drogues, constitue aujourd’hui encore une entrave au déploiement de la stratégie de réduction des risques. »
Ainsi le Conseil « suggère que soit envisagé un abandon de l’incrimination pénale de l’usage personnel de stupéfiants dans un cadre privé ; préconise que soit confirmée l’exclusion de toute peine d’incarcération au chef du seul usage de stupéfiants, y compris en public ou avec plusieurs consommateurs ; propose des dispositions législatives garantissant pour tous et en tout lieu la mise en œuvre de soins et de mesures de réduction des risques et dommages liés à la consommation de drogues, quelque soit le contexte, et notamment en milieu carcéral [25] »
Un tel mouvement de lutte contre la surpopulation carcérale et de rationalisation de la politique pénale intéresse donc au premier chef la dépénalisation de certaines infractions, mais aussi la multiplication et la mise en œuvre effective des peines dites alternatives à l’enfermement : sursis avec mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général, semi liberté, surveillance électronique... Ces divers modes vde sanction apparaissent certes de plus en plus souvent utilisés [26], mais rencontrent encore bien des réticences de l’opinion publique, et donc des autorités judiciaires. Si l’opinion publique peut en effet comprendre ces problématiques, « elle est versatile », rappelle Véronique Vasseur : « il suffit qu’un délinquant sexuel récidive, et sa compassion s’efface pour tous les autres ; il suffit d’agiter le drapeau de l’insécurité, plus porteur de suffrages, pour qu’elle se détourne du sujet » [27].
De même, les mesures d’aménagement des peines, les possibilités d’obtenir grâce ou de bénéficier d’une libération conditionnelle, de même que les permissions de sortie pour raison médicale, doivent être élargies, ce qui nécessite un travail en amont d’information et d’éducation du corps social, la rigueur des magistrats en la matière faisant le plus souvent écho à celle de la population en général, pour laquelle l’enfermement carcéral reste le plus souvent la seule sanction à même de « réparer » (mais, dans les conditions actuelles, réparer quoi, réparer qui ?) - ou plutôt de « venger », ainsi que le souligne Pierre Bédier, nouveau secrétaire d’Etat à l’immobilier de la Justice... [28].
Au-delà des seules réalités pénitentiaires, la question concerne ainsi bien la politique pénale, directement responsable pour une part de la situation carcérale. De telles évolutions de cette politique, par les limitations des incarcérations qu’elles engendraient, et par l’optique nouvelle qu’elles donneraient en conséquence à la privation de liberté, modifieraient fondamentalement la réalité et l’effet même d’une incarcération.
Moins surpeuplés, les établissements pénitentiaires disposeraient de plus de moyens, tant matériels qu’humains. Les améliorations techniques (rénovation, amélioration des conditions de salubrité...) pourraient ainsi plus facilement et plus globalement être opérées, et les prises en charge, qu’elles soient éducatives ou sanitaires, n’en seraient que plus performantes.
Recentrées sur leur sens, la prison, et donc la peine, pourraient ainsi peut être retrouver leur acceptation initiale, conforme aux droits de la personne comme de l’intérêt général.